Encyclopédie anarchiste/Dévotion - Dime
DÉVOTION. n. f. (du latin devotio). Dévouement à Dieu ; attachement aux pratiques religieuses.
La dévotion a pour objet l’observation des lois prescrites par les théologiens des diverses religions, qui au cours des âges, exposèrent, expliquèrent et vulgarisèrent les dogmes définis par une autorité soi-disant infaillible.
Si la dévotion n’était que ridicule et inutile, il n’y aurait qu’à laisser les fanatiques se livrer à leurs pratiques et à leurs simagrées sans plus s’inquiéter d’eux : mais elle est un danger social et est nuisible à l’individu, comme du reste tout ce qui se rattache à l’idée de Dieu. Elle est non seulement néfaste à l’individu en soi, mais elle déteint sur tout ce qui l’entoure, et exerce une détestable influence sur toute la collectivité, qui souffre en conséquence des agissements déraisonnables des croyants.
Il est possible qu’en des temps reculés, certains actes de dévotion aient été édictés par des conducteurs d’hommes ou des savants de l’époque, en raison de la brutalité, de l’ignorance et de la bestialité des peuples ou des tribus, et on s’explique aisément aujourd’hui, pourquoi la loi judaïque par exemple exigeait des fidèles qu’ils se lavassent les mains deux fois par jour, c’est-à-dire avant de faire les prières précédant les repas, ou que, une fois l’an, à la veille de Pâques, ils nettoyassent leurs maisons du fond aux combles afin qu’il ne puisse y rester une miette de pain égarée.
La loi judaïque prescrivait de même que la femme devait au moins une fois par mois, après ses menstrues se rendre au bain, et que tous les fidèles âgés d’au moins treize ans devaient, une fois par an, jeûner durant 24 heures, et il nous apparaît que ces dévotions avaient un caractère d’hygiène et étaient inspirées dans un but pratique. Mais il semble que, de nos jours, et plus particulièrement dans nos pays occidentaux, il ne soit pas nécessaire d’obliger par une loi, les individus à se laver et à nettoyer leur maison, ou de leur apprendre qu’ils doivent de temps à autre reposer, par une certaine abstinence, les organes intérieurs de leurs corps, de même qu’ils délassent leurs bras ou leurs jambes fatigués par un travail trop rude.
Il est donc évident que si, à l’origine, les dévotions ont présenté certaine utilité, depuis longtemps elles ont été dénaturées par la religion et ne présentent plus aujourd’hui aucun sens pratique. Le dévot n’a à présent d’autre but que celui de plaire à Dieu, et d’attirer sur lui les bienfaits du Très-Haut.
Nous disons plus haut que la dévotion est néfaste à la collectivité, et il n’est pas besoin de remonter très loin dans l’histoire pour y retrouver les crimes commis par les dévots. Les autodafés, c’est-à-dire l’exécution des jugements prononcés contre les savants et les philosophes, considérés comme hérétiques par l’Inquisition, étaient considérés comme des actes de dévotion. Le massacre de la Saint-Barthélemy qui eut lieu à Paris et dans toute la France dans la nuit du 24 au 25 août 1572, d’après les ordres du roi Charles IX, fut un acte de dévotion. Plus de 200.000 personnes périrent, au nom de la religion et de Dieu, en cette nuit tragique, et le Pape Grégoire XIII eut le cynisme, en apprenant le massacre, de faire tirer le canon du château Saint-Ange en signe de réjouissance, et d’envoyer au roi meurtrier un message de reconnaissance, le félicitant pour l’acte de dévotion qu’il venait d’accomplir.
Et plus près de nous, il y a quelques années à peine, lorsque la Russie était courbée sous le joug du tsarisme, et chaque fois que, pour des raisons politiques, il fallait occuper l’esprit populaire, l’église ne se prêtait-elle pas bénévolement à l’organisation des pogroms et, sous l’obscure conduite de la prêtraille, de malheureux inconscients ne croyaient-ils pas accomplir un acte de piété et s’attirer la reconnaissance du Ciel, en persécutant de pauvres juifs qu’on leur jetait en pâture ?
Et en France, pays de l’irréligion, nous assistons encore, de temps à autre, au triste spectacle de malades, se livrant sur leurs semblables à des actes de cruauté, croyant ceux-ci possédés par le diable ? N’est-ce pas en 1926 qu’une poignée de déments s’emparèrent d’un prêtre et exercèrent sur lui des violences, pour faire sortir de son corps le démon dont il était possédé ?
Les dévotions, sont donc manifestement pratiquées par des êtres corrompus intellectuellement, et maintiennent l’individu dans un perpétuel état d’asservissement. C’est du reste bien le rôle dévolu à la dévotion par la religion.
Dans Orpheüs, le beau livre de Salomon Reinach, sur l’histoire des religions, on fera une ample moisson des erreurs accumulées par des siècles de dévotion, et on est étonné à la lecture de cet ouvrage, si simple, si clair et si profond, à la portée de toutes les intelligences et qui devrait se trouver dans toutes les familles, qu’il y ait encore des gens assez dépourvus de bon sens, pour se livrer aux hommes d’églises, à quelque religion qu’ils appartiennent.
Ce qui est particulièrement regrettable, c’est que l’homme du peuple, le paria, l’opprimé, ne soit pas, non plus, débarrassé du préjugé religieux, et qu’il se livre également à des actes de dévotion. Il est peu d’individus, même dans la classe ouvrière, qui se « marient » sans passer devant Monsieur le Curé ; ils sont peu nombreux ceux qui ne font pas baptiser leurs enfants, ou qui n’envoient pas ceux-ci au catéchisme afin de faire leur première communion. « C’est sans importance » dit-on ; et c’est une profonde erreur.
Ce sont toutes ces pratiques qui donnent encore à l’église une certaine puissance et c’est du reste la raison pour laquelle les prêtres s’attachent à attirer vers eux les petits et à leur imprimer le caractère de la dévotion.
En apprenant à servir Dieu, on se prépare à servir ses maîtres sans protester, et on forge les chaînes qui maintiennent l’humanité en un demi-esclavage. Il est faux, que la dévotion soit une innocente folie ; c’est une folie dangereuse, contre laquelle il faut lutter, pour débarrasser la civilisation d’une plaie, d’une maladie qui a fait déjà de trop nombreuses victimes.
La dévotion est tellement imprégnée en l’individu, qu’elle se manifeste même en dehors des églises spirituelles, et l’on rencontre des dévots, qui croient être libérés de tous préjugés religieux et qui cependant remplissent certains devoirs ridicules, qui leur sont conseillés par les théologiens des nouveaux dogmes et des cultes modernes. Ce sont les patriotes, les nationalistes, et aussi les travailleurs qui ont découvert un nouveau Dieu et qui ne manquent jamais de lui faire leurs dévotions. Ignorance et hypocrisie, c’est la seule définition que l’on puisse donner de la dévotion ; d’une façon comme d’une autre il faut la combattre. « Un dévot est celui, qui, sous un roi athée, serait athée ». (La Bruyère). Et, en effet, le dévot est d’ordinaire un être plat, bas, mesquin, petit, qui cache ses passions, ses vices et ses tares, sous un voile de piété.
« Ne vous fiez pas, nous dit Balzac, à la sainte humilité ni au mauvais habillement de ce prêtre directeur de conscience, qui semble se préparer toujours à la mort ; car au dedans il est tout vêtu de pourpre, il a l’ambition de quatre rois ; il a des desseins pour un autre siècle. Mais surtout défiez-vous de ces ouvriers d’iniquité, de ces hommes puissants en malice, qui lèvent au ciel des mains impures, et s’approchent des mystères, étant tout sanglants de leurs parricides. Ils sont cruels ; ils sont monstrueux ; ils sont sacrilèges et ne laissent pas d’être dévots. Leur dévotion corrige leurs gestes et reforme leurs cheveux, mais elle ne touche point à leurs passions ni à leurs vices. Ils ne gagnent rien à la fréquentation des choses saintes, que le mépris qui naît de la familiarité et de la coutume de les violer. Ils en deviennent plus hardis, méchants, et non pas plus gens de bien ; ils perdent le scrupule et ne perdent pas le mal. Tellement qu’il est à croire qu’ils ne vont pas tant à l’église pour obtenir le pardon de leurs fautes, que pour demander permission de les faire et avoir autorité de pêcher. » (Balzac, le Prince.)
Elle serait longue à décrire la liste des dévots notoires qui se signalèrent à l’histoire, par leur méchanceté, leur tyrannie et leur despotisme. Louis XI fut un dévot cruel, Charles IX a à son actif la Saint-Barthélemy, Richelieu, le cardinal rouge, ensanglanta la France et son nom est taché de tous les assassinats qu’il organisa ; Louis XIV, le roi Soleil, fut un dévot ambitieux et hautain, et ses maîtresses, ne furent pas moins abjectes qu’il ne le fut lui-même. Madame de Montespan, après avoir supplanté la La Vallière, et eu du grand roi huit enfants, après avoir trempé dans l’affaire des poisons qui défraya la chronique parisienne de 1670 à 1680, fut à son tour sacrifiée à la Maintenon, et versa dans la dévotion la plus basse, comme si la piété pouvait laver toutes les ignominies dont-elle s’était rendue coupable.
La Maintenon ne fut pas une dévote moins ambitieuse que celle à qui elle succéda. Tour à tour protestante et catholique, elle abandonna, définitivement le protestantisme, son intérêt étant intimement lié à sa ferveur. Après avoir épousé le poète Scarron, elle devint bientôt veuve, mais l’esprit de son mari lui avait été de quelque utilité, et cette femme dévote n’hésita pas à accepter d’élever les enfants adultérins de Louis XIV. C’est probablement toujours en vertu de la morale, qu’elle se livra à Louis XIV et supplanta Mme de Montespan, qui avait été sa bienfaitrice. On peut dire que Mme de Maintenon a une grande part de responsabilité dans les désastres et les infamies qui signalèrent la fin du règne de Louis XIV.
La liste pourrait s’allonger indéfiniment, mais à quoi bon ; qu’il nous suffise de conclure par ces sages paroles de La Bruyère : « Faire servir la piété à son ambition, aller à son salut par le chemin de la fortune et des dignités, c’est, du moins jusqu’à ce jour, le plus bel effort de la dévotion du temps ».
