Encyclopédie anarchiste/Démon - Désarmement

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Collectif
Texte établi par Sébastien FaureLa Librairie internationale (tome 1p. 520-530).


DÉMON. n. m. du grec daimôn (génie). Dans le langage philosophique le mot démon indique le génie familier duquel Socrate se disait inspiré. Sur sa nature exacte persiste la controverse. Selon certains, Xénophon, le disciple le plus direct de Socrate, donnait à ce mot la même signification que le mot Dieu ; selon d’autres, Socrate croyait à l’existence de génies familiers ; selon d’autres encore, Socrate se servait de ce terme pour indiquer l’analogie entre ses pressentiments que la divinité lui inspirait, et les démons de la mythologie grecque. Les psychiatres retiennent que Socrate fut en butte à des hallucinations visuelles et auditives et qu’il imagina de parler avec un esprit. D’après de plus récents et modernes psychologues, Socrate entendait par le mot démon l’inspiration avertie dans les suggestions subconscientes qui, chez tous les mystiques, assument une notable vivacité et se présentent à l’introspection sous la forme d’une individualité extrinsèque, de laquelle ils sentent la présence dans le profond de leur esprit. Dans le sens courant, démon se réfère à l’anti-Dieu, en qui la croyance perpétue le dualisme religieux.

DÉMON. Dans les pays qui ont été touchés par le progrès et où la science et la philosophie exercent une bienfaisante influence, le démon n’est plus qu’une figure servant à caractériser une personne animée de sentiments bons ou mauvais, mais dont les inspirations et les impulsions sont plus particulièrement orientées vers le mal. Être possédé par le démon du jeu, de la jalousie, de la guerre, signifie : avoir la passion du jeu, souffrir ou faire souffrir de la jalousie, aimer la guerre. « Le démon de la discorde et de la calomnie souffle terriblement sur la littérature. » (Voltaire.) « Quel démon vous irrite et vous porte à médire ? » (Boileau.)

Chez les chrétiens, le démon est un esprit malin, l’esprit du diable, de Satan qui cherche à s’introduire dans le corps des humains afin de les corrompre et de les conduire en enfer à leur mort. On leur oppose l’esprit des anges qui incarne le bien alors que le démon incarne le mal.

La démonolâtrie, c’est-à-dire le culte et l’adoration des démons était pratiquée chez les anciens et, même de nos jours, de grandes contrées de l’Asie et de l’Afrique prêtent encore aux démons une puissance colossale. Socrate disait : « Tout homme est conduit après sa mort, par le démon auquel il a appartenu pendant sa vie, vers un endroit où les morts rassemblés subissent le jugement, et d’où ils partent pour les enfers sous un guide chargé d’y conduire ceux d’ici-bas. » Platon, le célèbre philosophe de l’Antiquité, développait cette théorie : que les démons étaient des intermédiaires entre les mortels et Dieu car « Dieu ne se mêle pas aux hommes et c’est par cet intermédiaire qu’a lieu tout commerce et tout colloque entre les dieux et les hommes ».

La croyance aux démons remonte donc à la plus haute antiquité et, si l’on peut concevoir le démonisme des anciens, il est difficile de comprendre les démoniaques modernes, êtres stupides et ridicules qui se laissent troubler par des absurdités d’un autre âge. Car il se trouve encore des sectaires assez incohérents qui se croient ou croient les autres possédés par des démons, et qui se livrent alors sur eux-mêmes, ou sur leurs semblables, à des brutalités odieuses pour le chasser de leur corps. Ces malheureux doivent être considérés comme des demi-fous, tristes victimes de l’éducation religieuse, et il serait plus sensé. de les livrer au psychiatre qu’au geôlier, lorsqu’ils se livrent à des excès qui troublent la vie de leurs semblables.

DÉMONIAQUE. adj. et nom. Communément, ce mot indique tout ce qui est propre au démon ; mais chez quelques auteurs il a une signification différente. Ainsi, Gœthe, appelle démoniaque la révélation du divin dans le monde, l’inaccessible qui nous entoure et duquel nous sentons partout le mystère. Démoniaques étaient appelés ceux qui appartenaient à cette secte d’hérétiques chrétiens qui enseignaient que, à la fin du monde, aussi les démons, c’est-à-dire les anges rebelles à Dieu, seraient sauvés.


DÉMONISME. n. m. Avec ce mot on indique cette phase de l’évolution religieuse au cours de laquelle les phénomènes naturels sont expliqués comme étant l’effet de la lutte continuelle des esprits : les uns bons, les autres mauvais, dont on imagine que le monde est peuplé. Le démonisme est antérieur au polythéisme, puisqu’en lui les esprits n’ont pas de nom, pas de forme humaine pas d’histoire personnelle, et sont simplement adorés dans les arbres, dans les nuages, dans le vent, etc. Quand ils acquièrent un nom, une forme humaine, et une histoire personnelle, le démonisme se transforme en polythéisme et en mythologie. Le démonisme est, donc, un aspect de l’animisme. Le concept du démon est propre du dualisme religieux. Dualiste est la religion de Zoroastre (religion de la Perse antique) qui attribue tous les événements du monde à la lutte de deux puissances contraires, primitives, éternelles, indépendantes l’une de l’autre. D’après cette religion, à Ormuzd, auteur du bien, s’opposait Ahriman, auteur du mal. Le Satan de la Bible est l’Ahriman juif. Dans le christianisme persiste la conception du démon, commune à toutes les religions orientales. Ainsi nous voyons Saint-Michel, la lance à la main, terrassant le dragon, correspondre au très ancien Indra des Indiens qui a à ses pieds le démon Vritra.

Dans le monothéisme, c’est-à-dire dans la croyance en un Dieu unique, la conception de la divine puissance infinie, ne réussissant pas à se concilier avec les contradictions de l’univers, s’est unie, illogiquement, avec ce dualisme, qu’elle aurait dû éliminer, d’où il résulte que le monothéisme est, dans ce cas, une forme du polythéisme ; Dieu et l’anti-Dieu, c’est-à-dire Satan.


DÉNATURER. verbe. Changer la nature d’une chose, d’une plante, d’un animal. L’usage de la greffe dénature les plantes ; le produit de l’union de deux espèces différentes d’animaux dénature l’une et l’autre de ces espèces, c’est-à-dire leur fait perdre leur caractère naturel ou primitif. Dénaturer un fait : présenter un fait d’une manière inexacte, fausse ; dénaturer une idée, une pensée, etc., etc…

On a souvent tendance à dénaturer ce qui nous gêne ; il faut s’en garder, car ce n’est pas honnête, et laisser ces pratiques jésuitiques à la gent politique. L’Anarchisme a souffert et souffre encore de ce que tous ses adversaires — et ils sont nombreux — cherchent à en dénaturer l’esprit auprès des éléments qui seraient susceptibles de s’intéresser à ce mouvement de libération sociale. On a non seulement dénaturé l’Anarchisme, mais on a présenté et l’on présente encore les anarchistes comme des criminels, des meurtriers, qui ne rêvent que de destruction. Le travail et le devoir de l’Anarchiste sont de remonter ce courant et, en se faisant connaître, d’inspirer la confiance qu’il mérite, afin de pouvoir exercer son influence et jouer un rôle dans les mouvements sociaux et historiques.


DÉNI (de justice). n. m. Juridiquement, on appelle un déni de justice l’acte par lequel un juge refuse de juger une affaire ou un individu en raison de l’insuffisance de la loi. Un juge n’a pas le droit de refuser de juger, même si aucun texte de loi ne prévoit le cas qui lui est soumis, et le magistrat qui se livre à cet attentat s’expose à une peine de 200 à 500 francs d’amende et à l’interdiction de l’exercice de ses fonctions, pendant une période de cinq ans à vingt ans.

Mais il ne se rencontre pas de juges qui refusent de juger ; ou le cas est tellement rare, qu’il ne mérite pas qu’on y porte attention ; c’est ce qui explique probablement que, dans le langage courant, le déni de justice exprime non pas le refus de juger, mais le refus d’accorder à quelqu’un ce qui lui est dû en vertu même de la loi. Ex. : en vertu des lois sur la presse, les crimes d’ordre politique doivent être soumis à la compétence de la cour d’assises ; cependant, les anarchistes, les communistes, tous les révolutionnaires se voient traînés devant les tribunaux correctionnels et, lorsque les juges de ces tribunaux refusent de se déclarer incompétents, c’est un déni de justice. Les révolutionnaires ne peuvent pas être choqués d’une telle attitude de la « justice » et de ses représentants : la loi est faite pour les riches et appliquée par les représentants de la bourgeoisie ; il n’y a donc rien à en espérer. Transformer le milieu, tel est le but vers lequel doivent s’orienter tous les révolutionnaires et le déni de justice disparaîtra avec la « justice » elle-même.


