En voyage, tome II (Hugo, éd. 1910)/Alpes et Pyrénées/C/1

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Texte établi par G. SimonLibrairie Ollendorff (p. 279-286).
la loire. — bordeaux.


Bordeaux, 20 juillet.

Vous qui ne voyagez jamais autrement que par l’esprit, allant de livre en livre, de pensée en pensée, et jamais de pays en pays, vous qui passez tous vos étés à l’ombre des mêmes arbres et tous vos hivers au coin de la même cheminée, vous voulez, dès que je quitte Paris, que je vous dise, moi vagabond, à vous solitaire, tout ce que j’ai fait et tout ce que j’ai vu. Soit. J’obéis.

Ce que j’ai fait depuis avant-hier 18 juillet ? Cent cinquante-cinq lieues en trente-six heures. Ce que j’ai vu ? J’ai vu Étampes, Orléans, Blois, Tours, Poitiers et Angoulême.

En voulez-vous davantage ? Vous faut-il des descriptions ? Voulez-vous savoir ce que c’est que ces villes, sous quels aspects elles me sont apparues, quel butin d’histoire, d’art et de poésie j’y ai recueilli chemin faisant, tout ce que j’ai vu enfin ? Soit. J’obéis encore.

Étampes, c’est une grosse tour entrevue à droite dans le crépuscule au-dessus des toits d’une longue rue, et l’on entend des postillons qui disent : « Encore un malheur au chemin de fer ! deux diligences écrasées, les voyageurs tués. La vapeur a enfoncé le convoi entre Étampes et Étrechy. Au moins, nom autres, nous n’enfonçons pas. »

Orléans, c’est une chandelle sur une table ronde dans une salle basse où une fille pâle vous sert un bouillon maigre.

Blois, c’est un pont à gauche avec un obélisque pompadour. Le voyageur soupçonne qu’il peut y avoir des maisons à droite, peut-être une ville.

Tours, c’est encore un pont, une grande rue large, et un cadran qui marque neuf heures du matin.

Poitiers, c’est une soupe grasse, un canard aux navets, une matelote d’anguilles, un poulet rôti, une sole frite, des haricots verts, une salade et des fraises.

Angoulême, c’est une lanterne éclairée au gaz avec une muraille portant cette inscription : Café de la Marine, et à gauche une autre muraille ornée d’une affiche bleue sur laquelle on lit : la Rue de la Lune, vaudeville.

Voilà ce que c’est que la France quand on la voit en malle-poste. Que sera-ce lorsqu’on la verra en chemin de fer ?


J’ai quelque idée de l’avoir déjà dit ailleurs, on a beaucoup trop vanté la Loire et la Touraine. Il est temps de faire et de rendre justice. La Seine est beaucoup plus belle que la Loire ; la Normandie est un bien plus charmant « jardin » que la Touraine.

Une eau jaune et large, des rives plates, des peupliers partout, voilà la Loire. Le peuplier est le seul arbre qui soit bête. Il masque tous les horizons de la Loire. Le long de la rivière, dans les îles, au bord de la levée, au fond des lointains, on ne voit que peupliers. Il y a pour mon esprit je ne sais quel rapport intime, je ne sais quelle ineffable ressemblance entre un paysage composé de peupliers et une tragédie écrite en vers alexandrins. Le peuplier est, comme l’alexandrin, une des formes classiques de l’ennui.

Il pleuvait, j’avais passé une nuit sans sommeil, je ne sais si cela m’a mis de mauvaise humeur, mais tout sur la Loire m’a paru froid, triste, méthodique, monotone, compassé et solennel.

On rencontre de temps en temps des convois de cinq ou six embarcations qui remontent ou descendent le fleuve. Chaque bateau n’a qu’un mât et une voile carrée. Celui qui a la plus grande voile précède les autres et les traîne, et le convoi est disposé de façon que les voiles vont diminuant de grandeur d’un bateau à l’autre du premier au dernier, avec une sorte de décroissance symétrique que n’interrompt aucune saillie, que ne dérange aucun caprice. On se rappelle involontairement la caricature de la famille anglaise, et l’on croirait voir voguer à pleines voiles une gamme chromatique. Je n’ai vu cela que sur la Loire ; et je préfère, je l’avoue, ces sloops et ces chasse-marée normands, de toutes formes et de toutes grandeurs, qui volent comme des oiseaux de proie, et qui mêlent leurs voiles jaunes et rouges dans la bourrasque, la pluie et le soleil, entre Quillebœuf et Tancarville.

