En Italie (Jean Aicard)

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En Italie (Jean Aicard)
Revue des Deux Mondes5e période, tome 42 (p. 449-456).
EN ITALIE

POÉSIES


BAGUES FLORENTINES


Les bagues de fer que Florence
Avec amour cisèle encor,
Sont, quoique d’austère apparence,
Plus belles que des bagues d’or.

Dans l’antique cité du Dante,
Plus d’un artiste, dès le jour,
Fait rougir à la lampe ardente
De terribles bagues d’amour.

Dompteur du fer qui lui résiste,
Patiemment le ciseleur
Fait courir, dans le métal triste,
Des grâces de femme ou de fleur.

Il tord, de sa main souveraine,
Autour d’un rude anneau de fer,
Le corps fuyant d’une sirène
Onduleuse comme la mer ;

Il sertit dans la bouche ouverte
D’une Méduse, ou dans ses yeux,
La turquoise qui mourra verte,
Ou les rubis, — sang glorieux.

Et le fer dit : « Je fus le glaive,
Je fus la lance ou le poignard. »
— Quand le bon ouvrier l’achève,
« Moi, dit la bague, je suis l’Art. »

Florence, guelfe et gibeline,
A qui son passé reste cher,
Dit : « J’ai l’âme dure et câline :
Mes bagues d’amour sont de fer…

« Je me souviens des vieilles luttes
Et, fidèle au fer batailleur,
Dans mon lys aux fermes volutes
Je vois un fer de lance en fleur… »

O cité de la Renaissance,
Toi qui sur le monde enchanté
Répands avec magnificence
Les gloires qui font ta beauté,

Garde à jamais ta bague étrange,
Fer ouvré, chef-d’œuvre fini,
Qu’admira le vieux Michel-Ange,
Et qui te vient de Cellini.


UN TOMBEAU D’ENFANT DANS LES CATACOMBES


Les sépulcres des catacombes
Dans les murs froids sont rassemblés,
Pareils à des nids de colombes
D’où les oiseaux sont envolés !

Les anges, dans les ciels splendides,
Ignorent les tombeaux ouverts
Où les crânes, ces coques vides,
Gisent mêlés, moisis et verts ;

Mais nous, nous qui souffrons, nos âmes,
S’informant toujours des tombeaux,
Eprouvent des pitiés de femmes
Pour les pauvres morts en lambeaux ;

Et nous souhaitons que la forme
Où l’âme a rêvé dans des yeux,
Eternellement calme, dorme
Loin des vivans trop curieux.

Hélas ! La science, accroupie
Sur le seuil du caveau sacré,
Arrache, d’une main impie,
L’hiéroglyphe déchiffré ;

Et pas une tombe n’est sûre,
Et toutes sont des trous béans
Qui montrent, sous la moisissure,
Le néant même des néans…

Hier j’ai vu, plein de surprise,
Dans la souterraine cité,
Parmi tous ces tombeaux qu’on brise,
Un petit tombeau respecté.

Seul clos parmi toutes ces tombes
Dont on éparpilla les os,
Au cœur même des catacombes
Il garde seul tout son repos.

Dix-neuf cents fois la terre antique
Fleurit et se renouvela,
Depuis qu’au chant d’un saint cantique
L’enfant qui dort fut couché là.

Or, quand on vint sceller la dalle,
On fixa dans le ciment gris
De la jointure verticale
Deux jouets qu’il avait chéris…

Quels prêtres, ô mère chrétienne,
T’ont pu permettre sans remord,
Leur douleur approuvant la tienne,
D’amuser l’enfant dans la mort ?

Elle exigea : Dieu laissa faire ;
Et deux billes, tout simplement,
Se bombent en double hémisphère
Sur le biseau du froid ciment.

Et depuis les jours où, sous terre,
Les premiers saints cachaient l’autel,
La mort nous garde, en son mystère,
Ce signe d’amour immortel.

Durant dix-neuf siècles, les hommes
Se sont battus sur ces caveaux
Qu’ébranla le bruit des deux Romes
Du temps antique et des nouveaux ;

Sur la tombe où les frêles boules
Amusent l’ombre d’un enfant,
Suivi par de hideuses foules
Attila bondit triomphant ;

Sur ce tombeau, pourtant fragile,
Le bloc de l’empire romain
Croula, sapé par l’Evangile,
Avec un fracas surhumain ;

Le sol, déchiré de charrues,
A tremblé de tous les effrois,
Au-dessus de ces mornes rues
Où dormaient les sépulcres froids.

Rien n’a dérangé dans cette ombre
Ce tombeau qu’aujourd’hui défend,
Parmi des ruines sans nombre,
Un petit fantôme d’enfant.

