Encyclopédie anarchiste/Ultramontanisme - Urbanisme
ULTRAMONTANISME n. m. (du latin ultra montes, au delà des monts, c’est-à-dire au delà des Alpes, puisque ces dernières montagnes séparent la France de l’Italie.)
En France, on appela ultramontains ceux qui professaient la doctrine admise par les Italiens concernant l’étendue de la puissance pontificale ; leur système reçut le nom d’ultramontanisme. Ils se dressèrent avec violence contre les gallicans qui n’accordaient au pape qu’un pouvoir limité sur l’Église universelle et réclamaient, pour le clergé de France, certaines libertés connues sous le nom de libertés gallicanes (du latin Gallia, Gaule). Déjà Saint Louis avait soutenu la doctrine de l’indépendance royale à l’égard de l’évêque de Rome. Son petit-fils Philippe le Bel brava publiquement Boniface VI qui revendiqua la suprématie du Saint-Siège sur les lois ; il se moqua de l’excommunication fulminée contre lui et fit insulter le pape dans son palais d’Anagni. Le Grand Schisme d’Occident ébranla fortement l’autorité du pontife romain sur l’Église de France ; et le chancelier de l’Université de Paris, Gerson, attaqua les prétentions du pape à l’infaillibilité, au concile de Bâle. C’est des principes énoncés par ce Concile que s’inspira la Pragmatique Sanction de Bourges, rendue par Charles VII en 1438. Elle fut remplacée, en 1516, par un concordat signé, à Bologne, par Léon X et François 1er. Mais les opinions ultramontaines continuèrent d’être combattues par l’autorité royale, la Sorbonne et les Parlements. La déclaration faite par Bossuet en 1862, au nom du clergé français, résuma, d’une façon très claire, la doctrine des théologiens gallicans. Voici le sens de ses principales décisions : 1° Les papes n’ont pas le droit de déposer les souverains, ni de délier leurs sujets du serment de fidélité ; 2° l’Église, représentée par un Concile œcuménique, est supérieure au pape ; 3° Les pratiques, règles et usages particuliers à l’Église de France doivent demeurer inébranlables ; 4° Les décisions du pape ne sont pas irréformables, tant qu’elles n’ont pas été sanctionnées par l’Église. On voit, par cette déclaration, que les « libertés » de l’Église gallicane n’accordaient aucune espèce d’indépendance aux fidèles, mais concernaient seulement les privilèges du roi et des hauts dignitaires ecclésiastiques. Innocent XI, en avril 1682, et Alexandre VIII, en août 1690, condamnèrent les quatre articles rédigés par Bossuet et cassèrent tout ce qu’avait fait l’assemblée du clergé de 1682. Devant la résistance opposée par les autorités civiles et religieuses, le pape refusa même d’instituer les évêques nommés par le roi. En 1693, Louis XIV permit aux prélats de faire acte de soumission au Saint-Siège, mais il ne désavoua pas la doctrine gallicane. Cette dernière continua d’être à l’honneur dans les écoles de théologie et d’être favorisée par le pouvoir royal et les parlements. Citons, parmi ses défenseurs, d’Aguesseau, au XVIIIe siècle, le cardinal de La Luzerne et l’évêque Frayssinous, au XIX- siècle. Après le concordat de 1801, Napoléon voulut qu’on l’enseignât dans les séminaires ; et, sous la Restauration, elle resta chère au gouvernement. Néanmoins, la déclaration de 1682 cessa bientôt d’être enseignée dans les écoles de théologie ; et le clergé, dans son ensemble, ne montra plus le même zèle pour la doctrine gallicane. Joseph de Maistre et Lamennais, les vrais fondateurs de l’école ultramontaine, achevèrent de la discréditer dans les milieux catholiques.
Dans l’un de ses ouvrages, Du Pape , paru en 1819, Joseph de Maistre déclarait que le pape était le représentant de Dieu sur la terre et que ses avis devaient être considérés comme émanant du ciel. A l’appui de cette thèse, l’ancien émigré savoyard apportait de soit-disant preuves empruntées surtout à l’histoire du Moyen-Âge. Dans un ouvrage posthume, De l’Église gallicane dans ses rapports avec le souverain pontife, il s’attaquait directement aux défenseurs du gallicanisme et ne ménageait ni Bossuet, ni ces autres insoumis que furent Pascal et les principaux écrivains jansénistes. De son côté, Lamennais affirmait. dans son Essai sur l’indifférence en matière de religion, que le gallicanisme était une hérésie véritable et plus pernicieuse peut-être que le protestantisme. Plus tard, le célèbre écrivain breton devait se révolter contre le pape ; mais, dans la première partie de sa vie, il contribua puissamment à répandre les idées ultramontaines parmi les catholiques militants et le jeune clergé. Montalembert, Lacordaire, Gerbet, et beaucoup d’autres qui se détournèrent de lui lorsqu’il abandonna l’Église, subirent d’abord son influence. Avec Louis Veuillot, un polémiste vigoureux mais aussi intolérant que grossier, l’ultramontanisme devint d’une violence extrême à l’égard de ses adversaires. Dans son journal, l’Univers, ce larbin du pape et des jésuites ne craignit pas d’attaquer les évêques libéraux et gallicans comme Dupanloup ; quand ils se plaignirent, Rome donna gain de cause à Veuillot. Aussi, lorsque le Concile du Vatican fut convoqué, couvrit-il d’injures les prélats et les théologiens hostiles à un futur dogme de l’infaillibilité pontificale. Victor Hugo a stigmatisé dans des vers fameux le « simple jésuite et triple gueux » que les bien-pensants considèrent comme le modèle des journalistes catholiques.
La proclamation du dogme de l’infaillibilité pontificale par le concile du Vatican, le 18 juillet 1870, mit fin aux polémiques entre gallicans et ultramontains. Les seconds triomphèrent bruyamment ; les premiers durent se soumettre. Une minorité d’évêques allemands, hongrois, autrichiens et français votèrent contre cette croyance ; beaucoup d’autres opposants s’étaient abstenus volontairement ou n’avaient pu être présents. Le 11 août, une dépêche du cardinal Antonelli aux nonces fit savoir que le nouveau dogme était devenu obligatoire pour tous les catholiques. D’eux-mêmes les évêques opposants français, comme Dupanloup et Darboy, se soumirent aux prétentions de l’idole vivante que la sottise humaine venait d’ériger à Rome. Les prélats dissidents d’Allemagne finirent, eux aussi, par se soumettre. Mais un certain nombre de prêtres et de laïques, allemands et suisses, refusèrent obstinément d’admettre la croyance à l’infaillibilité personnelle du pape. Parmi eux se trouvait le chanoine Dœllinger, un érudit universellement connu. La secte des Vieux-Catholiques qu’ils constituèrent ne fut jamais bien importante ; elle végéta péniblement. En France, un célèbre prédicateur, le carme déchaussé Hyacinthe Loyson essaya vainement de fonder une Église schismatique. Il se maria en 1872, eut de nombreux enfants et mourut en 1912, à un âge très avancé, sans jamais réclamer un pardon que Rome lui aurait accordé avec joie. — L. Barbedette.
UNITÉ n. f. Dans la société capitaliste et hiérarchique, ou appelle improprement « unités » des accords particuliers, sur des fins communes à des groupements quelconques. Mais, ces soi-disant unités, généralement sectaires et partiales — et même contradictoires entre elles — aboutissent tôt ou tard, sauf de rares exceptions, à des conflits, des scissions pénibles, et à des oppositions farouchement hostiles. On sait, d’ailleurs, que toute organisation comportant le privilège de fonction est injuste, antiunitaire.
Très différente est l’unité anarchiste fondée sur l’amour pur de la vie libre, heureuse et sûre, et dont l’idéal est succinctement indiqué dans sa devise : « Instaurer un milieu social qui assure à chaque individu le maximum de bien-être et de liberté adéquat à chaque époque. »
Un tel idéal implique évidemment une morale qui le justifie. Morale de juste réciprocité que nous trouvons dans le vieil et double aphorisme suivant : Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît ; mais agis toujours envers les autres comme tu voudrais qu’on agît à ton égard en d’identiques circonstances. (En supposant, bien entendu, une connaissance suffisante du bien contemporain.)
Ce juste précepte rencontre pourtant de nombreuses transgressions, conséquences sociales ou inconsciences regrettables et illogiques contradictions. Quoi qu’il en soit, c’est cet aphorisme moral qui constitue le critérium unitaire fondamental, puisque toute dérogation à son principe est absolument incompatible avec l’unité sympathique. Mais l’expérience nous apprend à dépasser les limites d’égale réciprocité, et à ne rien demander au-dessus des facultés personnelles, si l’on veut contribuer à la vivante et salutaire unité. Il est, en effet, nécessaire que le fort, le mieux doué, œuvre généreusement pour le faible ; et il est clair que tous ceux et celles qui manifestent de telles dispositions, forment en tout temps et tout lieu, la meilleure élite.
Malgré certaines affirmations erronées — et quoi qu’elle évolue par les connaissances acquises — l’unité dépend toujours plus du vouloir que du savoir, car l’aveuglante vanité est commune, même chez les savants. Si la base unitaire est sentimentale, sa cause immédiate et effective résulte partout de besoins communs, entretenus ou modifiés par des tendances et connaissances partagées.