Cela n’a pas changé, et cela ne changera pas ; car c’est en cela que consiste la dévotion, et si elle n’est pas la conséquence de l’intérêt, elle est celle de la bêtise.
DÉVOUEMENT. n. m. Action de se dévouer, de se donner à une chose, à une idée, à une personne qui nous est chère et pour laquelle on abandonne ses intérêts particuliers, et parfois sa vie.
On cite assez fréquemment comme un exemple de courage et de dévouement, Léonidas, roi de Sparte, qui, avec 300 de ses compagnons, se firent massacrer aux Thermopyles, plutôt que de se rendre à la puissante armée des Perses, conduite par Xerxès.
Le dévouement des premiers Chrétiens est également légendaire, et l’on connaît tous les supplices qu’ils subirent, sans jamais vouloir renoncer à la croyance à laquelle ils étaient attachés. Il est pénible de constater que tous ces sacrifices, tous ces dévouements n’ont servi qu’à faire du Christianisme une agence politique au service des puissants, et que cette abnégation de soi fut à peu près inutile.
Il n’y a pas que l’enthousiasme, la raison, ou la logique qui soient des facteurs de dévouement : la sentimentalité et le fanatisme engendrent également le dévouement, et s’il est des êtres qui se dévouent pour une idée ou pour une cause qui est juste, il en est d’autres qui se dévouent pour une erreur. Il en résulte que des actes d’héroïsme sont accomplis par des individus et que ces actes ont des répercussions désastreuses sur l’ensemble de la collectivité.
La guerre, par exemple, est un champ d’action propice au dévouement, et il est certainement — car le courage n’est pas un privilège révolutionnaire — des patriotes qui sont prêts à donner leur vie pour « la défense de leur patrie ». Il est bien entendu qu’il ne peut être question ici des patriotes intéressés, des politiciens et des commerçants du patriotisme ; mais des patriotes sincères — il y en a hélas ! — qui n’hésitent pas à se dévouer à leur mauvaise cause. Il en est de même du reste de toutes les causes. La vérité est « une » et l’erreur est nombreuse. Or, chacun défend une conception différente et particulière, et par conséquent il est de toute évidence qu’il est des dévouements inutiles, voire nuisibles.
Quoi qu’il en soit, raisonnable ou aveugle, une cause ne grandit que par le dévouement de ceux qui y sont attachés. C’est le dévouement des premiers chrétiens qui a permis au Christianisme de s’étendre, de pénétrer partout et de gagner le monde. Si le Christianisme n’est plus aujourd’hui qu’un odieux commerce, qu’un ignoble négoce, cela tient justement à ce que le dévouement de ses adeptes ne reposait pas sur la raison mais sur le fanatisme.
Nous avons de nos jours, un autre exemple frappant du dévouement fanatique. Le Bolchevisme, qui est une religion, offrant de nombreux points de communauté avec le jésuitisme catholique, a de nombreux adeptes, et fait naître en eux un esprit de dévouement. Il n’est pas suffisant, pour combattre le bolchevisme, de déclarer que les hommes qui président à ses destinées sont corrompus par l’exercice du pouvoir, et qu’ils ne sont plus des révolutionnaires sincères. De même que le Christianisme, le bolchevisme pénètre partout parce qu’il inspire une certaine séduction et fait naître un certain esprit de sacrifice. Or, les êtres simples sont facilement influençables et se laissent subjuguer par les actes de courage d’autrui. Le commun ne comprend pas que l’on puisse mourir en se trompant, et leur sympathie est toujours orientée, par sentimentalisme, vers ceux qui souffrent pour une cause, cette cause fût-elle la plus arbitraire, la plus illogique et la plus tyrannique. Il est évident que l’homme qui se sacrifie à ses idées, quelles qu’elles soient, est un homme sincère, et par conséquent respectable et, si l’on ne peut qu’admirer son courage et son abnégation, il faut cependant se garder de s’arrêter à l’acte sans en étudier les causes déterminantes, et les idées qui ont inspiré cet acte.
C’est justement la profonde erreur du peuple de n’étudier les problèmes que superficiellement, et de s’attacher aux individus et non aux principes qui les guident et c’est pourquoi le dévouement fanatique est un facteur de propagande et de recrutement pour les partis en faveur desquels il s’exerce.
Chaque parti, chaque organisation sociale eut à son service des hommes dévoués ; chaque cause a donné naissance à des martyrs. On trouvera dans cette encyclopédie au mot « Attentat », page 184, une liste éloquente des hommes qui se sacrifièrent pour leurs idées, mais tous les hommes dévoués ne sont pas des martyrs ou des héros, et l’on peut servir une cause sans toutefois avoir le tempérament, le courage, la volonté, l’énergie de se livrer à des actes de violence, individuels, contre les institutions ou les individus que l’on combat.
Pourtant il faut s’imprégner de cette idée que si l’on est sincèrement révolutionnaire il faut s’attendre à ce que le dévouement à la cause que l’on défend soit appelé à nous conduire au sacrifice de la vie, car il est impossible de concevoir qu’une révolution puisse être un mouvement pacifiste et qu’une transformation sociale puisse s’effectuer sans effusion de sang.
Il faut donc espérer que lorsque les événements nous conduiront à la lutte et que l’heure sonnera pour tous ceux qui aspirent à un monde meilleur, les dévouements seront nombreux, et que grâce à leur volonté de vaincre et de se libérer à tout jamais de l’oppression et de l’esclavage, les opprimés sortiront victorieux de la bataille qu’ils se doivent de livrer aux exploiteurs et aux tyrans.
DEXTÉRITÉ. n. f. Adresse, habileté à se servir de ses mains. Le jongleur et le prestidigitateur travaillent avec dextérité. Dans les travaux manuels, la dextérité est un appoint précieux, car l’ouvrier qui se sert habilement de ses mains produit parfois de véritables chefs-d’œuvre.
On peut citer comme exemple de dextérité, les travaux exécutés par les dentellières de Valenciennes, du Puy, de Tulle, de Bruges, d’Irlande, etc…, admirables œuvres d’art qui, la plupart du temps ne sont accomplies que par des paysannes maniant l’aiguille ou le crochet, tout en gardant leurs troupeaux. Ce sont de réelles artistes, les dentellières, et pourtant leurs travaux qui se payent des prix exorbitants dans les magasins luxueux des grandes villes, et qui viennent agrémenter les costumes féminins des aristocrates ou les appartements des gens fortunés ne permettent pas à ces malheureuses de vivre. Elles sont honteusement exploitées et leur sort n’est pas plus enviable que celui de tous les travailleurs. Lorsque vieilles et tremblantes, presque aveugles, elles ont usé leurs yeux pour le plaisir des riches, elles sont acculées à la misère, et les chefs-d’œuvre qu’elles exécutèrent durant leur jeunesse ne leur assurent pas le pain pour les vieux jours.
Un jour, peut-être, la dextérité du travailleur lui sera-t-elle utile et comprendra-t-il que si ses mains produisent de belles choses, la justice la plus élémentaire serait qu’il en profitât aussi.
Au figuré, la dextérité signifie habileté de l’esprit, la faculté de manier des affaires délicates ; elle est utile dans toutes les conditions autant que la dextérité des mains. « Il avait autant d’audace pour exécuter un projet, que de dextérité pour le conduire. » (Voltaire.)
DIABOLIQUE. adj. Qui vient du diable. Des pensées diaboliques, des sensations diaboliques. Se dit pour ce qui est méchant, pernicieux, nuisible, dangereux et qui peut causer du mal. Un caractère diabolique. Un être diabolique est un individu qui cache ses véritables sentiments et qui se présente sous le masque de l’hypocrisie.
Le mot diabolique s’emploie également comme synonyme de pénible, difficile. Un travail diabolique, est un ouvrage qu’il est pénible d’exécuter. Les travaux diaboliques sont nombreux et au premier plan il faut placer celui du mineur qui est obligé d’arracher à la terre la houille qui nous chauffe l’hiver. Le progrès de la science fera disparaître petit à petit les travaux diaboliques, et déjà de nos jours, si les sociétés étaient mieux organisées, et si des intérêts particuliers n’étaient pas en jeu, la houille blanche remplacerait avantageusement la houille noire, sans exposer le travailleur aux coups du grisou ou aux menaces d’éboulements et d’inondations souterraines.
Le capitalisme a vendu son âme au diable, mais la richesse qu’il a reçue en échange n’est que provisoire. Le chemin diabolique tire à sa fin, le capitalisme est en haut de la côte, et bientôt sa chute va se précipiter. Avec lui disparaîtront tous les méfaits, toutes les méchancetés, tout le mal qu’il a causé depuis des siècles, et à la vie diabolique succèdera une vie pleine de joie, de bonheur et d’harmonie.
DIACONESSE. n. f. Veuve ou fille qui, dans l’église primitive, remplissait certaines fonctions ecclésiastiques. On leur confiait plus particulièrement le soin de la nef dont l’espace était réservé aux femmes, et elles étaient les épouses des diacres à l’époque où les papes et les conciles n’avaient pas encore proclamé l’obligation du célibat pour les prêtres.
Lorsque le baptême se donnait par immersion, aux femmes comme aux hommes, ce sont les diaconesses qui baptisaient les femmes et les jeunes filles, les diacres ne pouvant s’acquitter de ces fonctions, sans blesser la pudeur des fidèles. En outre, elles s’occupaient des malades et des prisonniers.
La consécration des diaconesses fut interdite par différents conciles en raison de l’intimité trop étroite qui existait dans certaines églises entre le prêtre et les prêtresses, et aux environs du XIIe et du xiiie siècle, elles furent totalement supprimées.