DÉNONCIATION. n. f. Action de dénoncer, de faire connaître. Une dénonciation scandaleuse : une dénonciation calomnieuse. Celui qui accuse secrètement ou publiquement quelqu’un à la justice est un dénonciateur. L’être infâme qui trahit et dénonce ses complices dans un crime est généreusement récompensé de son acte par la « Justice » et bénéficie de l’indulgence des tribunaux. « Cet infâme jouit tranquillement du fruit de ses dénonciations » (Lachâtre). De même que la délation, la dénonciation a trouvé dans les milieux d’avant-garde un terrain fertile à exploiter et il y a fatalement des dénonciateurs parmi les révolutionnaires ; ils ne sont cependant que d’un danger relatif dans les pays où l’action se passe au grand jour ; mais, dans les pays où la réaction sévit avec force, ils accomplissent leur sinistre besogne au détriment des organisations qui se placent hors la loi et veulent réformer un régime arbitraire de brutalité et de violence.


DENTS, HYGIÈNE DENTAIRE. Avant de passer au développement que comporte un tel sujet, il est utile de donner quelques détails sur le passé, ceci dans un but strictement instructif. Cette description permettra de mieux apprécier les progrès réalisés dans cette branche, tant au point de vue thérapeutique que prothétique. Nous verrons, par quelques exemples, les choses les plus burlesques, les plus incroyables ; la crédulité publique, le peu de connaissance en la matière ou la peur de l’extraction faisaient que beaucoup de personnes prenaient le mal de dents comme un mal inévitable et qu’il n’y avait qu’à supporter patiemment ce mal « d’amour » pour qu’il disparût. On souffrait autrefois autant sinon plus que de nos jours, car les connaissances médicales étaient précaires. On essayait surtout d’ôter la dent malade avec des instruments qui étaient de véritables instruments de torture. Nous constatons que Rois, Seigneurs, Puissants du jour souffrirent atrocement des dents. François Ier, Charles VII, Henri IV, etc., souffrirent ou eurent à subir des interventions chirurgicales. Mais arrêtons-nous un peu à Louis XIV. Louis XIV souffrait énormément des dents. Périodiquement, sa joue enflait et un abcès malencontreux venait déformer la figure de cette royale majesté, qui, dans sa toute puissance, ne pouvait que se mettre des cataplasmes de mie de pain et de lait sur sa noble joue. Il en souffrit tellement que les archiatres du temps inscrivaient dans le journal de sa Majesté : « Il n’y aurait rien à souhaiter, si la mauvaise disposition de sa mâchoire supérieure côté gauche, dont toutes les dents avaient été arrachées, ne l’eût obligé de remédier à un trou de cette mâchoire qui ; toutes les fois qu’il buvait ou se gargarisait, portait l’eau de sa bouche dans le nez d’où elle s’écoulait comme d’une fontaine. Ce trou s’était fait par l’éclatement de la mâchoire arrachée avec les dents qui s’étaient enfin cariées et causaient quelques fois des écoulements de sanie et de mauvaise odeur. » S’il en était ainsi de cet auguste personnage, soigné par les représentants les plus distingués de la médecine, vous pensez ce qu’il en devait être des malheureux dont, par le marteau, la tenaille ou le ciseau, le forgeron, le maréchal ou le barbier soignaient la dentition !

On peut dire que pendant plusieurs années Louis XIV souffrit atrocement, à telle enseigne que le pus coulait continuellement de ses blessures et qu’il sentait mauvais à deux pas. Louis XVI, au cours de son séjour forcé à la prison du Temple, eut une fluxion. Il demanda un dentiste. La Chambre du Conseil se réunit et dut statuer si Louis Capet aurait satisfaction. La Chambre refusa, sous prétexte que Louis XVI pouvait parler au dentiste et le corrompre. Napoléon se servait de cure-dents en quantité considérable. Lui-même attribuait à ses soins sa belle denture. Au cours de sa captivité, il eut besoin du dentiste, pour l’extraction d’une dent de sagesse et Napoléon le Grand, Napoléon qui fit trembler le monde cria, tempêta comme un perdu, pour faire extraire cette dent, à tel point que Betsy, sa petite amie, lui dit en avoir honte pour lui : « l’homme est un apprenti, la douleur est son maître. »

Pendant ce temps le peuple se fiait aux rebouteux, aux barbiers et autres arracheurs de dents. La peur de l’extraction lui faisait employer des remèdes extravagants. Le plus populaire, le plus estimé, était l’urine humaine. Ce remède était très recommandé par les doctes savants de l’époque. Fauchard, le père de la « dentisterie », n’hésitait pas à en recommander l’emploi. « Il consiste, disait-il, à se rincer la bouche avec quelques cuillerées de son urine toute nouvellement rendue. Ce remède est bon. On a un peu de peine au commencement à s’y accoutumer, mais que ne fait-on pas pour son repos et sa santé ? » Et l’auteur nous avertit que ce remède est très approuvé par messieurs les professeurs de la Faculté de Médecine. Un autre remède fameux : « Prenez la patte gauche de derrière d’un crapaud séché au soleil ; mettez-la entre deux linges fins et appliquez-la sur la joue à l’endroit de la dent qui vous fait mal, et la douleur cessera aussitôt. » Pour faire tomber les dents, voici un moyen infaillible : « Ayez un lézard vert, mettez-le dans un pot et faites-le sécher au four, puis réduisez-le en poudre, frottez de cette poudre la gencive et la dent que vous voulez faire tomber, et vous la tirerez sans peine avec les doigts. »

Ensuite, des charlatans allèrent de ville en ville, en de riches apparats avec de brillants équipages. Trompes et tambours annonçaient au loin l’arrivée du célèbre Untel qui arrache les dents avec un sabre et sans douleur. Mais ceci est presque de nos jours, puisque nos grands-pères qui vivent encore ont vu ces arracheurs et ont eu besoin de leurs services.

A côté de ces extravagances, il y avait des médications raisonnées : girofle, pyrèthre, guimauve, etc… Il y avait aussi des dentistes qui travaillaient sérieusement à améliorer l’art dentaire. Les appareils de prothèse dentaire étaient sculptés dans de l’os ou dans des défenses d’hippopotame ; c’étaient encore des appareils en or ou en platine sur lesquels étaient fixés des dents humaines.

La dent est un organe dur « ostéoïde », calcaire, d’apparence osseuse, implantée dans l’épaisseur des arcades maxillaires. Les dents sont destinées spécialement à la mastication et à la phonation. Il y a trois sortes de dents : les incisives qui servent à couper, à inciser, qui se divisent en centrales et latérales ; il y en a 4 par mâchoire. Les canines qui servent à tenir, à déchirer ; il y en a 3 par mâchoire ; enfin les molaires, qui se divisent en petites molaires au nombre de 4 qui aident les canines et les grosse molaires, au nombre de 6, qui servent à triturer, à broyer.

La partie de la dent que l’on voit dans la bouche est la couronne ; les racines sont implantées dans les maxillaires. La couronne est constituée par une couche dure appelée émail qui enveloppe complètement l’ivoire qui est la partie constitutive la plus grosse de la dent ; au milieu se trouve tout un paquet vasculo-nerveux ; c’est le centre vital de la dent. Au centre de chaque racine passe un filet nerveux.

Il y a deux dentitions : la première temporaire ou dents de lait ; la deuxième permanente ou définitive. La première dentition évolue du 7e mois de la vie au 33e mois. Ces dents sont au nombre de vingt. Les dents permanentes ou de 2e dentition comportent un total de 32 dents. L’éruption de chaque dent permanente est précédée de la chute de la dent temporaire correspondante, sauf pour les grosses molaires. L’éruption commence vers 6 ans et se termine en général vers 25 ans par la dent de sagesse.

Il importe de savoir que vers le 40e jour de la vie intra utérine apparaît, sur le bord de l’embryon, une saillie ou bourrelet épithélial. Ce bourrelet se transformera suivant un processus embryologique qu’il est superflu de développer ici et donnera naissance aux dents. Il faut savoir aussi que la calcification commence vers le quatrième mois de la vie intra utérine, que par conséquent à partir de ce moment, toute maladie chez la mère ou toute mauvaise nutrition se représentera sur l’embryon en général et sur ses dents en particulier. En un tel état, la maman devra suivre un régime alimentaire prescrit par le médecin, régime qui compensera la déperdition de ses forces et donnera à l’embryon les moyens de constituer normalement ses dents.

Au cours de la grossesse et de l’allaitement, la mère devra tenir sa bouche dans un état de rigoureuse propreté, si elle ne veut pas voir la carie se développer avec une rapidité désespérante. Dans cet état spécial, la mère se trouve en déficience ; ses dents se déminéralisent légèrement, le milieu buccal s’étant transformé permet les fermentations acides, qui détruiront l’émail de la dent d’autant plus rapidement qu’à ce moment la maman se délaisse personnellement pour ne penser qu’à l’être attendu ou à dorloter le mignon bébé. Toutes les mamans vous diront : « j’ai commencé à perdre mes dents à mon premier enfant ». De plus, il ne faut garder, sous aucun prétexte, des chicots des dents cariées ou abcédées, car non seulement la mère s’intoxique ; mais, ce qui est plus grave, elle intoxique lentement son enfant.