La trilogie de l’unité, profondément égalitaire et libertaire, est : l’amour orientateur, la science révélatrice et le travail producteur. Cette unité concerne tous les égoïsmes normaux et conséquents du monde civilisable. Sa hiérarchie naturelle et toute effective ne saurait engendrer aucune dépendance artificielle, aucune autorité. Elle est, dans tous les domaines, une libre manifestation de la vie individuelle et collective, exempte d’uniformité mesquine, dogmatique, vicieuse et funeste,
L’unité anarchiste vitale n’est point un accord relatif et temporaire, mais une harmonie permanente à tendances générales et progressives, toujours corrélative au temps et aux moyens. Elle est, enfin, la synthèse de l’amour éclairé, idéalement absolu, mais effectivement}} relatif et conditionnel. Son élément demeure constamment individuel et sympathique, sollicitant tous les bons sentiments et toutes les connaissances utiles au bonheur, à la sécurité, à la paix mondiale. — A. Mauzé.
UNITÉ (prolétarienne). Au moment où la reconstitution de l’unité syndicale entre dans sa phase finale, il est tout naturel de traiter cette question dans notre Encyclopédie.
C’est non seulement naturel, mais c’est indispensable, parce que l’histoire de l’unité est aussi celle de la scission et qu’elle n’est encore connue que de quelques initiés qui, par leurs fonctions, ont été appelés à vivre vraiment les événements qui se sont déroulés le plus souvent dans la coulisse et sont restés, par conséquent, totalement inconnus des masses travailleuses bernées.
Ma qualité de secrétaire général du Comité Central des Comités Syndicalistes Révolutionnaires, puis de secrétaire adjoint du même Comité, ma participation active aux travaux de la Commission Administrative de la C.G.T.U., ma désignation au poste de secrétaire général du Comité de Défense Syndicaliste et à celui de secrétaire de l’Union Fédérative des Syndicats Autonomes de France, m’ont permis de suivre pas à pas les évènements qui se sont déroulés de 1920 jusqu’en 1926, époque de la constitution de la Confédération Générale du Travail Syndicaliste Révolutionnaire.
Et, depuis le 15 novembre 1926, je suis avec attention, de très près, au sein de la C. A. de la C.G.T.S.R., les tractations et pourparlers auxquels l’unité syndicale a donné lieu.
Avant d’aller plus loin et de faire l’exposé historique de la question, deux constatations s’imposent, ce sont celles-ci :
1° L’unité, comme la scission, sera l’œuvre des partis politiques ;
2° Une unité de cet ordre restera précaire aussi longtemps que le mouvement syndical sera incapable de s’opposer à l’action dissolvante des partis ; aussi longtemps que la notion de parti primera, dans l’esprit des travailleurs, la lutte de classe ; jusqu’à ce que le réel prenne le pas sur l’artificiel.
Répéter que la scission est l’œuvre des partis politiques et de leurs représentants au sein du mouvement syndical, c’est exprimer une vérité devenue banale. Il faut, cependant, le dire, l’affirmer ici avec d’autant plus de force que les partis (socialiste et communiste) prétendent être les champions incontestés de l’unité. Il faut le proclamer parce qu’en réalisant cette unité, sur le terrain politique et économique, ces partis n’ont en vue que de servir leurs intérêts, à l’exclusion de ceux des travailleurs.
En faisant alternativement, selon les exigences de leur politique, la scission ou l’unité, en soufflant ainsi le froid et le chaud, les partis dits ouvriers ont fait la démonstration éclatante qu’ils n’avaient aucun souci des intérêts de la classe ouvrière. Aussi, si je me refuse à mettre à leur actif la reconstitution d’une unité dont ils escomptent le bénéfice exclusif, j’inscris carrément à leur passif la scission qui a réduit, pendant quinze ans, le prolétariat de tous les pays à l’impuissance, favorisé l’accession au pouvoir du fascisme dans la plus grande partie des pays de l’Europe. Et je demande aux travailleurs de ne jamais oublier ces pages sombres de leur Histoire.
Je leur demande également, s’ils réalisent, comme tout l’indique, l’unité syndicale, de ne plus la laisser briser, sous quelque prétexte que ce soit et, pour cela, d’affirmer la maîtrise totale de leur mouvement, dans une indépendance absolue et définitive.
Examinons, maintenant, quand, comment et pour quelles raisons la scission s’est produite.
A mon avis, sa préparation, qui dura près de quatre ans, remonte à 1917 ; elle commença peu après la conférence confédérale de Clermont-Ferrand, où les deux fractions de la C.G.T., déjà fortement divisées sur la politique suivie par la majorité pendant la guerre, se « réconcilièrent » sur un nègre-blanc, sans provoquer le choc dynamique qui aurait redressé la Centrale syndicale française.
La révolution russe entrait dans sa deuxième phase : celle d’octobre 1917, et Lénine, avec juste raison, recherchait des appuis à l’extérieur, en France tout particulièrement, pour empêcher la formation autour de ses frontières de ce que Clemenceau appelait le « cordon sanitaire », c’est-à-dire, pour parler clair, le blocus économique et l’intervention militaire conjuguée du dedans et du dehors, ces deux armes redoutables de la contre-révolution mondiale.
Pour échapper à cette étreinte, qui risquait d’être mortelle, les chefs de la révolution russe ne pouvaient que chercher à étendre la révolution aux pays voisins : d’abord à l’Europe, si possible, et au monde entier, si les circonstances le permettaient. Leur raisonnement était juste et les conditions d’une telle révolution à l’échelle européenne, universelle peut-être, étaient largement réunies. Il restait à faire passer la conception dans la pratique, en utilisant la situation particulièrement favorable.
C’est dans ce passage de la conception à la pratique que les dirigeants russes commirent des fautes si impardonnables, pour des hommes comme Lénine et Trotsky, qu’on en reste, encore aujourd’hui, absolument confondu.
La principale de ces fautes est la méconnaissance absolue des mouvements ouvriers des autres pays et, tout particulièrement, du mouvement français, si spécial par son origine, ses caractéristique et le tempérament de la race.
Au lieu de s’adresser en frères au syndicalisme français, dont l’immense majorité était absolument acquise à l’idée de la révolution sociale dans son propre pays, les dirigeants russes tentèrent de lui imposer brutalement, par des moyens obliques et des procédés condamnables, leur propre conception de la lutte, leur doctrine et leur discipline : toutes choses qui firent se cabrer quantité de militants tout disposés à la lutte, mais qui voulaient rester maîtres de leur action, de leur tactique, et se refusaient à agir comme des petits garçons qu’on morigène à tout instant.
Cette attitude des révolutionnaires russes eut une autre conséquence : elle fournit des armes aux dirigeants de la C.G.T. peu enclins à engager une bataille de cette envergure.
Ces faits ne se passèrent pas qu’en France. Tous les prolétariats de l’Europe et même du monde, dont le concours était pourtant absolument nécessaire, furent traités avec le même mépris, avec la même ignorance des faits, sur la foi de renseignements donnés à Moscou par des hommes qui n’avaient aucune qualité pour remplir un tel rôle.
L’échec de la révolution européenne, de la révolution mondiale peut-être, vient exclusivement de l’incompréhension totale, par les dirigeants russes, du mouvement des autres pays, de leur autoritarisme, de leur mépris des militants et des organisations régulières de ces pays.
Si, au lieu d’agir ainsi, les hommes qui dirigeaient la révolution russe avaient compris que les peuples agissent selon les caractéristiques de leur propre génie, ce qui exclut l’uniformité mais crée l’harmonie dans la diversité ; s’ils avaient fait loyalement et directement appel aux centrales syndicales et à leurs militants, en les laissant libres du choix de l’heure, des moyens et du but, il n’est pas douteux que la révolution sociale serait devenue, à très brève échéance, une réalité sur le plan où elle était possible et nécessaire pour assurer, avec le salut de la révolution russe, le succès de la révolution européenne et, sans doute, mondiale.
A une question aussi nettement et honnêtement posée, les centrales syndicales — celle de France la première — n’auraient pu que répondre affirmativement, d’autant plus rapidement que toutes les conditions de l’action révolutionnaire étaient, je le répète, réunies.
Les révolutionnaires russes, aveuglés par leur succès, jugeant de toute leur hauteur le reste des hommes — comme si leur révolution avait été la première et devait être la dernière à se produire dans le monde — trouvèrent plus expédient de noyauter, par tous les moyens, y compris les pires, les éléments actifs du mouvement syndical français ; de les dresser les uns contre les autres de façon absurde ; de pratiquer une politique de manœuvres et de contre-manœuvres absolument ridicule ; de provoquer une sorte de gymnastique gréviste constante qui démolit, une à une, toutes les organisations puissantes et, en particulier, les métallurgistes et les cheminots.
Cette politique qui consistait à utiliser comme tremplin les revendications légitimes des travailleurs et comme levain le désir d’action incontestable des masses laborieuses, provoqua les échecs successifs qui, de proche en proche, nous conduisirent à la débâcle de mai 1920, après la capitulation confédérale du 21 juillet 1919.
Il ne pouvait en être autrement. En effet, sentant le péril qui les menaçait, les dirigeants de la C.G.T. freinèrent autant qu’ils purent l’action des travailleurs. Quand ils ne purent, malgré tout, l’arrêter, ils la brisèrent in-extremis ou la rendirent inopérante par des compromis, comme celui de février 1920, qui enlevaient toute valeur au succès remporté.
Les Congrès de Lyon (1919), Orléans (1920) et Lille (1921) indiquent de façon saisissante les points culminants des luttes de tendance qui aboutirent à la scission du mouvement syndical français.
Ayant plus que jamais besoin d’avoir dans chaque pays un mouvement docile à leur injonction et capable d’appuyer leur politique extérieure, Lénine, Trotsky, Zinoviev et leurs amis prirent la décision de détruire, par la scission, les centrales et les partis qui leur résistaient.
Ils avaient l’espoir que, l’enthousiasme des masses aidant, ils pourraient faire disparaître, par la suite, facilement, les fractions d’organisations rebelles à leurs ordres. Et c’est là qu’ils commirent leur deuxième faute, plus impardonnable peut-être que la première.