Les anabaptistes, sectes de protestants, qui prit naissance au xvie siècle et qui soutenait la thèse qu’il ne faut pas baptiser les enfants avant l’âge de raison, chargeaient les femmes de certaines fonctions et eurent des diaconesses ; mais ils furent combattus par les catholiques et les protestants orthodoxes ; leur secte est de nos jours à peu près éteinte et les diaconesses ont disparu. Les femmes n’occupent plus, à présent, de fonctions officielles dans l’église, et celles qui se « dévouent » à la religion n’y jouent qu’un rôle subalterne. Pourtant chez les protestants, et surtout dans l’Armée du Salut, elles se livrent à un travail de propagande formidable et l’influence qu’elles exercent est considérable. Si elles n’ont plus le pouvoir, et ont été obligées d’abandonner les charges qu’elles occupaient, le travail qu’elles accomplissent n’en est pas moins nuisible, et leur action est aussi néfaste que celle des diaconesses du passé.
DIACRE. n. m. Ministre ecclésiastique qui a reçu l’ordre immédiatement inférieur à la prêtrise. Le diacre a pour fonction de servir, à l’autel, le prêtre ou l’évêque durant la célébration des mystères et, en cas de nécessité, ils ont le droit de donner la communion. Ils ont également le droit de prêcher et de conférer le baptême, mais seulement après avoir reçu l’autorisation spéciale de l’évêque. Comme tous les prêtres, le diacre est astreint à la récitation quotidienne du bréviaire, au célibat, et au port du costume ecclésiastique.
C’est aux apôtres que l’on doit l’institution des diacres. Au vie siècle il fallait avoir 25 ans d’âge pour être promu à cette fonction, mais à présent 23 ans suffisent. A l’origine, les diacres pouvaient se marier, ensuite ils ne le pouvaient qu’avec l’autorisation spéciale du pape, et maintenant, ainsi que nous le disons plus haut, ils sont astreints au célibat. Curieuse façon d’interpréter les paroles de l’Évangile : « Croissez et multipliez ».
Si de nos jours le diacre seconde le prêtre durant les cérémonies, ce ne fut pas toujours le rôle qu’il a rempli. Il fut, dans le passé, chargé de garder les portes de l’église ; il fut, par la suite, remplacé dans ces fonctions par le sous-diacre et à présent c’est un simple portier qui occupe cette charge. Tout évolue.
Les insignes liturgiques du diacre sont : l’amict, l’aube, le cordon, l’étole (portée en écharpe sur l’épaule gauche) et la dalmatique.
DIAGNOSTIC. n. m. (du grec diagnosis, connaissance). Le diagnostic est la partie de la médecine qui consiste à déterminer le mal dont souffre le patient et à distinguer les maladies les unes des autres. Si chaque maladie a des symptômes qui lui sont particuliers, par contre elle en a certains qui sont communs avec d’autres affections et l’on conçoit alors que le diagnostic soit d’importance lorsqu’un docteur a la charge de soigner un malade, car tout le traitement dépend de l’habileté de l’homme de science à déterminer le diagnostic.
Le diagnostic est, à nos yeux, la base même de la médecine, et l’erreur du praticien est parfois fatale au malade. Il coule de source que, si le docteur est incapable de trouver la cause d’un malaise, il est de ce fait même incapable de le soigner. Il est évident que le diagnostic est une opération qui présente de grandes difficultés, car, d’ordinaire, le médecin ne connaît pas le tempérament, les antécédents de l’individu qui se présente à lui, et bien souvent, par une certaine pudeur ridicule, le patient se refuse à dévoiler ses tares et ses vices. Le diagnostic nécessite en conséquence une parfaite connaissance non seulement de la physiologie, mais aussi de la psychologie humaine.
Il est pénible de constater que la médecine est devenue un véritable négoce et que quantité de médecins ne sont que de vulgaires commerçants ; et cela est d’autant plus regrettable que le malade est un profane, qui, lorsqu’il souffre, n’a d’autres ressources que de se confier à celui que ses diplômes mettent à l’abri de toute critique, et qui est supposé posséder la capacité de guérir. S’il est des médecins dévoués, attachés à leur art et qui accomplissent leur métier avec conscience, il est un grand nombre de charlatans qui spéculent sur l’ignorance des malades et qui, sans même approfondir les causes du mal, diagnostiquent une maladie et vous soignent en dépit du bon sens. Sans vouloir hurler avec les loups et tout en comprenant les difficultés qui se présentent dans de nombreux cas, il faut cependant reconnaître que, en notre siècle de mercantilisme, on joue trop facilement avec la vie des individus.
Le célèbre écrivain irlandais Bernard Shaw, a écrit sur la question un ouvrage The doctor’s dilemma, qui, sous un jour humoristique, présente un véritable intérêt et critique vigoureusement les médecins peu consciencieux auxquels est livrée toute la population du globe.
Ignorant de la science médicale, gardons-nous d’être trop sévères pour les médecins et conservons l’espérance en un avenir où la science n’étant plus assujettie à toutes les spéculations, l’intérêt pécuniaire ne viendra plus corrompre ceux en qui nous plaçons notre confiance et notre vie ; lorsque nous souffrons.
Et puis peut-on vraiment blâmer le médecin qui se trompe dans son diagnostic, et qui n’arrive pas avec une scrupuleuse exactitude à découvrir les causes de nos douleurs, puisqu’il est des souffrances que nous subissons, des souffrances collectives, des souffrances sociales, dont le diagnostic a été déterminé, dont les remèdes sont trouvés et dont nous refusons de nous libérer, par lâcheté, par manque d’énergie et de volonté ? Il ne suffit donc pas au médecin, des corps ou des âmes, de dénoncer le mal caché, encore faut-il que le malade veuille se soigner, qu’il consente à absorber les médicaments indispensables pour obtenir sa guérison. Le peuple souffre, il sait de quoi ; il sait qu’il est opprimé, qu’il est exploité, qu’il est dirigé par une catégorie de parasites qui vivent de son sang et de sa chair. Il a consulté des docteurs, qui ont diagnostiqué, qui lui ont dit ce qu’il devait faire s’il avait à cœur de recouvrer la santé sociale qu’est la liberté. Mais il ne veut pas, il refuse et, au lieu d’écouter les sages conseils, il préfère se livrer à des charlatans qui l’exploitent et qui perpétuent ses souffrances.
Que faire contre cela ? Pas grand chose. Il faut que le peuple consente à se soigner, et au plus vite, car la maladie fait de rapides progrès et il arrive un moment où même l’opération chirurgicale est incapable de sauver le malade. Que le peuple se dépêche, son mal est aigu, demain il sera trop tard et rien ne pourra le libérer de ses maux, sauf la mort qui est la fin de toutes les misères et de toutes les souffrances. Mais s’il veut vivre, s’il veut jouir, s’il veut bénéficier enfin de toutes les joies que peuvent offrir le travail rationnel et la fierté, qu’il trouve en lui la force et l’énergie de lutter contre tous les microbes sociaux qui se sont emparé de lui, et avec la santé du corps et de l’esprit il trouvera le honneur et l’amour dans une humanité régénérée.
DIALECTIQUE. n. f. Méthode de discussion ; art de raisonner avec justesse. On en attribue l’invention à Zénon, philosophe grec, né à Élée vers l’an 504 avant J.-C. ; ce que l’on sait, c’est qu’il enseigna à Athènes la doctrine de son maître Parménide, ainsi que la dialectique.
La logique est chez nous, ce qu’était la dialectique chez les grecs, c’est-à-dire l’art de démontrer ce que l’on considère comme une vérité.
« La dialectique est le nerf de l’éloquence » déclare Marmontel, et en effet, la conduite d’un raisonnement qui aboutit à une démonstration simple, claire et précise est le meilleur des talents oratoires. Platon la considérait comme une science susceptible d’élever l’individu et de lui faire atteindre les sommets de la vérité et de l’absolu.
Il est donc utile de s’exercer à l’art de la dialectique mais il faut se garder d’en abuser et de tomber dans le travers des sophistes qui s’en servirent pour tout contester et discuter sur toute chose. La discussion est bienfaisante à condition d’être raisonnable, et que le sujet qui la provoque présente un certain intérêt. Discuter pour discuter est non seulement inutile, mais encore ridicule et absurde, et d’une discussion oiseuse il ne peut sortir aucune vérité.
DIALECTIQUE. n. f. Les anciens entendaient par le terme dialectique, l’art d’atteindre la vérité au moyen de la discussion des opinions. La méthode dialectique consistait donc à bien savoir interroger et à bien répondre, en cherchant à faire jaillir la vérité de la confusion et des contrastes de la discussion. Dialectique est la fusion de deux mots grecs : attraverso et raccolgo. Un dialecticien merveilleux fut Socrate, dont l’activité philosophique fut exclusivement dialogique. Il ne faut pas confondre l’ergotage avec la dialectique. L’ergotage c’est l’art de disputer pour disputer, de contredire l’adversaire à chaque affirmation, sans avoir l’intention positive de prouver quoi que ce soit.
De l’ergotage dérivent les sophistes célèbres à cause de leurs subtilités qui tendaient à embouteiller l’adversaire. Quelques-uns, pourtant, employaient ce terme pour indiquer l’art de contester avec des arguments et le raisonnement, sans lui attribuer une mauvaise signification. La dialectique est un art polémique qui ouvre le chemin à la science. Elle part des opinions communes autour d’un objet donné, elle prouve leur résistance à la critique, en faisant ressortir les lacunes, les difficultés, les erreurs. Elle prépare donc le terrain à l’investigation scientifique. De Socrate aux positivistes contemporains, la dialectique a été entendue et appliquée en ce sens.
Avec Hegel, la dialectique devient « l’application scientifique de la logique inhérente à la nature humaine ». Comme, pour lui, les formes de la pensée sont les formes du réel, ainsi la dialectique est « la vraie et propre nature des déterminations de l’intellect, des choses et, de manière générale, de tout ce qui est « fini » ». Elle consiste essentiellement à reconnaître l’inséparabilité des contradictions et à découvrir le principe de cette cohésion en une catégorie supérieure.
Par exemple : être et ne pas être, mots contradictoires, se fondent, pour ainsi dire dans devenir dans lequel se confondent : naître et périr, ainsi que : périr et naître : parce que ce qui devient, naît comme être mais périt comme non être ; et ce qui périt comme être, naît comme non être. Hegel appelle moment dialectique la contradiction même et le passage d’un terme à l’autre de cette contradiction.
La dialectique, dans le sens hégélien, acquiert une signification distincte de celle donnée précédemment.