Les espagnols appellent le Manzanarès le vicomte des fleuves ; je propose d’appeler la Loire la douairière des rivières.

La Loire n’a pas, comme la Seine et le Rhin, une foule de jolies villes et de beaux villages bâtis au bord même du fleuve et mirant leurs pignons, leurs clochers et leurs devantures dans l’eau. La Loire traverse cette grande alluvion du déluge qu’on appelle la Sologne ; elle en rapporte des sables que son flot charrie et qui obstruent souvent et encombrent son lit. De là, dans ces plaines basses, des crues et des inondations fréquentes qui refoulent au loin les villages. Sur la rive droite, ils s’abritent derrière la levée ; mais là ils sont à peu près perdus pour le regard ; le passant ne les voit pas.

Pourtant la Loire a ses beautés. Mme  de Staël, exilée par Napoléon à cinquante lieues de Paris, apprit qu’il y avait sur les bords de la Loire, exactement à cinquante lieues de Paris, un château appelé, je crois, Chaumont.

Ce fut là qu’elle se rendit, ne voulant pas aggraver son exil d’un quart de lieue. Je ne la plains pas. Chaumont est une noble et seigneuriale demeure. Le château, qui doit être du seizième siècle, est d’un beau style ; les tours ont de la masse. Le village, au bas de la colline couverte d’arbres, présente précisément un aspect peut-être unique sur la Loire, l’aspect d’un village du Rhin, une longue façade développée au bord de l’eau.

Amboise est une gaie et jolie ville, couronnée d’un magnifique édifice.

À une demi-lieue de Tours, vis-à-vis de ces trois précieuses arches de l’ancien pont qui disparaîtront un de ces jours dans quelque embellissement municipal, c’est une belle et grande chose que la ruine de l’abbaye de Marmoutier. Il y a particulièrement, à quelques pas de la route, une construction du quinzième siècle la plus originale que j’aie vue, maison par sa dimension, forteresse par ses mâchicoulis, hôtel de ville par son beffroi, église par son portail-ogive. Cette construction résume et rend pour ainsi dire visible à l’œil l’espèce d’autorité hybride et complexe qui, dans les temps féodaux, s’attachait aux abbayes en général et en particulier à l’abbaye de Marmoutier.

Mais ce que la Loire a de plus pittoresque et de plus grandiose, c’est cette immense muraille calcaire, mêlée de grès, de pierre meulière et d’argile à potier, qui borde et encaisse sa rive droite, et qui se développe au regard de Blois à Tours avec une variété et une gaieté inexprimables, tantôt roche sauvage, tantôt jardin anglais, couverte d’arbres et de fleurs, couronnée de ceps qui mûrissent et de cheminées qui fument, trouée comme une éponge, habitée comme une fourmilière.

Il y a là des cavernes profondes où se cachaient jadis les faux monnoyeurs qui contrefaisaient l’E de la monnaie de Tours et inondaient la province de faux sous tournois. Aujourd’hui les rudes embrasures de ces antres sont fermées par de jolis châssis coquettement ajustés dans la roche, et de temps en temps on aperçoit à travers la vitre le gracieux profil d’une jeune fille bizarrement coiffée, occupée à mettre en boîte l’anis, l’angélique et la coriandre. Les confiseurs ont remplacé les faux monnoyeurs.

Et, puisque j’en suis à ce que la Loire a de charmant, je remercie le hasard de m’avoir naturellement amené à vous parler des belles filles qui travaillent et qui chantent au milieu de cette belle nature.

La terra molle, e lieta, e dilettosa,
Simili a se gli habitatori produce.



Au rebours de la Loire, on n’a pas assez vanté Bordeaux, ou du moins on l’a mal vanté.