En effet, la scission du parti socialiste, à Tours en 1920, celle de la C.G.T., en février 1922, permirent de grouper dans le Parti communiste et la C.G.T.U., en l’espace de quelques mois, l’immense majorité des forces actives de l’ancien Parti socialiste et de la vieille C.G.T.
Si, instruits — comme ils auraient dû l’être — par les expériences des années 1918 à 1920, les dirigeants de Moscou avaient compris le caractère français, s’ils avaient su ménager les susceptibilités des militants politiques et, surtout, syndicaux, il n’est pas douteux qu’en très peu de temps le Parti socialiste et la C.G.T. eussent été totalement vidés de leurs contenus, que ces organisations eussent été réduites à leur plus simple expression : un bureau et un cachet. Il est également certain qu’en très peu de temps, le mouvement ouvrier français aurait pansé ses plaies et retrouvé son allant et sa puissance révolutionnaire, par un effort bien dosé, pratique et fécond en résultats.
Au lieu de procéder ainsi, les dirigeants de l’Internationale Communiste, puis ceux de l’Internationale Syndicale Rouge — les mêmes au surplus — déclenchèrent la lutte intestine au sein des nouvelles organisations ; ils dressèrent les uns comme les autres des militants également mais différemment révolutionnaires, en excluant ceux-ci, en tentant de déshonorer ceux-là et, bientôt l’inévitable se produisit : le Parti communiste et la C.G.T.U. devinrent deux immenses « paniers de crabes », dont le contenu se dévorait pour le plus grand plaisir de la bourgeoisie capitaliste et le plus grand désarroi du prolétariat.
Les années 1922 à 1924 virent, enfin, le triomphe des hommes de Moscou sur les ruines du mouvement ouvrier français. Les principes du communisme léniniste étaient saufs, mais les organisations françaises étaient mortes en même temps que la révolution s’éloignait pour la deuxième fois, par la faute de gens dont la politique sinueuse n’a jamais cessé d’être une énigme indéchiffrable jusqu’à ce jour.
En même temps que se développe cette action dévastatrice, qui permet au Parti socialiste et à la C.G.T. de remonter peu à peu le courant, la politique intérieure et extérieure russe se modifie sensiblement.
La Conférence de Gênes (1922) ouvre les voies à la Nouvelle Économie Politique, la fameuse N.E.P., qui marque le commencement des tractations politiques et économiques des dirigeants russes avec les gouvernants capitalistes, les financiers, les grands capitaines d’industrie, si honnis à l’extérieur, pour la galerie, et si bien reçus à Moscou, pour les concours « précieux et désintéressés » qu’ils offrirent, concours qui furent agréés, le plus souvent, au détriment des travailleurs russes.
Cette coquetterie avec le Capitalisme, les réceptions offertes au prince Henri de Prusse, les relations très amicales entretenues avec Mussolini et le Pape, les conversations d’affaires avec les magnats allemands et américains vont conduire le gouvernement soviétique à adopter une politique absolument machiavélique.
Comment concilier, en effet, les thèses de l’Internationale Communiste qui préconisent toujours, pour les purs — aussi naïfs que purs —, le déclenchement de la révolution mondiale et la construction du socialisme dans un seul pays : la Russie ? Comment faire admettre que le gouvernement russe poursuit encore la destruction du système capitaliste, lorsqu’il négocie avec ses représentants les plus qualifiés ?
Comment faire disparaître ces forces extérieures dont Moscou n’a plus besoin, qui le gênent au contraire dans ses négociations ?
Comment préparer l’entrée de la Russie Soviétique dans le concert des nations, à Genève, à la S.D.N. et au B.I.T., sans avoir, auparavant, abjuré toute foi révolutionnaire ?
C’est à toutes ces tâches qu’ont travaillé, sans relâche, les dirigeants russes depuis dix ans. Comment ont-ils pratiqué pour atteindre leurs objectifs ?
Sur le plan politique : En excluant à tour de bras, en provoquant sans cesse la constitution de nouveaux partis, en sapant du dedans, par l’action de leurs agents et des personnages louches à leur solde, tout le travail établi et exécuté par des hommes restés sincères ; en faisant régulièrement élire au parlement les pires adversaires des travailleurs ; en pratiquant la fameuse tactique « classe contre classe », qui réduisit les députés communistes à l’effectif d’une escouade, alors que, si Moscou l’avait voulu, ils eussent pu être 50 à 60. Enfin, en prenant tournant sur tournant, virage sur virage, au bout desquels les exécutants, ahuris, se retrouvaient régulièrement « projetés dans le décor » ; en pratiquant la fameuse tactique « de la volaille à plumer », si chère au capitaine Treint, dont la Pologne blanche refusa les services contre les Soviets, en 1920–1921, les dirigeants de l’Internationale Communiste achevèrent de désorienter les militants et les adhérents de leur section française, dont le nombre descendit rapidement de 100.000 à 25.000 membres.
Sur le plan syndical : Sur ce terrain, la résistance fut particulièrement vigoureuse. Il fallut deux années et demie d’efforts au Parti communiste français pour se rendre maître réellement de la C.G.T.U. et encore n’y parvint-il qu’en utilisant les grands moyens : attentats répétés contre les militants anarcho-syndicalistes, complots fomentés avec le concours de la Tchéka internationale à l’étranger, et en particulier celui de 1923, à l’occasion de l’occupation de la Rhur, qui donna naissance au fameux faux de Hambourg, préparé par Radek à Berlin et qu’avala, comme un serin, Poincaré ; assassinat prémédité des militants syndicalistes à la salle de l’Union des Syndicats, rue de la Grange-aux-Belles, à Paris, où Poncet et Clos trouvèrent la mort, assassinat que devaient dénoncer des « dizainiers » communistes écœurés : le tout, bien entendu, en offrant le « front unique » à la C.G.T. et en proposant l’unité syndicale.
Enfin, la scission dans la C.G.T.U., réduite en peu de temps, de 390.000 membres à 150.000 adhérents, groupés dans des fédérations endettées et ne vivant que par le soutien de Moscou, avec l’unique but de détruire ce qui restait encore du mouvement dit « unitaire ».
Et là, les Staliniens se surpassèrent. Ne pouvant renvoyer chez eux les « fidèles » qui persistaient, contre toute évidence, à rester convaincus de la valeur des doctrines moscovites, ils les décimèrent à coups de grèves « malheureuses », perdues d’avance, cependant qu’ils ne manquaient pas, par la mystique de l’unité syndicale, de faire pénétrer l’idée, chez les récalcitrants à la débâcle, du caractère tout provisoire de la C.G.T.U., déjà habilement scissionnée en 1924–1925.
A travers les méandres d’une telle politique qui permit à la C.G.T. de reprendre du poil de la bête à un point tel qu’elle est aujourd’hui l’arbitre de la situation, une idée, toujours poursuivie, apparaît nettement : la disparition d’un mouvement syndical, fabriqué de toutes pièces, dont on n’a plus besoin à Moscou et qu’on liquide par l’unité dans un réformisme parfaitement conforme à la tactique du gouvernement bolchevique qui ne peut reculer son adhésion à la Société des Nations, qui pratique la politique traditionnelle de la Russie à l’extérieur et conclut alliances et pactes avec les gouvernements capitalistes, avec une persistance et un « succès » que rien ne dément ni n’arrête.
Aujourd’hui, la révolution soviétique est définitivement close. Les politiciens russes se retrouvent sur le plan de la collaboration des classes avec tous les autres marxistes assagis et rien ne s’oppose à ce que, politiquement et syndicalement, tous ces fils d’un même père spirituel se retrouvent dans une seule et même famille, pour conquérir, électoralement, le pouvoir.
L’unité ? Elle n’a pour but que d’assurer, en France, en 1936, avant si possible, le triomphe des politiciens socialistes et communistes, flanqués de tous leurs succédanés et réconciliés sur le dos d’une classe ouvrière trompée et bafouée pendant quinze ans, qu’on tentera d’asservir définitivement en l’enchaînant au char de la bourgeoisie, à Genève et ici.
A la C.G.T.S.R., nous sommes pour l’Unité ; mais, une unité maquignonnée comme celle qui est en cours n’a, à nos yeux, aucun intérêt réel pour la classe ouvrière.
Les syndicats qui adhéraient au Comité de Défense Syndicaliste, au lendemain du Congrès de Saint-Étienne en 1922, ont défini notre position ; la Fédération des Syndicats Autonomes de France l’a confirmée, aux Congrès des deux C.G.T., en 1925. La. C.G.T.S.R. n’a cessé, depuis sa fondation, d’exposer et de définir la même attitude et, dans sa délibération, au lendemain de la grève générale du 12 février 1934, la C.A. l’a, une fois de plus, affirmée dans les termes suivants :
« Résolution sur l’Unité. — Appelée à examiner les conditions dans lesquelles s’est déroulée la grève générale du 12 février 1934, la Commission Administrative de la Confédération Générale du Travail Syndicaliste Révolutionnaire constate :
« 1° Que l’ordre de grève a été scrupuleusement suivi par toutes les organisations syndicales appartenant à notre Centrale ;
« 2° Que l’unité d’action à la base s’est réalisée spontanément dans l’ensemble du pays, sans discussion ni accord préalables ;
« 3° Que cette unité d’action a permis à la classe ouvrière française d’attendre son objectif, qui était de barrer la route au fascisme.
Enregistrant ces résultats, la C.A. est convaincue que toute nouvelle offensive fasciste dressera, dans les mêmes conditions, le prolétariat français contre son ennemi. Elle est également certaine que toute offensive ouvrière contre le fascisme réunirait, pour la lutte, la totalité des forces ouvrières de ce pays.