La méthode dialectique est anti-scientifique en tant qu’elle se résout en un acrobatisme qui frise la logique et qu’elle barre la route à l’analyse.
Dans le champ de la logique, la dialectique hégélienne se base sur le principe d’identité qui considère les concepts comme quelque chose de permanent et d’immuable au lieu de les considérer comme des résultats de rapport, de relation. La méthode dialectique, au sens hégélien, se résout en « raison raisonnante », c’est-à-dire dans la combinaison de concepts dont la validité n’est pas en eux-mêmes mais qui résulte de la logique des développements systématiques. La dialectique hégélienne est un système plus qu’une méthode. Elle n’est pas, comme la dialectique socratique, analyse d’éléments logiques avec la conscience de la nécessité de faire précéder la justification des éléments de base à la construction systématique, construction dont le plan doit résulter de la connexion analysée, des rapports logiques, mais développement de lignes systématiques a priori, audace fantastique sans freins analytiques. La méthode dialectique de Socrate est à la dialectique d’Hegel comme l’investigation du savant est aux fantaisies du poète.
DICTATEUR. n. m. (du latin dictator, provenant de dictare, dicter, imposer, commander). Les premiers hommes qui portèrent ce titre furent des magistrats romains qu’on investissait d’un pouvoir absolu dans les périodes troublées. Ils étaient nommés pour une période assez courte, six mois généralement, et leur dictature expirait avec les circonstances qui l’avaient déterminée. Le dictateur était une sorte de monarque temporel, jouissant de l’autorité absolue, toutes les autres autorités s’inclinant devant la sienne.
Au début, les dictateurs étaient proposés par le Sénat et nommés par le peuple, mais peu à peu le rôle du peuple fut diminué, puis supprimé, et les dictateurs ne représentèrent plus guère que l’aristocratie patricienne. Ils devaient, au bout d’un certain temps, faire place aux empereurs romains.
C’est d’ailleurs l’histoire de tous les dictateurs, dans tous les pays et à toutes les époques. Nommés pour résoudre des situations difficiles, pour écraser les ennemis de l’extérieur et de l’intérieur, ils reconstituent à leur profit l’autorité. Maîtres des diverses institutions autoritaires : armée, police, justice, administration, ils finissent par s’en servir pour exterminer leurs ennemis personnels, tous ceux qui pourraient menacer leur position élevée.
Les adversaires de l’idée anarchiste nous disent souvent que l’homme n’est pas parfait, qu’il a des défauts et des vices, et qu’il ne peut par conséquent vivre sans une autorité. C’est un reproche que nous pourrions retourner à ceux qui rêvent de dictature. Précisément parce que l’homme n’est pas parfait, si l’on a le malheur de lui confier l’autorité absolue, on peut être certain à l’avance qu’il l’utilisera pour des fins personnelles, dans son intérêt particulier, pour supprimer toute opposition, fût-elle la plus justifiée, à son autorité.
Il faut lire les belles pages d’Anatole France, dans « Les Dieux ont soif », pour saisir toute la nocivité de cette autorité sans aucun contrôle : des hommes profitant de leur situation pour s’enrichir, se venger, contraindre les femmes à les subir, etc., etc…
Chaque fois qu’un pays embarrassé s’est laissé imposer une dictature, il s’en est repenti amèrement.
La révolution française de 89-93 a fait aussi cette expérience. Un Robespierre, rêvant d’instaurer sa dictature personnelle, a fait couper sans pitié les têtes de tous ses adversaires. Il ne guillotinait pas que les hommes, mais aussi la révolution. Les meilleurs éléments révolutionnaires abattus, le peuple dégoûté et terrorisé, la réaction n’eut plus grande besogne à accomplir pour revenir au pouvoir : le dictateur lui avait préparé la voie.
Qu’on jette un coup d’œil dans l’histoire, et l’on s’apercevra de cette vérité indiscutable : quand un pays en révolution tourne ses yeux du côté d’un ou de quelques dictateurs, la révolution peut être considérée comme ayant vécu et la réaction revient vite.
Le titre de dictateur n’est qu’un euphémisme pour tromper les peuples. En fait, un dictateur est un monarque absolu, tyrannique, régnant par la terreur, irresponsable, échappant à tout contrôle, écrasant toute critique.
Un peuple dont la servilité peut lui faire accepter le gouvernement des dictateurs, est mûr pour un régime d’autorité absolue, et ne tarde pas à retomber dans l’esclavage.
Le langage populaire, qui est souvent l’expression du bon sens, ne s’y est point trompé. Dictateur est un mot presque toujours jeté comme une insulte. Il est l’équivalent d’individu autoritaire, brutal, tyrannique, tracassier, se mettant au-dessus de tout et de tout le monde.
Comme les États, les groupements ont souvent leur personnage voulant jouer le rôle de dictateur, désireux de gouverner sans rendre de compte à personne, finissant par confondre leur individu et l’organisation, et par faire passer pour des attaques à l’organisation toute critique de leurs faits, gestes ou paroles. Généralement, lorsqu’un groupement quelconque tombe dans cette mentalité, les adhérents finissent par se désintéresser de tout ; le groupement n’est plus qu’une chose personnelle et finit fatalement par disparaître. — Georges Bastien.
DICTATURE. n. f. Mot indiquant les fonctions des dictateurs. Par extension, on l’applique à un régime gouvernemental dans lequel le pouvoir est despotiquement exercé par un homme ou un groupe d’hommes.
D’après son origine, le mot dictature ne devrait s’appliquer qu’à une autorité absolue exercée seulement pendant une période limitée et à l’occasion de circonstances exceptionnelles.
En fait, la dictature ressemble à toutes les autres formes d’autorité absolue. Ce qui la distingue le plus essentiellement, c’est qu’elle surgit dans une période d’agitation et qu’elle emploie, pour s’imposer, des procédés de terreur.
Dans une période révolutionnaire, au milieu d’un peuple insurgé, il serait difficile à une autorité normale de fonctionner. Protée sachant s’adapter merveilleusement aux conditions du moment, l’autorité prend alors figure révolutionnaire. Sous le couvert de la dictature, établie soi-disant pour vaincre l’ennemi de l’extérieur et celui de l’intérieur, les institutions autoritaires, policières, militaires, judiciaires, administratives, se réorganisent.
C’est au nom de la révolution qu’elles prétendent agir. Mais au fond, c’est la même organisation de domination que sous l’ancien régime qui se reconstitue.
Un peuple a renversé ses tyrans. Mais par la terreur dictatoriale, les exécutions sommaires, le hideux mouchardage, la peur semée partout, par le fer et par le sang, l’autorité reconquiert son domaine et s’affermit à nouveau. Une fois que le terrorisme dictatorial a supprimé toute action et toute idée vraiment révolutionnaires, les institutions de domination et d’exploitation redevenues maîtresses de la situation, s’épanouissent à nouveau au grand jour.
C’est l’histoire de toutes les dictatures se renouvelant éternellement et ne variant que dans les détails.
Lorsque les maîtres de la société sentent que leur situation devient mauvaise, que le mécontentement grandit, que la révolte est près d’éclater, ils n’hésitent généralement pas. Ils font fi alors de leur propre légalité et établissent un régime dictatorial, c’est-à-dire un système de terreur.
Dictature et terreur sont deux mots exprimant le même régime.
Il est hors de toute discussion sérieuse que le régime dictatorial, quel qu’il soit, ne peut que river davantage les chaînes de l’esclavage. Interdire toute liberté de réunion, de presse, d’association, de propagande on d’organisation, ne peut avoir qu’un but et un résultat : livrer le peuple aux appétits des maîtres du moment.
Les bourgeoisies capitalistes du monde entier ont aujourd’hui, à peu près toutes, les yeux tournés vers la dictature. Quoique encore bien ignorants, les peuples aujourd’hui, surtout dans les pays capitalistes, ont le sentiment très net de l’injustice sociale dont ils sont les victimes, et de la non-légitimité des privilèges des gouvernants et possédants. Le mouvement d’avant-garde a grandi dans tous les pays. D’autre part, la grande guerre mondiale a perturbé toute l’économie sociale. Des mouvements populaires ont eu lieu : en Russie, Allemagne, Hongrie, Italie. Ailleurs des grèves. Le monde bourgeois, sentant que la base normale du régime : l’acceptation de la société par les déshérités, est minée, tend partout à organiser la terreur pour maintenir les prolétariats dans l’obéissance.
C’est, en Italie, le féroce régime du bandit Mussolini, en Espagne celui de Primo de Rivera. En Roumanie, Pologne, Bulgarie, Grèce, dictatures aussi sanglantes. Dans les autres nations réputées démocratiques, le pouvoir glisse peu à peu vers un régime dictatorial. Naturellement, partout, la situation politique, économique ou financière est prise comme prétexte. Les dictateurs se présentent toujours comme des sauveurs.
En Russie, la dictature a pris une autre figure, celle dite du prolétariat. Mais c’est absolument la même chose, la question de terminologie mise à part. Par une duperie jésuitique, on l’a dénommée dictature du prolétariat. Comme s’il était possible à des millions d’humains d’exercer le pouvoir. La dictature du prolétariat est un mensonge au même titre que la souveraineté du peuple, dans le régime parlementaire. Le prolétaire de Russie y joue le même rôle que l’électeur en France, Angleterre, ou ailleurs. On exerce le pouvoir en son nom, contre lui, en lui supprimant toute liberté, en le terrorisant systématiquement. Mensonge des formules politiques !
En réalité, cette dictature du prolétariat consiste dans un état politique où le pouvoir est despotiquement exercé par un petit groupe d’hommes, de dictateurs, qui se sont arrogé le droit, par la ruse et la violence, de diriger toute une nation, et n’hésitent pas à faire supprimer tous ceux qui sont ou pourraient devenir une menace pour leur pouvoir.
On a dit, pour la justifier, presque pour l’excuse, que la dictature était une nécessité, mais qu’elle n’était que provisoire. Or, ce « provisoire » dure toujours. Ceux qui détiennent le pouvoir et s’en servent pour leur profit et ambition personnels, n’ont garde de le lâcher. Au contraire, ils s’y cramponnent, et comme toute latitude leur est laissée d’exterminer leurs concurrents ou adversaires, ils n’ont garde de les laisser se développer.
