Encore Heidi/07

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Chapitre VII.

Comment on passe son temps sur l’alpe.


Le soleil apparaissait derrière les rochers et lançait ses premiers rayons sur le chalet et la vallée.

Selon son habitude de chaque matin, le Vieux de l’alpe regardait dans le silence et le recueillement les brumes légères se dissiper lentement le long des hauteurs, et la contrée au loin, se dégageant des ombres crépusculaires, s’éveiller à la lumière d’un jour nouveau. Peu à peu les légers nuages du matin devinrent plus lumineux, et enfin le soleil, se montrant en plein à l’horizon, versa à flots l’or et la lumière sur les rochers, les forêts et les monts.

Le Vieux rentra alors dans le chalet et grimpa doucement la petite échelle. Clara qui venait d’ouvrir les yeux, regardait toute stupéfaite les brillants rayons du soleil qui entraient par la lucarne et venaient danser jusque sur son lit. Elle ne savait plus du tout où elle était ni ce qu’elle voyait ; mais ses regards tombèrent sur Heidi encore endormie à côté d’elle, et au même instant elle entendit la voix cordiale du grand-père.

— Bien dormi ? pas trop fatiguée ?

Clara l’assura qu’elle n’était pas du tout fatiguée et qu’une fois endormie elle ne s’était pas réveillée de toute la nuit. Cela fit plaisir au grand-père ; puis il se mit tout de suite à l’œuvre et assista Clara dans sa toilette avec autant d’adresse et d’expérience que si c’eût été précisément son métier de soigner des enfants malades et de leur faciliter toute chose.

Heidi qui venait d’ouvrir enfin les yeux, vit avec étonnement le grand-père prendre sur son bras Clara déjà toute habillée et descendre avec elle. Il fallait se hâter de les rejoindre ! elle sauta à bas du lit et fut prête en un clin d’œil ; puis elle descendit l’échelle, sortit du chalet et s’arrêta court pour contempler avec le plus grand étonnement ce que faisait le grand-père.

La veille au soir, tandis que les enfants reposaient déjà sur leur lit de foin, il avait longtemps réfléchi où il pourrait remiser le large fauteuil à roulettes. Il ne fallait pas songer à le faire entrer dans le chalet, la porte en était trop étroite ; mais tout à coup il lui était venu une idée : il était allé derrière le hangar et avait décloué deux grandes planches de la cloison ; par cette large ouverture il avait roulé le fauteuil à l’abri et remis les planches à leur place sans toutefois les reclouer. Heidi arrivait au moment où le grand-père, après avoir retiré les planches et installé Clara dans le fauteuil, sortait avec elle du hangar en plein soleil levant. À mi-chemin de la porte du chalet il arrêta le fauteuil et se dirigea vers l’étable aux chèvres. Heidi bondit auprès de Clara.

La fraîche brise du matin caressait les visages des enfants, apportant par bouffées la senteur aromatique des sapins dont l’atmosphère était tout imprégnée. Clara aspirait à longs traits cet air fortifiant, et penchée en arrière sur le dossier de son fauteuil, elle s’abandonnait à un sentiment de bien-être qui lui avait été jusqu’alors inconnu. Jamais encore il ne lui était arrivé de respirer l’air matinal en pleine nature ; et cette pure haleine des monts, si fraîche, si vigoureuse, était pour elle un véritable délice. Elle jouissait également du brillant soleil qui n’était pas du tout brûlant sur la montagne, mais réchauffait doucement ses mains et le gazon sec à ses pieds. Jamais elle ne se serait imaginé qu’il pût faire aussi beau sur l’alpe.

— Oh ! Heidi, si je pouvais rester toujours, toujours ici avec toi ! s’écria-t-elle en se retournant dans son fauteuil pour mieux se laisser pénétrer de tous les côtés par l’air et le soleil.

— Tu vois bien maintenant ce que je te disais, répondit Heidi tout heureuse, que c’est chez le grand-père sur l’alpe qu’il fait le plus beau dans le monde !