Que ceux qui ont à charge d’élever un enfant veuillent bien y apporter le plus grand soin, car l’enfant, est pour son développement physique et intellectuel, sous la dépendance de son intestin, par conséquent l’enfant doit pouvoir bien triturer ses aliments pour bien les digérer et pouvoir les assimiler le plus complètement possible, afin d’acquérir le plus d’éléments pour le développement de son individu. D’autre part, un enfant ayant de mauvaises dents, souffre, mange mal, dort mal, s’intoxique par absorption de bactéries et microbes. Sa santé générale est ébranlée, son système nerveux se fatigue. L’enfant est alors en état de moindre résistance, il est prédisposé à toutes sortes de maladies, particulièrement à la tuberculose.

Qu’est-ce donc que la carie dentaire ? La carie est l’altération des tissus durs de la dent. Cette altération est surtout caractérisée par sa nature infectieuse. Diverses causes ont altéré ces tissus : traumatiques, chimiques, maladies, etc… Aussitôt les microorganismes s’introduisent dans les canalicules de l’ivoire désorganisant, par leur action nécrogène, plus ou moins complètement la dent. Si on n’intervient pas, si la nature ne peut réagir, la dent se désintègre complètement et peut amener des complications graves.

On s’aperçoit de jour en jour de l’importance du milieu buccal sur l’état général et inversement. Aussi, en pathologie générale, on ne peut pas ne pas se préoccuper de la bouche, véritable carrefour des voies digestives et respiratoires. En effet, on peut dire que les neuf dixièmes des maladies infectieuses ont leur porte d’entrée par la bouche. Irritation de l’estomac recevant des aliments mal triturés et infectés, provoquant des gastrites septiques. L’absorption continuelle de pus peut provoquer des affections du foie, des reins, du cœur, du cerveau. Je puis citer le cas de la sœur d’un camarade que l’on traitait dans une clinique pour son système nerveux détraqué. Bromure, douche, tel était le traitement. La simple extraction de ses dents mauvaises, au nombre de 17, remit, en quelques semaines, cette personne dans son état normal. Chez les fumeurs par exemple le cancer a plus de chance de se développer dans une bouche malpropre. On peut dire que le cancer guette le fumeur aux dents sales. Au cours d’épidémies, les personnes ayant une bouche en mauvais état sont les plus touchées. Presque tous les microbes peuvent se trouver dans la bouche à l’état normal sans provoquer aucune manifestation pathologique ; mais il suffit d’un état de moindre résistance pour que l’équilibre biologique soit rompu.

Il faut donc, à l’état normal, avoir une hygiène bucco-dentaire rigoureuse et à plus forte raison au cours de maladie ou d’accidents graves. Une brosse dure et du savon de Marseille sont des armes indispensables pour voir dans un gracieux sourire une belle rangée de perles se détachant d’une gencive rose et ferme.

Nos cabinets dentaires modernes disposent de moyens scientifiques pour soigner et guérir sans aucune douleur. La thérapeutique dentaire a acquis les mêmes progrès que la thérapeutique médicale. L’art dentaire bénéficie des moyens chimiques et électriques soit pour la désinfection, la stérilisation électrique, Rayons X, haute-fréquence, les anesthésiques, etc…La prothèse dentaire s’est surtout manifestée par les travaux d’or et de porcelaine qui permettent de remplacer et de remplir parfaitement la fonction naturelle disparue. L’orthodontie a permis de régulariser une denture en position vicieuse et le professeur P. Robin, des Enfants malades, a transporté sur les mâchoires et sur la face cette théorie, obtenant ainsi des résultats surprenants. Il existe, dans beaucoup d’hôpitaux de Paris, des services dentaires gratuits, où le dévouement des professeurs et des élèves est sans égal, mais où l’administration de notre régime routinier et arbitraire empêche d’étendre plus largement ces services qui ne sont pas outillés comme ils devraient l’être. Quoi qu’il en soit, il n’est plus permis, de nos jours, d’avoir peur de souffrir chez le dentiste. À mesure que le progrès rentrait par la porte, la douleur se sauvait pas la fenêtre. — M. Parant.

N. B. — Les exemples cités dans la première partie de cette étude, sont empruntés à Dagey.


DÉNUEMENT. n. m. État de l’être dépourvu de tout ce qui est indispensable à la vie. S’applique à l’individu et à la collectivité. Cet homme est dans le plus complet dénuement. Cette famille se trouvait dans le plus terrible dénuement. Le dénuement est une des manifestations de l’ordre bourgeois. N’est-il pas affreux de songer que de nombreuses familles souffrent de la faim, que des petits enfants n’ont pas de quoi se nourrir, alors que les magasins regorgent de vivres et que la richesse s’étale honteusement aux yeux de tous ? La philanthropie cherche à amoindrir les effets du dénuement et les philanthropes s’imaginent que l’aumône est capable de résoudre le problème de la misère ; la presse bien pensante verse de temps en temps un pleur sur le dénuement qui a poussé une famille au suicide ; tout cela est une sinistre comédie qui ne fait que perpétuer un état de chose criminel, et les résultats obtenus par ce genre d’action sont plus malfaisants qu’on ne le pense.

C’est surtout dans la grande ville que l’on assiste au pénible spectacle de la misère et Paris, la « capitale du monde » regorge de malheureux dénués de tout moyen d’existence. Il suffit, pour s’en rendre compte, de s’arrêter un instant, par les froids matins d’hiver, devant les « soupes populaires » qui distribuent gratuitement un bol d’eau chaude qualifié bouillon. Ils sont là des centaines et des centaines de pauvres hères, sans foyer, sans famille, sans une main amie qui vienne se tendre pour soulager leur détresse, et qui attendent, par la pluie, par le vent, que la porte s’ouvre pour s’engouffrer dans une salle étroite et puante où, pendant quelques minutes, ils auront l’illusion de la chaleur. Qui sont-ils, d’où viennent-ils, tous ces miséreux ? Ce sont des travailleurs qui se sont, un jour, trouvés sans ouvrage et qui, petit à petit, ont tout perdu de ce qu’ils avaient, eux qui n’avaient pas grand-chose ; ce sont des bacheliers qui traînent leurs diplômes avec leur pauvreté et qui ne trouvent pas à vendre leur savoir ; ce sont des inconscients perdus dans la vie et qui ont été élevés dans les larmes ; c’est le rebut de l’humanité, c’est le déchet de la société, c’est la conséquence du désordre social, c’est la souffrance née de la richesse des uns, c’est le capitalisme qui livre à la charité publique le trop plein de la chair à travail. Et ils sont, de par le monde, des millions comme cela. Qui n’a entendu parler de Londres et de ses mendiants, qui cherchent la nuit un refuge sous les ponts de la Tamise ? Et dans toutes les capitales, et dans toutes les grandes cités où le luxe s’étale avec impudence, il en est de même, car le luxe et la fortune des uns ne reposent que sur la misère des autres.

Ce n’est pas un sentiment de pitié qui doit nous envahir devant un tel spectacle, c’est un sentiment de révolte. La pitié n’a jamais rien fait et ne fera jamais rien. À quoi bon larmoyer et se lamenter sur l’inégalité et l’injustice sociales ? Il faut réagir et lutter contre les forces mauvaises qui déterminent un tel état de choses et le dénuement fera place au bien-être lorsque les hommes voudront comprendre que leur force est en eux-mêmes et qu’il leur est possible, s’ils le veulent, de transformer cette société où le bonheur des uns n’est fait que de la misère des autres.


DÉPENDANCE. n. f. Être sous la dépendance de…, c’est-à-dire dépendre, être subordonné, être placé sous l’autorité de quelqu’un ou de quelque chose. Ne pas être indépendant. L’esclave était dans la dépendance de son maître, l’ouvrier est dans la dépendance de son exploiteur. « Dépendre, c’est, selon la plus claire notion et la plus évidente, être tenu d’obéir » (Bourdaloue). Or, dans la société actuelle, de gré ou de force, l’homme est contraint d’obéir, de se courber devant les exigences ridicules des institutions et est, par conséquent, dans la dépendance de cette société. Il est impossible d’échapper à la loi féroce de l’autorité, et les « en dehors » ou ceux qui supposent l’être, ne le sont que superficiellement. Nous sommes pris en un étau et l’individu seul ne peut conquérir son indépendance. Quelle que soit la forme de la société, si celle-ci est basée sur l’autorité, l’indépendance individuelle sera toujours subordonnée à celle d’une majorité et, par conséquent, dépendante de cette majorité. L’indépendance ne peut être que collective et ne peut se concevoir que dans une société libérée de toute contrainte et de toute entrave, et dans laquelle une fraction de la collectivité ne sera pas dans la dépendance d’une autre fraction. Seul, le communisme libertaire, qui vise à abolir l’exploitation de l’homme par l’homme, à étouffer toute autorité, et considère qu’il n’y a de bonheur et de bien-être que dans la liberté la plus large, peut, par la Révolution, atteindre ce but ; et, tant qu’il ne sera pas atteint, la lutte devra se poursuivre.


