En voyage, tome II (Hugo, éd. 1910)/France et Belgique/B/1

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Texte établi par G. SimonLibrairie Ollendorff (p. 79).
creil.


Amiens, 11 août, 9 heures du soir.

Je t’écris bien vite quelques lignes d’Amiens, chère amie. J’arrive et je n’ai que de l’encre blanche sur le marbre d’une commode et ce papier que voici. Je t’aime, mon Adèle, sois-en bien sûre. Je t’écrirai plus au long la prochaine fois.

La route de Paris ici est un grand jardin. Il y a beaucoup d’églises vraiment charmantes. Creil est une jolie ville avec de vieux beaux édifices, un pont coupé par une île et des eaux où tout cela se reflète. Il y a à Breteuil un petit châtelet exquis du quinzième siècle qui sert d’hôtel des postes. C’est comme à Verneuil.

Et puis un charmant clocher qui m’a paru tenir à une belle église.

Je t’écris tout cela dans un bruit affreux, et le cœur fort triste. Je songe à la joie que j’aurai de vous revoir tous, mon Adèle chérie. Il est bien bête de quitter la maison où l’on est si bien pour venir dîner dans des assiettes d’auberge où l’on lit les chansons de Béranger à travers sa soupe. Mais que veux-tu ? il faut bien changer l’attitude de son esprit, et les voyages servent à cela.

Adieu, mon pauvre ange, à bientôt. Embrasse pour moi ma Didine que j’aime tant, et Charlot, et Toto, et Dédé, embrasse-les huit fois sur leurs huit joues. — Je t’aime, ma Didine, je t’aime, mon Adèle. Mille baisers.

V.