À ce moment le Vieux sortit de l’étable et s’avança vers les enfants en tenant deux bols pleins d’un lait blanc et écumeux ; il en tendit un à Clara, l’autre à Heidi.

— Cela fera du bien à la petite demoiselle, dit-il en encourageant Clara d’un signe de tête ; c’est du lait de Blanchette, il est fortifiant. À votre santé, et en avant !

Comme elle n’avait encore jamais bu de lait de chèvre, elle commença par le flairer un peu, non sans une certaine hésitation ; mais quand elle vit l’avidité avec laquelle Heidi buvait le sien, sans reprendre une seule fois haleine tant elle le trouvait bon, Clara s’y mit aussi et but jusqu’à la dernière goutte ce bon lait aussi doux et aussi parfumé que si l’on y avait mis du sucre et de la cannelle.

— Demain nous en boirons deux tasses, dit le grand-père qui avait vu avec satisfaction Clara suivre l’exemple de Heidi.

Un instant après, Pierre faisait son apparition avec son armée, et tandis que Heidi s’avançait au milieu des chèvres pour recevoir leurs salutations matinales, le grand-père tira Pierre à l’écart afin de pouvoir se faire entendre de lui, car les chèvres bêlaient toutes plus fort les unes que les autres pour témoigner à Heidi leur joie et leur amitié.

— Maintenant écoute, et fais bien attention, dit le Vieux. À partir d’aujourd’hui tu laisseras Blanchette faire à sa tête ; son instinct lui dit assez où sont les herbes les plus fortifiantes ; ainsi, si elle veut monter, suis-la, les autres s’en trouveront également bien ; et si elle veut grimper plus haut que tu n’as l’habitude de les mener, va tout de même après elle et ne la retiens pas, entends-tu ? cela ne te fera point de mal de grimper un peu. Elle ira donc où elle voudra, car elle en sait plus long que toi là-dessus, et je veux qu’elle broute ce qu’il y a de meilleur pour donner un lait de première qualité. À qui fais-tu des yeux pareils, comme si tu voulais avaler quelqu’un ? Personne ne te gênera. Allons, en avant, et souviens-toi de ce que je t’ai dit !

Pierre avait l’habitude d’obéir ponctuellement au Vieux de l’alpe. Il se mit donc tout de suite en marche ; mais il était aisé de voir qu’il avait quelque chose en réserve, car il retournait fréquemment la tête avec des roulements d’yeux furibonds. Les chèvres ayant entraîné Heidi à quelque distance, Pierre en profita pour lui crier d’un ton menaçant :

— Il faut que tu viennes aussi si l’on doit courir partout après Blanchette.

— Non, je ne puis pas, répondit-elle, et je ne pourrai pas aller avec toi pendant très très longtemps, tout le temps que Clara restera ici. Mais nous monterons une fois ensemble au pâturage, le grand-père nous l’a promis.

Et Heidi ayant réussi à se dégager du troupeau, retourna en courant auprès de Clara. Pierre fit alors un geste si menaçant du côté du fauteuil, que les chèvres effrayées en prirent la fuite ; puis il détala au plus vite et monta en courant un grand bout sans s’arrêter, pensant que le Vieux pourrait l’avoir vu ; or Pierre préférait ne pas savoir quelle impression ses poings avaient faite sur lui.

Clara et Heidi avaient tant de projets pour la journée qu’elles ne savaient par où commencer. Heidi proposa d’écrire d’abord la lettre à la grand’maman, puisqu’elles avaient promis d’en écrire une chaque jour. Madame Sesemann, en effet, n’était pas encore parfaitement sûre qu’à la longue le séjour au chalet convînt à Clara, et désirant avoir des nouvelles de sa santé, elle avait exigé des enfants la promesse de lui écrire chaque jour pour lui raconter ce qu’elles faisaient. De cette manière, elle saurait tout de suite si elle devait monter, dans le cas où ce serait nécessaire, et en attendant elle pouvait rester tranquillement à Ragaz.

— Faut-il que nous rentrions pour écrire ? demanda Clara qui était bien d’avis de donner de ses nouvelles à la grand’maman, mais qui aurait mieux aimé rester dehors où elle se sentait si bien.

