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Encyclopédie anarchiste/Holocauste - Hypothèque

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Collectif
Texte établi par Sébastien Faure, sous la direction de, La Librairie internationale (tome 2p. 913-924).


HOLOCAUSTE n. m. (du grec holocaustos, brûlé tout entier). Offrande que les anciens (et surtout les Juifs) faisaient à leur Dieu, dans laquelle la victime choisie était entièrement consumée par le feu. Selon la Bible, Abraham se vit demander par l’Éternel l’offrande de son fils unique Isaac. Pour prouver à son Dieu sa fidélité et son obéissance, il prépara un bûcher et se disposait à brûler son fils quand l’Éternel fit grâce. Il faut, bien entendu, faire toutes réserves sur l’authenticité de cette fable, mais il n’en est pas moins significatif de constater que même les adorateurs du Dieu juste et bon l’imaginent assez cruel pour torturer moralement un père en lui demandant la vie de son fils unique. Chez les Gaulois de l’Armorique, on offrait chaque année en offrande à Teutatès, une vierge de l’Île de Sein qui était brûlée vive sur un bûcher dans la forêt de Karnak après que les Druides l’avaient chargée de commissions diverses pour les morts qu’elle allait retrouver. La religion brahmanique faisait une obligation à la veuve de s’offrir en holocauste sur le même bûcher qui consumait le cadavre du mari défunt. Diverses peuplades sauvages avaient la coutume d’offrir en holocauste les ennemis faits prisonniers.

Au sens figuré, le mot holocauste signifie offrande, sacrifice.

C’est ainsi que l’on dit couramment que le meilleur de la jeunesse fut, de 1914 à 1918, offerte en holocauste pour le plus grand profit des financiers et des industriels internationaux.


HOMME n. m. (du latin homo). L’homme est « un mammifère bimane, à station verticale, doué d’intelligence et de langage articulé » (Larousse). Nous pourrons dire de lui, parodiant Pascal, qu’il a les entrevisions de « l’ange » et les quotidiennetés de la « bête » et que ses évasions idéales ont plus fardé la brute que réalisé l’homme…

Partie de l’idée ancienne d’évolution vers la mutabilité et la sériation des êtres, à travers la parenté idéale de Linné, la voie scientifique de la parenté réelle fut servie par les observations de Descartes sur les conditions extérieures et de Buffon sur les milieux. Et les études sur l’essence et les prémices de l’homme devaient en être influencés. Le transformisme (ébranlé par Lamarck, repris et mis au point par Darwin, vulgarisé et amplifié par Haeckel, Huxley, Giard, Kropotkine, etc.) a émis, sur l’origine et la filiation des espèces — et l’espèce humaine notamment — des théories qui ont bouleversé les données de la science et les échafaudages de la théologie. Il a aussi porté un coup terrible à la position royale de l’homme, dans cet univers où il conservait la prétention de monopoliser l’intelligence. Si l’homme se rattache à un type primitif, s’il a sa souche en quelque espèce de transition, si les éléments de sa structure et de ses facultés sont en germe dans l’ascendance, s’il n’est que l’échelon supérieur des séries animales, un des chaînons provisoires d’une vitalité infiniment diversifiée, tombent à la fois et l’orgueil de tenir un rang à part dans la nature et le pavois où l’avaient dressé la Genèse, à mi-chemin de la matière et du divin, et les transcriptions révélées de la Bible ne sont plus qu’une pauvre invention romanesque. Mais s’éclaire sur les ruines de la « création » mystique — d’une lumière précieuse les origines et le processus de la vie et l’interdépendance généalogique des êtres animés. Des hauteurs du « règne homme » au stade modeste de « primate », quelle chute pour ce raccourci céleste « qui se souvient des cieux » et dont la côte généreuse a engendré la femme !…

De l’embryon amorphe au complexe agrégat humain, du protoplasme initial à notre merveilleuse architecture cellulaire, quelle formidable et saisissante évolution cependant, et quel champ ouvert à nos curiosités, à notre admiration. Et quelle joie, quitte à oublier Dieu, de connaître un peu l’homme !

Aux ouvrages scientifiques spéciaux et documentés nous renvoyons tous ceux qu’attire ce passionnant problème. Quel que soit notre désir, et si tentant soit le sujet, nous laisserons de côté — au moins en tant qu’étude générale — anatomie humaine (descriptive et comparée), physiologie, biologie, anthropologie, ethnologie, ethnographie, etc. Nous frôlerons à peine ici l’homme préhistorique dont les traces fossiles apparaissent dans les formations tertiaires. Nous citerons, sans plus, l’homme quaternaire, voisin continental du renne, du mammouth, de l’ours des cavernes, du rhinocéros de Merck, etc., assez éveillé déjà pour manier, informes, l’arme et l’outil, animent des rudiments de civilisation. Nous côtoierons, avec le néolithique, les contemporains de la pierre polie, assez méthodiques et réfléchis pour substituer l’élevage prévoyant aux chasses précaires, assez industrieux pour dégrossir et aiguiser le minéral. Nous traverserons l’âge de bronze, du fer, antichambres de la période historique… Des documents grecs nous transportent cette fois vers 776 avant notre ère. Des « archives » hébraïques remontent à quarante siècles. Nous atteignons, avec les Chinois, 45 siècles, 50 avec les Égyptiens. Si l’on interroge la tradition, berceau flottant de l’histoire, elle nous entretient de faits qui se seraient passés « il y a 20.000 ans dans l’Inde, 30.000 ans en Égypte, 130.000 en Chine » !…

Ainsi, si nous sommes toujours à l’enfance de l’homme sociable, à l’évocation de l’homme « libre et fraternel », notre humanité témoigne, dans le passé, d’une prodigieuse longévité. Si vaste soit le chemin parcouru par le génie inventif des générations disparues, immense demeure la route ouverte aux réalisations — timides et comme contradictoires — qui tendent à faire de la planète un séjour « harmonieux et sain ». Et des siècles précipiteront leur implacable théorie sur nos lents et douteux « progrès »… Homo homini lupus ! Verrons-nous se réduire cet adage de malédiction et, de loup, l’homme devenir l’ami de l’homme ? Penché sur ses frères inférieurs, en paix au sein des espèces, apercevra-t-il enfin, pour son salut, leur solidarité lointaine ? En fera-t-il l’assise de ses mœurs, la trame de ses institutions ? Délivré des épuisantes luttes intestines, des alarmes de la défense et des déviations du rapt, arcbouté sur le roc de l’entraide éclairée, son demain garanti par un social intelligent, bondira-t-il d’un élan décuplé vers les conquêtes sans bornes de la sagesse et du savoir ? D’une existence végétative, harcelée d’âpres sollicitations négatives, et comme il l’ancre sur les eaux conservatrices, tournera-t-il enfin une proue d’audace lumineuse vers la vie pleine, généreuse, illimitée ?…

A travers les terres habitées du présent, bousculées par les appétits, les mêmes hommes de proie heurtent durement leurs convoitises. Et les accalmies civilisatrices sont davantage le recueillement pour les chocs amplifiés et savamment, sauvagement exterminateurs, que des quiétudes agrandies par le vouloir des hommes et des espoirs tendus vers la sécurité. Les races qui se disputent le globe n’ont pas encore refoulé en elles le « gorille », si je puis dresser sans injure les sobres et vitales batailles ancestrales de l’anthropopithèque en face des guerres canailles, atroces — et vaines en somme — du profit et de la thésaurisation. L’apalissement du teint, cette mièvre carnation, dont l’Europe s’enorgueillit comme de l’emblème de quelque supériorité, n’est pas l’indice que notre continent est, moins que les autres, sanguinaire. Chaque « tronc » (qu’il soit mongolique, caucasique, éthiopien), chaque race, qu’elle soit noire, ou jaune, ou blanche, a connu ses flambées glorieuses mais passagères et ses carnages, imbécilement destructeurs. Des tranches de « civilisation » ont couru sur l’écran du monde comme des météores. Et de leurs volcans éteints subsistent surtout des cendres d’orgueil… Égyptiens, Chinois, Perses, Grecs, Romains ont allumé, pour les assauts barbares, des feux intermittents. Et l’homme continue de passer, à travers la beauté, comme un génie dévastateur. Sa malfaisance raffinée domine les espèces, subjugue ses pareils. Si vraiment, comme disait Fénelon, « l’homme s’agite et Dieu le mène », plaignons le guide et le troupeau, l’ilote sans boussole… et le créateur. Car il nous a donné là moins qu’ « un chef et qu’un roi », plutôt, sur une œuvre confuse, le « méchant animal » de Molière… Et laborieuse et lente est la gestation d’un « homme nouveau » qui ne soit plus, comme l’homo novus des Romains, le premier d’abord aux honneurs !…

Dans cette Encyclopédie, aux tâches mesurées malgré sen ampleur, nous trouverons cependant l’homme étudié en la plupart de ses particularités, de ses besoins, de ses aspirations. Nous verrons, çà et là dispersés, ses traits distinctifs, ses caractères spécifiques, ses facultés maîtresses, ses tares réductibles, ses promesses gagées. Il nous apparaîtra campé dans le présent (trouble mélange de soleil et de boue), projeté sur l’avenir ; espérances dépouillant leur gangue. Nous ferons appel à tout ce qu’il y a de meilleur dans ses possibilités, de plus droit dans ses aperceptions, de plus sûrement intelligent dans son humanité. En particulier l’enfant sera — on l’a vu déjà — un des objectifs de notre tâche vers l’homme meilleur et plus complet. « Faites des hommes et tout ira bien », disait Michelet. Des hommes et non des ombres, des hommes et non des marionnettes, des hommes et non des copies, des stéréotypes de l’humain. L’enfant est le chemin de l’individu, de « l’homme seul », de l’homme total cher à l’anarchisme. Et la cellule humaine sera partout, dans cet ouvrage, l’objet de notre attention et de nos méthodes averties. Et nos efforts tendront, pour la laisser s’épanouir, à la désentraver… Nous accompagnerons l’homme assidûment, de l’individuel au social, de l’éducation à l’économie, de l’éthique à la sociologie… Les sociétés révolues — à part, en un sens, cette claire Hellade — comme celles du temps (lourdes de matérialités) ont trop négligé l’homme, passif et douloureux rouage. Nous œuvrons pour le relever à son plan, qui est premier. — S. M. S.