De même, la C.A. est unanime à affirmer que l’unité d’action, scellée dans l’offensive, c’est-à-dire pendant la phase finale de la destruction du système capitaliste, se transformera, automatiquement, en unité organique révolutionnaire, pour la construction de l’ordre nouveau.
Aussi, fidèle à sa doctrine et à sa tactique, qui viennent de recevoir la confirmation éclatante des faits, la C.G.T.S.R. demande à tous ses syndicats de poursuivre leurs efforts sur le même plan, avec les mêmes méthodes, à réaliser, partout et spontanément, l’unité d’action avec tous les travailleurs, chaque fois que les circonstances l’exigeront.
Elle leur demande, en outre, de se préparer à l’action décisive, au cours de laquelle se scellera définitivement et organiquement l’unité syndicale de tous les travailleurs.
Elle considère que, pour porter tous ses fruits, l’unité organique doit marquer le triomphe et l’indépendance totale du syndicalisme et réaliser la substitution de la notion de classe à la notion de parti.
Une telle unité doit avoir pour conséquence et comme but l’établissement, par les travailleurs, sur les plans économique, administratif et social, d’un régime d’égalité sociale complète et comporter, pour les individus et les groupements, la liberté, définitivement consacrée.
En conséquence, la C. A. déclare qu’il ne peut s’agir de réaliser à un moment quelconque, sous n’importe quel prétexte, en dehors des conditions ci-dessus indiquées, une unité qui ne profiterait qu’aux partis politiques, ayant fait au préalable leur propre unité, pour conquérir le pouvoir et l’exercer au détriment de la classe ouvrière. — La C.A. de la C.G.T.S.R. »
Cette résolution est d’une netteté absolue. Elle est, aussi, complète. Elle ne comporte aucune équivoque, n’amorce aucune manœuvre. Elle n’est, à l’encontre de toutes les autres, inspirée que par le souci de l’intérêt supérieur du prolétariat. Elle dégage de la leçon du passé les enseignements qui s’imposent et ne peuvent être que salutaires.
Elle indique clairement quel doit être le but à atteindre : la Révolution. Elle précise quel doit être l’objectif de cette dernière.
L’unité que propose la C.G.T.S.R. est donc une unité sérieuse et honnête, solide et durable.
Elle n’a rien de commun avec l’unité politico-économique qui est en gestation en ce moment et ne vise : qu’à conserver le contact avec la bourgeoisie dite libérale, à faire triompher le réformisme social, et permettre au gouvernement russe de faire son entrée officielle à Genève, à rendre possible la conclusion d’une nouvelle alliance franco-russe qui risque, à un moment donné, comme l’ancienne, de devenir un des plus sérieux éléments de conflit européen et peut-être mondial.
De quelque façon que l’unité se réalise, je souhaite en tout cas qu’elle soit définitive ; qu’elle marque le triomphe du syndicalisme sur tous les partis, que les syndicats l’utilisent uniquement pour atteindre leur but, en faisant triompher le programme que la C.G.T.S.R. a établi, ce programme qui alarme tant tous les partis et les deux autres C.G.T., ce programme révolutionnaire qui tient tout entier en ces deux phrases :
Toute l’Économie aux Syndicats !
Toute l’Administration sociale aux comités ! — Pierre Besnard.
UNIVERS n. m. (du latin universus, entier). Ensemble des choses existantes, le monde, la terre et ses habitants. Il n’y a pas si longtemps encore, que la Terre était considérée comme le centre et presque le tout d’un Univers organisé pour les hommes, Univers si mesquin, si étriqué qu’il suffisait, pour le gouverner, d’un dieu construit à l’image de ces hommes, dont il partageait les passions, les sentiments, les besoins. Alors l’Intolérance et la Superstition faisaient peser sur les esprits un joug d’autant plus lourd que la mesure des cieux n’était point commencée, c’était le règne des cosmogonies puériles imposées par les religions aux hommes ignorants. Or, un jour, l’emploi d’instruments nouveaux, l’utilisation de méthodes scientifiques plus sures, vint nous révéler un Univers différent, gigantesque, prodigieusement riche, dont rien, actuellement encore, ne nous annonce la limite, et relégua au néant les conceptions arbitraires imposées par la Croyance : l’anthropocentrisme fut vaincu et, avec lui, moururent les cieux de Ptolémée et de Tycho-Brahé.
La Terre, si grande pour les insectes que sont les hommes qui s’agitent à sa surface, cessa d’être le centre et le but de l’Univers pour devenir un petit globe de matière, isolé dans l’espace, sans soutien d’aucune sorte ; le soleil, le bon et bienfaisant soleil, ne fut plus qu’une humble unité perdue dans la masse d’étoiles circulant dans les espaces glacés du ciel.
Le globe que nous habitons a la forme d’une sphère ou, mieux, d’un ellipsoïde de révolution d’un diamètre de 12.750 kilomètres à l’équateur. Sa circonférence équatoriale est de 40.076 kilomètres. Sa surface est de 510 millions de kilomètres carrés et son volume équivaut à 1.083.260 millions de kilomètres cubes. Tournant sur elle-même en 23 h. 56 minutes, la terre tourne également en 365 jours 1/4 autour du soleil, dont elle est distante de 149 millions de kilomètres en moyenne.
La Terre n’est pas la seule planète gravitant autour du soleil ; huit autres planètes obscures, recevant du soleil la chaleur et la lumière, l’accompagnent dans sa ronde sans fin. On peut les diviser en deux groupes distincts : le premier, voisin du soleil, formé de quatre planètes de petites dimensions relativement à celles du second groupe. Ces planètes sont dans l’ordre des distances au soleil : Mercure, Vénus, la Terre et Mars. Le second groupe est formé de cinq planètes, dont quatre sont énormes comparées aux précédentes. Ces mondes sont, dans l’ordre des distances : Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et Pluton, Des membres de la famille solaire, seuls Vénus et Pluton sont sensiblement égaux à la Terre, Mars et Mercure sont plus petits ; les autres sont énormes : Jupiter est 1.295 fois plus volumineux que notre globe, Saturne l’est 745 fois, Uranus et Neptune le sont respectivement 63 et 78 fois. Mais tous sont éclipsés par le Soleil qui est 1.300.000 fois plus gros que la Terre et qui, à lui seul, est 700 fois plus volumineux que l’ensemble des mondes du système.
Ces corps planétaires sont situés à des distances différentes de l’astre du jour ; Mercure gravite à 58 millions de kilomètres du Soleil ; Vénus qui vient ensuite, à 108 millions ; Mars, suivant la Terre, à 228 millions ; Jupiter à 778 millions ; Saturne à 1 milliard 428 millions ; Uranus à 2 milliards 873 millions ; Neptune à 4 milliards 501 millions, et Pluton, la dernière planète actuellement connue est à 5 milliards 950 millions de kilomètres du foyer central (distances moyennes). Ces terres du ciel, circulant aux distances énoncées, tournent dans le même sens autour du Soleil, en des temps plus ou moins longs, selon qu’elles sont plus ou moins éloignées de cet astre, conformément aux lois définies par le génie de Képler et sont soutenues dans l’espace par l’attraction universelle, ou gravitation énoncée par Newton. Mais quelle que soit l’étendue du système solaire, qui pourrait se comparer à un cercle dont le rayon aurait 5 milliards 950 millions de kilomètres de longueur et la circonférence 4.065 milliards de kilomètres, elle semble bien petite comparée aux distances célestes. Si, sur un rayon de lumière, nous allions du Soleil à la planète Pluton située aux confins du système solaire, il nous faudrait environ 6 heures pour y arriver en voguant sans arrêt à l’effrayante vitesse de la lumière : 300.000 kilomètres à la seconde. De cette lointaine terre du ciel, nous découvrons le vide, la plus proche étoile étant située à une distance telle que l’unité de mesure qui nous a servi pour évaluer l’étendue du système solaire se trouve trop petite ; il nous faut nous servir d’une autre unité plus en rapport avec l’énormité de l’étendue à arpenter, nous prendrons donc l’année-lumière (voir système métrique) représentant l’espace parcouru en un an par la lumière, soit 9 trillions 467 milliards de kilomètres.
La plus proche étoile de notre Soleil est un petit astre, visible dans l’hémisphère austral, auquel on a donné le nom de Proxima du Centaure et qui est située à 4, 2 années-lumière. Sirius, la plus belle étoile du ciel, est à 8, 8 années-lumière ; Altaïr, de l’Aigle, est à 14 années-lumière ; Véga, de la Lyre, à 27 années ; l’Étoile Polaire, à 46 années ; Aldebaran, du Taureau, est à 57 années. Et ce sont là nos plus proches voisines, les autres sont si éloignées qu’il n’a pas été possible de mesurer avec précision leur éloignement, la grande majorité d’entre elles se trouvant à des distances si prodigieuses que toutes les tentatives faites ont échoué. Certaines sont si éloignées que leur lumière met plusieurs milliers d’années pour nous arriver.
Ces quelques notions nous éloignent considérablement des idées émises par les Anciens et les religieux des siècles passés, sur l’étendue de l’Univers, mais elles sont encore insuffisantes pour nous donner une idée claire de l’architecture et des dimensions de celui-ci.