DÉPEUPLEMENT. n.m. Action de dépeupler. Bien que naturellement les populations aient tendance à augmenter en nombre, certaines contrées du monde traversent une crise de dépopulation. Cela ne veut pas dire que le nombre d’habitants de ces contrées diminue, mais qu’il s’accroît avec moins de rapidité que celui des contrées avoisinantes.

Il est évident que la guerre, les épidémies et la famine qui sévissent encore en certaines régions, sont des facteurs de dépopulation (voir ce mot) ; mais ceci n’explique pas que, dans un pays, une partie du territoire se dépeuple, alors que d’autres parties sont surpeuplées. En France, par exemple, nous assistons au dépeuplement de la campagne ; cependant que les villes deviennent trop étroites pour contenir le flot grandissant de la population.

Les économistes bourgeois ont trouvé une explication simpliste à ce phénomène et prétendent que si la campagne se dépeuple c’est que le campagnard est attiré par les lumières de la cité et se laisse griser par des perspectives de vie facile. Pourtant, ce sont d’autres facteurs qui déterminent l’émigration campagnarde. D’abord, afin de maintenir ses privilèges, la bourgeoisie met journellement en application ce principe : « Diviser pour régner » et, par sa propagande intéressée, a créé un antagonisme entre les populations campagnardes et citadines. A la ville, on affirme que si le coût de la vie augmente chaque jour, il faut en rejeter la responsabilité sur le paysan qui ne livre ses produits qu’à des prix prohibitifs ; alors qu’à la campagne, on déclare que les charges fiscales s’élèvent quotidiennement en raison des exigences exagérées du citadin qui ne veut produire que faiblement pour des salaires dépassant la norme permise.

On conçoit qu’une telle propagande n’est pas sans porter ses fruits et qu’il en résulte une haine sourde entre le paysan et le citadin.

Le travailleur des champs s’imagine que celui de la ville est un oisif produisant peu et vivant bien, et qu’il est plus avantageux d’abandonner la terre et de fouler le pavé de la grande cité que de continuer à végéter dans des conditions précaires. Si on ajoute à cette cause la soif de distraction de la jeunesse et l’attrait des plaisirs factices, on comprendra peut-être une des raisons qui déterminent le dépeuplement des campagnes. Mais ce n’est qu’un des facteurs du dépeuplement de la campagne ; il en est d’autres beaucoup plus sérieux sur lesquels les économistes bourgeois conservent un silence tout politique.

Le paysan est, et reste attaché à la terre et s’il l’abandonne, c’est qu’en réalité elle ne lui donne pas les avantages qu’il était en droit d’espérer. Il est excessif de déclarer que le paysan possède aujourd’hui la fortune et le bien-être. S’il est vrai qu’une certaine portion de la paysannerie bénéficie de certains privilèges, ce serait une erreur de croire que tous les paysans sont heureux.

En réalité l’évolution économique et industrielle a été moins rapide à la campagne qu’à la ville et si le propriétaire a bénéficié du désaxage créé par la guerre de 1914, la situation du travailleur des champs, de celui qui, ne possédant rien, est obligé de louer ses bras pour assurer sa pitance, ne s’est guère améliorée, au contraire.

L’ouvrier de la terre est encore courbé sous un régime qui rappelle la féodalité et les difficultés qu’il rencontre pour s’organiser rendent plus ardue la lutte pour son émancipation. En vertu de la centralisation qui s’opère à la campagne comme à la ville, le petit paysan devient la proie du gros propriétaire, et grossit les rangs des ouvriers ne possédant rien. Convaincus qu’ils n’arriveront jamais à conquérir leur indépendance et qu’ils ne peuvent, en travaillant, arriver à se libérer, ils préfèrent abandonner un travail fatigant et peu rémunérateur, et c’est ce qui explique la surpopulation des cités et le dépeuplement des campagnes.

Cette situation présente un réel danger, car en venant s’ajouter à la population des cités, la population immigrante se jette sur le marché du travail et les maîtres de l’industrie profitent de cette concurrence que se font deux catégories de travailleurs également exploités par le même capitalisme. Pour lutter contre cet état de chose, il est indispensable que les relations plus étroites soient nouées entre les travailleurs des champs et ceux des villes. Il est d’une nécessité urgente que l’ouvrier de l’industrie fasse comprendre à son frère de la campagne, que les mensonges colportés par les agents de la bourgeoisie ont pour unique but de diviser la classe ouvrière dans son ensemble et d’arrêter son mouvement d’émancipation. Et c’est d’autant plus urgent que la révolution, unique moyen de libération sociale ne peut être efficace que par l’étroite collaboration du travailleur des villes et de celui de la campagne, et que, au lendemain d’un mouvement catastrophique, le ravitaillement des cités est subordonné au degré d’évolution du prolétariat de la terre.

Nous pensons que sur cette question les organisations syndicales et d’avant-garde ont un rôle tout tracé et qu’une intense propagande doit être, faite afin d’arrêter le dépeuplement de la campagne qui détermine de grosses difficultés pour le présent et une réelle menace pour l’avenir.


DÉPOPULATION. n. f La bourgeoisie de certains pays se désole en constatant que si le chiffre de la population ne diminue pas, il n’augmente pas cependant dans des proportions normales et naturelles et elle craint que, cet état de choses se généralisant, elle ne soit pas en mesure de trouver demain sur le marché le matériel humain indispensable à ses désirs d’impérialisme et de domination mondiale.

On a dit que la dépopulation était déterminée par la guerre, la famine et les épidémies. Cela est incontestable mais pourtant ces fléaux ne sont eux-mêmes que des effets dont il faut rechercher les causes et c’est ce que nous allons faire sans aucun esprit démagogique et en nous appuyant sur des chiffres d’une netteté qui, nous l’espérons, feront réfléchir les plus fidèles défenseurs de l’ordre bourgeois.

La cause première qui engendre la dépopulation est le capitalisme, qui, par ses accaparements, par son exploitation et la mauvaise répartition des richesses sociales, détermine la misère et par extension toutes les maladies, toutes les épidémies qui, à leur tour, provoquent dans les populations ayant atteint un certain degré de civilisation, un arrêt de la procréation. Nous savons qu’en France par exemple il meurt chaque année environ cent mille individus de la tuberculose, et nous savons également que la tuberculose n’étend ses ravages que dans les classes productrices qui sont contraintes de vivre dans des conditions d’hygiène détestable et qui n’ont pas leur suffisance de nourriture. Or, comment s’étonner que les classes pauvres se refusent à faire des enfants alors qu’elles savent que ces malheureux seront condamnés à mort par le capitalisme, et que s’ils échappent à la maladie, la guerre se chargera de les arracher à la vie.

Certains économistes prétendent que le bien-être économique du peuple n’est pas arrêté par l’ordre capitaliste et que bien au contraire les formes économiques et politiques modernes sont les plus susceptibles d’assurer à chacun le maximum de ce qui lui revient en raison de la production mondiale. Nous disons, nous, que si le peuple refuse de produire, de faire des enfants — et le « mal » n’ira qu’en s’accentuant, car aucune loi ne peut obliger des humains à procréer — c’est que le capitalisme, pour satisfaire ses ambitions et ses besoins, ne livre à la consommation qu’une partie de la production mondiale et que, si la répartition des vivres se faisait de façon normale et logique, nous n’assisterions pas au spectacle dégradant, pour une société, de la misère affreuse s’étalant à côté de la richesse et du superflu.

Nous allons essayer de démontrer par des chiffres que la population du monde aurait la possibilité de satisfaire tous ses besoins naturels si l’accaparement du capitalisme ne s’exerçait pas dans toutes les branches de l’activité économique.

La population de la terre, c’est-à-dire des cinq parties du monde, se chiffre par environ 1.750.000.000 (un milliard sept cent cinquante millions d’habitants) ; or, parmi cette population il en est une partie qui meurt littéralement de faim et qui est périodiquement victime des famines qui sévissent en certaines contrées. Cependant la production totale de ce qui est indispensable à la vie des hommes est supérieure à ce qu’ils pourraient consommer.

Durant la dernière décade, c’est-à-dire d’après les statistiques élaborées pour les années comprises entre 1915 et 1925, la production annuelle mondiale de céréales fut la suivante par tête d’habitant :

Blé …………… 720 kilogrammes

Avoine………… 360

Orge…………… 250

Seigle………… 250

Maïs…………… 700

Riz…………… 1.100

Pommes de terre… 800

En conséquence, si nous faisons le total, nous constaterons que chaque habitant de la terre pourrait se permettre de consommer 4.180 kilogrammes (quatre mille cent quatre-vingt kilogrammes) de céréales par année, c’est-à-dire une moyenne de 11 kilos par jour.