Quelques ouvrages intéressants a consulter pour l’étude de l’Homme. — Ch. Darwin : La Descendance de l’Homme ; L’Origine des Espèces. — E. Haeckel : Histoire de la création naturelle ; Anthropogénie ou Évolution humaine. — A. Giard : Histoire du transformisme. — Delage : La Structure du protoplasma et les probl. de la biologie. — Le Dantec : Lamarckiniens et Darwiniens ; Théorie nouvelle de la vie ; Les lois naturelles ; La stabilité de la vie, etc. — Cl. Bernard : Les Phénomènes. — H. Spencer : Principes de biologie. — G. Le Bon : La Vie ; L’Homme et les Sociétés. — Kropotkine : L’Entr’aide. — Ch. Letourneau : La Biologie. — G. Mortillet : La Préhistoire. — Dr Topinard : L’Anthropologie. — Dr Roule : L’Embryologie générale. — Dr Laumonier : La Physiologie. — Th. Huxley : Les Problèmes de la Biologie. — C. Flammarion : Le Monde avant l’apparition de l’Homme. — Élisée Reclus : L’Homme et la Terre. — De Quatrefages : L’Espèce humaine. — G. Piat : La personne humaine. — Schmidt : Descendance et Darwinisme. — Alf. Binet : Les altérations de la personnalité, etc.


HOMOGÈNE adj. (préfixe homo, et grec genos, race). Se dit d’un corps dont toutes les parties intégrantes sont de même nature et, par extension, d’un corps dont les parties sont solidement liées entre elles. On dit d’un groupement qu’il est homogène, quand il comporte seulement des adhérents d’une seule tendance, ou bien quand il est régi par des statuts et règlements rigides, quand la minorité doit se plier et appliquer les résolutions adoptées par la majorité, quand la Commission exécutive ou le Comité directeur impose ses vues. L’homogénéité dans un groupement est presque toujours une cause d’autorité. On pensera sans peine que les anarchistes ne peuvent pas constituer de groupements homogènes, car ils sont trop respectueux de la liberté et de l’autonomie de chacun pour penser un seul instantpouvoir obliger tous les membres d’un groupe à avoir le même point de vue.

Le groupe anarchiste est plutôt synthétique et seuls quelques partis d’extrême-gauche ou d’extrême-droite sont homogènes. On peut se rendre compte par les exclusions et sanctions de toutes sortes appliquées à leurs membres récalcitrants, que ce n’est qu’à force d’autorité intensive qu’ils peuvent demeurer homogènes.


HOMONYME n. et adj. (préfixe homo et grec onuma, nom). Se dit des mots qui se prononcent de même, bien que leur orthographe diffère, comme saint, seing, sein, ceint ; ou des mots de même orthographe mais qui expriment des choses différentes, comme coin qui signifie à la fois un angle, un instrument à fendre du bois, un poinçon, etc. (Ces derniers sont appelés homonymes homographes).

N. m. Celui qui porte le même nom qu’un autre sans toutefois être de la même famille : les deux Rousseau étaient homonymes.


HONNÊTETÉ n. f. (du latin honestus, honnête). Probité, modestie, pudeur, bienséance, politesse, bienveillance, obligeance. En ses diverses acceptions, ce mot est un de ceux que l’on a le plus galvaudé de par le monde et qui couvre un tas d’actes malpropres, vils, répugnants et quelquefois criminels. Que penser, par exemple, de cette admirable phrase : l’honnêteté d’un commerçant, d’un homme d’affaires ou d’un politicien ? Qu’en penser, quand on sait que le commerce n’est qu’un vol légalisé, que les « affaires » ne sont que des coups d’esbroufe et que, seul, le plus rusé peut réussir ; quand on sait que la politique n’est qu’une perpétuelle duperie et que chaque politicien ment, promet, renie, abjure et se livre à mille palinodies aussi répugnantes les unes que les autres pour avoir sa part de l’assiette au beurre ? Qu’en penser sinon que cette « honnêteté » n’est qu’une étiquette couvrant la plus vile marchandise ! Que dire de l’honnêteté d’une femme, parce qu’elle n’a de rapports sexuels qu’avec son mari ou son compagnon ; parce qu’elle rougit ou baisse les yeux quand on lui parle de questions sexuelles ; parce qu’elle ne se montre jamais avec d’autre homme que celui avec lequel elle vit ? Que dire de cette honnêteté, quand on sait que la plupart des femmes qui se montrent en public sous un jour prude, vertueux et même rigoriste ; sont, dans le privé, assez généreuses de leur corps ? Que dire, sinon que cette honnêteté n’est qu’un masque destiné à tromper le public !

Et puis, en quoi une femme qui se donne où, quand et avec qui il lui plaît, est-elle moins honnête que celle qui n’accorde ses faveurs qu’à un seul homme ? Ce que les conventions stupides appellent : honnêteté n’est que la consécration de préjugés et d’hypocrisies.

L’agence de renseignements privés qui donne au mari des détails précis sur les actes de sa femme, grâce auxquels il peut tuer ou son rival heureux ou sa femme ; cette agence de renseignements qui, comme on le voit souvent, hélas !, depuis la guerre, est responsable de meurtres, est considérée comme agence honnête parce que ses renseignements sont vrais ; alors que son honnêteté consiste à donner les moyens à un jaloux de commettre un crime.

Les anarchistes repoussent de tout leur mépris l’honnêteté bourgeoise. Pour eux, cette honnêteté est un mot vide de sens qui n’est que basse flagornerie à l’égard des riches et des puissants et une flatterie à l’adresse des « bons et dociles serviteurs ». Être honnête, pour un anarchiste, c’est être franc, sincère et loyal.

L’honnêteté consiste à ne pas se mentir à soi-même, ni aux autres ; à se juger sans indulgence pour ses défauts, à les combattre et à tout mettre en œuvre pour les vaincre. L’honnêteté, c’est mettre en accord ses actes avec ses idées, ses paroles ou ses écrits. C’est revendiquer sa complète liberté et laisser tous les êtres agir librement. C’est rompre avec les préjugés et les traditions. C’est savoir se dresser même contre ses amis, quand ceux-ci s’engagent dans une mauvaise voie. C’est être bon et fraternel non seulement en paroles, mais en action. C’est savoir rester indulgent pour les petits travers des autres parce que tout être a ses défauts et a besoin que les autres lui soient indulgents. Mais c’est être impitoyablement dressé contre tout acte vil, mesquin, autoritaire, criminel ou dangereux soit pour son idée, soit pour les autres. L’honnêteté c’est rester toujours conséquent avec soi-même, c’est ne rien accomplir de contraire aux principes et aux idées que l’on professe.

L’honnêteté consiste à démasquer énergiquement les fourbes et les hypocrites qui, sous ce mot, cachent leurs ignobles desseins. Elle ne peut régner que dans un milieu et chez des êtres moralement sains. L’honnêteté sera la règle générale dans une société où le lucre, le luxe et la domination de l’homme sur l’homme auront cessé d’exister.


HONNEUR n. m. (du latin honor, même signification). Un des mots les plus stupides, les plus vides de sens. Un de ceux au nom de qui on accomplit un nombre incommensurable de crimes. Pour donner une idée exacte de ce mot, il n’est que de citer les définitions qu’en donnent les dictionnaires bourgeois : « Gloire, estime qui suit la vertu ou les talents. Probité, vertu, considération, réputation, démonstration d’estime ou de respect. Distinction. En parlant des femmes : pudeur, chasteté ».

C’est au nom de l’honneur du drapeau, de la Patrie, que toutes les guerres se sont faites et se font encore. Que de sang versé, que de victimes accumulées ! L’honneur du drapeau, l’honneur de la Patrie ; ces mots cachent les ténébreux desseins, les convoitises, les ambitions, les appétits insatiables des financiers, des industriels, des diplomates et des gouvernants de toutes les couleurs.

L’honneur du nom, de la famille, de la caste : que de palinodies, que de bassesses, que de crimes on commet en leur nom ! Un mari tue sa femme pour venger son honneur outragé ( !) ; un père renie son fils parce que celui-ci s’engage dans une voie qui porte atteinte à l’honneur de sa famille ! Un bourgeois se livre à toutes les bassesses envers les puissants pour être décoré et ainsi relever l’honneur de son nom ! Une mère conseille à son fils de se suicider parce qu’il a manqué à l’honneur !…

Témoin ce fait-divers cueilli dans Le Matin du 28 février 1924 :

« Tragique arrestation. — Le sieur Sarlat, secrétaire de mairie à Bassens, avait commis plusieurs détournements au préjudice de la commune. Sur la plainte du maire, des agents de la sûreté se présentaient hier à son domicile pour l’arrêter. Ce fut la mère qui vint leur ouvrir et, en apprenant le mobile de leur visite, elle cria à son fils qui était dans sa chambre : « On vient pour t’arrêter, tue-toi ! » Sarlat prit alors un revolver et se logea une balle dans la tête. Les policiers, au bruit de la détonation, se précipitèrent dans la chambre et trouvèrent l’indélicat employé gisant dans son sang et râlant. La mère les supplia d’achever son enfant ! »

N’est-ce pas atroce de voir cette mère préférer son enfant mort plutôt que « déshonoré » ? Que de la voir, parce qu’il ne mourait pas sur le coup, supplier les flics de l’achever ? L’honneur ! Voici seulement ce qu’elle envisagera. Pas un cri de pitié ou de douleur ne sortit de ses lèvres ; aucun élan affectueux ne vint dicter à cette « mère » une parole de pardon. L’honneur ! Il fallut ce mot pour ravaler une femme plus bas que la bête qui, elle, au moins, défend et protège la chair de sa chair.

Ne vit-on pas, pendant la guerre, des femmes dénoncer leur fils ou leur mari déserteur ? N’en vit-on pas d’autres, en apprenant qu’un être cher venait d’être tué au front, éprouver un sentiment de fierté et tenir à honneur d’être la mère ou la compagne d’un « mort pour la patrie » ?

L’honneur ? Si un pauvre diable dérobe un pain pour se nourrir, il est déshonoré. Si un financier extorque plusieurs millions, même en ruinant sa clientèle, il sera taxé de « banquier de génie » et se verra comblé d’honneurs !

« L’honneur tient dans l’carré d’papier d’un billet d’mille », écrivait un jour Gaston Couté. Ce n’est pas là une boutade de pamphlétaire. L’homme qui possède une fortune peut se permettre tous les actes vils ; s’il obtient en résultat l’augmentation de son capital, il verra, en même temps, s’accroître ses droits à la considération de ses contemporains.

On couvre d’honneurs un général meurtrier, un politicien sans vergogne qui est un des responsables de massacres humains ; un mercanti qui s’est enrichi en vendant de la marchandise avariée ; un financier qui ne doit sa fortune qu’à de louches spéculations ; un grand usinier qui exploite durement ses ouvriers, les brime et ne leur accorde qu’un salaire de famine ; un flic qui s’est distingué par sa sauvagerie dans la répression ; un gouverneur de colonie qui fait massacrer impitoyablement les indigènes ; un soldat parce qu’il a exterminé un grand nombre d’ « ennemis ».