Heidi eut bien vite trouvé un arrangement. Elle disparut dans le chalet et en ressortit peu après, chargée de tout son attirail d’école et d’un tabouret bas. Puis elle posa son livre de lecture et son cahier sur les genoux de Clara afin que celle-ci pût s’appuyer dessus pour écrire ; elle-même s’assit sur le petit tabouret devant le banc, et toutes deux commencèrent leur récit pour la grand’maman. Mais à chaque phrase, Clara posait de nouveau son crayon et regardait autour d’elle ; il faisait trop beau pour qu’elle pût s’absorber dans autre chose. Le vent n’était plus si frais ; c’était une petite brise qui se jouait délicieusement autour de son visage et effleurait les branches des sapins ; dans l’air transparent bourdonnaient les innombrables moucherons au murmure joyeux, et un grand silence régnait dans l’étendue baignée de soleil ; les hauts rochers surplombaient de leur masse imposante la vallée enveloppée d’une paix profonde ; de temps à autre seulement retentissait le joyeux appel de quelque pâtre que l’écho répétait en haut dans les rochers.

La matinée s’écoula ainsi sans que les enfants s’en aperçussent. Bientôt le grand-père arriva tenant à la main un plat fumant, car, disait-il, la petite demoiselle devait rester en plein air aussi longtemps qu’il ferait jour. Le repas fut donc servi devant le chalet comme la veille, et mangé avec non moins de plaisir et d’appétit. Après le dîner Heidi poussa le fauteuil de Clara jusque sous les sapins où les enfants avaient décidé de passer leur après-midi à l’ombre et à la fraîcheur, tandis qu’elles se raconteraient mutuellement tout ce qui s’était passé depuis que Heidi avait quitté Francfort. Bien que depuis lors tout eût cheminé du train habituel, Clara avait toutes sortes de communications particulières à faire sur les personnes qui vivaient dans la maison Sesemann et que Heidi connaissait si bien. Elles s’établirent donc tout à leur aise sous les vieux sapins, et plus elles s’animaient dans leur entretien, plus les oiseaux piaillaient et sifflaient au-dessus de leur tête, car ce babil joyeux les mettait de belle humeur, et ils voulaient aussi faire leur partie. Ainsi le temps s’écoula sans qu’on sût comment ; le soir venu, toute l’armée des chèvres redescendit en se précipitant du pâturage, suivie de son général aux sourcils froncés et à la mine courroucée.

— Bonne nuit, Pierre ! lui cria Heidi quand elle vit qu’il n’avait pas l’intention de faire halte.

— Bonne nuit, Pierre ! cria à son tour Clara.

Il ne répondit à aucune de ces salutations et chassa ses bêtes dans le sentier en faisant entendre une sorte de sourd grognement.

En voyant le Vieux conduire à l’étable ses deux chèvres si proprettes pour les traire, Clara ressentit tout à coup un tel désir de boire de nouveau ce bon lait parfumé, qu’elle put à peine attendre le retour du grand-père. Elle-même en était tout étonnée.

— C’est pourtant curieux, Heidi, dit-elle ; avant de venir ici je n’ai jamais mangé que parce qu’il le fallait, et tout ce qu’on me donnait avait le goût d’huile de foie de morue. Je me suis bien dit au moins mille fois : si seulement on n’était pas obligé de manger ! Et à présent je ne peux presque plus attendre notre lait !

— Oui, je sais bien comment c’est, répliqua Heidi de l’air de quelqu’un qui s’y connaît, en se souvenant des jours de Francfort où tout ce qu’elle mangeait lui restait au gosier sans vouloir descendre. Mais Clara ne comprenait rien à la chose ; c’est qu’aussi il ne lui était encore jamais arrivé de passer une journée tout entière en plein air et surtout à cet air léger et vivifiant des montagnes. Lorsque le grand-père s’approcha avec les tasses pleines, Clara saisit bien vite la sienne en le remerciant et en but avidement le contenu tout d’un trait, de sorte qu’elle eut même fini avant Heidi.