Il est évident que sur cette production de la terre, il faut nourrir le bétail qui se répartit comme suit :

Chevaux… 100 millions

Bœufs…… 550

Moutons…… 500

Chèvres…… 120

Porcs……… 210

Total……… 1.480 millions

Mais si l’on considère que ce cheptel, exception faite du cheval, est, à son tour, livré à la consommation, nous ne croyons pas nous tromper en affirmant comme nous le faisons plus haut que céréales ou viande, la population mondiale a la possibilité de consommer une somme de 11 kilos de nourriture par jour et par tête. Nous ferons remarquer en passant qu’à part la pomme de terre, nous ne faisons pas état de tous les légumes et fruits qui sont récoltés de par le monde et alors se pose cette question : comment se fait-il que le peuple n’arrive pas à satisfaire ses besoins les plus élémentaires ? Aussi criminel que cela puisse sembler, le capitalisme préfère laisser des populations crever littéralement de faim que de livrer la production de la terre à la consommation. Pour maintenir des prix élevés, chaque année, des millions et des millions de quintaux de matières comestibles sont jetés, brûlés, cependant que des populations entières vivent dans la pauvreté la plus médiocre et dans l’insuffisance la plus tragique. C’est terrible et incroyable, mais c’est pourtant ainsi. Les voilà les raisons de la dépopulation, que semblent ignorer les repopulateurs qui crient au scandale parce que le peuple ne veut plus faire d’enfants. Considérant les chiffres incontestables que nous énonçons plus haut, la bourgeoisie n’est-elle pas la première responsable de la dépopulation ?

Le Docteur Georges Drysdale dans son étude sur « La Pauvreté », reprenant l’affirmation de Malthus que « la population, quand elle n’est pas entravée, s’accroît dans une progression géométrique telle qu’elle se double tous les vingt-cinq ans », et que les moyens de subsistance ne peuvent pas s’accroître dans les mêmes proportions, cherche à démontrer dans son ouvrage que « la population est nécessairement limitée par les moyens de subsistance » et que « c’est donc une immense erreur de supposer, comme on le fait d’habitude, que les guerres, les famines, les pestes, etc., que l’histoire nous énumère, ont surtout été provoquées par les mauvaises passions des hommes ou par l’absence d’habileté industrielle. Elles résultaient principalement des instincts sexuels, et étaient absolument inévitables, puisque ces instincts n’étaient pas contenus par la prévoyance. Il naissait plus d’enfants que le lent accroissement des moyens de subsistance ne pouvait en maintenir ; ainsi il fallait qu’ils disparussent d’une manière quelconque » (Georges Drysdale, La Pauvreté, p. 33).

Nous n’avons pas ici l’intention d’étudier le malthusianisme et le néo-malthusianisme qui seront traités plus loin (voir ces mots), mais les affirmations du Dr Drysdale nous semblent basées sur une erreur fondamentale. Les guerres ne sont nullement provoquées par la surpopulation du globe ou d’une de ses parties mais simplement par le désordre social consécutif à la mauvaise gérance d’une classe qui méconnaît ou continue sciemment à méconnaître les besoins collectifs et à les sacrifier à ses intérêts particuliers. Même en acceptant aveuglément ce principe malthusien que « la population quand elle n’est pas entravée, s’accroit dans une proportion géométrique telle qu’elle se double en vingt-cinq ans », le danger de la surpopulation n’est pas une menace immédiate, car les 140 millions de kilomètres carrés des continents peuvent être habités par une population dix fois supérieure à celle d’aujourd’hui ; ce qui ne ferait en réalité que 120 habitants par kilomètre carré et parce que la production actuelle de la terre, si elle était bien répartie, suffirait presque à nourrir cette population. Notons en passant que, par kilomètre carré, la population de la France est de 71 ; celle de l’Allemagne de 128 ; celle de la Belgique de 245 ; celle du Royaume-Uni de 188 ; celle de l’Italie de 124 ; celle du Japon de 187. Le capitalisme qui a entre les mains les rênes de l’économie mondiale, s’inquiète peu de l’avenir et ne cherche pas à savoir, lorsqu’il agit, si son action sera favorable ou désavantageuse aux générations futures. Il travaille en raison de ses aspirations immédiates et cela est tellement vrai que loin d’être inquiété par le problème de la surpopulation dans l’avenir, il s’inquiète de la dépopulation dans le présent.

La question de la population ne peut donc être pour le travailleur qui y est le plus particulièrement intéressé, un problème d’avenir, mais un problème d’une réalité brutale qu’il a le devoir d’étudier et de résoudre.

Pour les classes opprimées, ce n’est pas la surpopulation qui détermine l’arrêt dans la procréation, car, obligées de se livrer chaque jour aux difficultés de la vie, elles restent ignorantes des grands problèmes sociaux de l’avenir. Mais ce que les travailleurs n’ignorent pas, ce sont les charges terribles qu’occasionne la naissance d’un petit être, c’est l’esclavage qui en résulte, et la crainte de ne pouvoir satisfaire aux besoins les plus élémentaires d’une nouvelle bouche. Un enfant dans le foyer plébéien, mais c’est le salaire de la semaine qui se divise en trois ; c’est l’abandon de l’atelier ou du bureau par la maman ; en un mot c’est l’augmentation des charges et la diminution des possibilités de vie. Or, le peuple demande à vivre maintenant. Lui aussi s’éduque chaque jour un peu plus au grand livre de l’Histoire et il en a assez de l’esclavage qu’il subit depuis des siècles et des siècles ; il aspire à un peu de joie, de bonheur et de liberté. Les joies familiales lui sont refusées puisque, pour le travailleur, la famille n’est qu’une source de larmes ; alors, il cherche ailleurs et il constate que la science lui a donné le moyen d’amoindrir sa détresse ; qui donc ira le lui reprocher ? Aucune loi au monde, nous le répétons, ne peut contraindre à procréer ; il est donc inutile à la bourgeoisie de se lamenter sur un état de choses qu’elle a créé, qu’elle a voulu, qu’elle a cherché, en refusant à chacun la possibilité de se nourrir et de vivre humainement.

Pour son expansion, le capitalisme a besoin présentement d’une augmentation de la population dans certaines parties du globe ; mais l’humanité qui souffre aujourd’hui des ravages occasionnés par l’intérêt du capitalisme, refuse de se livrer à une prolification désordonnée. En agissant ainsi, le peuple travaille non seulement pour le présent mais il travaille aussi inconsciemment pour l’avenir, puisque, de cette façon, il écarte le danger de la surpopulation qui pourrait être fatale à l’humanité. Il remplit donc son rôle historique et c’est bien. Demain, lorsque les nuages se seront effacés, et que le peuple libéré des entraves qui le maintiennent dans un demi-esclavage pourra en pleine quiétude envisager l’avenir, il se penchera alors sur le brûlant problème de la « population », et la science aidant il triomphera de tous les obstacles.


DÉPUTÉ. Celui qui est chargé d’une députation ; qui remplit une mission au nom d’une nation ou d’un souverain.

Dans le langage courant, on désigne sous le nom de député le personnage chargé de représenter le peuple aux Assemblées législatives. En France il y a deux Chambres législatives : la Chambre des députés et le Sénat. On appelle députés ceux des membres qui siègent à la première et sénateurs ceux qui siègent à la seconde.

La Chambre des députés se renouvelle tous les quatre ans ; pour être éligible, il faut être Français et avoir 25 ans d’âge. Chaque département nomme autant de députés qu’il a de fois 75.000 habitants, il y a donc en France 626 députés dont 24 pour l’Alsace et la Lorraine. Les députés touchent un traitement de 45.000 francs par an, mais nous verrons plus loin que ce salaire n’est pas le plus clair de leurs ressources et que la place ne manque pas d’être avantageuse. La personne d’un député est inviolable. Aucun membre de l’une ou l’autre Chambre législative, c’est-à-dire député ou sénateur, ne peut être poursuivi ou arrêté, en matière criminelle ou correctionnelle pendant la durée de la session parlementaire. Seule, l’Assemblée peut permettre les poursuites par la levée de l’immunité parlementaire, mais elle ne le fait que pour des raisons exceptionnelles et très rarement.

En vertu des lois démocratiques, chacun a le droit d’être député, il suffit, pour cela, ainsi que nous le disons plus haut, d’être Français et d’avoir 25 ans d’âge ; il semblerait donc que le député est le fidèle représentant du peuple et qu’il défende, ainsi qu’il en est chargé, les intérêts de ses électeurs. Le peuple a cette croyance naïve ; et les batailles électorales sont chaudes et parfois violentes, lorsqu’il s’agit de réélire ou d’élire les candidats qui se présentent. La place est recherchée, cela se conçoit, et l’électeur naïf qui ne connaît de la politique que son côté superficiel se dispute, espérant que son candidat — qui ne peut être que le meilleur — triomphera des adversaires et qu’ainsi sortira victorieuse la politique qui lui paraît susceptible d’améliorer son sort. Pas une minute l’électeur ne suppose que le candidat puisse être un charlatan qui se moque de lui et se fiche de son bien-être et de sa liberté ; pas une minute il ne doute de sa sincérité et de son dévouement. A ses yeux, son candidat est un être sublime qui se dévoue à une cause et qui sacrifie ses propres intérêts pour soutenir et défendre ceux de ses semblables, et l’électeur se prosterne devant tant d’abnégation.