Mais les savants, mais les artistes auront toute leur vie une misérable existence et on attendra qu’ils soient morts à la peine pour les couvrir d’ « honneurs » ! Mais le mineur qui risque chaque jour le grisou, mais le marin qui court journellement le risque du naufrage, mais l’ouvrier qui peine de sa prime jeunesse à son extrême vieillesse pour enrichir le monde du produit de son travail, — tous ceux-là n’ont pas droit aux honneurs, ce sont des êtres de la « basse classe » dont on se sert en les méprisant. Il n’y a pas encore bien longtemps qu’on aurait fait rire les gens de la « haute société » si on leur avait dit qu’un ouvrier avait un cœur et un cerveau comme eux !

L’honneur d’une femme ! N’est-ce pas à éclater de rire en pensant qu’une femme qui, en dehors du mariage, se livre à l’acte d’amour est considérée comme ayant perdu son « honneur »… ! N’est-ce pas Montaigne qui disait : « Ah ! Vous avez trouvé une drôle de place pour loger l’honneur d’une demoiselle ! » La fille-mère n’est-elle pas encore une source de « déshonneur » pour sa famille… et tout cela parce qu’elle n’a pas sollicité le concours du maire pour aller coucher avec l’élu de son cœur ! L’honneur ? Quelle vaste blague ! Ne vit-on pas un Alexandre Millerand, renégat, parjure, escroc de l’État pour près d’un milliard dans la liquidation des biens des Congrégations ; ne vit-on pas cet homme, qui est vraiment le symbole de la vilenie, de la malhonnêteté, grand maître de l’ordre de la Légion d’ « honneur » ! Et cette légion d’ « honneur » n’est-elle pas accordée qu’aux massacreurs, qu’aux financiers spéculateurs, qu’aux politiciens sans scrupule, qu’aux commerçants détrousseurs, qu’aux plumitifs menteurs et asservis aux puissances d’argent ? L’honneur n’est qu’un prétexte à tous les crimes ; c’est le mot avec lequel on fait marcher les foules ; c’est le mot vide de sens qui rend le cœur humain inaccessible à la pitié et même à l’affection véritable ; c’est au nom de l’honneur que l’on fait s’entretuer des gens qui ne se connaissaient pas la veille ; c’est un mensonge odieux et criminel. Défions-nous de ceux qui nous parlent d’honneur : ce sont des gens qui en veulent à notre vie ou à notre bourse. Reléguons ce mot à l’endroit où Villon accrochait les lunes mortes. Soyons bons et fraternels et, pour ce faire, rejetons loin de nous ce mot : honneur, source de haine, de meurtre et de méchanceté ; vocable qui ne peut avoir place que dans la bouche d’un fou ou d’un criminel. — Louis Loreal.


HÔPITAL n. m. (du latin hospes, hôte). Établissement où l’on soigne les malades. Le principe fondamental de l’hôpital était la gratuité ; et ce fut surtout pour la classe pauvre qu’on créa cet établissement. Le prix coûteux des médicaments et des visites médicales, l’impossibilité de s’entourer de l’hygiène et des soins nécessaires à domicile étaient, pour l’ouvrier, une grande cause de misère et de mortalité. Aussi l’hôpital fut-il créé, dans lequel quiconque, assez gravement malade, sollicitait son admission, était soigné gratuitement.

A côté du service hospitalier proprement dit fonctionnait le service des consultations médicales gratuites. On peut affirmer, sans risquer de démenti, que le principe de gratuité qui présida à la fondation des hôpitaux a presque totalement disparu. Très peu de malades ont droit à l’hospitalisation gratuite. Pour jouir de cette « faveur » il faut se munir d’un véritable amas de certificats et d’attestations de toutes sortes prouvant la situation d’indigent. Dans certaines villes de province le candidat à l’hospitalisation doit verser une caution, sans quoi il lui faut attendre que la municipalité soit certaine de son indigence pour qu’il soit soigné. Un individu, dénué de tout argent, qui serait, alors, en proie à une attaque exigeant des secours médicaux immédiats, se verrait refuser l’entrée de l’hôpital, s’il n’est pas muni de ces certificats de pauvreté, et comme il faut au moins 24 heures à l’administration pour faire son enquête et son rapport, le malade risque fort d’être passé de vie à trépas au moment où son admission est accordée.

A Paris, des ouvriers ayant été soignés à l’hôpital, se sont vus réclamer, sous menace de saisie par huissier, une indemnité de 25 francs par journée de traitement. Même les simples consultations médicales ont été taxées à cinq francs, ce qui est un véritable scandale.

Jusqu’en 1906, c’étaient des religieuses qui avaient la charge de gérer les hôpitaux. Depuis cette époque, date de la loi de Séparation des Églises et de l’État, la direction en est passée à l’administration de l’Assistance Publique et, en principe, c’est un personnel laïque qui remplit les emplois d’infirmiers. Néanmoins il existe encore beaucoup de villes en province où les religieuses ont été maintenues en fonction.

La plus grande partie du budget étant consacrée soit aux réparations ou aux indemnités des dommages de la guerre, soit à l’armée et à la préparation de la prochaine « dernière », l’État pensa tout naturellement à prendre une partie des dépenses occasionnées par les apprêts bellicistes sur les crédits des hôpitaux. Au lieu de moderniser ces établissements, de leur procurer les derniers perfectionnements de la Science, de transformer en bâtiments hygiéniques les vieilles bâtisses sales et lépreuses, d’agrandir les hôpitaux qui deviennent insuffisants pour les besoins de la population, l’État refuse impitoyablement tout nouveau crédit au budget hospitalier.

Ce manque continuel de crédits, l’exiguïté et la vétusté des locaux, les conditions d’hygiène véritablement révoltantes dans lesquelles travaille le personnel hospitalier, toutes ces choses font que les malades sont soignés en dépit du bon sens.

Dans certaines villes de province le service d’ambulance est tout à fait illusoire. C’est ainsi qu’à Orléans, notamment, en 1928, il est impossible de pouvoir transporter deux malades à la fois à l’hôpital, une seule voiture ambulancière existant (et encore, quand elle n’est pas en réparation !)

On récrimine souvent contre le personnel — et c’est à grand tort. Il faut affirmer qu’un véritable dévouement est nécessaire aux hommes et aux femmes qui exercent le métier d’infirmier, pour résister et persister dans leur vocation. Le personnel n’est pas négligent : il est débordé par l’insuffisance numérique, par la vétusté du matériel et par la routine qui règne dans cette administration, comme dans toutes les autres, du reste. L’organisation actuelle des hôpitaux en France est une honte pour la société. N’a-t-on pas vu certains établissements manquer, en période d’épidémie, des médicaments nécessaires ! La santé publique devrait être la première préoccupation de ceux qui ont à charge d’administrer une collectivité. L’admission dans les hôpitaux devrait être un droit absolu pour chaque individu malade. Tous les efforts devraient tendre au maintien de la santé de chacun. Mais il s’agit bien de cela ! Tout l’argent que l’État demande et exige des contribuables, toutes les découvertes de la science sont au service des institutions meurtrières. Au lieu de conserver la vie aux individus, on met tout en œuvre pour la leur enlever lors de la prochaine guerre.

Dans une société organisée rationnellement, l’hôpital devra être un lieu sain, bien aéré, muni de tout le confort moderne et doté, de tous les perfectionnements de la Science.

Tous les sacrifices nécessaires seront accomplis pour que chaque membre de la société ait tous les soins que réclame son état de santé. L’hôpital ne sera plus un bâtiment sale, vieux et triste, dans lequel on s’imagine être en prison, dans lequel on sent à chaque pas l’atmosphère de la mort et où l’on n’entre qu’après de ridicules formalités. Ce sera un lieu agréable, propre, bien situé, entouré de jardins ou de bois. Ce sera le lieu où l’on viendra avec confiance se faire soigner, où l’on respirera chaque jour l’atmosphère de la vie qui se maintient grâce aux soins de tous, d’où l’on espérera sortir guéri et non, comme maintenant, en sujet d’opérations dans l’amphithéâtre. Aujourd’hui, tout est mis en œuvre pour la mort. Demain, tout sera employé pour préserver la vie.


HORTICULTURE n. f. (du latin hortis, jardin, et de culture). Art de cultiver un jardin. Dans l’horticulture, il faut non seulement de la technique, mais encore que l’horticulteur soit, en même temps que cultivateur, un artiste, afin de présider à l’arrangement de son jardin. Certains, comme Le Nôtre, nous ont donné de véritables petits chefs-d’œuvre qui enchantent l’œil, tant par l’arrangement des fleurs que par les dessins variés et l’ordonnance générale des parcs.

Malheureusement il faut aujourd’hui être rentier pour pouvoir s’adonner à cet art. Les beaux parcs que l’on contemple dans les propriétés privées ou publiques sont l’œuvre d’horticulteurs salariés. La cherté du terrain, la longueur des journées de travail, la médiocrité des salaires font que les ouvriers n’ont ni le temps ni les moyens de se livrer à cet art, non plus qu’à posséder un jardin bien ordonné. S’ils contemplent des merveilles d’agencement horticole, celles-ci ne sont pour lui que de belles choses qu’il a le droit de voir, mais non pas de toucher.

En une société libertaire, où le terrain serait la propriété de tous, où les taudis auraient disparu, où l’urbanisme (voir ce mot) serait dirigé vers la satisfaction de tous, où les heures de travail seraient relativement minimes, chaque homme devrait avoir la possibilité de faire de sa maison un lieu riant et confortable, entourée de jardins, où il pourrait se livrer au plaisir de l’horticulture.


HOSPICE n. m. (du latin hospitium, de hospes, itis, hôte). Maison d’assistance où l’on reçoit les orphelins, les infirmes, les vieillards, etc. Qu’ils soient sous une direction d’administration publique ou d’entreprises privées, les hospices d’enfants, de vieillards et d’infirmes sont, actuellement, des lieux où l’on souffre, où l’on se sent constamment à la merci de la direction, d’où la liberté est presque totalement bannie. Sauf quelques très rares exceptions, l’hospice fait porter à ceux qu’il héberge un costume-uniforme de la maison, la discipline y est assez rigoureuse et — surtout dans les établissements de l’État — la nourriture y est insuffisante, tant par sa quantité que par sa qualité.