Les savans, — respect insolite, —
Ont voulu qu’il restât muré
Parce que la dalle est petite
Et qu’un jouet leur est sacré !…

Ainsi, contre le sacrilège
De nos scepticismes présens,
Un hochet d’enfant te protège,
Sépulcre de dix-neuf cents ans !


SUR L’AUTEL D’ISIS


«… Ainsi la cigale innocente
Sur un arbuste assise et se console et chante.
André CHENIER.

En habit vert, de souple étoffe,
Un petit lézard est assis,
D’un air bonhomme et philosophe,
Sur le seuil du temple d’Isis.

— « Ta rêverie est bien profonde ? »
— « Je songe, dit-il gravement,
Que pas un lézard, dans le monde,
N’occupe un meilleur logement.

« Ici, bienheureux que nous sommes,
Rien ne trouble notre sommeil,
Car Pompéi n’est point aux hommes :
Elle est à mon roi, le Soleil.

« O passant, dans toute autre ville,
Les palais ont gardé leur toit,
Et les enfans, engeance vile,
Sont encor moins discrets que toi ;

« Dans toutes, palais à colonnes,
Jardins, maisons de volupté,
Appartiennent à des personnes
Qui cherchent de l’ombre, en été !

« Dans toutes, nous mettrait en fuite
Un fracas d’hommes et de chars ;
Pas une autre n’est mieux détruite
Pour être agréable aux lézards.

« Ici le soleil nous enivre ;
Tous nos jours, nous les employons,
En ne rien faisant, à bien vivre :
A boire la joie en rayons.

« Regarde : pas l’ombre d’un arbre ;
Et là, sous les rougeurs du soir,
L’autel d’Isis, trône de marbre
Où, comme un dieu, j’aime m’asseoir.

« Mais va-t’en, car l’ombre me gagne ;
C’est l’heure où je gravis l’autel
D’où l’on voit, haut sur la campagne,
Briller le Vésuve immortel ;

« De cette place, — que j’honore
En mémoire des feux sacrés, —
Je vois grandir, comme une aurore,
Sa splendeur dans les ciels pourprés ;

« Son âme est un soleil sous terre,
Et j’aime, loin des faux plaisirs,
A vénérer, dans le mystère,
Ce dieu, — qui m’a fait mes loisirs. »


LA CHANSON DU PAUSILIPPE


Demi-vêtu d’immondes hardes,
Le mendiant napolitain
Avec des chansons nasillardes
Vous harcèle soir et matin.

Partout sur votre promenade
Apparaît un chanteur maudit,
Dont l’aubade ou la sérénade
Ne connaît minuit ni midi.

Au Vésuve, au bord du cratère,
Il vous guette, il rôde, il est là,
Qui braille, devant le mystère :
« Funiculi-funicula. »

Il entonne Sainte-Lucie,
Rarement des airs plus nouveaux,
La nuit sous votre jalousie,
Le jour au nez de vos chevaux.

Martyr de refrains effroyables,
Vous finissez, rageur et las,
Par envoyer à tous les diables
Ces gens qui d’ailleurs n’y vont pas…

Or, hier, une enfant mignonne,
Fille de ces chantres d’enfer,
Très grave petite personne,
Vint près de nous chanter un air.

Ses parens, là-bas, sur la route,
L’encourageaient avec des cris,
Et la mignonnette, — on s’en doute, —
Répétait leurs airs favoris.

Mais la beauté de son enfance
Rendait divin le chant banal,
Et nous l’écoutions sans défense,
Car des tout petits rien n’est mal.

Un cœur de rose encore close
Est moins doux, moins charmant, moins pur
Et la rose est d’un moins beau rose
Que sa nuque aux ombres d’azur.

La source sous bois, dans la mousse,
Où seule a bu la mouche à miel,
Même à la pensée est moins douce
Que son œil tout baigné de ciel.

Certe, elle chantait sans principe !
Charmés, nous l’écoutions pourtant…
Sur les pentes du Pausilippe,
Elle nous suivait en chantant.

Le bec ouvert, à voix menue,
Tel un oiselet dans le nid,
La jolie enfant demi-nue
Pépiait l’air jamais fini.

Bouche ronde, rire à la joue,
Tendant la main sans y songer,
Elle suivait, comme l’on joue,
A grands petits pas — l’étranger.

Sa main semblait ne rien attendre ;
Elle la mettait sous nos yeux
Pour obéir — non pas pour prendre…
C’est tout. C’était délicieux.

Ce qu’elle disait, je l’ignore,
Mais, nous arrêtant en chemin,
Nous lui criâmes : « Chante encore !
« Tends-nous mieux ta petite main ! »

Et quand l’adorable merveille
Toujours en chantant s’éloigna,
J’eus une vision pareille
Aux tiennes, della Robbia :

Droit et pur comme un lys de neige
Sur l’émail bleu des horizons,
Un ange tenait le solfège
Où l’enfance épelait des sons.


JEAN AICARD.