On loue Bordeaux comme on loue la rue de Rivoli : régularité, symétrie, grandes façades blanches et toutes pareilles les unes aux autres, etc. ; ce qui pour l’homme de sens veut dire architecture insipide, ville ennuyeuse à voir. Or, pour Bordeaux, rien n’est moins exact.

Bordeaux est une ville curieuse, originale, peut-être unique. Prenez Versailles et mêlez-y Anvers, vous avez Bordeaux.

J’excepte pourtant du mélange — car il faut être juste — les deux plus grandes beautés de Versailles et d’Anvers, le château de l’un et la cathédrale de l’autre.

Il y a deux Bordeaux, le nouveau et l’ancien.

Tout dans le Bordeaux moderne respire la grandeur comme à Versailles ; tout dans le vieux Bordeaux raconte l’histoire comme à Anvers.

Ces fontaines, ces colonnes rostrales, ces vastes allées si bien plantées, cette place Royale qui est tout simplement la moitié de la place Vendôme posée au bord de l’eau, ce pont d’un demi-quart de lieue, ce quai superbe, ces larges rues, ce théâtre énorme et monumental, voilà des choses que n’efface aucune des splendeurs de Versailles, et qui dans Versailles même entoureraient dignement le grand château qui a logé le grand siècle.

Ces carrefours inextricables, ces labyrinthes de passages et de bâtisses, cette rue des Loups qui rappelle le temps où les loups venaient dévorer les enfants dans l’intérieur de la ville, ces maisons-forteresses jadis hantées par les démons d’une façon si incommode qu’un arrêt du Parlement déclara en 1596 qu’il suffisait qu’un logis fût fréquenté par le diable pour que le bail en fût résilié de plein droit, ces façades couleur amadou sculptées par le fin ciseau de la renaissance, ces portails et ces escaliers ornés de balustres et de piliers tors peints en bleu à la mode flamande, cette charmante et délicate porte de Caillau bâtie en mémoire de la bataille de Fornoue, cette autre belle porte de l’hôtel de ville qui laisse voir son beffroi si fièrement suspendu sous une arcade à jour, ces tronçons informes du lugubre fort du Hâ, ces vieilles églises, Saint-André avec ses deux flèches, Saint-Seurin dont les chanoines gourmands vendirent la ville de Langon pour douze lamproies par an, Sainte-Croix qui a été brûlée par les normands, Saint-Michel qui a été brûlé par le tonnerre, tout cet amas de vieux porches, de vieux pignons et de vieux toits, ces souvenirs qui sont des monuments, ces édifices qui sont des dates, seraient dignes, certes, de se mirer dans l’Escaut comme ils se mirent dans la Gironde, et de se grouper parmi les masures flamandes les plus fantasques autour de la cathédrale d’Anvers.

Ajoutez à cela, mon ami, la magnifique Gironde encombrée de navires. un doux horizon de collines vertes, un beau ciel, un chaud soleil, et vous aimerez Bordeaux, même vous qui ne buvez que de l’eau et qui ne regardez pas les jolies filles.

Elles sont charmantes ici avec leur madras orange et rouge comme celles de Marseille avec leurs bas jaunes.

C’est un instinct des femmes dans tous les pays d’ajouter la coquetterie à la nature. La nature leur donne la chevelure, cela ne leur suffit pas, elles y ajoutent la coiffure ; la nature leur donne le cou blanc et souple ; c’est peu de chose, elles y attachent le collier ; la nature leur donne le pied fin et petit ; ce n’est point assez, elles le rehaussent par la chaussure. Dieu les a faites belles, cela ne leur suffit pas, elles se font jolies.

Et au fond de la coquetterie, il y a une pensée, un instinct, si vous voulez, qui remonte jusqu’à notre mère Ève. Permettez-moi un paradoxe, un blasphème qui, j’en ai bien peur, contient une vérité : c’est Dieu qui fait la femme belle, c’est le démon qui la fait jolie.

Ah ça, mais il me semble que je prêche. Cela ne me va guère, car j’aime la femme, même avec ce que le diable y ajoute.

Revenons, s’il vous plaît, à Bordeaux.