Les orphelins y sont exploités ignoblement au profit soit de l’œuvre, soit des entrepreneurs civils qui les font travailler péniblement pour un salaire dérisoire. Quant aux vieillards, leur condition est si mauvaise, qu’ils sont, pour la plupart, obligés de se livrer à quelques menus travaux au dehors pour pouvoir passer leurs derniers jours plus que modestement. Comme les hôpitaux (voir ce mot), les hospices actuels sont une véritable honte pour la société. Les orphelins devraient être à la charge de la communauté, ils devraient être élevés comme tous les autres enfants, entourés de la même affection et des mêmes soins attentifs, jouir du même bien-être. Les vieillards, après avoir donné toute leur jeunesse, toutes leurs forces au profit de la collectivité, ne devraient pas être obligés de solliciter leur admission dans un hospice (et encore, cette admission ne leur est-elle accordée qu’après maintes démarches) pour finir leurs derniers ans. Ayant participé au labeur commun, ayant coopéré à la richesse générale ; ils devraient, eux aussi, être à la charge de la communauté, jouir des mêmes droits, des mêmes joies, des mêmes libertés que leurs cadets. Entourés de l’affection de tous, ils devraient pouvoir passer la fin de leur existence dans une atmosphère de bonheur et de sécurité fraternelle.

Les hospices n’ont de raison d’être que dans une société où toute misère devient prétexte à charité. Ce n’est pas soulager la misère qu’il faut ; c’est la supprimer, en en détruisant les causes.


HOSPITALISER v. a. Admettre quelqu’un dans un établissement hospitalier.

En France, où règne ce que certains pamphlétaires ont appelé la République des Camarades, il faut faire des démarches innombrables, aller trouver une foule de personnages divers pour posséder la recommandation nécessaire à l’hospitalisation.

Le pays qui inscrit sur tous ses monuments publics le mot : fraternité, est un de ceux où l’on a le plus de peine à entrer dans un hospice. Le mot n’aura plus sa raison d’être quand nous nous serons débarrassés de l’autorité, rempart du capitalisme, cause de la misère.


HOSPITALITÉ n. f. (du latin hospes, hôte). Abri, logement, asile, refuge que l’on offre gratuitement à quelqu’un. Les anciens, en général, avaient en honneur le culte de l’hospitalité. L’étranger était accueilli cordialement et, pendant toute la durée de sa présence, l’hôte était considéré comme sacré. Depuis, cette habitude tend de plus en plus à disparaître de nos mœurs. Les conditions d’existence faites aux hommes les ont rendus méfiants. Néanmoins, dans la classe pauvre, on accorde encore assez facilement l’hospitalité.

C’est une des plus belles manifestations de solidarité humaine qui soient. Elle suffirait à démontrer que, contrairement aux dires des casuistes de l’Église, l’homme n’est pas foncièrement méchant et égoïste. Quoi de plus beau, de plus noble, que cette confiance accordée par quelqu’un à un être qu’il ne connaît pas et à qui il offre sa maison et, quelquefois, sa table ? Certes, il arrive que des individus sans scrupules abusent de l’hospitalité et en profitent pour voler leur hôte. Il se trouve partout des êtres anormaux. Mais jamais l’homme bon et fraternel ne refusera son toit à celui qui se trouve sans abri. Jamais l’ouvrier ne laissera un de ses camarades coucher dehors. Pendant la guerre, beaucoup de camarades offrirent l’hospitalité aux déserteurs et aux insoumis — ce faisant, ils encouraient une véritable responsabilité ; mais le sentiment de solidarité était assez solidement ancré en eux pour risquer la prison en hospitalisant un de leurs amis (quelquefois un inconnu) qui ne voulait pas se soumettre à l’assassinat collectif.

Donner l’hospitalité ! Ces mots ne sont-ils pas à eux seuls la condamnation du régime présent ? Comment il se trouve encore des hommes, des femmes et même des enfants sans domicile, alors qu’il y a tant de locaux (palais, sièges d’administrations, ministères, banques, casernes, églises, châteaux, hôtels particuliers habités seulement une saison, etc.) qui se trouvent vacants ou employés pour des besognes malfaisantes ? Il est permis qu’un être, parce qu’il ne possède aucun argent, ne puisse, en arrivant dans une ville, trouver une chambre où coucher ? Et cet être n’est-il pas passible de prison ? (Voir Vagabondage). Certes, il est des cas où l’hospitalité n’est pas le fait de la société. Quand, par exemple, un camarade se rend d’une localité à une autre et qu’il va loger chez un de ses amis — mais là, ce n’est pas un cas spécifique d’hospitalité ; c’est un acte de camaraderie pure.

Nous travaillons fermement et de toutes nos forces pour l’avènement d’une société où il ne se trouvera plus de sans-abri, où le logement sera assuré à tous. L’hospitalité, alors, aura vécu et ne sera plus qu’un souvenir de la solidarité des hommes au temps où l’iniquité régnait.


HUISSIER n. m. Le mot est ancien : la fonction aussi, hélas ! Le mot vient de huis, qui signifie porte, et qui se retrouve encore dans l’expression usuelle : à huis clos.

Il y a une grande différence entre le portier et l’huissier. Le portier, préposé à la porte extérieure, ouvre à qui s’annonce par le tintement de la sonnette ou le heurt du marteau, sauf vérification ultérieure si le visiteur est indésirable et ne doit point passer le seuil. L’huissier a la garde de la porte intérieure qui donne accès dans un cabinet, un appartement ou une antichambre. Il écarte l’importun. Il admet et introduit l’ayant droit. Chacun sait que les huissiers, avec ces fonctions, se sont perpétués dans les administrations, les ministères, à la Présidence de la République et au Parlement. S’ils portent la chaîne, c’est en souvenir de la monarchie dont toutes les démocraties aiment à conserver les usages au bénéfice de leurs seigneurs. Sous la royauté, les huissiers de la Grande Chancellerie et du Conseil portaient au cou la chaîne d’or avec la médaille du roi. On les appelait les huissiers à la chaîne. La chaîne n’est plus en or, la médaille y cliquette toujours : l’effigie en est changée, et les huissiers à la chaîne ne sont pas exclusivement réservés aux nobles salles ou salons de la Place Vendôme ou de l’Élysée.

Que la justice eût besoin d’huissiers pour le service de ses prétoires, rien de plus naturel. Aujourd’hui encore, elle a ses huissiers audienciers, ainsi appelés parce qu’ils assurent le service de l’audience. Ils font l’appel des causes et l’appel des témoins. Ils occupent une tribune basse au pied du tribunal, et à côté du greffier. Ils revêtent la robe noire sans épitoge. L’épitoge est le bandeau qui se porte en sautoir sur l’épaule et qui est bordé d’hermine. L’hermine est le signe du grade : un rang d’hermine pour le licencié, deux rangs pour le docteur. Quand la licence en droit n’est pas exigée pour l’exercice de la fonction, les titulaires de cette fonction n’arborent pas l’hermine, ni son support l’épitoge, quand bien même ils seraient pourvus du grade qui la confère. C’est une règle de bienséance : la confraternité exige cette égalité. Les avoués, quoique tous licenciés en droit à Paris et dans les villes importantes, portent la robe sans épitoge, car l’un d’entre eux pourrait, théoriquement, n’avoir qu’un diplôme inférieur. Les avocats, tous licenciés, leur statut l’exige, prennent l’hermine, mais les docteurs renoncent au deuxième rang qui est leur deuxième galon.

La robe noire de l’huissier à l’audience n’est pas sa tenue officielle de cérémonie. Le décret du 14 juin 1813 qui est toujours la charte fondamentale de la corporation, a constitué ainsi le costume de ses membres : « habit noir à la française, avec manteau de laine noire revenant par devant et de la largeur de l’habit ». On sait combien Napoléon Ier se montra jaloux d’accorder ou d’imposer l’uniforme même aux académiciens. Encore oublia-t-il de leur dessiner un manteau. Lorsque les immortels enterrent un de leurs confrères, il n’est pas rare de voir, aux obsèques, sous des pardessus de ratine, grelotter dans des « habits verts » des assistants ratatinés.

Le protocole vestimentaire du Premier Empire n’est pas tombé en désuétude. Dans les audiences solennelles du Tribunal, pour l’installation du Président ou du Procureur, on pouvait contempler hier encore la délégation des notaires en habit à la française et culotte courte, le chapeau à cornes sous le bras.

Le décret de 1813 donne à l’huissier une baguette noire, symbole de coercition. Cette baguette, tenue à la main, était, sous les Bourbons, une baguette fleurdelisée, semblable à un bâton de maréchal, mais, au Moyen-âge, une verge analogue à celle dont une tradition contestable arme le poing de Bridoison, dans la pièce de Beaumarchais. Les huissiers se distinguaient, dès leur origine, en huissiers à cheval et huissiers à verge. Les premiers seuls avaient le droit d’instrumenter dans tout le royaume, les autres dans les limites de leur résidence. Instrumenter, c’est délivrer des exploits, dresser les constats, procéder aux saisies.

C’est qu’en effet la justice, pour qu’un défendeur soit mis en état de comparaître et de faire valoir ses droits, ou pour que les décisions rendues soient exécutées par une contrainte légale et licite, a besoin de confier ses missions à des mains sûres. C’est ainsi que les huissiers des prétoires ont paru tout désignés pour cet office ; et, par la suite, d’autres auxiliaires leur ont été adjoints. Il faut remonter à Charles VI pour trouver la première organisation des huissiers. Les lettres patentes de 1402 prescrivent qu’une information préalable soit faite de leur suffisance et loyauté.

« Leur suffisance » c’était un souhait vague, à défaut d’un programme précis. Les États Généraux de Tours, en 1484, expriment le vœu que l’huissier sache lire, écrire et mettre en termes honnêtes les citations de leurs exploits. C’était beaucoup demander ! L’ordonnance de 1563 intervient pour exiger qu’ils sachent au moins écrire leurs noms.

Les candidats étaient nombreux ; on comptait, en 1790, 934 huissiers à cheval et 236 à verge. On était loin de l’ordonnance d’avril 1498 qui avait réduit le nombre des huissiers à 220. La profession, aussi divisée, n’était pas très lucrative. L’huissier s’adjoignait volontiers à son office un commerce. Le décret du 14 juin 1813 lui fait défense de tenir auberge, cabaret, café, tabagie ou billard.

La plupart des auteurs n’établissent aucune différence entre l’huissier et le sergent que le xviie siècle a également connus. Les sergents descendaient en droite ligne des huissiers d’armes chargés de veiller à la sûreté du roi. Le répertoire de Dalloz qui résume la saine doctrine dans toutes les questions juridiques, enseigne que les huissiers procédaient devant les cours souveraines et les sergents devant les juridictions inférieures.