Nous avons dit que le Soleil, cette masse énorme de matière dissociée, dont la température de la couche extérieure doit atteindre 5.000 degrés centigrades, tandis qu’à l’intérieur elle se chiffre par plus de 22 millions de degrés, n’est qu’une étoile, semblable à celles qui s’allument le soir dans le ciel qui s’obscurcit peu à peu. Transporté à la distance de Proxima du Centaure, notre Soleil ne serait plus visible que sous la forme d’une petite étoile de 7e grandeur. Car ce n’est qu’une unité perdue dans l’immense fourmillement d’étoiles qui parsèment l’infini. Le nombre des étoiles actuellement visibles avec les plus puissants télescopes est d’environ 1 milliard 500 millions. Ce nombre dépasse certainement, d’après les estimations théoriques, 100 milliards, il y aurait ainsi plus de 60 étoiles par homme. Et chacun de ces astres est un foyer de chaleur et de lumière, de dimensions souvent supérieures à celles de notre Soleil, qui vogue sans trêve dans l’espace, entraînant peut-être à sa suite un cortège de planètes, et distant de ses voisins les plus proches de plusieurs années-lumière !
L’examen de la voûte céleste nous montre que les étoiles semblent très inégalement réparties dans l’espace. Tandis que, dans certaines parties du ciel, les astres semblent très clairsemés, dans d’autres ils sont si nombreux, tellement agglomérés qu’ils produisent à l’œil l’impression d’un nuage lumineux composé d’une multitude de points brillants. Le plus remarquable et le plus grandiose de ces nuages lumineux est sans contredit la Voie Lactée ou Galaxie, immense ruban qui fait le tour entier du ciel. Il y a, dans cet amas stellaire, une quantité colossale d’astres séparés les uns des autres par des distances de plusieurs années-lumière. Notre Soleil, ainsi que toutes les étoiles que nous observons et qui paraissent, par effet de perspective, en être distinctes font partie de la Galaxie. Notre Soleil ne se trouve pas, comme certains l’ont prétendu, au centre de la Voie Lactée, mais occupe une situation nettement latérale et fait partie d’un amas d’étoiles situé à environ 60.000 années-lumière du centre de la Galaxie. Le diamètre de celle-ci atteint au moins — d’après les estimations les plus récentes – 300.000 années-lumière, son épaisseur maxima ayant environ 30.000 années-lumière. Les estimations les plus récentes évaluent à 37 milliards le nombre des étoiles brillantes actuellement perceptibles dans la Voie Lactée, et ce nombre doit être considéré comme trop faible. La Galaxie qui renferme tout ce que le ciel comporte d’étoiles, de nuages stellaires, d’amas de toutes sortes, aurait la forme d’une gigantesque spirale se mouvant en bloc avec une vitesse de 670 kilomètres à la seconde et se dirigeant vers un point situé entre le Sagittaire et le Capricorne (Vertex).
Indépendantes et isolées, séparées par le vide le plus absolu, situées à des distances monstrueuses de la Voie Lactée, se trouvent environ deux millions de nébuleuses spirales, univers analogues à la Galaxie et comprenant, comme elle, des milliards d’étoiles. Les plus proches, celles d’Andromède et de Hessier gisent à un million d’années-lumière. Le merveilleux groupement de Spirales, des constellations de la Vierge et de la Chevelure comprenant 103 spirales, serait à 10 millions d’années-lumière ; les plus éloignées, situées dans les Gémeaux, sont à 220 millions d’années-lumière de notre Soleil. Toutes ces nébuleuses-spirales qui sont autant d’univers différents du nôtre, s’éloignent de nous à des vitesses inconcevables. Elles fuient vers les pôles de la Galaxie à des vitesses variant de 600 à 2.000 kilomètres à la seconde.
D’autres créations stellaires doivent retenir notre attention ; il s’agit des amas d’étoiles visibles à l’œil nu sous la forme de petits nuages de forme à peu près sphérique, que le télescope résout en une multitude de points brillants. Ces amas se classent en deux groupes : les amas ouverts comme les Pléiades, les Hyades, les amas de la Grande Ourse comprenant un nombre restreint d’étoiles, et les amas globulaires où elles se pressent jusqu’à se confondre. Le nombre des étoiles des amas globulaires dépasse tout ce qu’on peut imaginer. Nous en connaissons, actuellement, 91. Ce sont des systèmes extérieurs à la Voie Lactée, ayant chacun un diamètre de plusieurs centaines d’années-lumière et comprenant plusieurs millions d’étoiles. Ces amas semblent tributaires de la Galaxie et paraissent terminer les spires de la spirale qu’est la Voie Lactée. Leur distance varie entre 20.000 et 220.000 années-lumière. Seuls, parmi eux, les deux amas des Nuées de Magellan sont hors du plan galactique et indépendants de nous. On ne sait que penser de leur nature. Ici se termine notre exploration de l’univers.
Nous pouvons résumer brièvement. comme suit l’ex posé ci-dessus :
1) La Terre n’est qu’un membre de la famille solaire ; 2) Le système solaire n’est qu’une unité parmi les étoiles de la Galaxie ; 3) La Voie Lactée n’est qu’un membre du système des cités spirales de l’espace. Tel nous apparaît l’Univers actuellement connu. Le monde des étoiles nous dévoile aujourd’hui sa constitution chimique ; ses mouvements individuels et collectifs ; son âge et le degré d’évolution de ses membres, leur température, leur rythme et leurs pulsations. L’Univers, révélé par nos moyens d’investigation actuels — bien faibles à côté de ceux de demain — semble donc formé par deux millions de nébuleuses spirales aussi vastes que notre système stellaire, séparés entre eux par des déserts de vide dépeuplé, que la lumière si rapide ne franchit qu’en des milliers de millénaires. Nous n’avons exploré qu’environ la 1/600e partie du rayon de l’Univers, qui pourrait avoir, d’après les estimations théoriques, 500 millions d’années-lumière de longueur. Cet Univers si riche, si gigantesque, véritables fourmilières de soleils, est-il donc infini ? Oui, disent les uns ; non, disent les autres, à la suite d’Einstein.
Si l’Univers stellaire tout entier est constitué par la Voie Lactée et ses annexes, l’univers peut être considéré comme fini, comme pratiquement limité. Si l’on considère la Galaxie comme une unité parmi les millions de spirales que l’observation révèle, l’Univers accessible sera-t-il formé d’un amas de nébuleuses galactiques en nombre fini ? Seule l’expérience de l’avenir nous le dira. Mais il est presque certain que nous nous rallierons aux conclusions d’Einstein et qu’avec lui nous affirmerons que l’Univers, si vaste qu’il soit, est fini, quoique illimité. Si l’on considère l’espace-temps du point de vue Einsteinien de la relativité, l’Univers serait incurvé : la courbure de l’espace devant être constante et telle qu’il se referme sur lui-même à la façon d’une surface sphérique. De même qu’un être se déplaçant à la surface d’une sphère pourra indéfiniment en faire le tour en tous sens sans être arrêté par une limite, de même un rayon de lumière — étant donné la courbure de l’Espace — pourra faire le tour de l’Univers sans être arrêté dans sa course. Nous pouvons donc considérer, en attendant les découvertes de demain, l’Univers comme un espace clos, fini, aussi fini que la surface de la Terre.
Quelle que soit la valeur de ces hypothèses, malgré que les notions qu’elles apportent semblent prédire que l’Univers présente toutes les apparences d’une évolution à sens unique et que sa mort apparaisse inéluctable, dans un temps infiniment long, les savants modernes n’en ont pas moins conclu à l’éternité de l’Univers. Celui-ci est et restera toujours la même fourmilière d’étoiles brillantes, se dissipant et se renouvelant sans cesse. Grâce aux méthodes positives qui ont permis de mieux interroger la nature, l’Astro-Physique a levé le voile qui nous cachait la réalité des espaces de l’immensité sidérale. La matière-énergie, les lois naturelles agissant dans le Cosmos semblent, aujourd’hui comme hier, éternelles et indestructibles. Et si l’observation directe des phénomènes naturels nous a conduit à faire table rase des productions de la science antique, basées sur l’hypothèse et l’intervention des forces occultes dont les fables mythologiques avaient peuplé les cieux, elle fait confiance aux forces de l’homme, ce misérable insecte chétif, qui a su, une fois dégagé de son animalité, s’élever aux plus hautes conceptions, et mesurer en même temps que les cieux, sa propre valeur qui lui a fait rejeter les vieilles légendes imprégnées de fatalisme et d’action providentielle, qui l’empêchait de vivre libre en obscurcissant son entendement. — Charles Alexandre.
Bibliographie. — Picart, Astronomie générale ; Jeans, L’Univers ; Couderc, Architecture de l’Univers ; Nordman, Einstein et l’Univers ; Metz, La Relativité ; Andoyer et Lambert, Cours d’astronomie ; Flammarion, Astronomie populaire ; Les Étoiles.
URBANISME n. m. Aménagement des villes, petites ou grandes. L’urbanisme a pour effet d’étudier l’organisation rationnelle des cités, en tenant compte du lieu géographique, du sol et du sous-sol de ce lieu, des centres d’approvisionnement, des voies d’accès et de répartition : mers, rivières, canaux, routes ; enfin de tout ce qui est conforme aux lois de l’hygiène, de l’habitation, de la construction des usines, de la non promiscuité de celles-ci avec le logement, de l’emplacement des groupes scolaires, etc…, le tout devant être conçu suivant des vues d’ensemble, en tenant compte des données modernes. L’urbanisme a, de ce fait, une importance considérable au point de vue social, il devient un élément de premier plan pour le progrès humain. Il fait partie de l’évolution des idées qui nous conduit vers l’étude des réalisations logiques ; en résumé, il est une manifestation de l’esprit collectif, lequel commence à s’affirmer.
Pendant de longues périodes, la maison, dans la cité, a été construite indépendamment des besoins collectifs ; de ce fait, les rues furent tracées, si l’on peut dire, en tenant compte obligatoirement des maisons édifiées ; aucun souci d’orientation, de direction ; de plus, les habitations furent placées au hasard, d’une façon illogique, à proximité des ateliers, avant la période des grandes usines, laquelle respecta la tradition, ou de commerces malsains. C’est le temps de l’individualisme qui a été la caractéristique la plus générale dans la plupart des créations de cités édifiées dans le chaos que nous connaissons.