Car en effet si l’on considère la façon dont le député se présente à l’électeur, il faut reconnaître que cette fonction est pour celui qui en est chargé une source d’ennuis et de tracas. Le député, avons-nous dit, est élu pour quatre ans et touche annuellement un salaire de 45.000 Fr., ce qui fait pour une législature 180.000 francs. Cela peut paraître excessif, mais l’électeur s’est-il jamais posé cette question : à savoir combien coûte une élection ? Probablement non ; car l’électeur ne pénètre pas dans le fonds de la politique et ne s’arrête qu’à la surface. Or, une élection est une bataille, et une bataille qui ne se livre pas à coup de fusils mais à coup de publicité, de propagande ; et cette bataille coûte cher. Pour réussir dans sa tentative, le candidat doit s’attacher la presse, inonder les murs d’affiches, payer des propagandistes qui travaillent le collège électoral, et cela ne se fait pas sans argent. Au bas mot, on peut dire que, de nos jours, une élection coûte au moins 100.000 Fr. Faut-il encore les posséder, car celui qui ne peut répondre à toutes les exigences publicitaires peut être certain d’être submergé par ses adversaires et en conséquence arriver bon dernier. Il ne suffit donc pas, ainsi que cela semble, pour décrocher un mandat, d’être Français et d’avoir 25 ans d’âge, mais pour être juste il faut ajouter, qu’il est indispensable de posséder 100.000 francs. Nous voyons donc que sur les 190.000 francs que touche un député, il ne lui en reste plus que 90.000, et encore nous supposons que le candidat fut élu, sinon il a purement et simplement perdu 100.000 francs. Et voilà pourquoi le peuple s’imagine que son député est un homme sincère et dévoué, car, aussi désintéressé soit-on, il est peu d’individus qui soient prêts à risquer 100.000 francs pour en gagner 90.000. Mais ce que le peuple ignore, c’est que la plupart dés candidats sont patronnés par de grosses firmes industrielles et de grosses entreprises financières qui ont la faculté de jeter tout l’argent nécessaire dans la bataille, et que, une élection étant une bataille d’argent, lesdits candidats sortent toujours victorieux. Et de cette façon la finance et l’industrie ont à la Chambre des députés leur représentant direct. Ce que le peuple ne veut pas comprendre, c’est que le député n’est pas un agent politique chargé de défendre ses intérêts mais un agent commercial qui a une mission à remplir auprès des gouvernants et que cette mission consiste à arracher à l’Etat le plus possible en faveur des établissements qui l’ont placé là.

L’Etat est un gros acheteur ; il dépense chaque année plusieurs milliards et chacun est avide de recevoir du Gouvernement une commande. Qui, mieux qu’un député, est capable d’arracher un ordre ou de provoquer un achat ? Qui, mieux qu’un député, surtout s’il est représentant d’une grande firme d’aviation, peut pousser le Gouvernement à l’armement aérien ? Il a l’air de remplir une œuvre patriotique et nationale, alors qu’en réalité il ne cherche qu’à remplir ses poches, Dans toutes les branches de la grosse industrie et de la haute finance il y a, à la Chambre, des députés qu’on a surnommés les députés d’affaires et qui forment la majorité de l’Assemblée. S’il se trouve, par hasard, parmi ces hommes, une brebis qui ne soit pas galeuse, et qui ne veuille pas se laisser contaminer, elle est bien vite écrasée par l’entourage.

Faut-il voter une loi sociale, quelque chose qui puisse être avantageux à la classe opprimée ? Immédiatement se dresse toute la clique de ces hommes de paille, qui, en chiens de garde de la bourgeoisie et du capital, s’élèvent contre les mesures envisagées, et la loi retourne dans les cartons poussiéreux des ministères, d’où elle ne sort plus jamais.

Voilà le rôle du député, qu’il remplit du reste à merveille. Nous avons dit d’autre part que la démocratie était le dernier rempart de la bourgeoisie, le député en est le fidèle soldat, et c’est un soldat qui ne livre pas bataille franchement, loyalement, mais qui use de fourberie, de mensonges et de trahison.

Quel plus bel exemple peut-il être donné des qualités morales d’un député que les élections législatives de 1924 qui feront époque dans les annales de la démocratie ? Deux ans à peine après les dites élections, les élus trahissaient leurs électeurs et fléchissaient le genou devant l’homme sur lequel pèse une grande part de responsabilité de la guerre de 1914. Combien d’exemples semblables pourrait-on citer à l’actif des députés ! Et cela ne suffit pas au peuple.

Il y avait, dit J.-M. Guyau, « une femme dont l’innocente folie était de se croire fiancée et à la veille de ses noces, le matin en s’éveillant, elle demandait une robe blanche, une couronne de mariée, et souriante, se parait. « C’est aujourd’hui qu’il va venir », disait-elle. Le soir la tristesse la prenait, après l’attente vaine ; elle ôtait alors sa robe blanche. Mais le lendemain, avec l’aube, sa confiance revenait : « C’est pour aujourd’hui disait-elle ». Et elle passait sa vie dans cette certitude toujours déçue, et toujours vivace, n’ôtant que pour la remettre sa robe d’espérance ».

Le peuple n’est-il pas atteint de cette même folie, plus dangereuse, hélas !, car ses espérances toujours déçues, perpétuent son esclavage et engendrent souvent des catastrophes ? Il continue, malgré l’expérience du passé, à se laisser griser de mensonge, et après avoir été trompé par les blancs il se laisse tromper par les rouges, espérant encore et toujours trouver l’homme ou plutôt le Dieu qui l’arrachera à son sort misérable. Il ne veut pas comprendre que cet homme n’existe pas que personne ne peut le sortir de son esclavage et que « l’émancipation des travailleurs ne sera l’œuvre que du travailleur lui-même ».

Il vote, espérant trouver là le salut. Tout ce que l’on peut dire a été dit sur le député et sur l’électeur, et nous ne pourrions mieux faire que de citer la conclusion du vigoureux pamphlet de Octave Mirbeau à ce sujet.

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« A quel sentiment baroque, à quelle mystérieuse suggestion peut bien obéir ce bipède pensant, doué d’une volonté à ce qu’on prétend, et qui s’en va, fier de son droit, assuré qu’il accomplit un devoir, déposer dans une boîte électorale quelconque un quelconque bulletin, peu importe le nom qu’il ait écrit dessus ?… Qu’est-ce qu’il doit bien se dire, en dedans de soi qui justifie ou seulement qui explique cet acte extravagant ? Qu’est-ce qu’il espère ? Car enfin, pour consentir à se donner des maitres avides qui le jugent et qui l’assomment, il faut qu’il se dise qu’il espère quelque chose d’extraordinaire que nous ne soupçonnons pas. Il faut que par de puissantes déviations cérébrales, les idées de député correspondent en lui à des idées de science, de justice, de dévouement, de travail et de probité.

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« Rien ne lui sert de leçon, ni les comédies les plus burlesques, ni les plus sinistres tragédies.

« Voilà pourtant de longs siècles que le monde dure, que les sociétés se déroulent et se succèdent, pareilles les unes aux autres, qu’un fait unique domine toutes les histoires : la protection aux grands, l’écrasement aux petits. Il ne peut arriver à comprendre, qu’il n’a qu’une raison d’être historique, c’est de payer pour un tas de choses dont il ne jouira jamais et de mourir pour des combinaisons politiques qui ne le regardent point.

« Que lui importe que ce soit Pierre ou Jean qui lui demande son argent et qui lui prenne sa vie, puisqu’il est obligé de se dépouiller de l’un et de donner l’autre ? Eh bien non ! Entre ses voleurs et ses bourreaux, il a des préférences, et il vote pour les plus rapaces et les plus féroces. Il a voté hier, il votera demain, il votera toujours. Les moutons vont à l’abattoir. Ils ne disent rien, eux, et ils n’espèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera et pour le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l’électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des révolutions pour acquérir ce droit » (Octave Mirbeau. La Grève des Electeurs).

Et il n’y a rien à ajouter.


DÉSARMEMENT. n. m. « Action de désarmer, de réduire ou de supprimer ses forces militaires », telle est la définition la plus courante du mot désarmement.