La double physionomie de Bordeaux est curieuse ; c’est le temps et le hasard qui l’ont faite ; il ne faut point que les hommes la gâtent. Or on ne peut se dissimuler que la manie des rues « bien percées », comme on dit, et des constructions « de bon goût » gagne chaque jour du terrain et va effaçant du sol peu à peu la vieille cité historique. En d’autres termes, le Bordeaux-Versailles tend à dévorer le Bordeaux-Anvers.

Que les bordelais y prennent garde ! Anvers, à tout prendre, est plus intéressant pour l’art, l’histoire et la pensée que Versailles. Versailles ne représente qu’un homme et un règne ; Anvers représente tout un peuple, et plusieurs siècles. Maintenez donc l’équilibre entre les deux cités ; mettez le holà entre Anvers et Versailles ; embellissez la ville nouvelle, conservez la ville ancienne. Vous avez eu une histoire, vous avez été une nation, souvenez-vous-en, soyez-en fiers !

Rien de plus funeste et de plus amoindrissant que le goût des démolitions. Qui démolit sa maison, démolit sa famille ; qui démolit sa ville, démolit sa patrie ; qui détruit sa demeure, détruit son nom. C’est le vieil honneur qui est dans ces vieilles pierres.

Toutes ces masures dédaignées sont des masures illustres ; elles parlent, elles ont une voix ; elles attestent ce que vos pères ont fait.

L’amphithéâtre de Gallien dit : J’ai vu proclamer empereur Tetricus, gouverneur des Gaules ; j’ai vu naître Ausone, qui a été poëte et consul romain ; j’ai vu saint-Martin présider le premier concile ; j’ai vu passer Abdérame, j’ai vu passer le Prince Noir. Sainte-Croix dit : J’ai vu Louis le Jeune épouser Éléonore de Guyenne, Gaston de Foix épouser Madeleine de France, Louis XIII épouser Anne d’Autriche. Le Peyberland dit : J’ai vu Charles VII et Catherine de Médicis. Le beffroi de ville dit : C’est sous ma voûte qu’ont siégé Michel Montaigne qui fut maire, et Montesquieu qui fut président. La vieille muraille dit : C’est par ma brèche qu’est entré le connétable de Montmorency. Est-ce que tout cela ne vaut pas une rue tirée au cordeau ? Tout cela, c’est le passé ; le passé, chose grande, vénérable et féconde.

Je l’ai dit ailleurs, respectons les édifices et les livres ; là seulement le passé est vivant ; partout ailleurs il est mort. Or, le passé est une partie de nous-mêmes, la plus essentielle peut-être. Tout le flot qui nous porte, toute la sève qui nous vivifie nous vient du passé. Qu’est-ce qu’un arbre sans sa racine ? Qu’est-ce qu’un fleuve sans sa source ? Qu’est-ce qu’un peuple sans son passé ?

M. de Tourny, l’intendant de 1743, qui a commencé la destruction du vieux Bordeaux et la construction du nouveau, a-t-il été utile ou funeste à la ville ? C’est une question que je n’examine pas. On lui a élevé une statue, il y a la rue Tourny, le quai Tourny, le cours Tourny, c’est fort bien. Mais, en admettant qu’il ait si grandement servi la cité, est-ce une raison pour que Bordeaux se présente au monde comme n’ayant jamais eu que M. de Tourny ?

Quoi ! Auguste vous avait érigé le temple de Tutelle ; vous l’avez jeté bas. Gallien vous avait édifié l’amphithéâtre ; vous l’avez démantelé. Clovis vous avait donné le palais de l’Ombrière ; vous l’avez ruiné. Les ducs d’Aquitaine vous avaient fait une enceinte de tours ; vous l’avez renversée. Les rois d’Angleterre vous avaient construit une grande muraille du fossé des Tanneurs au fossé des Salinières ; vous l’avez arrachée de terre. Charles VII vous avait bâti le Château-Trompette ; vous l’avez démoli. Vous déchirez l’une après l’autre toutes les pages de votre vieux livre, pour ne garder que la dernière. Vous chassez de votre ville et vous effacez de votre histoire Charles VII, les rois d’Angleterre, les ducs de Guyenne, Clovis, Gallien et Auguste, et vous dressez une statue à M. de Tourny ! C’est renverser quelque chose de bien grand pour élever quelque chose de bien petit.


