En voyage, tome II (Hugo, éd. 1910)/Alpes et Pyrénées/C/15

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Texte établi par G. SimonLibrairie Ollendorff (p. 411-412).

de pau à cauterets.
notes.

Six heures du matin. Il pleut. La pluie en haut, le gave en bas, mêlent leur bruit. Route pittoresque, ombragée, verte et gaie malgré le mauvais temps. Les Pyrénées à l’horizon. Sommets cassés, mâchés, tordus, pétris, comme tripotés par la main formidable d’un géant. Petits lacs de neige dans les trous.

On n’entend plus ici ces appellations éclatantes jetées à toute voix par les muletiers espagnols à leurs mules : la generala ! la capitana ! Le cocher béarnais dit à ses juments en patois et à demi-voix avec l’accent tantôt goguenard, tantôt caressant : Yo grisa ! yo blonda !

Dans un village cette inscription sur une porte :

xxxxlo que ha de se no puede faltar

On sent le voisinage de l’Espagne.

Ici les toits d’ardoise partout ; toits aigus, inclinés pour l’écoulement des neiges et des pluies. Faites quelques lieues, traversez ces montagnes, vous trouvez les toits plats, les tuiles creuses. Ici les villages des Ardennes ; là les villages de la Calabre. Le nord est sur un versant des Pyrénées, le midi sur l’autre.

St-Pé. — Charmante ville avec des vestiges du 15e et du 16e siècles. Les paysannes sortent de la messe en longues files, vêtues de noir, avec des capuchons gris, blancs, rouges. On dirait des processions de religieuses de tous les ordres. (À Cauterets l’effet est encore plus étrange. Elles ont le capuchon gris et les pieds nus. St-Antoine par le haut. Goton par le bas.)

Lourdes. — Arrivée magique. Magnifique donjon du treizième siècle sur un rocher. Le gave d’un côté, la ville de l’autre. Au fond les montagnes, hautes, abruptes, coupées de tranchées profondes d’où montent les brumes, le vent, le bruit.

À Lourdes commence la grande gorge des hautes Pyrénées qui s’épanouit à Vidalos, s’écarte et se divise en quatre ravins, et forme cette immense patte d’oie dont le centre est Argelès et dont les quatre ongles vont atteindre à l’occident Arbeost par la vallée d’Estrem de Salle et Aucun par le val d’Azun, au midi Cauterets par le détroit de Pierrefitte, et au levant Barèges par le défilé de Luz. — La gorge de Lourdes à Argelès en est pour ainsi dire le manche. Comme le bras de cette main ouverte.

Lourdes est la porte des Hautes-Pyrénées. En 1755 elle ressentit le contre-coup du tremblement de terre de Lisbonne.

Le réseau central des Pyrénées était gardé au moyen-âge. Chaque articulation des vallées avait son château qui apercevait les deux châteaux des deux vallées voisines, et correspondait avec eux par des feux. On en voit aujourd’hui les ruines qui ajoutent un immense intérêt au paysage ; rien de plus poignant que les ruines de l’homme mêlées aux ruines de la nature.

Le donjon de Lourdes voyait les trois tourelles du château de Pau qui apercevait la tour carrée de Vidalos, laquelle pouvait communiquer par des signaux avec l’antique Castrum Emilianum bâti par les romains et relevé par Charlemagne sur la colline de St-Savin, qui se rattachait à travers les montagnes à la forteresse féodale de Beaucens. Les signaux s’enfonçaient ainsi de tours en tours dans la vallée de Luz jusqu’au château de Ste-Marie, dans la vallée de Gavarnie jusqu’à la citadelle des Templiers. Les châtelains des Pyrénées comme les burgraves du Rhin s’avertissaient les uns les autres. En quelques heures les bailliages étaient sur pied, la montagne était en feu.

Les paysans, chose remarquable et toute locale, ne haïssaient pas ces châteaux. Ils avaient le sentiment que ces forteresses, tout en les dominant, en les opprimant même, protégeaient la frontière. C’est le peuple des montagnes qui a donné à l’un de ces châteaux près du col d’Ossau le nom de Bon-Château qu’il garde encore : Castellougon.