Pour nous, qui n’envisageons pas les choses et les faits de la même façon, et qui les considérons sous un angle différent, le désarmement ne peut être à nos yeux, partiel et consister en une réduction quelconque des forces militaires, mais doit, pour être effectif, entraîner la suppression totale de ces forces. Durant les années qui suivirent la signature des divers traités de « paix », mettant fin à la guerre de 1914–1918, de nombreuses conférences officielles furent organisées, et autour du tapis vert de la diplomatie, les représentants de toutes les grandes nations du monde, étudièrent ou firent semblant d’étudier le problème du désarmement. Un accord fut conclu déterminant la limite d’armements dans laquelle devaient se maintenir les nations contractantes, et on alla même jusqu’à détruire de vieilles unités maritimes, donnant ainsi au peuple l’illusion que quelque chose était fait pour le maintien de la paix mondiale. Or, il est erroné de penser, qu’une limitation, qu’une réduction des armements soit un facteur de paix et il serait faux de croire que dans les hautes sphères gouvernementales, on soit animé par le désir d’amoindrir les forces militaires des différentes nations du monde. La vérité brutale est que chaque nation est entraînée dans un formidable tourbillon créé par la guerre de 1914 et que la paix est menacée par l’intensification perpétuelle des armements. Du reste, mieux que toutes paroles, les chiffres nous fixeront nettement sur la situation respective de certaines nations et des dépenses qu’elles effectuent pour maintenir et augmenter leur puissance militaire.


Dépenses pour la « Défense Nationale »
Angleterre
En milliers de dollars
1913–14 1924–25
Armée » 203.233
Armée et Aviation 171.468 »
Aviation » 64.967
Marine 247.489 252.537
Colonies » 22.019
Dépenses militaires incorporées
au budget civil
» 11.124
---------- ----------
Total 418.957 553.880


INDES
1913–14 1924–25
Armée et Aviation 96.769 191.007
Marine 2.508 3.025
Ouvrages militaires 4.713 13.873
---------- ----------
Total 103.990 207.905


ÉTATS-UNIS
1913–14 1924–25
Département de la Guerre 112.485 340.554
Département de la Marine 114.869 277.208
---------- ----------
Total 257.354 617.762


JAPON
1913–14 1924–25
Armée 46.276 80.727
Marine 47.258 96.087
---------- ----------
Total 98.534 176.814


ITALIE
1913–14 1924–25
Marine Militaire et Aviation 116.947 11.837
Marine Marchande 49.344 38.832
Colonies, dépenses militaires 1.881 8.459
---------- ----------
Total 178.173 159.149


BELGIQUE
1913–14 1924–25
Budget ordinaire 14.345 25.522
Budget extraordinaire 2.354 3.538
---------- ----------
Total 16.699 29.060


Quant à la France, son budget de la guerre qui’était en 1914 de 1.720 millions de francs, s’est élevé, en 1925, à 5.521 millions, auxquels il faut ajouter : 1.252 millions pour les dépenses du Ministère de la Marine.

Voilà donc ce qu’entendent par « désarmement » les hommes qui président aux destinées du monde. Une fois de plus les peuples se laissent berner par leurs dirigeants et reposent tranquilles sans s’apercevoir que le réveil sera brutal et que les mots de désarmement ne sont prononcés que pour cacher l’armature d’acier dont s’entourent les différents capitalismes internationaux.

Nous avons tracé un tableau comparatif des dépenses militaires, de différentes nations en 1914 et en 1925, et l’on pourrait nous objecter que, la valeur de l’argent ayant diminué et que celle des matériaux n’étant pas la même en 1914 qu’en 1925, il ne s’en suit pas que ce surplus de dépenses ait déterminé une intensification des armements.

S’il est vrai en effet que la dépréciation de la monnaie joue un rôle dans les dépenses formidables occasionnée par la course aux armements, il est utile de faire remarquer que l’armement s’est modernisé et que si l’on étudiait le problème superficiellement on serait également tenté de croire qu’un progrès immense s’est réalisé et que le désarmement s’opère lentement, mais progressivement. En effet, pour la France par exemple, le nombre d’officiers qui était de 32.392 en 1913, n’était plus en 1926 que de 31.622 et celui des soldats était descendu de 870.000 en 1924 à 640.000 en 1926.

Mais nous savons que les hommes, de même que les fusils et les canons, ne joueront qu’un rôle effacé, secondaire, dans les guerres futures, et qu’en conséquence, les dirigeants peuvent sans crainte sacrifier quelques cent mille hommes inutiles, et faire refondre quelques centaines de canons, sans pour cela désarmer. Ils donnent au peuple, en accomplissant ces actes, l’illusion du désarmement, et celui-ci se contente de cet artifice pendant que, dans l’ombre, on organise l’aviation et l’on fabrique des gaz qui sont les véritables armements modernes.

Voici, du reste, un document officiel, émanant de la Société des Nations, qui nous initie pleinement sur le désarmement des grandes nations et sur les procédés susceptibles d’être pratiqués au cours d’une guerre :

« Mais on peut concevoir dans l’avenir d’autres procédés tels que le lancement par avions de bombes ou autres récipients, chargés en produits nocifs, qui atteindraient les populations civiles aussi sûrement que les combattants. « Il est douteux, écrit le professeur André Mayer, que les peuples se rendent compte de la puissance de cette arme et du danger auquel elle les expose » ; et le professeur W. B. Canon, va plus loin encore, lorsqu’il déclare que : « Nous n’avons rien vu au cours de la dernière guerre, qui soit comparable aux perspectives probables de destruction des centres industriels et de massacres de populations civiles, au cas où un nouveau conflit important viendrait à se produire », « L’arme chimique, employée pendant la dernière guerre avec une intensité croissante et une efficacité indiscutable produit des effets physiologiques les plus divers. « Il n’y a pas plus de limites concevables à sa puissance, à son efficacité, à sa diversité, qu’il n’y en a à la pharmacologie ou à n’importe quelle branche de la chimie ».

« Les substances nocives employées étant d’un usage courant en temps de paix, l’arme chimique est à la disposition de toute grande puissance industrielle possédant des usines chimiques, et cette constatation suggère aux professeurs Zanetti et Mayer, les conclusions suivantes extraites de leurs rapports :

« L’extrême facilité avec laquelle, nous dit le professeur Zanetti, ces usines peuvent être transformées, presque en une nuit, en fabriques de matériel destiné à la guerre chimique, fait naître un sentiment de crainte et de défiance vis-à-vis d’un voisin disposant d’une organisation chimique puissante. »

« Elle assure, en effet, à une puissance animée de mauvais desseins, une supériorité immense, observe à son tour le professeur Mayer. Un corps nocif, étudié en secret « et cette étude peut se faire n’importe où » fabriqué en grande quantité (et cette fabrication peut être faite dans n’importe qu’elle usine chimique), jeté par surprise sur une population non préparée, peut briser toute velléité de résistance. »

Du point de vue technique, il ne semble pas qu’il y ait une impossibilité à ce que les grandes cités soient attaquées au moyen de gaz toxiques par la voie des airs ou par les armes à portée de plus en plus longue existant dans l’armement des forces militaires et navales modernes. Il y a, au contraire, des raisons de croire que, dans une guerre future, l’armée aérienne sera beaucoup plus développée que dans la dernière guerre, tant au point de vue du nombre des avions que de leur capacité de transport.

« Quelque condamnable que soit une telle action, il n’y aurait pas de difficultés techniques à ce que les bombes de grande dimension, remplies de gaz toxique, soient jetées sur des centres indispensables à la vie politique ou économique du pays ennemi.

« Le gaz utilisé ne serait pas nécessairement à effet temporaire, puisque le but consisterait à gêner ou détruire le centre d’activité qui serait l’objectif de l’attaque. Le gaz moutarde, par exemple déversé en forte quantité sur de grandes villes, resterait probablement pendant longtemps sur le sol et pénètrerait graduellement dans les maisons.

« Il faut espérer qu’on trouvera un moyen efficace de protéger les populations civiles contre de tels dangers, mais Il faut admettre que le problème est difficile. La fourniture de masques à une population entière semble être presque impraticable et il reste encore à prouver que les méthodes de protection collective soient efficaces.

« En l’absence de ces moyens et sans indications préalables sur le point d’attaque, toute protection complète est impossible. De plus, les gaz toxiques lourds demeurent près du sol, même en pleine campagne pendant un temps très long. Dans une ville, il est difficile de dire le temps pendant lequel ils resteraient et persisteraient à constituer un danger.

« On pourrait dire sans doute qu’un tel développement de la guerre serait trop odieux et que la conscience humaine se révolterait contre de pareilles pratiques.

« Cela est possible, mais étant donné que, dans les guerres modernes telles que la dernière, toute la population d’un pays se trouve plus ou moins directement engagée, il est à craindre que des belligérants peu scrupuleux ne fassent pas de différence entre l’usage de gaz toxiques contre les troupes sur le champ de bataille et l’usage de ces gaz contre les centres qui fournissent à ces troupes les moyens de se battre.

« En conclusion : constatant, d’une part, les applications de plus en plus nombreuses et variées de la science à la guerre, observant d’autre part, que le véritable danger, — danger de mort — pour une nation serait de s’endormir confiante en des conventions internationales, pour se réveiller sans protection contre une arme nouvelle, il paraît à la Commission essentiel que les peuples sachent quelle terrible menace est ainsi suspendue sur eux ».