Comme tout organisme, la dictature tend à se perpétuer et à se fortifier. Elle ne disparaît jamais d’elle-même. Un retour plus ou moins long à l’ancien régime ou une autre révolution peuvent seuls terminer l’ère des dictatures.
En réalité, comme l’expérience nous le démontre, la dictature, régime de transition, est surtout une transition entre l’époque révolutionnaire qui a culbuté les institutions autoritaires et la réinstauration de ces mêmes institutions, plus ou moins camouflées.
Dès lors qu’une dictature peut s’implanter et grandir, c’est que l’esprit révolutionnaire est en décadence, c’est que la révolution est finie.
Il suffit de comparer ces deux régimes dictatoriaux : celui de Russie et celui d’Italie pour être frappé de leur ressemblance, de leur similitude.
De part et d’autre, un pouvoir usurpé par la violence, un pouvoir ne se soutenant que par la terreur. Mêmes procédés gouvernementaux, même mépris des masses populaires. Les élections, dans les deux pays, ne sont qu’une farce destinée à donner le change aux aspirations démocratiques. En réalité, les élus, les représentants du peuple sont désignés par la dictature.
En Italie comme en Russie, interdiction complète de la liberté d’opinion : la presse muselée, le droit de réunion supprimé, la liberté d’association anéantie. Dans les deux pays, répression féroce contre les adversaires du régime.
Grâce à la dictature mussolinienne, le capitalisme pille impunément la classe ouvrière italienne. Grâce à la dictature bolcheviste, le capitalisme reprend pied en Russie, et peu à peu la domine.
La révolution russe ayant été plus profonde et vigoureuse que l’occupation des usines en Italie, on met un peu plus de temps à refouler l’esprit révolutionnaire et rétablir le règne de la ploutocratie. C’est la seule différence. Et puis, en Russie, le retour pur et simple au capitalisme se complique de questions épineuses : création d’une nouvelle bourgeoisie au détriment de l’ancienne, légitimation des nouveaux maîtres, anciennes dettes tsaristes, etc… A peu près ce qui s’est passé en France, après 1789. Les expropriés ne pardonnent pas aux usurpateurs, et il faut un certain temps à ces deux catégories pour s’entendre… sur le dos du public.
Bref, en tous pays et à toute époque, la dictature n’a été qu’un régime d’autorité comme les autres, se distinguant seulement par plus de brutalité et de violence. Elle est le procédé utilisé par les classes régnantes pour refouler les peuples dans la soumission, lorsque les peuples veulent s’émanciper.
Tant qu’une dictature sera possible, c’est que le peuple ne sera pas mûr pour la liberté ; c’est que la lâcheté et la peur seront encore les déterminantes de l’esprit social.
C’est pourquoi les anarchistes combattent toutes les dictatures, quelles qu’elles soient, et font tous leurs efforts pour détruire l’idée d’autorité dans les cerveaux. — Georges Bastien.
DIEU. n. m. La nature de Dieu et ses rapports avec le monde furent et sont conçus de diverses manières par les différents systèmes philosophiques et religieux. Le concept de Dieu comme Être suprême est commun à presque toutes les religions et à presque tous ces systèmes ; mais cet Être peut être conçu comme créateur du monde (créationnisme) ou comme l’ordonnateur de la matière, existante ab œterno comme lui, et qui, pour ordonner, se sert d’un intermédiaire (demiurgo). Il peut être conçu comme inhérent au monde avec la substance duquel il est indissolublement identifié (panthéisme) ou comme en dehors de l’univers, duquel il est substantiellement distinct ; on peut lui nier toute action sur le monde et sur l’homme (déisme épicurien) et on peut en faire une entité personnelle, intelligente, qui intervient incessamment dans les événements naturels et humains (providence) ; on peut croire en une divinité seule et unique (monothéisme) ou bien en une unique divinité en trois personnes, comme dans le mystère catholique de la Trinité, ou en deux divinités, l’une représentant le principe du bien, l’autre le principe du mal (dualisme, manichéisme) ou en plusieurs divinités pourvues d’attributs divers et disposées hiérarchiquement (polythéisme) ; on peut croire que son existence n’a pas besoin d’être prouvée en tant que le dessein de Dieu est créé avec la nature intelligente, de sorte qu’elle est le fondement de toute autre connaissance (ontologisme), ou on peut estimer le cerveau humain incapable de démontrer cette vérité, qu’il doit recevoir de la révélation (révélationnisme) et de la tradition qui la transmet (traditionalisme) ; ou on peut, au contraire, en démontrer l’existence avec des arguments a priori (ontologiques, idéologiques, moraux) ou avec des arguments a posteriori (métapsychiques, théologiques, cosmologiques).
Il est intéressant d’examiner comment Dieu fut conçu par les principaux philosophes. Pour Platon, c’est l’idée du Bien, l’idée la plus élevée, à laquelle toutes les autres sont subordonnées comme moyen et, partant, la cause finale de tout ce qui peut arriver. Pour Aristote, c’est le premier moteur immobile, qui met en mouvement chaque chose non par impulsion mécanique mais par l’irrésistible attraction de sa beauté ; c’est une activité qui réside purement en elle-même, ou bien la pensée pure, qui ne demande rien d’autre comme objet, mais qui possède un contenu toujours égal : donc la pensée de la pensée. Aristote jette les bases du monothéisme spiritualiste ; puisque Dieu est mis comme Être auto conscient, distinct du monde et comme l’élément immatériel. Pour les stoïques, il est la force originelle universelle, dans laquelle sont contenues et la causalité et la finalité de tout ce qui existe et de tout ce qui peut advenir ; comme force productive et formatrice, Dieu c’est la raison séminale, le principe de la vie, qui se déroule dans la multiplicité des phénomènes et, dans cette fonction organique, Dieu est aussi la raison qui crée et guide vers un but déterminé. De là, face à tous les processus particuliers, il est la providence souveraine. Dans le néo-platonisme il est l’Être primitif absolument transcendant, l’unité parfaite, supérieure aussi à l’esprit, infini, incompréhensible, inexprimable. Pour saint Augustin, il est l’unité absolue, la vérité qui embrasse tout, l’Être suprême, la suprême beauté, le bien suprême. Pour Scoto Trigena, c’est l’essence substantielle de toutes les choses en tant qu’il possède en lui-même les vraies conditions de l’Être. Pour Nicola Cusano, c’est l’unité de tous les opposés, l’absolue réalité, en qui les possibilités sont réalisées comme telles, pendant que chacun des nombreux finis est seulement possible en soi, et réel seulement pour lui. Dans chacune de ses manifestations, le Deus implicitus unique est aussi le Deus explicitus diffusé dans la multiplicité, le fini et l’infini, le maximum et le minimum. Pour Böhme, c’est le premier principe et la cause du monde lequel n’est que l’essence de Dieu même faite créature ; pareillement pour Giordano Bruno, Dieu est la cause formelle, efficiente et finale de l’univers, l’artiste qui agit sans intervention et qui transforme son intérieur en vie vigoureuse. Pour Descartes c’est « l’ens perfectissimum », l’être infini que l’esprit humain comprend avec une certitude intuitive dans son propre être imparfait et fini. Pour Spinoza, c’est l’essence universelle des choses finies, « l’ens realissimum » possédant une infinité d’attributs, mais qui n’existe que dans les choses comme leur essence générale, et dans lequel toutes les choses existent, comme manières de sa réalité. Pour Malebranche, Dieu c’est le lien des esprits, comme l’espace est le lien des corps ; toute connaissance humaine est une participation à la raison infinie, toutes les idées des choses finies ne sont que déterminations de l’idée de Dieu, tous les désirs tournés à l’individuel ne sont que participations à l’amour de Dieu comme principe de l’être et de la vie. Pour Leibnitz c’est la monade centrale, la monade suprême dans la série ininterrompue qui va des plus simples jusqu’aux esprits et qui, pour cela, représente l’univers en toute la clarté et la distinction. Pour Fichte c’est le Moi universel, absolument libre, l’ordre moral du monde. Pour Schleiermacher, c’est l’identité de la pensée avec l’être ; et qui, comme tel, ne peut être objet ni de la raison théorique, ni de la raison pratique, mais qui, cependant, constitue le but absolu de la pensée. Pour Schelling, c’est la raison absolue ou l’indifférence de nature ou d’esprit, d’objet et de sujet, parce que le principe plus haut ne peut être déterminé ni réellement ni idéalement, et en lui doivent disparaître tous les contrastes. Pour Hegel, c’est l’esprit absolu, l’idée dont les déterminations constituent le développement du monde. — C. Berneri.
Bibliographie. — S. Reinach, Der Ursprung des Gottesidee, 1912. Allen, Grant, The evolution of the idea of God, 1897. J. Alleux, Les preuves de l’existence de Dieu, « Revue néo-scolastique », mai-août 1907. E. Le Roy, Comment se pose le problème de Dieu, « Revue de métaphysique et de morale », juillet 1907. Schiffacher E., L’Idée de Dieu et l’idée du Cosmos, « Revue de philosophie », juin 1907.
DIFFAMATION. n. f. Action de diffamer, de porter atteinte à la réputation de quelqu’un ; décrier, attaquer une personne, par l’écrit, par la parole ; user d’invectives outrageantes, d’expressions méprisantes, d’injures, ne reposant sur aucune raison, sur aucun fait précis, pour nuire à un individu, à un corps, à une organisation quelconque.
La diffamation est un procédé ignoble, abject, qui est employé par tous ceux qui, défendant une mauvaise cause, et n’ayant rien à reprocher à leurs adversaires, usent du mensonge et de la calomnie pour les discréditer.
La diffamation est une arme terrible, contre laquelle il est parfois difficile à se défendre, car elle est maniée avec dextérité par toute une armée de jésuites malfaisants. Michel Bakounine, le grand révolutionnaire, qui sacrifia toute sa vie à la cause des opprimés, eut toute son existence empoisonnée par les diffamateurs à la remorque de Karl Marx, dont il était le plus énergique adversaire. Rien ne lui fut épargné, et malgré l’action perpétuelle qu’il menait au sein des divers mouvements révolutionnaires de l’Europe entière, Karl Marx, espérant se débarrasser de lui, n’hésita pas à faire courir le bruit que Bakounine était un agent provocateur au service de la police tsariste.