Au titre d’exemple, le XIXe siècle industriel a provoqué cet illogisme de la maison devenue rapidement taudis auprès d’une agglomération d’usines. L’industrie qui aurait dû constituer un apport de richesses matérielles générales a amené et développé, pendant plus d’un siècle, ce taudis avec toutes ses conséquences. Il suffit de voir, à notre époque, ce que sont devenus certains quartiers des grandes cités, y compris Paris et sa banlieue industrielle, et autres centres importants, pour constater, malgré quelques tentatives de créations de cités ouvrières, la promiscuité de la maison, de l’usine ou de la mine.
Pendant le cours de ce siècle, les industries se développant dans certaines régions, il a fallu éloigner relativement l’habitation du lieu du travail. Alors, la banlieue artificielle s’est créée, à la faveur, d’ailleurs, de nouvelles voies de communications avec le centre ; c’est la période des lotissements ! Les « marchands de biens » acquièrent des domaines que ne peuvent plus occuper les anciens nobles ou bourgeois ; ils tracent un minimum de routes ou chemins et vendent des parcelles de terrain, après avoir abattu les plus beaux arbres. Ces parcelles sont vendues le plus cher possible et ne possèdent, pendant longtemps, ni eau, ni gaz, ni électricité. Il est résulté de cette exploitation sans limite une série d’inconvénients au moins aussi graves pour les habitants, que ceux provoqués par les taudis des centres industriels. Il a été prouvé que ces lotissements n’ont amené, dans leur ensemble, aucune amélioration de la vie sociale.
L’après guerre a provoqué, en France, la reconstruction des régions dévastées ; de plus, une loi, en 1919, a imposé aux villes et communes un programme d’aménagement et d’extension sur un plan moderne, tenant compte, en principe, des besoins nouveaux de ces cités. Si, dans certains cas, un effort réel a été fait par les techniciens pour tenter de reconstruire les régions dévastées dans des conditions rationnelles, cette réalisation n’a pu aboutir que partiellement (malgré des projets d’ensemble intéressants), et cela du fait des intérêts particuliers qui ont été les plus forts. Mais il est exact de dire que c’est vraiment à partir de cette époque que l’idée s’est affermie en profondeur, dans l’esprit d’un certain nombre de techniciens, en faveur de la transformation et de la reconstruction des villes ; idée avec réalisations partielles qui ont permis de discuter et de fixer des théories au point de vue de l’urbanisme moderne, de défendre des principes et d’établir des programmes. Il existe maintenant à ce sujet une littérature assez considérable, des cours sur l’urbanisme sont organisés, des écoles sont créées. Le fait de poser ce problème de l’extension des villes, d’en étudier les diverses modalités, de voir, en somme, plus loin que le cadre de la vie du moment d’une cité, d’en prévoir, au mieux, ses agrandissements futurs, de déterminer la concordance des routes, l’utilisation des terrains, de situer les centres collectifs : écoles, marchés, etc…, constitue un progrès réel. L’urbanisme a également, au point de vue moral, un effet bienfaisant ; il prépare à la solidarité entre l’ensemble des villes ; il brise peu à peu la vieille borne régionale ou citadine par la route, l’électricité, l’hygiène sociale, le transport, etc… La nécessité où l’on se trouvera de plus en plus, dans un ensemble de régions et de pays, d’établir une commission d’intérêts, de créer ou même de transformer, d’aménager une cité en fonction de ce que la cité voisine pourra lui fournir en éléments matériels et intellectuels, aura pour conséquence d’amener impérieusement une vie solidaire effective entre chacune d’elles.
Il est intéressant de fixer, dans l’ensemble, comment se sont constituées les cités à l’origine des temps, quels sont les éléments matériels et moraux qui ont contribué à leur formation et à leur développement ? Ont-elles dépendu, à ce point de vue, de la volonté des hommes, ou ont-elles été surtout le résultat, au départ, de conditions géographiques, géologiques et économiques : climat, sous-sol, sol fertile, rivières, forêts, pêches, chasses, facilités de communications par des accès de routes naturelles, points stratégiques de protection, collines ? etc… Il est incontestable que ce sont ces éléments matériels qui, au début, ont déterminé le séjour des hommes. Il fut un temps où l’on assignait le point d’origine de la cité par le fait d’un acte religieux exclusivement — et l’on sait, à notre époque, que les possibilités matérielles de vivre ont seules fixé l’habitat. — Nous trouvons toujours, à la base de la formation des grands centres, un élément d’ordre géographique, la mer, le fleuve et la route naturelle qui deviendra, plus tard, la route construite par les hommes, puis le site, son climat. (Voir Habitation.)
Il est possible qu’ensuite le rôle religieux, politique, intensifie pendant un certain temps le développement de la cité, mais c’est, au début de sa formation, le fait géographique et économique qui agit vraiment sous la forme de centre de ravitaillement, avec des possibilités d’échanges ; plus tard, les foires, ces centres d’approvisionnement temporaires, sortes d’immenses marchés, auront leur rôle dans la modification des routes, elles contribueront à perfectionner les grandes voies, car les nomades auront besoin de ces moyens de communication, et ces voies faciliteront à leur tour la création de villages, de bourgs, de cités.
C’est par l’étude de la détermination de la valeur « homme », par rapport où il vit, que nous pouvons fixer les lois de la naissance et du développement des villes. La géographie n’est plus, à notre époque, une simple description des régions avec leur valeur propre, elle est devenue un élément de comparaison et d’étude de l’influence de ces régions sur l’individu. Or, cette détermination est importante, car l’homme au début ne vit pas où il veut, mais où il peut ! Il ne crée pas une cité où sa fantaisie le conduit, mais où il croit qu’il peut subsister. Les pôles, les régions tropicales, les déserts, refusent, en général, aux collectivités importantes la possibilité de vivre.
Il est nécessaire que nous examinions succinctement les périodes les plus reculées de l’histoire, car la formation des cités et leur organisation dépendent de l’ensemble des problèmes humains : la cité est évidemment fonction de tous les éléments qui ont contribué à former géographiquement, économiquement, une vaste région du territoire.
Nous savons qu’à la toute première période des temps préhistoriques les peuples, en nos régions, sont nomades ; ils vivent de chasses et de pêches, ils s’abritent dans des huttes d’abord, des cavernes ensuite, ils ignorent l’agriculture ! Au contraire, à la seconde période, ils connaissent les céréales, ils deviennent sédentaires dans l’ensemble ; les agglomérations se constituent ; donc, influence de cette découverte de l’agriculture sur la vie collective des peuples. Mais voici de nouvelles richesses naturelles : les métaux, le cuivre, l’étain, qui vont faire l’objet de transactions, d’échange ; c’est l’origine du commerce avec la création des « étapes » pour faciliter ces échanges. Nous retrouvons toujours les mêmes éléments d’influence dans la formation des agglomérations, petites ou grandes : la vie géographique, économique.
Afin de situer, par un exemple les régions ou pays qui ont subi au point de vue de leur développement l’influence géographique, signalons la très ancienne Égypte qui, à cause de ses protections naturelles, la mer au nord et le désert à l’est, au sud et à l’ouest, s’est développée pendant de longues périodes, sans grande influence de l’extérieur ; elle a vécu sur elle-même, grâce surtout à son fleuve, le Nil, sans apport d’aucune sorte, n’ayant subi aucune grande invasion. Elle a conservé un caractère propre. Mais plus tard, les autres peuples méditerranéens vont, au contraire, grâce à la navigation, prendre contact entre eux, ils vont bénéficier de la situation géographique de leur pays respectif et des progrès des uns et des autres. La Méditerranée a été, à ce moment, le centre d’une formidable activité, circulation entre le bassin oriental et le bassin occidental, des « villes » d’échange exercent un rôle considérable : Tyr, Sidon, villes des Phéniciens — ce grand peuple intermédiaire — qui ont une action de premier plan au point de vue des échanges matériels et intellectuels.
La mer ne va plus être un obstacle entre les peuples mais un moyen de rapprochement, grâce aux « villes maritimes » ; d’autres cités vont être créées : Carthage, Syracuse, Marseille, etc., etc… La mer va provoquer un immense courant civilisateur.
Puis, nous voyons, plus près de nous, le rôle joué sur le développement des villes par « les fleuves », le Rhône, la Saône, la Seine, la Loire qui, pendant de longues périodes, vont permettre une communication entre la Méditerranée, l’Atlantique, la Mer du Nord.
A l’époque Gallo-Romaine, à la faveur des échanges commerciaux, « les routes » vont avoir une importance réelle. Les marchands ou nomades, qui connaissent parfaitement toutes les régions celtiques, vont renseigner César sur la situation et l’importance des « Cités gauloises ».
Lyon va devenir à ce moment une ville de premier ordre parce qu’elle est au confluent du Rhône et de la Saône ; elle commande, vers le Sud, la vallée du Rhône, elle a l’avantage d’être au Nord en contact avec les vallées de la Loire et de la Seine, puis avec la vallée du Rhin : ville des carrefours ; et c’est la raison pour laquelle elle va devenir sous les Romains une ville impériale et la capitale politique des Gaules. Elle va se situer au point de départ des grandes routes Romaines, ces fameuses voies si parfaitement construites, qui ont contribué à la formation de villes nouvelles ; leur rôle est important à tous les points de vue, car elles n’ont pas été tracées au hasard par les Romains qui ont tenu compte des situations géographiques, économiques et politiques des régions. Ces routes ont subsisté pendant de longs siècles, sinon dans leur forme primitive, du moins dans leur direction, leur orientation et leur utilisation.