Nous avons tenu à reproduire ce texte en son entier, car il est, dans son ensemble, non seulement un avertissement pour les peuples, mais aussi une preuve de l’impuissance dans laquelle se trouve, en 1927, cette fameuse Société des Nations, à écarter les conflits entre nations. Et de plus cet exposé nous éclaire lumineusement sur le désarmement. On comprend pourquoi certaines grandes nations ne se refusent pas à réduire leurs effectifs militaires, à détruire certaines vieilles unités navales, ne se trouvant plus en rapport avec les besoins de la guerre moderne, tout en s’organisant puissamment dans l’attente de nouvelles hécatombes.

« L’extrême facilité », dit le rapport que nous reproduisons « avec laquelle les usines peuvent être transformées, presque en une nuit, en fabrique de matériel destiné à la guerre chimique fait naitre un sentiment de crainte ». Il est évident que cela complique sensiblement le problème du désarmement, que telle puissance peut paraître très faible si l’on considère le nombre de ses troupes, de ses canons, de ses navires, et être très forte au point de vue chimique.

Et, bien que, dans les cercles officiels, on parle, pour le peuple, de désarmement, il est notoire que chaque puissance du monde envisage dès à présent l’utilisation des gaz nocifs dans la guerre qui vient et cela est tellement vrai que, le 26 juillet 1926, le journal Paris-Soir publiait ce petit entrefilet suggestif malgré sa brièveté :

« Londres, 26 juillet. — Demain M. C. G. Ammon parlera à la Chambre des Communes de la guerre aérienne.

« Il demandera au gouvernement de voter une loi rendant obligatoire la possession d’un masque à gaz. » Cette mesure est indispensable, a déclaré dans son rapport l’auteur de cette interpellation, car en cas de guerre, d’un moment à l’autre, une ville peut être anéantie par des gaz lancés par avions.

« En créant cette obligation du masque, les municipalités, à des périodes fixes, — trois ou quatre fois par an — feront passer les populations dans des chambres à gaz afin de leur bien apprendre à s’en servir. (Paris-Soir). »

Ce n’est donc pas sans raison qu’au début du mois d’août 1926, Han Ryner lançait ce manifeste à la population, afin de l’éclairer sur les dangers qui la menacent.

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » écrit Rabelais. Mais la science a progressé depuis et si la conscience ne se réveille pas en l’homme la science ne ruinera pas seulement l’âme.

« Si l’homme reste assez vil pour laisser faire les gouvernements, et pour obéir à ceux qui ont assez peu de conscience pour se prétendre des chefs ; s’il reste l’être discipliné qui se laisse mener en troupeaux et en armées, c’est l’humanité même qui, grâce à la science, fera hara-kiri.

« Et voici, d’après le National Zeitung de Bâle, comment le grand suicide du genre humain risque de commencer :

La guerre vient brusquement d’être déclarée. Aucune difficulté urgente, insoluble, ne semblait la rendre imminente. Au contraire, les dernières nouvelles étaient plutôt rassurantes.

La condamnation à mort de l’Europe n’est connue du Gouvernement que depuis cinq minutes. La presse n’en sait encore rien, le public non plus.

Les rues sont remplies d’une foule anxieuse excitée mais qui ne se doute rien.

Tout à coup, une odeur de violette, d’abord légère, puis insupportable, envahit les rues et les places. Déjà l’air n’est plus respirable.

Qui ne réussit pas à s’enfuir à temps — et bien peu y réussissent — devient rapidement aveugle, perd connaissance, s’effondre sur le sol et étouffe.

Le ciel est parfaitement serein, bleu, sans nuages, aucun avion en vue.

Cependant, à quatre ou cinq mille mètres au-dessus du sol, hors de la portée de la vue et de l’ouïe, une escadrille évolue, sans pilote, sous l’action d’ondes hertziennes, et laisse couler sur le sol sa charge de gaz lacrymogène (le gaz le plus « humain » ) ou de lewisite, moins agréable déjà, ou même de bichlorure d’éthyle sulfuré, le gaz moutarde, roi des poisons.

La guerre des gaz a commencé. L’action du gaz moutarde, dernier cri de la technique moderne, ne saurait être décrite en termes trop atroces. Des dix-sept espèces de gaz utilisés jusqu’ici avec succès, c’est de beaucoup la plus parfaite. C’est la mort même.

Aucun masque ne protège contre lui. Il ronge les chairs. Lorsqu’une région a été saturée par le gaz, chaque pas, chaque poignée de porte, chaque couteau à faire reste pendant des mois mortels.

Les aliments ne peuvent plus être consommés. L’eau est empoisonnée. Toute vie se trouve anéantie.

Encore deux ou trois guerres utilisant de tels progrès et il ne restera plus personne pour dire : « Je n’ai pas voulu cela ». (Han Ryner).

Est-il besoin d’ajouter quoi que ce soit ? Il est évident, indéniable, que l’armement moderne, plus terrible que celui qui l’a précédé est une menace pour l’humanité et que le monde va à la ruine si les peuples ne se réveillent pas de leur torpeur. Certains prétendent que la guerre serait trop monstrueuse et qu’aucun homme d’Etat ne prendrait sur lui la lourde responsabilité de la déclencher ; Raisonner ainsi, c’est se prêter volontairement comme « agneau pascal » et se faire indirectement un agent de destruction. Déjà en 1914, cet argument courait de bouche en bouche, et pourtant la guerre éclata et durant quatre ans et demi, ce ne furent que massacres et que ruines. Il en sera de même demain, et rien ne peut empêcher que cela soit, sinon la volonté des hommes, de ne pas se faire tuer dans un conflit d’intérêts divisant le capitalisme.

Le problème du désarmement reste entier. Il ne peut être résolu par les parlottes diplomatiques. C’est au peuple de le résoudre.

Le désarmement est intimement lié à d’autres questions et vouloir le traiter séparément est inutile. Le capital a besoin d’armements pour se défendre et l’utopie n’est pas d’espérer une société sans capital, mais justement de songer à réaliser une société capitaliste sans armements.

Nous avons, par ailleurs, tenté de démontrer quelles sont les origines des guerres (voir capitaliste et capitalisme), et nous restons convaincus qu’il n’est pas de remèdes dans l’ordre social actuel, susceptibles d’enrayer les conflits internationaux.

Et ce n’est pas une question d’hommes. Les hommes peuvent disparaître. Un conservateur peut, à la tête du gouvernement, être remplacé par un radical, un démocrate, voire un socialiste. Rien ne sera changé. Les dangers de guerre subsisteront tant que ne sera pas effondré le régime basé sur le capital. Ce qui est plus terrible, c’est que tout retard dans l’accomplissement d’une telle œuvre rend la tâche plus difficile. A mesure que nous avançons dans le temps, le capitalisme s’organise plus puissamment, et la faiblesse des classes opprimées s’agrandit également en raison directe de la force du capital. Demain il sera trop tard, les peuples seront réduits à l’esclavage et toute tentative de révolte deviendra inutile.

La révolution n’est pas seulement une question d’individus, elle est aussi et surtout une question d’événements, mais faut-il encore que les hommes sachent profiter de ces événements et ne pas les laisser passer en restant inactifs.

Au lendemain de la boucherie, lorsqu’en 1918 les hommes d’Etat des nations belligérantes furent obligés, faute d’hommes et d’argent, d’arrêter le massacre, le peuple avait entre les mains tous les outils nécessaires pour se libérer une fois pour toutes de tous ses maîtres, de tous ses parasites. Pendant quatre ans, il avait su se sacrifier pour une cause qui n’était pas la sienne, mais il n’eut pas le courage d’user de ses armes contre ses véritables ennemis. Il avait la possibilité d’organiser sur les ruines sanglantes de la guerre une société de bonheur et d’harmonie, il ne l’a pas voulu et il rendit ses armes avec la même inconscience qu’il les avait reçues.

Le capitalisme eut peur un moment. Mais aujourd’hui, tout danger immédiat étant écarté, il organise sa défense en usant d’armes d’élite, mises entre les mains d’individus lui appartenant et en qui il peut avoir toute confiance.

Il n’est pourtant pas possible que l’humanité se détruise ainsi. Si le capitalisme sent sa fin prochaine, il n’hésitera pas à tenter l’impossible pour entraîner avec lui toute l’humanité. « Périsse le monde entier » s’il ne doit pas vivre, lui. Voilà où nous en sommes, et notre conclusion est et reste toujours la même. Y en a-t-il une autre ? Nous ne le pensons pas.

Le capitalisme est un facteur de désagrégation, de destruction, et l’humanité a besoin d’être construite sur de nouvelles bases. L’autorité a fait ses preuves, et il a été démontré suffisamment, qu’elle n’engendre que la misère et la ruine. Que reste-t-il alors ? « La liberté. »

Remontons à la source, plongeons le scalpel dans l’origine du mal, et le désarmement s’opérera, dans le domaine physique et moral pour le plus grand bonheur de l’humanité régénérée. — J. Chazoff.