La distinction est-elle exacte ? Il faut la demander au théâtre classique, à Racine dans Les Plaideurs.

Chicaneau et la comtesse de Pimbesche, deux plaideurs forcenés, ont ensemble une conversation qui commence comme l’entretien de Vadius et de Trissotin par des condoléances mutuelles, sinon par des congratulations, et qui se termine, comme cet entretien, par une brouille et des invectives. Chicaneau n’a plus qu’un désir : faire constater les violences auxquelles se porte son adversaire, la comtesse qu’une préoccupation : assigner son ennemi.

De là le vers final :

Chicaneau. — « Un sergent, un sergent ! » La comtesse. — « Un huissier, un huissier ! »

Un sergent a le pouvoir de dresser un constat ; un huissier a seul qualité pour délivrer l’assignation en justice.

Continuons la pièce :

L’Intimé, au fait de l’incident, l’exploite pour approcher Chicaneau et, faux huissier, vient remettre à l’enragé un faux exploit : Chicaneau s’emporte et frappe :

L’Intimé. — « Tôt donc…

xxxFrappez ; j’ai quatre enfants à nourrir. »

Un soufflet le récompense :

    — « Un soufflet ! Écrivons :
Lequel Hieronyme, après plusieurs rébellions,
Aurait atteint, frappé, moi sergent, à la joue.
C’est bien cela… »

L’huissier, sous Louis XIV, confond en lui deux origines. Il descend des anciens huissiers d’armes, il détient une parcelle de leur autorité, il est sergent ; mais en plus il descend des huissiers préposés par la justice à la délivrance des citations et il ajoute une attribution nouvelle à son pouvoir. Il y a un sergent dans un huissier, un huissier déborde un sergent.

Disons pour être complet que l’exempt était un officier subalterne du guet ou de la maréchaussée, investi d’un pouvoir de police et délégué pour des opérations de police, notamment les arrestations. C’est un exempt qui, dans Tartufe, vient, au nom du roi, prendre au collet le fourbe et amener le dénouement. Nous avons ainsi ces trois personnages utiles à connaître… historiquement : l’huissier, le sergent et l’exempt. L’irascible Chicaneau s’est porté à des voies de fait sur le messager pour ne pas dire le mandataire de justice. C’étaient les petits inconvénients de la profession et parfois, comme l’indique l’Intimé, ses petits bénéfices à cause du dédommagement obligatoire.

Mais l’histoire connaît des huissiers qui ont été molestés plus gravement ou qui ont subi un sort dont ils n’ont pu tirer profit ni récompense.

Édouard, comte de Beaujeu, a été décrété de prise de corps pour avoir jeté par la fenêtre un huissier qui lui notifiait un exploit. Le marquis de la Séglière aurait ôté son chapeau à cet ancêtre. Ils étaient, l’un et l’autre, de ces temps où le noble s’estimait supérieur aux lois ou à la loi.

En 1322, Jourdain de Lille fut frappé d’une peine moins nominale et moins symbolique : il fut bel et bien pendu, mais il avait tué l’huissier qui lui délivrait l’assignation.

Enfin Dalloz rapporte que sous Louis XIII un jeune seigneur ayant cassé le bras à un huissier, le souverain parut au Parlement le bras en écharpe, pour attester que le coup porté au mandataire de l’autorité royale avait atteint le roi lui-même.



Telles sont les origines, tels sont les ancêtres de nos huissiers modernes.

Pour être huissier, il faut remplir les conditions suivantes : être Français, avoir au moins 25 ans, avoir satisfait aux devoirs du recrutement, justifier d’un stage (2 ans chez un notaire ou un avoué, ou bien 3 ans dans un greffe du Tribunal ou de la Cour). Il faut avoir obtenu de la chambre de discipline un certificat de moralité et produire une expédition de la délibération du Tribunal qui constate l’admission du candidat. La fonction d’huissier est incompatible avec toutes les fonctions publiques. L’huissier ne peut être défenseur officieux devant les tribunaux où le ministère de l’avocat n’est pas obligatoire. Cette prohibition n’est guère observée dans les justices de paix cantonales, au moins dans certains départements.

Les huissiers ont dans leurs attributions : les citations, les notifications et significations nécessaires pour l’instruction des procès, et généralement tous actes et exploits requis pour l’exécution des ordonnances de justice, jugements et arrêts. Dans les villes où il n’existe pas de commissaires-priseurs, ils procèdent aux ventes mobilières.

S’il s’agit de délivrer une assignation à bref délai, c’est-à-dire en dehors du délai normal et quand la citation en conciliation a été supprimée par dispense de justice — s’il y a lieu de signifier un jugement par défaut, dans d’autres cas encore qui sont spéciaux, l’huissier procédant doit avoir été commis par le Président ; il prend le titre d’huissier commis et l’habitude est que le Président, en pareille occurrence, désigne un huissier audiencier. Les huissiers ne peuvent procéder ni délivrer les exploits les jours fériés ; les jours ordinaires ils doivent observer les heures légales, et s’abstenir :

Du 1er octobre au 31 mars avant 6 heures du matin et après 6 heures du soir ;

Du 1er avril au 30 septembre, avant 4 heures du matin et après 9 heures du soir.

Quelques amoureux illégitimes emploient à rebours l’horaire légal pour ne pas être surpris par la sommation consacrée : « Au nom de la loi », mais certains d’entre eux ont oublié à leur dam qu’une permission du juge pouvait autoriser les constats ou les intrusions légales en dehors des heures légales. Nous indiquerons, à l’honneur de la corporation, qu’elle a une Bourse commune (le législateur qui l’a prévue mérite d’être félicité). Cette Bourse subvient aux dépenses de la Compagnie, à la distribution des secours aux huissiers indigents… le cas est extrêmement rare… elle a des clientes parmi les veuves et les orphelins des huissiers décédés.

Elle serait mise à contribution s’il fallait couvrir d’urgence une carence de fonds par la défaillance d’un membre de la Compagnie, mais le cas est purement hypothétique.

On sait que, dans Les Plaideurs, l’Intimé a signé Lebon son faux exploit, et Chicaneau de s’écrier, non sans à-propos :

— « Lebon, jamais huissier ne s’appela Lebon. »

Certes, si la justice a sa raideur et son tranchant chirurgical, l’huissier ne procède point par la persuasion et l’urbanité de ses manières ne va pas jusqu’à la suavité. Toutefois, l’huissier à verge n’a jamais porté le faisceau des licteurs. Et nous connaissons même de ces honorables officiers ministériels qui, sans trahir les intérêts de leurs requérants, tempèrent l’ardeur du créancier, désarment par des représentations utiles la mauvaise volonté du débiteur. Il y a des huissiers, et même des huissiers non audienciers, qui, moralement, ont leurs élégances… Il est préférable de n’avoir pas à se louer de leur adresse ou de leur mérite dans l’exercice de leurs fonctions. — Paul Morel.

HUISSIER. L’huissier, dont c’est le métier de tirer rendement des exploits (protêts, assignations, contraintes, etc.) et que l’intérêt porte en général à envenimer la chicane qu’il monnaie au pourcentage, se présente d’ordinaire assez peu paré des adoucissements de la pitié. Il n’est que par accident messager de la conciliation et ne temporise guère que par calcul. Quand on ne peut « tondre un diable » parce qu’il « n’a plus de cheveux » et que la procédure risque de rencontrer le vide, il est parfois de bonne guerre d’attendre que le poil repousse quitte à l’arracher au fur et à mesure… Sa morale, d’ailleurs, tant sociale qu’individuelle, le prédispose à la rigueur plus qu’à l’indulgence. Devoir et ne pouvoir payer constitue une incartade et une dérogation aux règles et aux fondements de l’honnêteté conventionnelle qu’il a pour mission de sauvegarder. C’est là avant tout un titre à sa méfiance et qui situe l’intéressé malheureux ou malchanceux sons sa désapprobation ou son mépris, très peu souvent dans la zone de l’excuse et de la tolérance. Sa « grandeur d’âme » tenterait davantage la plume d’un Courteline ou d’un Balzac qu’elle ne soulèverait l’enthousiasme reconnaissant des humbles. Un sceau fatal désigne la demeure marquée pour sa visite : on y a commis le crime d’être désargenté !…

Imbu de l’importance légale d’une fonction coercitive, il est enclin à en élargir les attributs et à en accentuer les interventions. Aussi il use davantage des prérogatives de sa charge pour la poursuite fructueuse qu’il ne les emploie à écarter des défavorisés sociaux les conséquences pénibles de leur état. Jargon d’étude et de prétoire, finasseries et « retorderies » juridiques masquent surtout les embûches et précèdent les saignées pécuniaires, voire les expulsions, et l’huissier demeure un agent de pressuration aux interventions redoutées. Mandataire de la fortune en service de recouvrement, il se garde d’oublier qu’il arrondit sa propre escarcelle sur le chemin même où s’assouvissent les créances. Les « frais » sont à l’actif de ses affaires et agrémentent sa situation. L’huissier, qui, dans les ménages de travailleurs aux budgets difficiles, se présente porteur du « papier timbré » fatidique donne presque toujours le signal des catastrophes domestiques. Il précise les embarras accrus, la rupture d’une semi-quiétude provisoire, la gêne davantage maitresse au foyer, le fléchissement et parfois la chute d’une économie laborieuse. Il est, dans un état social de souffrance, un instrument de la peine multipliée et de la détresse. Les privations font cortège à ses présentations. Et l’huissier, qui jette à la rue et fait vendre à l’encan les meubles et les hardes du pauvre est — comme tout l’appareil judiciaire tendu devant les victimes unilatérales de « l’ordre social » en un traquenard permanent — honni avec raison du populaire. — Lanarque.


HUMANITARISME n. m. Ce mot, surtout dans les pays occidentaux, est employé plutôt comme adjectif ; comme substantif, il a une signification générale imprécise. Dans la presse il circule sans norme, sans gêne. Il faut expliquer une équivoque. L’humanitarisme n’est pas une notion sans contenu réel ; ce n’est pas un mot commode à la portée de chacun. Dans quelques livres, particulièrement dans L’Humanitarisme et l’Internationale des Intellectuels (la première édition a paru à Bucarest en 1922), je me suis efforcé à donner à ce mot une signification positive, dont devraient tenir compte tous ceux qui emploient ce mot. Les uns considèrent l’humanitarisme sous une forme personnelle seulement, le réduisant à cette urbanité qu’ils croient inhérente, cachée dans le cœur, et qui ne peut souffrir une « exprimation sociale », c’est-à-dire son affirmation par des actes collectifs ou seulement par certains principes selon lesquels elle serait guidée à travers les réalités sociales. Ceux qui craignent que l’humanitarisme, exposé sous la forme de doctrine, devienne un dogme, — et par conséquent contrarie la liberté de conscience et l’action de l’individu, — ceux-là craignent inutilement. L’humanitarisme ne peut pas être un dogme, un cadre restreint et fixe dans lequel nous devons nous limiter en nous déformant. Ceux qui examinent bien les principes humanitaristes, peuvent se convaincre qu’ils n’ont pas d’autres limites que celles de l’espèce humaine elle-même — (non pas une classe, une nation, une race) — et que ces limites ne sont pas définitives, augmentant en même temps que le progrès biologique, technique, économique, culturel et spirituel de l’humanité.