À titre d’exemple, citons, à Paris, la rue St-Jacques conduisant d’abord à Orléans ; cette ancienne voie romaine, qui a été un lieu de passage constant, de circulation intense, en continuité directe de la rue St-Martin actuelle sur l’autre rive. Ce fut la voie du sud au nord ; puis, formant « la croisée de Paris » avec les rues de Rivoli, St-Antoine actuelles en direction ouest-est (anciennes voies Romaines également). Cette croisée, au point d’intersection, devenant le centre vivant et actif de Paris pendant de nombreux siècles soit le port de Paris à proximité de l’actuel Hôtel de Ville, les Halles toujours au même emplacement ; le commerce au pourtour de l’Ancien Châtelet ; et le centre administratif et religieux à proximité, dans la Cité, avec son Palais des Rois d’abord, le siège des Parlements ensuite, et sa Cathédrale, ses ponts : Pont au Change, Pont Notre-Dame, avec leur activité commerciale considérable et tout cela provoqué dans la ville, par le fleuve et l’intersection des voies de passage.
Au point de vue des influences que nous avons indiquées sur le développement des « villes », citons encore la lutte économique entre Venise et Amalfi au moyen âge, ou Gênes, Pise, Florence, villes riches, puissantes, du fait de leur situation géographique qui, à cette époque, facilitait leur commerce avec l’Orient ; et, de ce fait, elles devinrent un centre de rayonnement important au point de vue artistique et jouèrent un rôle de premier plan dans les manifestations de la Renaissance Italienne.
Progressivement, la vie économique va s’affirmer, se développer dans les régions de l’Europe du Nord. Les Flandres vont dominer les « villes » du Midi ; c’est que le centre d’activité se déplace peu à peu, — de la Méditerranée vers l’Atlantique et les mers du Nord, — du fait précisément de la navigation. Les « cités » des Flandres, à leur tour, vont acquérir une richesse immense ; c’est là que vont maintenant se concentrer foires, marchés, centres d’échanges, ventes de produits provenant de tous pays.
L’Angleterre, qui acquerra une prépondérance sur les mers, vient s’y approvisionner et, à la faveur de ce mouvement, nous voyons des « villes » qui s’affirment commercialement, s’organisent suivant les nécessités urbaines du moment : Bruges, Gand, etc… ; les routes s’améliorent et, suivant le rythme indiqué, facilitent toujours la création de « cités nouvelles ». Les transports étant faits par mer, par rivière et par terre, se développent et des régions antérieurement isolées, comme l’Amérique du Nord, vont devenir, grâce aux transports par mer considérablement intensifiés, des centres de nouvelles activités.
En ce qui concerne les régions du Nord et de l’Est de l’Europe, une organisation d’intérêts va manifester sa puissance, du moyen âge à la Renaissance (XII- siècle au XVIe siècle) ; cette organisation de « villes » et de ports marchands dite ligue « Hanséatique », va grouper ces « villes et ports » en une fédération privilégiée et autoritaire, afin de conserver l’ensemble des avantages commerciaux considérables en ces régions ; nous voyons encore là, sur le développement des « cités », l’influence du lieu géographique, déterminant, pendant un certain temps, leur vie économique.
À la faveur de cette stabilité relative du groupe humain dans « la Cité », des idées religieuses et politiques s’affirment. Au moyen âge, nous voyons surgir des abbayes, qui vont devenir souvent des centres attractifs de population, grâce aux avantages matériels, aux privilèges acquis par les artisans, acceptant de vivre sous la dépendance de certains ordres religieux : Templiers, Abbaye St-Antoine, St-Germain-des-Prés, à Paris. Ces agglomérations de métiers, ébénistes ou autres, vont constituer une agglomération à la base d’un futur quartier de la « Grande Ville ». Il y a là un enchaînement de forces et de formes, dépendant des premiers éléments constitutifs dont nous avons parlé.
Sur les routes, vont s’échelonner, aux mêmes époques, des pèlerinages. Au titre documentaire et anecdotique, signalons ceux de « St-Jacques de Compostelle » (Espagne) ; les pèlerins passant par Paris vont donner ce nom à l’église de St-Jacques-la-Boucherie — futur quartier important de Paris — couvent des Jacobins, Rue St-Jacques. Ces pèlerins utilisent la vieille voie romaine déjà citée. La ville persiste dans sa formation de voies rationnelles.
Les pèlerinages ont contribué, grâce à ces voies, à créer des « centres d’activité » qui sont des sortes de gîtes d’étape au début ; ces points d’arrêt vont s’améliorer, se transformer et devenir des « villes » : St-Denis, Étampes, Orléans, Clermont-Ferrand, Le Puy, Montpellier, etc…
Si nous examinons certaines tendances d’urbanisme, dans le passé Français, nous voyons, au XVIIe siècle, la création, à Paris, de grandes places destinées à glorifier « le Roi ». C’est une survivance de Rome ; nous avons la Place Royale, actuellement place des Vosges, datant de Henri IV, et de Louis XIII ; puis la place Vendôme qui glorifiait Louis XIV ; la place des Victoires, créée par La Feuillade, un courtisan de ce même Roi. Citons également, à Charleville (Ardennes), la place Ducale, de même caractère que celle de la place des Vosges et qui fut le centre de transformation de cette Cité.
C’est la ville partiellement créée par la volonté des puissants du moment, mais cette création ou cette transformation ne sont que les conséquences des nécessités économiques ou politiques du temps, la première dominant considérablement. À Paris, ces places centrales sont les résultats d’une vie nouvelle qui s’affirme ; elles ont été importantes par leur situation dans la ville.
Place Royale, au XVIIe siècle, centre de noblesse, de haute magistrature et de grande bourgeoisie. Place formant le jardin intérieur du Palais-Royal avec une animation extraordinaire au XVIIIe siècle ; centre de commerces, d’attractions.
Place Dauphine, du XVIIe siècle, avec ses maisons de style uniforme, à proximité du Pont Neuf également si animé à cette époque ; tous ces centres ont perdu leur caractère du temps, ils ne sont que des décors plus ou moins somptueux, évoquant des souvenirs ! La vie active à « l’intérieur de la ville » comme à l’extérieur s’est déplacée.
C’est le règne des routes, dont nous avons parlé pour Paris, qui fait que la rive droite et la rive gauche vont avoir leur caractère propre, la rive droite conservant sa vie commerciale et la rive gauche sa vie universitaire, et cette empreinte est tellement forte dès le moyen âge que ce fait matériel et moral subsiste encore dans une large mesure à notre époque.
Et si nous avions le temps de déterminer dans le détail le rôle de chacune de ces « régions parisiennes », nous trouverions encore l’influence géographique avec ce facteur prédominant : la Seine et l’importance du site, du sous-sol, etc…
D’autres « villes » sont devenues à un moment de leur.histoire, un centre important stratégique à cause de leur situation géographique : Besançon, par exemple, et dans la plupart des cas, leur développement s’est arrêté lorsque leur rôle stratégique s’est terminé.
Un exemple, pris parmi les plus caractéristiques au point de vue de l’influence géographique et autres déjà citées, c’est la raison d’être de « Paris Capitale ». Deux thèses continuent à s’affronter, savoir : la Capitale est née en ce point du fait de la présence à peu près permanente du « Prince », autrement dit du Roi, qui a voulu que Paris soit Capitale du Royaume ; ou bien Paris est devenue Capitale parce que ses situations géographique, économique, géologique, stratégique, etc…, ont donné une telle importance à cette ville, que la vie politique s’y est affirmée pour bénéficier de tous ces avantages et consolider plus facilement sa puissance. Le pouvoir s’organisant en « cette ville » a permis, par le fait de sa centralisation, de donner à Paris une importance plus grande. De ces deux points de vue, aucun n’est suffisamment établi pour prévaloir, encore moins s’imposer. Toutefois, nous préférons cette seconde thèse.
En effet, Paris est un site merveilleux qui explique précisément son rôle important avec sa rivière, ses collines, les plaines fertiles : Beauce et Brie qui l’entourent, son sous-sol avec ses carrières de calcaire et de plâtre, puis ses forêts environnantes, enfin, même au début, ses possibilités de communication avec la Manche et l’Atlantique, le système de routes dont nous avons parlé, cet ensemble permettant un développement facile de la ville et devant l’amener à jouer le rôle que nous savons.
La ville est déjà bien constituée : sa situation de grande cité économique, politique, intellectuelle au XVIIe siècle est tellement puissante, que la volonté du Roi Louis XIV lui-même ne peut en diminuer l’importance. Or, il n’aime pas « sa ville », elle lui manifeste, malgré les honneurs qu’elle lui décerne, certaine indépendance ; il va créer, de toutes pièces en quelque sorte, Versailles, le château et ses splendeurs qui, lors de sa construction va coûter la vie à des milliers d’ouvriers ; mais, malgré toute la cour qui l’entoure, le roi ne va faire de Versailles qu’une ville artificielle sans importance économique, ni intellectuelle et, plus tard, Louis XVI subira l’emprise de la Ville de Paris et sera obligé de se soumettre à cette centralisation de forces de toutes natures : la ville dominant le Roi.
Paris n’est qu’un exemple pris dans l’ensemble des créations des cités de l’antiquité, du moyen âge et des temps modernes, et nous insistons sur l’importance du développement des routes et des approvisionnements dans la formation de ces cités.
Rappelons encore, en ce qui concerne le rôle économique joué au moyen âge par les premières corporations, celles des Nautes qui, grâce à la Seine et à la situation de Paris dont nous avons parlé, alimentaient considérablement cette ville, acquéraient de ce fait, des privilèges importants et exerçaient une influence politique de premier plan, et toutes les autres corporations des métiers essentiels de la ville s’ajoutaient à celles des « navigateurs » et augmentaient progressivement la puissance de la capitale.