Dans les milieux anarchistes, on ne prend pas de mesures assez vives contre les diffamateurs. Si le mouvement libertaire a périclité, la diffamation n’est pas sans avoir joué un grand rôle dans cette décadence. En effet, de quelque côté que l’on se tourne, le communiste libertaire ne rencontre que des adversaires qui s’acharnent sur lui et cherchent à le détruire.
La bourgeoisie d’abord, qui craint l’action désintéressée des révolutionnaires sincères et logiques, s’est emparée de la diffamation et est arrivée à un résultat appréciable en faisant courir le bruit que les Anarchistes étaient des bandits et des voleurs, qui, pour leur bien-être particulier, et pour satisfaire leur soif de jouissance, se jetaient dans le crime et dans le meurtre. D’autre part, les partis « d’avant-garde », qui se réclament du prolétariat et ont la crainte de l’influence que les Anarchistes peuvent exercer sur les masses, poursuivent leur œuvre de diffamation en déclarant que les Libertaires sont payés par la réaction, alors qu’ils démasquent les politiciens de la sociale qui spéculent sur l’ignorance et la bêtise populaires.
Méfions-nous des diffamateurs, ils sont nombreux et dangereux ; ils pénètrent partout, on les rencontre sur tous les chemins ; accomplissant leur travail de désagrégation, salissant de leur bave l’être indépendant, sincère et dévoué, ils ne méritent que le mépris de l’homme probe, honnête et généreux, et il faut les dénoncer et les combattre avec la dernière énergie.
DIFFUSION. n. f. (du latin diffusio). Action de se répandre, de s’étendre. La diffusion du son ; la diffusion de la lumière.
Au figuré, diffusion est synonyme de propagation. On dit : la diffusion d’une idée, d’un principe, des livres, des richesses, etc., etc…
« De la diffusion des idées anarchistes dépend l’avenir de l’humanité ». De même que l’air, la lumière, les idées sont indispensables à l’homme, car elles sont un facteur d’évolution et lui permettent d’améliorer son sort ; c’est grâce à elles qu’il a su s’élever au-dessus de l’animal et, en certaines occasions, triompher de la brutalité indifférente de la nature.
Pourtant, toutes les idées ne sont pas bonnes, et nous savons que ce sont des idées fausses qui régissent de nos jours les collectivités. Le monde est gouverné en vertu de principes archaïques, desquels il doit se libérer. Or, ce n’est que par la diffusion des idées saines, logiques, raisonnables, que l’humanité et la civilisation arriveront au but qu’elles poursuivent, et les idées anarchistes, véhiculant des principes de libération sociale, doivent être diffusés aux quatre coins du monde, pour permettre aux hommes, d’atteindre au plus haut degré de perfection possible.
La diffusion des idées anarchistes est rude et pénible ; car, pour les semer, il faut s’attaquer à tous les préjugés emmagasinés depuis toujours dans le cerveau d’individus, qui, conservateurs par essence, ont la crainte de toute innovation, même si celle-ci doit leur apporter la quiétude et le bonheur.
Néanmoins, petit à petit, l’œuvre s’accomplit. Ce n’est jamais en vain que l’on ensemence un terrain. La terre est parfois dure à labourer, et longue à produire ; mais un jour vient où l’on est généreusement payé de son labeur. Les idées anarchistes font leur chemin ; elles pénètrent partout et déjà leur influence s’exerce dans toutes les classes de la société. Que chacun se mette à la tâche. C’est aux jeunes de s’atteler à la besogne et de diffuser, à l’usine, à l’atelier, au bureau, au champ, les idées nobles et belles qui nous animent et qui nous sont inspirées par le désir de vivre en paix et heureux, au milieu d’une collectivité fraternelle et libre.
DIGNITÉ. n. f. (du latin dignitas). La dignité est le respect de la personnalité d’autrui et de soi-même ; elle se manifeste par la réserve, la mesure que l’on observe en toute occasion, et surtout dans les rapports que l’on entretient avec ses semblables.
On se demande pourquoi le mot « dignité » sert aussi à désigner les fonctions honorifiques de certains individus, car un homme qui a de la dignité, est un homme valeureux, posé, utile, sociable, alors que ceux qui sont élevés en dignité, sont le plus souvent des êtres nuisibles. Ne jugeons jamais un homme d’après les apparences, car trop fréquemment, « nous jugeons d’un homme élevé en dignité, non selon sa valeur, mais à la mode des jetons, selon la prérogative de son rang » (Montaigne).
Il faut, pour conserver sa dignité, être pondéré en toute chose. Un ivrogne perd sa dignité, et ne peut exercer aucune autorité ou influence morale sur son entourage. L’homme violent, querelleur, batailleur, est également incapable de conserver sa dignité, en un mot, on peut dire que l’habitude de certains vices est incompatible avec la dignité.
Dans la lutte sociale et dans les conflits qui éclatent périodiquement entre employeurs et employés, exploiteurs et exploités, ces derniers ne doivent jamais manquer de dignité et, sans faire montre d’arrogance, ils doivent se considérer comme les égaux de ceux qui vivent de leur travail en les exploitant et se refusent à leur accorder le salaire indispensable à la vie. Le travail est une source de dignité et, par conséquent, il n’y a pas lieu de se croire inférieur parce qu’on travaille : bien au contraire. C’est l’oisiveté qui est indigne, et l’homme qui s’y livre ne mérite pas le respect de ses semblables.
DIGRESSION. n. f. (du latin digressio). La digression est la partie d’un discours ou d’un ouvrage qui s’écarte du sujet et occupe l’auditeur ou le lecteur par une question ou un objet étrangers au sujet traité. Faire une digression. Tomber dans de perpétuelles digressions.
Lorsqu’elle est traitée de façon convenable, la digression est agréable et utile car elle repose l’auditeur ou le lecteur d’une attention soutenue ; mais il faut rester dans la juste mesure, sans quoi un discours ou un écrit deviendraient diffus et la digression exagérée semble de la divagation.
Ne nous égarons donc jamais dans des digressions, et si nous en usons dans nos discours, dans nos articles, dans nos ouvrages, faisons-le avec méthode, avec art et ne nous servons pas de digressions déplacées, qui, loin d’agrémenter le sujet que l’on traite, fatigue celui qui nous écoute ou qui nous lit, et lui fait perdre le fil de l’exposé qui lui est soumis.
DILEMME. n. m. (du latin dilemma, formé du grec ; dis, deux fois et lambano, je prends).
Le dilemme est un argument qui présente une alternative de deux propositions, de façon à ce que l’on soit nécessairement confondu, quelle que soit la supposition que l’on choisisse.
Empruntons au Larousse un exemple de dilemme. On dit à un soldat qui a laissé passer l’ennemi : « Il faut que tu aies quitté ton poste ou que tu aies volontairement livré le passage. Si tu as quitté ton poste, tu mérites la mort. Si tu as livré le passage, tu mérites encore la mort. Donc, dans tous les cas, tu mérites la mort. »
Protagoras, le sophiste d’Abdère, a laissé un modèle de dilemme dans le procès qu’il intenta à l’un de ses élèves. Le maître avait convenu d’apprendre l’éloquence à son disciple moyennant une certaine somme, payable moitié à l’avance et l’autre moitié à la première cause que l’élève défendrait avec succès. Comme, selon Protagoras, l’élève tardait à plaider, ne trouvant sans doute pas de cause, le maître le cita en justice et se tint ce raisonnement : « Ou la sentence me sera favorable, ou elle me sera tout à fait contraire. Dans le premier cas, mon élève doit me payer ; dans le second, il gagne son procès et, aux termes de notre convention, il est mon débiteur ». Mais le disciple avait profité des enseignements et des leçons de son professeur, et il répondit : « Si les juges me donnent raison, je ne vous dois plus rien ; s’ils la donnent à vous, je perds ma première cause et notre première clause m’absout. »
On prétend que les juges, embarrassés, remirent le prononcé du jugement à cent ans.
Nous voyons, par les deux exemples qui précèdent, que le dilemme nous entraîne dans un cercle vicieux duquel il est impossible de s’échapper. Si le dilemme est une adresse de l’esprit, un argument employé pour réduire une proposition à l’absurde, il n’en est pas moins usé très fréquemment et les individus s’y laissent prendre comme des oiseaux à la glu.
Prenons en exemple les pacifistes guerriers qui spéculent sur les morts et jouent sur la guerre défensive et la guerre offensive. « Vous êtes Anarchistes et, par conséquent, vous défendez des principes de liberté absolue, nous disent-ils. Or, si la France est attaquée, et si les « ennemis » sont victorieux, vous serez, ainsi que toute la population, asservis et courbés sous le joug du vainqueur ; et, si vous prenez les armes, vous serez en contradiction avec vous-mêmes. D’une manière comme d’une autre, vous ne pouvez agir en Anarchistes, et, par conséquent, l’Anarchisme est une doctrine ridicule ». Politiquement, et surtout dans les périodes de bataille électorale, on se plaît à nous enfermer dans un dilemme, et ce sont surtout nos adversaires de gauche qui agissent ainsi. Ils nous disent : « Si vous ne votez pas, vous permettez à la réaction de triompher, car vos voix viendraient grossir le nombre d’élus socialistes et communistes ; mais si vous votez, en vertu même de vos principes, vous vous nommez un « maître », et vous n’êtes pas Anarchistes ; alors ? »…
Alors, et particulièrement dans les réunions contradictoires, il faut faire attention de ne pas se laisser enfermer dans un dilemme, et avoir soin de bien établir le sujet que l’on traite, car, malheureusement, les raisonnements par l’absurde abondent, et le peuple, dans sa naïveté et sa simplicité, ne s’aperçoit pas qu’on se joue de lui, et se laisse prendre par ces arguments illogiques et captieux.
DILETTANTISME. Dilettante est un mot italien qui signifie « amateur » et il fut, à l’origine, appliqué spécialement aux amateurs de musique, et surtout de musique italienne. Le dilettantisme était donc l’amour passionné de la musique italienne, et n’était pas pris en mauvaise part.