Parmi les mouvements qui sont nés après la guerre de 1914-1918, le mouvement humanitariste procède du désir même de salut de l’humanité entière ; et planant au-dessus des intérêts éphémères, reste dépourvu de toute ambition de domination. L’humanitarisme n’est pas une simple expression verbale, vaguement idéaliste, mais résume les tendances au progrès de toute l’humanité. L’humanitarisme intuitif et moral préconisé par les vieilles religions a pris, à l’aide de la science moderne, une ampleur et une clarté qui le rendent accessible à ceux qui obéissent à la voix du cœur, aussi bien qu’à ceux qui suivent les impératifs de la raison. L’humanitarisme est une conception générale de la vie humaine, une doctrine pratique qui, nous le répétons, ne deviendra jamais un dogme, pour la raison que ses bases ne sont ni politiques, ni strictement sociales. L’humanitarisme est une expression de l’évolution biologique, économique, technique et culturale de l’humanité qui, elle, est un organisme unitaire, dans lequel les races, les nations, les classes et les individus peuvent vivre en harmonie, ayant chacun sa tâche spéciale dans le cadre d’un seul intérêt commun. Cet intérêt commun est : le progrès pacifique, par voie internationale, de l’activité créatrice des diverses catégories de travailleurs intellectuels et manuels.

L’humanitarisme est donc basé sur les idéals permanents et intégraux de l’homme et sur les tendances naturelles de l’évolution humaine. Il embrasse le passé de l’humanité, plein de victoires sur la nature ; son présent, dominé par la toute-puissance de la machine, et son avenir qui verra la réalisation d’une harmonie définitive entre la matière et l’esprit. La malédiction que constitue le dualisme social (maîtres et exploités), le dualisme sexuel, le dualisme religieux, et les multiples mensonges idéalisés, doit prendre fin par le retour à l’unité générique : à l’humanité organisée économiquement et techniquement, mais au sein de laquelle l’individu gardera toute la liberté de ses aspirations, de ses convictions et de ses manifestations esthétiques, scientifiques, morales. Car l’humanitarisme ne s’adresse pas à une classe ou à une nation, mais à l’homme, à tout individu qui connaît ou veut connaître sa destinée de paix et de sociabilité au milieu du groupe, de la classe, de la nation, de la race, de l’humanité dont il fait partie. Aussi vieux que l’espèce humaine, l’humanitarisme se présente sous une forme qui résiste à toutes les recherches scientifiques et répond aux consciences les plus compliquées et les plus vastes.



Quelle est l’essence de l’humanitarisme moderne ? Les dix principes suivants suffisent, croyons-nous, pour indiquer les points de repère de l’humanitarisme :

I. — « Je suis homme ! », c’est la réponse qu’il nous faut donner à notre propre conscience et à ceux qui nous questionnent sur la nationalité, la confession ou l’État auxquels nous appartenons. Et cette réponse signifie : je sais que je suis le produit de l’évolution biologique ; qu’il y a en moi le singe, l’animal, la plante, le minéral ; je sais aussi que je dois développer en moi mon humanité grandie par les efforts des générations disparues : conserver la culture et la civilisation héritées et les parfaire autant qu’il est en mon pouvoir. Car, je prévois l’avenir en contemplant le passé : et c’est en m’humanisant moi-même que je bâtis pour mes descendants un degré nouveau sur l’échelle du progrès.

II. — Deux notions, qui sont deux réalités, forment la base de mon humanité, ce sont : l’individu et l’espèce, la cellule et l’organisme. La liberté peut toujours s’harmoniser avec la nécessité : ma volonté d’individu trouve un champ d’action créatrice dans le cadre de l’espèce. C’est en les reconnaissant, que nous devenons les maîtres des fatalités naturelles. Et quant aux fatalités sociales, elles n’existent que pour ceux qui n’ont ni conscience individuelle, ni conscience de l’espèce.

Il n’y a, entre l’unité simple de l’homme et la suprême unité de l’humanité, pas d’autre unité naturelle intermédiaire, mais seulement des formes sociales et politiques : la famille, la tribu, la classe, la nation, l’État, la race… Ce sont des formes artificielles, transitoires : nous ne.les reconnaissons pas de manière absolue. Libérons-nous de leur tyrannie, si elles viennent à paralyser notre personnalité et si elles ne correspondent pas aux tendances vers le progrès de l’humanité.

III. — La croyance au progrès est la sève de mon humanité. Ce n’est pas une croyance mystique ou simplement idéaliste. L’idéal naît de réalités, non pas de rêves. L’élan de vie de la nature, devenu conscient par l’homme, trouve des expressions toujours plus parfaites, malgré toutes les catastrophes cosmiques et toutes les débâcles provoquées par la guerre. Le principe de tous les progrès matériels et spirituels est dans le progrès du cerveau : une idée supérieure ne germe que dans un cerveau par des brouillards de l’ignorance, des fantômes de la superstition, des obsessions fétichistes. La majorité de l’humanité a le cerveau en léthargie ; éveillons, par une éducation libre et positive, les possibilités qu’il recèle. L’humanité qui est dans nos cœurs, verra et agira mieux, quand elle sera dirigée par l’intelligence.

IV. — Le commandement de la conscience humaine est celui-ci : que l’idée devienne acte. C’est ainsi que l’on connaîtra notre sincérité et que nous connaîtrons notre pouvoir. Ce commandement nous mène d’ailleurs à la loi naturelle de l’harmonie. Car humanité veut dire harmonie des contraires. Que toujours nous serve d’exemple le dualisme de la nature, où tout cependant concourt à une harmonie unitaire.

Matière et esprit ? — spiritualisons la matière !

Individu et foule ? — personnalisons la foule !

Art et travail brut ? — embellissons l’effort créateur !

Religion et science ? — apportons la foi à la vérité !

Prolétariat et capital ? — socialisons les moyens de production !

Barbarie et culture ? — civilisons les peuples !

Dieu et l’Église ? — divinisons l’homme !

Que toutes les activités humaines, tout en demeurant dans les limites qui leur sont assignées par la nature, gardent entre elles les liens vitaux : qu’elles tendent, toutes, chacune par son effort particulier, au développement omnilatéral de l’humanité individualisée.

V. — Le pacifisme est l’axe premier de l’humanitarisme. Soyons persuadés non seulement de la destinée pacifique de l’homme mais aussi de son origine pacifique : la sociabilité primordiale, à l’époque de ses ancêtres simiesques et l’anatomie du corps humain démontrent que l’homme primitif n’avait d’autres armes que la solidarité numérique et son intelligence.

Que l’action pacifiste poursuive en premier lieu le réveil du pacifisme primaire. La haine est venue se greffer dans le cœur de l’homme par suite de la multiplication des guerres. C’est par la connaissance de l’origine humaine, des conditions de développement des civilisations et surtout par la conscience que nous avons de « l’organisme de l’humanité » que nous fortifions en nous le pacifisme individuel. En expliquant à tous que les guerres, surtout à notre époque, sont vaines à tous les points de vue, puisqu’elles donnent des résultats contraires à ceux qu’on poursuit, nous fortifions le pacifisme dans l’âme du peuple.

Basés sur des principes scientifiques — biologiques, économiques, etc. — nous pouvons donner au pacifisme la force de conviction qui détermine l’action. Le commandement de la conscience : Tu ne tueras point — (ce qui signifie respecter la vie, toute la vie) — s’unira alors au souhait du cœur : Paix à vous ! — (ce qui signifie fraternité entre individus et harmonie entre les intérêts des peuples libres).

VI. — L’internationalisme est le deuxième axe de l’humanitarisme. Il a son origine dans le pacifisme comme les branches dans le tronc de l’arbre. Il a toujours existé, sous diverses dénominations. La solidarité de horde ou de race, les alliances entre nations ou classes sociales, les associations entre des groupes dispersés sur tous les continents — et même la division du travail entre les individus et les peuples —, ne sont que des formes (les unes embryonnaires, les autres hybrides) de l’internationalisme, ou plutôt de l’interdépendance.

L’intérêt prime partout et toujours. — L’internationalisme économique est reconnu par tout le monde, bien qu’il revête encore la forme de l’impérialisme politique. — L’internationalisme technique se relève avec chaque progrès des avions, par exemple, ou de la machine qui remplace le travail brut de l’homme. — L’internationalisme de la science est incontestable : la vérité afflue de tous les points cardinaux, comme le chant des poètes, comme le verbe des prophètes…

La culture et l’art des diverses nations ont une essence commune ; les mêmes racines leur servent à puiser la sève dans le même sol : il n’y a que les fleurs et les parfums qui sont différents. Et c’est ce qui fait la splendeur du jardin de l’humanité, où s’harmonisent, dans la soumission à la même destinée, les individualités nationales, sociales ou personnelles.

VII. — La tendance à l’unité : voilà la signification essentielle du pacifisme et de l’internationalisme. La paix entre les organes et l’interdépendance de leurs fonctions produisent la saine unité de l’organisme individuel. La paix entre les nations et l’internationalisme économique, technique, scientifique, cultural, préparent l’unité suprême de l’humanité. La tendance à l’unité admet les progrès les plus divers : la variété dans l’unité.

C’est par l’unité morale, dont la loi est l’accord entre l’idée et l’acte ; — par l’unité psychophysique, c’est-à-dire l’équilibre entre le corps et l’esprit ; — par l’unité sociale, qui est l’harmonie des intérêts des diverses classes non parasitaires ; — par l’unité nationale, synthèse des unités individuelles et sociales d’une certaine région géographique et sans caractère agressif pour d’autres nations ; — par l’unité de race ou l’unité continentale qui comprend les unités nationales liées entre elles par la même civilisation, par le « patriotisme cultural » ou par la nécessité d’une expansion économique pacifique ; — c’est par toutes ces unités progressives que nous nous dirigeons vers l’unité planétaire de l’humanité.