25 juillet.

Le pont de Bordeaux est la coquetterie de la ville. Il y a toujours sur le pont quatre hommes occupés à rejointoyer le pavé et à fourbir le trottoir. En revanche, les églises sont fort tristement délabrées.

Pourtant n’est-il pas vrai que tout dans une église mérite religion, jusqu’aux pierres ? C’est ce qu’oublient volontiers les prêtres, qui sont les premiers démolisseurs.

Les deux principales églises de Bordeaux, Saint-André et Saint-Michel, ont au lieu de clochers des campaniles isolés de l’édifice principal comme à Venise et à Pise.

Le campanile de Saint-André, qui est la cathédrale, est une assez belle tour dont la forme rappelle la tour de Beurre de Rouen et qu’on nomme le Peyberland, du nom de l’archevêque Pierre Berland, lequel vivait en 1430. La cathédrale a en outre les deux flèches hardies et percées à jour dont je vous ai déjà parlé. L’église, commencée au onzième siècle, comme l’attestent les piliers romans de la nef, a été laissée là pendant trois siècles, pour être reprise sous Charles VII et terminée sous Charles VIII. La ravissante époque de Louis XII y a mis la dernière main et a construit, à l’extrémité opposée à l’abside, un porche exquis qui supporte les orgues. Les deux grands bas-reliefs appliqués à la muraille sous ce porche sont deux tableaux de pierre du plus beau style, et on pourrait presque dire, tant le modelé en est puissant, de la plus magnifique couleur. Dans le tableau de gauche l’aigle et le lion adorent le Christ avec un regard profond et intelligent, comme il convient que les génies adorent Dieu.

Le portail, quoique simplement latéral, est d’une grande beauté ; mais j’ai hâte de vous parler d’un vieux cloître en ruine qui accoste la cathédrale au midi et où je suis entré par hasard.

Rien n’est plus triste et plus charmant, plus imposant et plus abject. Figurez-vous cela. De sombres galeries percées d’ogives à fenestrages flamboyants ; un treillis de bois sur ces ogives ; le cloître transformé en hangar, toutes les dalles dépavées, la poussière et les toiles d’araignées partout ; des latrines dans une cour voisine ; des lampadaires de cuivre rouillé, des croix noires, des sabliers d’argent, toute la défroque des corbillards et des croque-morts dans les coins obscurs ; et, sous ces faux cénotaphes de bois et de toile peinte, de vrais tombeaux qu’on entrevoit avec leurs sévères statues trop bien couchées pour qu’elles puissent se relever et trop bien endormies pour qu’elles puissent se réveiller. N’est-ce pas scandaleux ? Ne faut-il pas accuser le prêtre de la dégradation de l’église et de la profanation des tombeaux ? Quant à moi, si j’avais à tracer aux prêtres leur devoir, je le ferais en deux mots : Pitié pour les vivants, piété pour les morts.

Au milieu, entre les quatre galeries du cloître, les débris et les décombres obstruent un petit coin, jadis cimetière, où les hautes herbes, le jasmin sauvage, les ronces et les broussailles croissent, et se mêlent, on pourrait presque dire, avec une joie inexprimable. C’est la végétation qui saisit l’édifice ; c’est l’œuvre de Dieu qui l’emporte sur l’œuvre de l’homme.

Pourtant cette joie n’a rien de méchant ni d’amer. C’est l’innocente et royale gaieté de la nature. Rien de plus. Au milieu des ruines et des herbes, mille fleurs s’épanouissent. Douces et charmantes fleurs ! Je sentais leurs parfums venir jusqu’à moi, je voyais s’agiter leurs jolies têtes blanches, jaunes et bleues, et il me semblait qu’elles s’efforçaient toutes à qui mieux mieux de consoler ces pauvres pierres abandonnées.

D’ailleurs, c’est la destinée. Les moines s’en vont avant les prêtres, et les cloîtres s’écroulent avant les églises.

De Saint-André, je suis allé à Saint-Michel… — Mais on m’appelle, la voiture de Bayonne va partir, je vous dirai la prochaine fois ce qui m’est arrivé dans cette visite à Saint-Michel.

Tour de Saint-Michel. — Bordeaux.