De nos jours, le mot dilettantisme a une signification beaucoup plus étendue et sert à marquer le caractère de celui qui s’occupe d’une chose superficiellement, en amateur, sans être profondément attaché à cette chose.
Les dilettantes sont nombreux et pénètrent partout ; il y en a en peinture, en littérature, en musique et aussi en politique ; ces derniers sont les plus dangereux, car on peut les considérer comme les parasites d’un mouvement.
En politique, le dilettante est dangereux ; non pas qu’il soit un mauvais garçon cherchant à nuire à ses compagnons ou à les trahir, mais parce que ses opinions sont à fleur de peau et que, d’ordinaire, il ne veut, en aucun cas, sacrifier sa quiétude et sa tranquillité pour les soutenir et les défendre. En politique — et nous n’employons pas le mot politique au sens péjoratif — il ne faut pas agir en amateur, mais aller jusqu’au bout de ses idées. Quand on participe à un mouvement et plus particulièrement lorsque celui-ci est un mouvement d’avant-garde, il ne s’agit pas de le faire en guise de divertissement et de se dérober quand le moment est venu de prêter son action, de la joindre à celle de ses camarades. Agir ainsi, c’est commettre une indélicatesse vis-à-vis des compagnons qui comptaient sur une force et qui voient celle-ci leur échapper. C’est pour cette raison que le dilettante est dangereux.
Il y a, malheureusement, quantité de gens qui, par inconscience ou indifférence, ne se rendent pas compte de la portée de leurs gestes et de leurs actions, et de la répercussion qu’ils peuvent avoir, et c’est pourquoi on rencontre tant d’individus qui se réclament d’une idée ou d’une autre, par dilettantisme, parce que cela pose ou sonne bien à l’oreille.
Il fut un temps où l’on se disait anarchiste par snobisme, où il était bien porté de faire montre d’une certaine indépendance, et les cercles bourgeois accouchaient d’un nombre incalculable de jeunes Anarchistes : des dilettantes, qui s’évanouirent avec une rapidité vertigineuse lorsqu’il devint dangereux de se réclamer de l’Anarchisme.
Méfions-nous donc des dilettantes, on ne peut compter sur eux. S’il est permis de faire du dilettantisme, en sport, en littérature, etc…, le mouvement social n’est pas un amusement mais une chose sérieuse, qui a besoin d’hommes d’action, réfléchis et sincères, et non pas de dilettantes avides de discussion et à la recherche de gymnastique cérébrale ou de spéculation intellectuelle.
DILETTANTISME. n. m. (du mot italien : dilettante). Le dilettantisme est le goût prononcé pour un art ou un genre d’activité auquel on s’intéresse avec passion, sans toutefois le pratiquer. Le dilettante, par son caractère, s’apparente à l’amateur, mais avec quelque chose de plus intellectuel, élégant et raffiné.
Le mot dilettante ne servait guère à désigner, à l’origine, que les amateurs de musique, mondains et désœuvrés. A présent, par extension, ce qualificatif s’applique à tous les gens qui, dans le domaine de la philosophie, des beaux-arts, de la littérature, ou même de l’action sociale, se comportent de façon analogue.
Il est des dilettantes de la religion, de la charité, de la politique ; voire de la révolution prolétarienne.
L’écrivain Joris Karl Huysmans, qui a laissé une œuvre unique, et fut un des plus remarquables et des plus consciencieux littérateurs de la fin du xixe siècle, fut un dilettante du mysticisme catholique. Plus artiste que philosophe, ayant en horreur la plupart des milieux où se complaisaient ses contemporains, il fut séduit par l’art admirable des cathédrales et des chants liturgiques, la sérénité des cloîtres, jusqu’à se croire touché de la grâce divine et se réfugier, pour un temps, chez les Trappistes. Mais, tout en faisant l’éloge de ces derniers, et déclarant envier la sainteté de leur existence, il ne tarda pas à retourner à ses habitudes. Son héros Durtal — que l’on devine n’être que lui-même — avoue honnêtement que l’agitation de Paris ne lui paraît point, en fin de compte, sans saveur, et qu’il est trop attaché à l’indépendance de sa plume et à la fumée des cigarettes, pour se contraindre définitivement à la vie monastique. Il passe sous silence l’attrait des jolies filles, mais on croit comprendre que cette omission n’est pas le fait du dédain.
Lors de la période héroïque de l’anarchisme, de 1890 à 1894, la série des attentats perpétrés par des hommes d’une audace extraordinaire, agissant seuls, et revendiquant hautement devant les juges leurs responsabilités, eut le don d’enthousiasmer nombre de poètes, plus épris de la noble attitude des terroristes que de leurs objectifs de transformation sociale, et qui exaltèrent l’insurrection, moins par amour de la classe ouvrière que par haine des laideurs bourgeoises.
Leur état d’esprit se retrouve et se résume en cette phrase de Laurent Tailhade — qui, pourtant, paya parfois de sa personne — « Qu’importe la mort des vagues humanités, si le geste est beau ! ».
Mais la Révolution grandiose sur laquelle on comptait ne se produisit point. Et quand les esthètes se trouvèrent en présence de l’œuvre patiente des Bourses du Travail, et des magasins d’épicerie de la Coopération, parmi la triste foule des exploités, ils s’en allèrent un à un, ils reprirent goût aux forêts ombreuses et aux belles étoffes.
Il en est de même pour beaucoup d’admirateurs du métier des armes, qui se sentent très sincèrement l’âme valeureuse, et seraient prêts à donner leur vie, lorsqu’ils contemplent des régiments à la parade, marchant musique en tête et tous étendards déployés, mais ne tiendraient pas quinze jours dans une caserne, sans être découragés par l’ennui morne que l’on y respire, par les relents de pieds douteux, de rogatons et de vieux cuir que l’on y flaire en permanence.
Le dilettante n’est pas à confondre avec le snob. Ce dernier n’a d’autre aspiration que de suivre la mode et de paraître ainsi à la page, même lorsqu’en secret il l’apprécie peu. Le dilettante, au contraire, ne dédaigne point le paradoxe, et ce à quoi il s’attache il l’aime vraiment, quoique d’une façon un peu trop légère et superficielle.
On dit souvent que des gens ont les défauts de leurs qualités. La réciproque est vraie. On peut dire que le dilettantisme a les qualités de ses défauts. S’il ne compte à son actif ni la puissance de travail, ni la vocation du sacrifice, ni même l’énergie qui permet un effort régulier, il a pour lui fréquemment trois mérites non négligeables : la franchise poussée jusqu’au cynisme ; la modestie portée jusqu’au dénigrement de soi ; et le désintéressement tout court. Un nombre impressionnant d’hommes d’action ne seraient même pas, en effet, des dilettantes du but qu’ils poursuivent, s’ils n’étaient poussés dans la voie qu’ils ont adoptée par ces deux grands facteurs d’énergie : l’orgueil et l’intérêt.
Ce n’est ni dans l’hypocrisie, ni dans la vénalité, qu’il faut chercher l’origine du dilettantisme, mais bien plutôt dans l’indolence contemplative, résultat fréquent de l’aisance assurée, et dans cette indécision, ce scepticisme briseur de vaillance qui, avec un tempérament d’artiste, prompt à l’emballement, mais rebelle aux tâches prolongées et rebutantes, est souvent l’apanage des intellectuels.
Pour faire œuvre sociale, au mépris de sa vie et de sa liberté, il faut une foi ardente. Il n’est pas très surprenant que puissent se trouver, jusque dans les milieux révolutionnaires, de simples sympathisants qui, tout en approuvant la révolte des miséreux et la philosophie dont elle se réclame, conservent néanmoins trop de doutes sur les résultats immédiats que l’on en peut attendre pour être capables d’autre chose que d’une contribution d’amitié à la tâche commune.
Les dilettantes non douteux n’aiment guère que l’on use de ce terme à leur adresse, parce qu’il comporte toujours quelque dédain. Ceux qui se font gloire d’être des dilettantes ne le sont le plus souvent qu’en apparence. La philanthropie bourgeoise et le cabotinage politique ont si fréquemment pincé de la guitare humanitaire pour des entreprises qui n’avaient rien le généreux ; tant de pédants insupportables se sont ridiculisés avec d’excessives prétentions, que des méticuleux, impatientés, en arrivent à éprouver quelque pudeur à emprunter leur langage.
Zo d’Axa, qui fut l’animateur du premier journal « L’Endehors », en 1892, et l’un des plus verveux pamphlétaires de l’époque héroïque, se définissait lui-même : « Celui que rien n’enrôle et qu’une impulsive nature guide seule… » Il déclarait mépriser toute étiquette, même celle d’anarchiste, et se préoccuper assez peu du plan qu’adopterait la société future. Il prétendait ne batailler que pour la joie d’exprimer librement ses aspirations et ses rancœurs. Au cours d’un article, il évoqua ce que pourraient être ses derniers instants si, condamné à mort, il était conduit à l’aube devant la guillotine. Et il concluait, en annonçant qu’il s’abstiendrait de crier : Vive… quoi que ce fût. Il se contenterait de savourer la dernière bouffée de sa cigarette !
Mais Zo d’Axa subit avec bonne humeur et courage l’emprisonnement et les persécutions. Et lorsque, ayant écrit tout ce qu’il avait à faire connaître, il se retira, prématurément peut-être, de la lutte sociale, c’est qu’il préférait briser sa plume plutôt que de la faire servir à une médiocre prose, ou de la vendre pour trente deniers. — Jean Marestan.
DÎME. n. f. (du latin decima, dixième partie d’une chose). La dîme était, avant 89, la partie des récoltes que les paysans étaient obligés de céder à l’église ou aux seigneurs, et cette redevance s’élevait approximativement à la dixième partie de la terre imposée. Elle fut abolie par la grande révolution française, ou tout au moins elle changea de nom et de forme, car, si, de nos jours, l’impôt se perçoit sous une apparence moins brutale, ce dernier est une dîme qui est prélevée directement ou indirectement par le capital sur le producteur.