La tendance à l’unité de l’espèce existe dès les origines de l’homme ; elle prend sa source dans la réalité de « l’organisme de l’humanité ». Soyons conscients de cette tendance : toutes les activités humaines convergent vers la création de l’État unique de l’humanité ; cet « État universel » sera l’expression sociale de la réalité biologique de l’humanité et du progrès technique, économique, cultural et spirituel de celle-ci.

VIII. — Évolution civilisatrice : voilà la méthode de l’humanitarisme. Elle résulte des autres principes et n’est qu’une continuation de l’évolution naturelle, dirigée par l’intelligence et la force de l’homme.

Le fruit ne pousse pas avant qu’il y ait eu des racines, un tronc, des branches, des feuilles, des fleurs et surtout avant d’avoir puisé la sève de la terre. Il en est de même de l’individu, du peuple et de l’humanité. Il leur faut tous les éléments et le temps nécessaire. Chaque chose en son temps ! C’est par une ascension graduelle, d’un sommet à l’autre, que l’idéal se réalise. Mais jamais définitivement : toujours par des transformations insensibles, par des élans naturels, par le fait d’une volonté consciente…

Il n’y a pas de perfection — il n’y a qu’une tendance à la perfection. La méthode révolutionnaire appartient à ceux qui croient que l’idéal peut être conquis intégralement, qu’il est possible d’anticiper sur l’avenir. Une révolution donne naissance à une autre révolution, de même que d’une guerre en surgit une autre. La vraie révolution n’est que le terme final de l’évolution.

Les utopistes et les traditionalistes sont esclaves de l’Absolu. Le présent doit être une synthèse vivante du passé et de l’avenir ; — que le singe et le surhomme fraternisent dans l’homme actuel, simple anneau dans la chaîne de la vie qui monte en un cercle spiralé infini.

IX. — Amour et liberté : voilà « les armes » de l’humanitarisme, maniables suivant une loi unique : Connais-toi toi-même ! C’est en s’émancipant soi-même d’une tradition devenue parasitaire, et de l’amour égocentriste qui ne se manifeste que par la haine, — c’est en se purifiant dans le vaste fleuve de la vie humanisée, qu’on peut arriver à véritablement aimer son prochain et à défendre la liberté de celui-ci comme la sienne propre.

La force dans le domaine social et l’intolérance dans le domaine moral ou intellectuel, n’ont d’autres effets que de déterminer une force et une intolérance contraires. Les tyrans — classes, États, races — qui opprimaient la majorité de l’humanité, ont péri par leur propre gigantanasie. Ils ont grandi démesurément, oubliant ou se refusant à savoir qu’il y a aussi d’autres tendances de croissance et de conservation. C’est le fardeau de leur propre force qui les a étouffés.

Les doctrinaires, — laïques ou ecclésiastiques —, les tyrans de l’âme et les bourreaux de la libre pensée, ont cru (et croient encore) que l’âme et l’esprit de l’humanité peuvent être enserrés dans des moules sociaux ou spirituels. S’il ne correspond pas aux méandres que se creusent naturellement les tendances de l’individu et de l’espèce, — le moule « idéal » se brise. Le progrès de la civilisation dépasse de trop le progrès moral ; que ton humanité intérieure et celle de toute individualité sociale corresponde à l’humanité réelle de la planète.

X. — C’est aujourd’hui — non pas demain que tu commenceras à t’humaniser. N’attends pas l’ordre d’autrui, obéis allègrement à ton propre commandement ; il y a tant de générations qui murmurent dans ton cœur et tant de trésors réunis autour de toi — qui attendent à se refléter dans ta conscience.

Libère-toi, même si des fers alourdissent tes pieds : — que peut un corps libre si l’esprit est enchaîné ?

Aime et éclaire ton prochain sans répit : — que peut un esprit libre dans une société ignorante et asservie ?

Sois homme, et aussi multilatéral que possible, — mais surtout applique-toi à faire ta tâche quotidienne. Et tu pourras dire à n’importe qui et n’importe quand :

Je me suis élevé au-dessus de ma propre Individualité, lasse de mauvais héritages ;

Je me suis élevé au-dessus de la Classe, dans laquelle me rangeait mon travail ;

Je me suis élevé au-dessus de l’État, dont la contrainte me pèse ;

Je me suis élevé au-dessus de la Patrie où je suis né par hasard — et au-dessus de la Société qui spécule sur tous mes besoins et sur tous mes actes ;

Je me suis élevé au-dessus de la Race qui m’a modelé — et ne conservant de tout cela que ce qui est beau, vrai et bon, j’ai tout confondu dans mon humanité, qui demeure active et pieuse sur cette terre où mon espèce a poussé ;

Et si quelqu’un te demande ton acte de nationalité, réplique-lui, simple et résolu :

— Je n’en ai pas. Mais je veux être — et me sens, Citoyen de l’humanité.

Nous insistons sur deux caractéristiques essentielles de l’humanitarisme : il est anti-étatiste, donc a-politique.

Quelle que soit sa définition idéaliste, la politique a été et sera toujours une lutte de domination par force armée. Elle forme « l’occupation » des classes parasitaires qui veulent se maintenir au-dessus des masses toujours laborieuses. La politique est l’expression prothéique de cette « soif de puissance » qui trompe les utilitaires, les médiocres et les lâches, sur l’immense vide de leur existence. Comme nous l’avons indiqué, l’humanitarisme est une réaction contre la politique ; il proclame les idéaux intégraux et permanents de l’humanité, contre les idéaux partiels et transitoires des classes sociales. Nous ne connaissons pas d’autre remède contre la malédiction du dualisme social. Ce dualisme — dominateurs et dominés — durera autant que les classes sociales continueront la lutte pour le pouvoir, autant qu’elles refuseront de connaître réciproquement leur légitimité organique et leurs limites d’activité créatrice, conformément aux aptitudes spéciales de chacun, qu’ils subordonneront à l’intérêt commun.

L’a-politicanisme des humanitaristes est une conséquence naturelle de leur antiétatisme. L’humanitarisme, qui compte parmi ses principes « la tendance vers l’unité », nous informe que, grâce au pacifisme et à l’internationalisme, les divers États de nos jours fusionneront en « Fédérations d’États », pour se transformer ensuite en États continentaux, jusqu’à ce qu’ils arriveront à « l’État unique » de l’humanité. Admettant, avant tout, les lois naturelles d’évolution de l’espèce humaine, les humanitaristes affirment que, malgré sa force et son autorité, l’État est un organisme parasitaire.

La conception de « l’organisme de l’humanité » n’est pas abstraite ; en réalité, l’humanité est dès maintenant un organisme unitaire, malgré sa division en tant d’États nationaux. Quand l’État unique sera réalisé, l’humanité ne deviendra pas un organisme unitaire, mais prendra pleinement connaissance qu’elle l’a toujours été. L’humanité s’apercevra alors que l’État qui dans toute société sera toujours un organe administratif et exécutif aux pouvoirs centralisés dans les mains d’une minorité de dominateurs — aura toujours le même caractère oppressif et parasitaire.

L’organisme de l’humanité, une fois réalisé du point de vue économique, technique et cultural, l’État unique pèsera sur l’humanité comme une carapace inutile ; elle tâchera de s’en libérer par ce que certains ont nommé « lente désintoxication de l’État ». L’antiétatisme des humanitaristes ne tient pas de l’avenir ; ils l’ont manifesté dès maintenant, abolissant le fétichisme de l’État. Les socialistes ne s’en sont pas encore libérés. Reconnaissant le procès historique du capitalisme, les humanitaristes désapprouvent néanmoins la méthode politique du socialisme qui, dans certains pays, fait usage de force et d’intolérance tout comme les politiciens réactionnaires. Une vérité que tous, et surtout les socialistes, doivent prévoir, est celle-ci : l’humanité arrivera à conduire elle-même sa destinée économique, technique et culturale, sans la protection forcée de l’État.



L’humanitarisme sentimental et moral existe de longue date. Au cours des siècles, le mot de l’homme a toujours résonné comme encouragement pour les opprimés et avertissement pour les bourreaux. Néanmoins, aujourd’hui, après le massacre des peuples européens, ce mot paraît avoir moins d’influence que jamais. Nous sommes convaincus que la faiblesse pratique des humanitaristes consiste justement dans le fait que l’humanitarisme est resté un terme sentimental et moral — qu’il n’a pas encore été précisé, valorifié au point de vue scientifique et social.

Aujourd’hui, l’humanitarisme tend à sortir de la nébuleuse sentimentale, s’affirmant comme conception, comme doctrine basée sur éléments réels d’évolution biologique de l’entière espèce humaine — comme sur l’entier progrès de la civilisation et de l’esprit humain. Cet essai entrepris par un petit nombre est considéré utopique même par les socialistes. Nous rappelons à ceux-ci ce qu’était le socialisme il y a 70-80 ans. Les manifestes rédigés alors par quelques idéalistes dans une modeste chambrette, dominent et tourmentent aujourd’hui le monde. Maintenant que le socialisme commence à être réalisé, nous voyons que — malgré sa lutte au nom des idéaux humanitaires — il les ignore en grande partie, autant que la bourgeoisie qui se croit le défenseur « du droit et de la civilisation ».

Toute doctrine et tout mouvement naît au moment fixé par l’évolution cérébrale, économique ou spirituelle de l’humanité. L’humanitarisme paraît maintenant comme une doctrine (et non pas un dogme) qui embrasse tous les autres idéaux socialistes, esthétiques, scientifiques et religieux, harmonisés et contrôlés d’après les principes positifs résultant de l’étude d’évolution de toute l’espèce humaine. Car il y a une vérité qui perce toutes les situations locales et toutes les idéologies restrictives. Malgré ses erreurs guerrières, ses luttes nationales, ses conflits de classe, l’humanité tend vers cette pacification imposée par son origine et son but mêmes — essentiellement pacifiques. Elle aspire à cette internationalisation qui n’est qu’une nouvelle expression de la solidarité ancestrale, et une nécessité résultant de la loi du progrès cérébral, technique et cultural de l’homme moderne.


