En Mocassins/01/03

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Texte établi par Inst. des Sourds Muets,  (p. 21-24).

GOUVERNEMENT.

Leur machine gouvernementale[1]tourne sur quatre conseils où siègent séparément, les chefs et les députés des familles, leurs adjoints ; puis les vieillards, les guerriers, les femmes.

Celles-ci remplissent en tout un rôle considérable. Le nouveau chef n’est jamais le fils de l’ancien, mais celui de sa sœur ou de la sœur de sa mère, et les matrones en conseil le confirment dans sa dignité.[2]

Ainsi considérées comme les personnes les plus représentatives des familles, elles en nomment les délégués au conseil des chefs et les choisissent souvent de leur sexe. L’épouse est seule maîtresse dans la cabane et commande seule aux enfants.

Le sénat se réserve les jugements suprêmes, toujours incontestés ; mais les matières qu’on lui soumet ont été élaborées dans le conseil des femmes. Ainsi, sur tous les sujets, qu’ils soient d’un intérêt particulier ou général, on fait d’abord s’exercer les langues les plus déliées, comme aussi les esprits les plus vifs, les moins raisonneurs, les plus aptes à deviner.

On semble donc avoir reconnu que les personnes du sexe faible, excellent à mettre les questions sur le tapis et à toucher rapidement à tout. Il est d’ailleurs certains que, chez les Hurons-Iroquois, elles connaissent mieux l’économie rurale et domestique dont elles font presque tous les frais.

Avec leurs questions d’intérêt domestique et d’ordre civil, elles fournissent la matière la plus abondante des conseils ; matière que les hommes, tout entiers à la chasse et à la guerre, considèrent comme indigne de leur attention. Aussi délibèrent-ils moins souvent que leurs compagnes. Quant à la question de savoir s’ils se pensent obligés de tout leur soumettre ? les faits répondent que non.

Sous la galanterie des formes qui semble donner tant d’importance aux avis des matrones, les sénateurs cachent habilement leur véritable jeu, qui consiste à approuver autant que possible les décisions des conseillères, puis à en prendre souvent d’autres auxquelles elles n’ont pas pensé. Il suffit pour cela de ne pas les tenir au courant de tout : « Dans le vrai, dit Charlevoix, les hommes ne parlent aux femmes que de ce qu’ils veulent bien qu’elles sachent, et rarement une affaire importante leur est communiquée, quoique tout se fasse en leur nom, et que les chefs ne soient que leurs lieutenants. »[3]

Au reste, les affaires de grande conséquence, ne se terminent pas sans le conseil général des différents corps de la nation.

Ici, tout le monde peut opiner ; mais peu osent le faire parmi ceux qui n’ont pas à leur crédit l’âge et l’expérience. Ce double avantage appartient aux sénateurs. Les écouter avec déférence est, même pour les jeunes chefs, se montrer sage. Ils le font et s’enferment prudemment dans leur rôle disciplinaire et exécutif.

Les guerriers seuls discutent sur les choses de leur métier ; mais les représentants des familles s’occupent de tout le reste. Suppléants des chefs et peut-être leurs modérateurs, ils surveillent de près les intérêts nationaux et l’administration du trésor public.[4]

  1. Lafitau : « Mœurs des Sauvages », t. II, p. 170-180.
  2. Étant données les mœurs un peu libres de ces peuples, ils s’assuraient par cette méthode que le nouveau chef était au moins du même sang que l’ancien.
  3. « Journal d’un voyage dans l’Amer. Sep. », p. 269.
  4. « Le trésor public consiste principalement dans ces sortes de colliers qui leur tiennent lieu de contrats, d’actes publics, et en quelque sorte de fastes et d’anales ou de registres… Outre les colliers de porcelaine, on porte aussi dans le fisk, des pelleteries, du bled d’Inde, des viandes fraîches ou fumées. » Lafitau : « Mœurs des Sauv. », t. II, p. 203-205.

    « Ils ont un certain amas de colliers de porcelaine, rassade, haches, couteaux, et généralement tout ce qu’ils gaignent et obtennient pour le public, soit à la guerre, traite de paix, rachapt de prisonniers, péages des nations qui passent sur leurs terres. » Sagard : « Hist. du Can. », p. 830.