La dîme se divisait en plusieurs catégories ; il y avait d’abord la dîme ecclésiastique, qui fut, à son origine, volontaire, mais fut rendue obligatoire par l’empereur Charlemagne, en 794, pour n’être supprimée qu’en 1789. La dîme seigneuriale était celle prélevée au profit de la noblesse, et la dîme royale, allait remplir les coffres du monarque. Ces diverses sortes de dîmes se subdivisaient à leur tour en dîmes réelles, personnelles et mixtes.
Les dîmes réelles, les plus importantes, étaient celles perçues sur les produits comme le blé, le vin, le bois, les légumes, etc…, les dîmes personnelles étaient prélevées sur le travail, l’industrie, le négoce, la chasse, la pêche, et les dîmes mixtes étaient celles qui provenaient en partie de l’industrie et en partie de la terre.
En un mot, la dîme était la contribution obligatoire du peuple à qui l’on imposait toutes les charges de l’État, et l’entretien de toute l’armée de parasites composée par les gens d’église ou de « noblesse ».
On conçoit que la perception de la dîme ne s’effectuait pas sans soulever la protestation du peuple, dont les champs étaient fréquemment ravagés par les guerres, et qui, la plupart du temps, n’arrivait pas à produire suffisamment pour ses propres besoins. Mais, l’église qui, à travers l’histoire, n’a jamais eu d’autre but que d’assurer aux puissants et aux riches le bien-être et les jouissances, usait de son autorité et de son influence pour soumettre le pauvre paysan pressuré ; c’est ainsi, par exemple, que le concile de Chalons ordonna que « tous ceux qui, après de fréquentes admonitions et prières, auraient négligé de donner la dîme au prêtre, seraient excommuniés ». En une époque, où l’ignorance était profonde dans le peuple, on comprend de suite ce que représentait cette menace. L’église n’alla-t-elle pas jusqu’à stipuler que la dîme était un droit divin ; et y a-t-il vraiment lieu de s’étonner lorsque l’on sait qu’aussi loin que nous puissions plonger dans le passé, Dieu ne fut qu’un moyen employé par les maîtres pour asservir les esclaves.
Voltaire, dans une de ses études sur la dîme, nous conte cette aventure, puisée dans le Talmud de Babylone : « Une veuve n’avait qu’une brebis ; elle voulut la tondre ; Aaron vient, qui prend la laine pour lui ; elle m’appartient, dit-il, selon la loi : Tu donneras les prémices de la laine à Dieu. La veuve implore la protection de Coré. Coré va trouver Aaron. Ses prières sont inutiles ; Aaron répond que par la loi, la laine est à lui. Coré donne quelque argent à la femme, et s’en retourne plein d’indignation. Quelque temps après, la brebis fait un agneau ; Aaron vient et s’empare de l’agneau. La veuve vient encore pleurer auprès de Coré, qui veut en vain fléchir Aaron. Le grand prêtre lui répond : « Il est écrit dans la loi : Tout mâle premier né de ton troupeau appartiendra à ton Dieu. » Il mangea l’agneau et Coré s’en alla en fureur. La veuve, au désespoir, tue sa brebis. Aaron arrive encore ; il en prend l’épaule et le ventre ; Coré veut encore se plaindre. Aaron lui répond : « Il est écrit : Tu donneras l’épaule et le ventre aux prêtres. » La veuve, ne pouvant plus contenir sa douleur, dit anathème à sa brebis. Aaron, alors, dit à la veuve : « Il est écrit : Tout ce qui sera anathème dans Israël sera à toi. » Et il emporta la brebis tout entière. Et Voltaire de conclure : « Ce qui n’est pas si plaisant, mais fort singulier, c’est que, dans un procès entre le clergé de Reims et les bourgeois, cet exemple, tiré du Talmud, fut cité par l’avocat des citoyens. Gaulmin assure qu’il en fut témoin. Cependant, on peut leur répondre que les décimateurs ne prennent pas tout au peuple ; Les commis des fermes ne le souffriraient pas. Chacun partage, rois et prêtres, le bien du pauvre peuple, auquel il ne reste rien. » (Voltaire)
Cependant, malgré sa puissance, I’Église ne fut pas toujours capable d’arrêter l’élan de colère du peuple, tyrannisé, torturé, volé, brutalisé, par la noblesse de robe ou d’épée, soutenue dans toutes ses actions par le clergé, qui bénéficiait du brigandage et de la terreur qui s’exerçaient sur la population.
« La faim fait sortir le loup du bois » dit un vieux proverbe, et les habitants de la campagne, à certaines époques, acculés à la misère la plus noire, n’eurent d’autres ressources que de sortir de leur passivité et de se révolter contre ceux qui étaient la cause de leurs souffrances.
La Jacquerie, qui eut lieu au xve siècle, fut un de ces formidables mouvements qui éclatèrent en France, en raison des ravages exercés par les seigneurs. Non seulement le peuple était obligé de payer les frais des combats que se livrait la noblesse, mais le plus souvent le campagnard n’avait même pas la possibilité de semer et de récolter. Les hommes d’armes détruisaient tout sur leur passage, et le paysan, que, par dérision, on appelait Jacques Bonhomme, se réfugiait sous la terre avec sa famille, d’où la faim le dénichait, cependant que la noblesse faisait ripaille, après avoir raflé toutes les maigres ressources de la paysannerie.
« Cependant », dit Michelet, la souffrance exalta enfin ces vilains qui se laissaient frapper ; le jour de la vengeance arriva, et les paysans payèrent à leurs seigneurs un arriéré de plusieurs siècles. En 1358, le 28 mai, les habitants de quelques villages des environs de Clermont, en Beauvoisis, s’assemblèrent et firent le serment de détruire tous les nobles de France. Ils prirent pour chef un paysan nommé Guillaume Caillet ou Jacques Bonhomme. Armés seulement de bâtons ferrés, ils forcèrent un château voisin, et massacrèrent le châtelain, sa femme et ses enfants. Ce fût le signal de l’insurrection et des massacres. Tous les paysans prirent leurs couteaux, leurs cognées, leurs socs de charrues, coupèrent des bâtons dans les bois pour en faire des piques, et coururent sus aux nobles, assaillant ces châteaux devant lesquels ils avaient si longtemps tremblé, les emportant d’assaut, tuant tout ce qu’ils y trouvaient, et y mettant le feu. En peu de jours, l’insurrection se répandit dans tous les sens comme l’incendie qui court sur une campagne couverte d’herbes sèches. Nulle part, les nobles n’essayaient de se défendre. » (Michelet)
Il serait inexact de prétendre que la dîme, l’impôt, le prélèvement effectué par le riche sur le pauvre, fut la cause unique de la Jacquerie ; l’arrogance, le mépris du noble pour le manant joua également un rôle dans la révolte paysanne du xve siècle, mais il est certain que c’est surtout la misère qui détermina le paysan à s’insurger, et que cette misère était consécutive à la grosse part que le prêtre et le seigneur exigeaient du paysan.
Même la « Fronde » qui, de 1643 à 1653, divisa la France en deux camps, et qui ne fut, à l’origine, qu’un complot organisé par une certaine partie de la noblesse contre le cardinal Mazarin, ne rencontra la sympathie populaire que grâce au mécontentement soulevé par les nouveaux impôts rendus nécessaires par les nombreuses guerres présentes et passées.
Lorsque l’on analyse les divers mouvements de révolte populaire, on remarque qu’à la base de tous ces mouvements, il y a la misère, et que peu d’insurrections ou de révolutions ont été provoquées par des causes purement morales. Il est vrai que tout s’enchaîne et que la misère du peuple entraîne les gouvernements à user d’autorité, par crainte de soulèvement, et qu’en conséquence, lorsqu’elle n’est pas un facteur de révolte, elle est une source de bassesse et d’esclavage.
On peut donc dire, sans craindre de se tromper, que toute révolution, quelles qu’en soient les apparences, ont pour cause directe l’état misérable de la population, et que cet état est déterminé par la dîme, ou si nous aimons mieux, l’impôt direct ou indirect, que prélevait hier le seigneur, et que prélève aujourd’hui le gouvernement, ce qui est sensiblement pareil.
Nous avons vu que, si la grande révolution française a rencontré l’accueil pressant de la paysannerie et du peuple, c’est qu’ils étaient courbés sous le poids des, impôts et que leur dénuement était terrible. Plus près de nous, la Révolution russe, est un autre exemple, celles d’Italie et d’Allemagne peuvent également nous servir d’enseignement.
Nous disons plus haut que la dîme et l’impôt sont deux choses identiques ; et, en effet, si la dîme était une redevance qui se payait en nature, sa suppression tient surtout à ce que les formes actuelles de société ne permettent pas de tels procédés, et que l’impôt payé en monnaie facilite le travail administratif de l’État. Mais, en réalité, le résultat est le même, et c’est en vain, si nous prenons la France en exemple, que nous chercherions un produit sur lequel l’État, le Gouvernement ne prélèvent pas une certaine partie de sa valeur. Toutes les marchandises, quelles que soient leur nécessité ou leur utilité, sont imposées. Il fut un temps, où la Gabelle, ce fameux impôt sur le sel, souleva la protestation et l’indignation du populaire. Aujourd’hui, le blé, le sucre, le sel, la viande, le café, tous les produits enfin, sont soumis à une certaine taxe qui varie selon les besoins de l’État, et il coule de source que si ces taxes sont payées directement par le commerçant, ce dernier ne manque jamais, en augmentant le prix de sa marchandise, de se faire rembourser par le consommateur. C’est donc le consommateur qui paye la dîme.
On trouvera plus loin, au mot « Impôt », les diverses formes de contributions auxquelles sont soumises les populations modernes, et nous verrons que nous n’avons rien à envier à nos ancêtres ; que nous sommes, comme eux, écorchés par de nouveaux seigneurs, qui, s’ils ont changé de noms, n’en sont pas moins rapaces, et entendent continuer à vivre sur le dos du commun.
Le peuple a payé la dîme, il s’en est libéré par la Révolution ; il paye l’impôt, il ne s’en libérera que par la Révolution. Encore faut-il que cette révolution soit complète ; car, inachevée, elle donnera naissance à de nouvelles erreurs, et changera le nom des choses sans en changer le fond. Or, c’est au fond qu’il faut s’attaquer, c’est lui qu’il faut détruire si nous voulons voir disparaître ce qui fit et fait encore le malheur de l’humanité.