Indiquons en peu de mots la genèse de l’humanitarisme d’après-guerre. Dans la Biologie de la Guerre (parue en 1917), à laquelle Romain Rolland a consacré une longue étude dans Les Précurseurs, son auteur, le professeur George F. Nicolaï, a démontré les deux axes de l’humanitarisme : le pacifisme et l’internationalisme ; mais il ne nous a pas démontré l’humanitarisme même. Le Décalogue de l’Humanité, inclus dans la Biologie de la Guerre, contient une vingtaine de lignes de sentences morales, résultant de la constatation scientifique de ces deux lois de progrès. Comme naturaliste, G.-F. Nicolaï s’est limité au domaine biologique ; il n’a pas voulu étendre ses recherches au domaine social. Son but était de donner au pacifisme et à l’internationalisme une base inébranlable ; c’est pourquoi il voulut prouver leur existence biologique. Il réussit à rattacher à ces deux axes de l’humanitarisme la conception de « l’organisme de l’humanité », conception assez vieille, qu’il rajeunit par la précision des faits naturels et par la découverte des tendances d’évolution de l’espèce humaine.

Ceux qui furent pénétrés de l’immense importance des vérités proclamées par Nicolaï, sentirent le besoin d’avancer encore. Du domaine biologique ils durent passer au domaine social ; ce n’est qu’ainsi que ces vérités pouvaient devenir fertiles. Voilà pourquoi, après avoir résumé dans une édition populaire La Biologie et la Guerre (1921), j’écrivis L’Humanitarisme et l’Internationale des Intellectuels, préfacé par G.-F. Nicolaï. Ce livre est la suite naturelle de la Biologie de la Guerre.

L’humanitarisme devait être transplanté dans d’autres domaines sociaux, dans le domaine technique, économique, cultural, esthétique ; mais ses racines résident dans les vérités biologiques. L’humanitarisme sentimental des vieilles religions est aujourd’hui une cruelle erreur. L’humanitarisme moderne ne peut avoir d’expression pratique, si son contenu n’est pas présenté sous une forme organisée. Évidemment, sa racine réside dans la conscience individuelle. Sa meilleure propagande est celle d’individu à individu, privée du formalisme qui paralyse tant de cercles, tant de groupements et fédérations. L’Appel aux Intellectuels libres et aux Travailleurs éclairés, que j’ai lancé en 1923, en sept langues, proclama « les principes humanitaristes », indiquant que le dernier but des cercles humanitaristes est de former des citoyens de l’humanité.

Néanmoins, pour accroître, guider et hâter d’une manière consciente l’influence de l’humanitarisme un instrument est absolument nécessaire : sans la main qui la réalise, l’idée est morte. Dans la seconde partie de mon livre L’Humanitarisme et l’Internationale des Intellectuels, étudiant les mouvements d’après-guerre des intellectuels, je suis arrivé à la conclusion que, seule, l’Internationale des Intellectuels peut être l’expression pratique de l’humanitarisme, tout comme l’Internationale des Prolétaires est l’instrument réalisateur du socialisme. Cette Internationale existe maintenant sous forme fragmentaire, en divers groupements, ligues et fédérations, dont chacune lutte pour quelques-unes des idées humanitaristes. Aucune de ces organisations existantes n’a encore présenté les idées humanitaristes comme conception intégrale. La tendance vers cette fin est évidente, car les organes de l’Internationale des Intellectuels existent et les éléments d’une doctrine humanitariste ont déjà été formulés ; c’est cette doctrine-là que j’ai tâché d’esquisser dans mon livre. Les Principes Humanitaristes résument L’Humanitarisme et l’Internationale des Intellectuels. Quelle que soit la forme dans laquelle l’Internationale des Intellectuels basée sur l’humanitarisme, sera réalisée. Les Principes Humanitaristes synthétisent pour leur auteur les vérités qui dureront, autant que cette humanité martyrisée continuera à lutter pour ses idéaux scientifiques, techniques, économiques, esthétiques et moraux. — Eugen Relgis.


HYMNE n. m. (du grec humnos, chant). Chez les anciens, l’hymne était un poème en l’honneur des dieux ou des héros. Dans la liturgie catholique, c’est un poème religieux que l’on chante à l’église. En général, un hymne est une pièce de vers dans laquelle l’auteur exprime des sentiments d’exaltation et d’admiration. Nous avons trop entendu, jusqu’aujourd’hui, des hymnes aux dieux, aux héros, à la Patrie ; trop d’hymnes de stupidité ou de haine ont retenti par le monde. Si les hommes raisonnables composent ou chantent des hymnes, ce sont des hymnes d’amour, de fraternité et de révolte — et ces hymnes-là honorent davantage la poésie et l’humanité.


HYPERBOLE n. f. (du grec huper, au delà, et bollein, jeter). Figure de rhétorique qui consiste à exagérer pour impressionner l’esprit. L’hyperbole est une grande ressource en poésie et en littérature. Malheureusement, sur le plan social, c’est un grave défaut qui est cause de bien des maux. Nous aimons nous créer des idoles, voir de grands hommes où il n’y a qu’homme simplement. Nous allons, ainsi, vers beaucoup de désillusions,

La foule voit des grands chefs, des gouvernants ou des politiciens de génie — alors qu’il n’y a que généraux assassins, politiciens combinards et retors prêts à toutes les crapuleries pour arriver ou se maintenir au Pouvoir. Au reste, les journalistes savent de mains de maîtres manier l’hyperbole pour encenser les hommes qui financent leurs feuilles ; et le pire, c’est que le lecteur arrive très souvent non seulement à croire, mais encore à amplifier l’hyperbole.

En géométrie, l’hyperbole est le lieu des points dont les distances à deux points fixes ont une différence constante.


HYPOCRISIE n. f. (du grec hupokrisis, rôle joué). L’hypocrisie consiste à affecter une vertu, un sentiment louable qu’on n’a pas. Hélas ! Combien l’hypocrisie joue encore un grand rôle dans notre siècle. Le « bon » patron qui est plein de mansuétude pour ses ouvriers — alors qu’il les endort par ses paroles doucereuses pour les mieux exploiter ; le politicien qui ne trouve que larmes et colères pour parler du sort du prolétariat — alors qu’il s’en moque pas mal et ne cherche qu’à décrocher un mandat électoral ; les dames riches qui organisent des bals « de charité » — alors qu’elles n’ont encore que l’occasion de déployer leur luxe et montrer leurs belles toilettes ; le prêtre qui répète la parole du Christ : « Aimez-vous les uns, les autres » — alors qu’il exalte la guerre, qu’il défend la propriété et le patronat et qu’il prêche la résignation aux spoliés ; le philanthrope qui fonde une institution en faveur de la classe pauvre — alors qu’il ne doit sa fortune qu’à avoir volé et dépouillé les pauvres ; le général qui envoie ses soldats à l’assaut « pour la Patrie » — alors qu’il ne pense qu’au bâton de maréchal ; bref, tous les actes et les paroles publiques des privilégiés de la société en faveur de l’amélioration du sort de la classe ouvrière alors que tous ne vivent qu’en volant cyniquement cette classe ouvrière, — tout cela constitue l’hypocrisie.

C’est de cette hypocrisie que vivent les rastaquouères de la politique qui, en faisant croire au peuple qu’eux seuls peuvent lui donner le bonheur, qu’ils ne luttent que pour son bien, qu’ils sont prêts à vaincre ou mourir pour la défense de ses intérêts, mettent sur leurs faces le masque de l’hypocrisie pour cacher leur soif avide d’honneurs, de pouvoir et de prébendes.


HYPOTHÈQUE n. f. Droit réel dont est grevé un immeuble, pour garantir le paiement d’une créance. L’hypothèque est un droit accessoire, qui suit le sort de la créance principale : elle est pour les immeubles ce qu’est le gage pour les meubles.

L’hypothèque, faute de paiement, donne au créancier le droit d’exiger la tradition effective de l’immeuble, et de le revendiquer même contre les tiers. En cas de vente de fonds, elle lui attribue : 1°) Un droit de préférence sur le prix, c’est-à-dire qu’il sera payé avant tous les autres créanciers qui n’ont pas une hypothèque antérieure à la sienne ; 2°) Un droit de suite, c’est-à-dire de forcer le détenteur de l’immeuble, à quelque titre que ce soit, d’abandonner l’immeuble, ou d’en subir l’expropriation, s’il ne préfère acquitter le montant intégral de la dette.

La loi déclare seuls susceptibles d’hypothèque : 1° les immeubles par nature, y compris les mines concédées ; 2° les immeubles par destination, qui ne peuvent être hypothéqués séparément du fonds dont ils dépendent ; 3° l’usufruit de ces immeubles ; 4° les actions de la Banque de France immobilisées.

L’hypothèque ne peut frapper les meubles, sauf les navires.

La forme extérieure à laquelle est assujettie la convention d’hypothèque est un acte authentique devant deux notaires, ou devant un notaire et deux témoins.

Les créanciers qui ont le privilège ou hypothèque sur un immeuble le suivent en quelque main qu’il passe, afin d’être payés suivant l’ordre de leurs créances ou inscriptions.

La nature même de l’hypothèque en fait, entre les mains d’un créancier habile, un véritable permis d’exploitation.

C’est grâce à l’hypothèque, que l’on pouvait prétendre qu’en France, la propriété était très morcelée et échappait à la concentration capitaliste.

Cette affirmation, exacte en apparence, pour certaines régions, ne résiste pas à un instant d’examen.

Certes, il y a bien un nombre considérable de petits propriétaires, et il y a une tendance très marquée vers leur augmentation. Mais ce que l’on oublie de dire, c’est que presque toutes ces propriétés sont grevées d’hypothèques. Que le propriétaire a dans sa poche un « acte de propriété » ; mais que le banquier, le capitaliste, a dans la sienne un autre « acte » qui annule le premier et rend le propriétaire tributaire du capitaliste.

Manquant de capitaux, soit pour exploiter sa propriété, soit pour pallier aux suites des mauvaises récoltes, aux fluctuations du commerce, le propriétaire est obligé de les emprunter. Il devra payer chaque année des « intérêts » très élevés et avoir constamment suspendue sur sa tête, l’hypothèque qu’il a consentie et qui peut être présentée au remboursement du jour au lendemain et lui faire vendre sa propriété.

Il n’est pas rare de voir des propriétaires et commerçants réduits à un état beaucoup plus misérable que celui de commis ou d’ouvrier.

Du point de vue de l’organisation sociale actuelle, l’hypothèque est une merveille :

1°I Elle permet aux capitalistes de « faire produire » leurs capitaux sans travailler, ou faire travailler directement ;

2°) Elle assure — à cause des intérêts à payer — un travail relativement considérable, sans contrainte apparente sur le travailleur (propriétaire), par acceptation volontaire de celui-ci, par conséquent sans crainte de grèves ;

3°) Elle assure à l’état social établi, des défenseurs qui croient qu’il est de leur intérêt — parce que propriétaires — de maintenir le statu quo. Aussi est-ce sur cette classe que compte le capitaliste, pour résister à la Révolution. — A. Lapeyre.