— Puis-je en avoir encore un peu ? demanda-t-elle en tendant sa tasse au grand-père.

Celui-ci exprima sa satisfaction par un mouvement de tête, prit aussi la tasse de Heidi et rentra à l’étable. Lorsqu’il revint, chaque tasse était surmontée d’un large couvercle, mais non comme ceux dont on se sert ordinairement. Pendant l’après-midi il avait fait une petite expédition jusqu’au mayen supérieur où les fruitiers fabriquaient le beurre d’un beau jaune clair ; il en avait rapporté une masse toute ronde, et il venait d’étendre sur deux tranches de pain une couche épaisse de ce bon beurre si doux. Les deux enfants mordirent avec tant d’entrain dans leurs beurrées que le grand-père s’arrêta complaisamment pour les regarder faire.

Ce soir-là, lorsque Clara se retrouva dans son lit de foin et voulut comme la veille regarder scintiller les étoiles, il lui arriva exactement comme à Heidi ; ses yeux se fermèrent tout de suite, et elle tomba dans le plus profond et le plus rafraîchissant sommeil qu’elle eût jamais goûté.

Le jour suivant s’écoula tout entier de la même agréable manière, puis un autre encore qui fut suivi d’une grande surprise pour les enfants. Elles virent arriver par le sentier deux hommes lourdement chargés ; ils apportaient sur leurs hottes deux lits pareils et au complet, avec des couvertures toutes blanches et toutes neuves. Les hommes remirent en même temps une lettre de la grand’maman dans laquelle elle écrivait que ces lits étaient pour Clara et Heidi, et qu’il fallait maintenant laisser de côté les arrangements avec le foin et les châles. À l’avenir, disait-elle, Heidi dormirait toujours dans un vrai lit, car en hiver on en descendrait un à Dörfli, tandis que l’autre resterait toujours au chalet pour Clara quand elle y viendrait. Puis la grand’maman complimentait les enfants de leurs longues lettres et les encourageait à continuer d’écrire chaque jour pour qu’elle pût les suivre par la pensée comme si elle était avec elles.

Pendant la lecture de la lettre, le grand-père était monté à la fenière où il avait rejeté sur le grand tas le foin du lit de Heidi et mis de côté les couvertures ; puis il redescendit pour aider les hommes à transporter les deux lits. Il les plaça tout à côté l’un de l’autre, de manière que des deux oreillers on eût la même vue par la lucarne, car il connaissait le plaisir des enfants à contempler par cette ouverture le crépuscule et l’aurore.

Pendant que tout ceci se passait sur l’alpe, la grand’maman restait en bas aux bains de Ragaz, vivement réjouie des excellentes nouvelles qu’elle recevait chaque jour du chalet.

L’enthousiasme de Clara pour son nouveau genre de vie augmentait de jour en jour ; elle ne pouvait assez parler dans ses lettres de la bonté et des soins minutieux du grand-père, raconter combien Heidi était gaie et amusante, plus encore qu’à Francfort, et comme quoi chaque matin sa première pensée au réveil était : Oh ! quel bonheur ! je suis encore sur l’alpe !

Avec des rapports aussi satisfaisants, la grand’maman était sans inquiétude, et elle trouva que, puisque les choses allaient si bien, elle pouvait remettre encore un peu sa seconde visite à l’alpe, ce dont elle n’était pas fâchée, car la grimpée à cheval par le raide sentier et surtout la descente l’avaient bien un peu incommodée.

Le grand-père semblait avoir pris une sympathie toute particulière pour sa petite invalide ; en effet, il ne se passait pas de jour qu’il n’imaginât quelque chose de nouveau pour la fortifier. Chaque après-midi il partait pour une expédition parmi les hauts rochers et en revenait toujours chargé d’une botte d’herbe qui de loin déjà embaumait l’air d’une forte odeur d’œillets et de thym. Le soir, lorsque les chèvres redescendaient, elles se mettaient à bêler en se précipitant vers la petite étable dans laquelle elles auraient voulu pénétrer, attirées par le parfum de ces herbes qu’elles connaissaient bien. Mais le Vieux avait soin de tenir la porte bien fermée ; car ce n’était pas pour procurer à l’armée des chèvres un bon repas commode qu’il avait grimpé tout en haut des rochers à la recherche des herbes rares ; elles étaient destinées à Blanchette dont elles devaient rendre le lait encore plus fortifiant. Du reste, on pouvait constater chez la chevrette le résultat de ces soins tout particuliers : elle jetait sa tête en arrière d’un mouvement plus vif, et ses yeux brillaient d’un feu inaccoutumé.

Il y avait déjà trois semaines que Clara était sur l’alpe. Depuis plusieurs jours, le grand-père en la descendant le matin pour l’asseoir dans son fauteuil lui disait :

— La petite demoiselle ne veut-elle pas essayer une fois de se tenir debout ?

Clara essayait bien d’accéder à son désir, mais elle s’écriait tout de suite :

— Oh ! cela fait trop mal ! — et se cramponnait à lui.

Cependant il lui faisait renouveler cette tentative chaque jour un peu plus longtemps.

Il y avait bien des années que l’alpe n’avait vu un si bel été ; un soleil éblouissant brillait chaque jour dans le ciel sans nuage, les petites fleurs ouvraient tout grands leurs calices à sa lumière, et chaque soir l’astre radieux, après avoir jeté sur les pics et les champs de neige l’éclat de la pourpre et toutes les nuances du rose, se plongeait à l’horizon dans une mer d’or et de flamme. C’était un sujet dont Heidi ne pouvait se lasser de parler à Clara, car c’était bien autre chose encore, là-haut au pâturage ! Elle lui décrivait surtout avec feu sa place favorite sur le penchant de l’alpage, où les petites fleurs d’or et les campanules étaient en si grande quantité, que l’herbe en paraissait toute bleue et jaune, puis les orchis bruns qui sentent si bon qu’on s’assied à côté sans pouvoir s’en aller.

Un jour, comme elle venait d’entretenir Clara des fleurs de l’alpage et du coucher du soleil sur les montagnes, un tel désir d’y retourner s’éveilla en elle, qu’elle s’élança de sa place sous les sapins et se dirigea en courant vers le hangar où le grand-père travaillait à son établi.

— Oh ! grand-père ! s’écria-t-elle du plus loin qu’elle put se faire entendre, veux-tu venir demain avec nous au pâturage ? C’est si beau maintenant là-haut !

— C’est entendu ! répondit le Vieux ; mais la petite demoiselle me fera aussi un plaisir, elle essaiera encore une fois ce soir de rester debout.

Heidi toute ravie rapporta vite cette nouvelle à Clara, et celle-ci promit aussitôt d’essayer de se tenir sur ses pieds autant que le grand-père voudrait, car elle se réjouissait vivement de faire cette course au bel alpage où broutaient les chèvres. Dans sa jubilation, Heidi cria à Pierre dès qu’elle l’aperçut :

— Pierre ! Pierre ! demain nous monterons aussi, et nous resterons toute la journée là-haut !

En guise de réponse, Pierre grogna comme un ours irrité et allongea un coup de fouet furieux du côté de la Linotte qui galopait non loin de lui ; mais celle-ci avait vu à temps son geste, elle fit un grand saut par-dessus Bellette, et le fouet siffla dans les airs sans l’atteindre.

Ce soir là, lorsque Heidi et Clara grimpèrent dans leurs beaux lits, elles étaient toutes remplies de la joie en perspective et de leurs projets pour le lendemain ; aussi résolurent-elles de rester éveillées toute la nuit pour pouvoir en parler sans interruption jusqu’au moment de se lever. Mais à peine eurent-elles posé la tête sur l’oreiller, que la conversation cessa tout à coup, et Clara vit dans ses rêves une grande, grande prairie tellement couverte de campanules qu’elle en était aussi bleue que le ciel ; tandis que Heidi entendait l’oiseau de proie bien haut dans les airs crier toujours :

— Venez ! venez ! venez !