De tout temps, nous trouverons le même processus d’évolution : que ce soit en Europe, en Amérique du Nord et en Amérique du Sud. Nous l’avons déjà souligné. Il y eut la route des métaux, des épices, de l’alimentation, céréales, poissons, des centres d’échanges.
La voie internationale va compléter la voie nationale, laquelle complète la voie régionale, mais la formation des cités sur ces voies est de même caractère.
« L’Étranger », cette appellation prise dans un sens général, va contribuer au développement de la ville. Si, en dehors des exemples relatifs à l’antiquité cités plus haut, la ville ou la commune s’étaient repliées sur elles-mêmes, sans aucune extériorisation, et surtout sans apport de l’étranger, elles seraient rapidement mortes, sans vie politique.
Le faubourg de la Ville, cette fraction de territoire qui est maintenant, en général, à proximité de la gare, est un débordement de la cité d’antan : ce faubourg n’a, souvent, aucun pittoresque, c’est l’extension de notre Ville créée par l’élément extérieur, c’est le commerce qui est venu là par nécessité, c’est, dans certains, le centre d’affaires immédiat.
Il fut un temps où, en France, les fortifications constituaient une protection limitée et qui paraissait être définitive, mais les nécessités de développement infiniment plus impérieuses que la volonté des hommes, obligèrent ceux-ci à déborder le cadre des murailles imposantes et à créer « le faubourg », et cela malgré les ordonnances royales : la Ville s’affirmait ainsi, en dépit du Roi et du Prévôt. Considérons à quel point l’apport étranger a joué, du point de vue économique et intellectuel. L’invention de l’imprimerie, au XVIe siècle, eut sur la Ville de Lyon, par exemple, une influence considérable. Nous constatons, dans l’ensemble, que la Ville s’est développée surtout sous l’impulsion des éléments d’ordre matériel et intellectuel extérieurs.
Certains bourgs révèlent des aspects intéressants, des souvenirs précieux, dont il faut absolument tenir compte au point de vue de leur originalité et de leur vie passée : ils avaient leur charme pittoresque, leur évocation charmante, mais ils étaient morts au point de vue social, car leurs habitants avaient conservé un esprit adapté aux vieux murs, et une sorte d’hostilité farouche pour « l’étranger » qui, lui, habitait peut-être la Cité fréquentée et éloignée de 50 kilomètres du bourg signalé. C’est que ce bourg, qui eut son histoire, son importance, n’était pas ou n’était plus sur la voie de passage : route ou rivière navigable. Mais un jour, à la faveur d’une nécessité économique, une route a surgi avec ses automobiles, ou une voie de chemin de fer a été créée : voilà le bourg transformé en cité vivante, plus ou moins bien organisée, construite au hasard des modes du moment, moins pittoresque sûrement que le coin détruit, mais vivant et avec des avantages nouveaux.
Où l’importance des moyens de communication s’accentue, c’est précisément au XIXe siècle ; du fait de la voie ferrée, des inventions mécaniques, de la vapeur plus particulièrement. C’est alors le renversement des anciennes valeurs économiques et sociales. C’est le déplacement des échanges ; c’est tel pays, à peu près isolé aux siècles précédents, qui acquiert une prépondérance réelle. Et nous voyons immédiatement le rôle que prennent les « Cités nouvelles ».
Du fait de la modification apportée aux échanges par les voies ferrées, les continents vont bénéficier d’une importance nouvelle et ne vont plus être subordonnés exclusivement à la voie maritime. Création de villes continentales au Canada, en Amérique du Nord, en Angleterre, en France, en Asie, en Russie, etc… Il n’est pas une région au monde qui, dans des proportions diverses, n’ait, du point de vue strictement urbain, bénéficié de cette transformation par la « voie ferrée ».
Le XIXe siècle va devenir le point de départ, pour l’ensemble du monde, d’une évolution considérable : sociale, économique, politique, intellectuelle. L’agglomération urbaine, cette cellule importante, qu’il s’agisse du plus petit village à la plus grande cité, va faire partie intégrante de l’évolution.
Ce XIXe siècle accumule une foule d’activités humaines dans tous les domaines ; mais c’est la richesse réelle à côté d’une immense misère, du fait du désordre économique et social. Des cités meurent, d’autres se créent ; il faut aller vite, il faut que l’usine existe et produise immédiatement ; quant au logement peu importe, il sera où il pourra, au milieu des poussières, des fumées et des boues.
A Paris, sous le Second Empire. un plan d’épuration va être réalisé et qui ne manque pas d’audace ; il supprimera partiellement un nombre de taudis, de ruelles immondes. Des voies larges vont surgir à proximité de cette croisée des chemins de Paris dont nous avons parlé, voies sans originalité, tel le boulevard de Sébastopol, permettant au surplus un certain nombre de spéculations immobilières et aussi une lutte facile contre les émeutes de rues. Ce qui fait surtout l’originalité de cette réalisation, c’est qu’elle est commandée par un plan, le plan du Préfet Haussmann avec une certaine vue d’ensemble ; toutefois, il ne s’agit là que d’une transformation partielle de la Capitale, mais que nous signalons comme une sorte de premier plan d’urbanisme moderne.
Dans le cours de ce siècle, l’Angleterre, l’Allemagne, la France, les pays du Nord se sont préoccupés quelque peu d’améliorer les agglomérations du travail sous la forme de cités ouvrières succédant aux informes et inconfortables « corons », manifestation malhonnête de spéculateurs qui, dans les pays miniers, tout particulièrement, avaient créé ces lamentables habitations. Les cités ouvrières, peu séduisantes dans leur ensemble, construites d’une façon uniforme, constituaient un léger progrès sur les taudis dont nous avons parlé ; vers la fin du XIXe siècle, paraît la Cité-jardin dont l’origine est anglaise. La Cité-jardin, comme son titre l’indique, concilie le progrès sanitaire de la ville avec le charme du jardin, le potager, les arbres, les fleurs. La Cité-jardin est une forme de l’urbanisme, puisqu’elle est une réalisation d’ensemble, suivant une étude générale réunissant toutes les données d’un problème urbain : maisons, routes, eau, lumière, évacuation des eaux usées, centre d’approvisionnement qui est souvent une coopérative. À ce propos, signalons que, à notre époque, cette idée amplifiée a été réalisée sous la forme d’importantes cités-jardins créées dans la banlieue de Paris par l’Office des Habitations à Bon Marché du département de la Seine : Plessis, Robinson, Malabry, Stains, Les Lilas, Le Pré-St-Gervais, etc., puis, en province, par d’autres groupements : Tergnier, Laon, etc….
Vers 1910, un mouvement se dessinait en France en faveur de « l’urbanisme », mouvement déjà esquissé à l’étranger. Des théories nouvelles sont émises, des programmes sont établis et un ensemble de projets dit « la Cité reconstituée » est exposé quelques années plus tard sur la terrasse des Tuileries, ces projets ayant pour but de faite connaître au public, l’idée de reconstruction des villes sur des principes nouveaux. L’exposition créa une tendance d’esprit favorable à ces idées et, après la guerre, le projet le plus important fut celui de la reconstruction de « Reims », lequel provoqua des polémiques nombreuses sur cette conception ou transformation à peu près totale de la cité sur des bases absolument modernes, disons américaines, ou, au contraire, respect du caractère traditionnel de la ville, en améliorant simplement le tracé d’ensemble et en apportant les modifications partielles nécessaires, au point de vue de l’hygiène, des transports, des écoles, etc… ; ces deux tendances situaient, dès ce moment, la position du problème qui, d’ailleurs, est toujours en discussion pour l’ensemble des études relatives aux villes en général.
Il est de toute évidence que même les réformateurs et techniciens les plus audacieux doivent tenir compte des situations capitalistes du moment. A cet effet, dès le début du XIXe siècle, alors qu’une idée timide s’affirmait dans le sens de l’amélioration des voies urbaines, des luttes s’engageaient autour du projet de loi ayant pour but l’expropriation des terrains appartenant à des propriétaires particuliers. N’oublions pas que la « Révolution Française » avait proclamé « l’inviolabilité de la propriété » et, à la faveur de cette déclaration, les législations suivantes tendaient à protéger les propriétaires anciens et nouveaux contre toute expropriation ; mais rien ne peut arrêter, à un moment donné, la création de voies nouvelles qui ont tant d’importance, nous l’avons indiqué, sur la vie et le développement des agglomérations humaines. C’est par une sorte de compromis entre propriétaires et villes que s’inscrit, dans la loi, cette clause restrictive : expropriation pour cause « d’utilité publique » ; mais, où commence et où finit « l’utilité publique » ? Quel sera le montant de l’indemnité en faveur de l’exproprié ? Les propriétaires se défendent au moment même précisément où, à Paris, une obligation impérieuse s’impose, de 1830 à la fin du Second Empire, d’améliorer les rues de la Capitale. Ce n’est qu’un exemple !
Des spéculations immobilières ont lieu dans des proportions considérables. Des richesses se constituent sans grand effort pour ceux qui sont propriétaires d’immeubles, d’industries, de masures, de terrains maraîchers ou autres, sur la ligne des nouveaux tracés urbains. Émile Zola a décrit sans exagération, dans « La Curée » cette folie de spéculations.
Nous avons vu, dans l’ensemble de cet exposé, comment se sont formées les cités : lieu géographique, influence du sol, du sous-sol, du climat, de la voie naturelle permettant les communications, les échanges ; influence économique d’abord, politique ensuite ; nous avons examiné la force d’extension des villes sous l’impulsion des éléments intérieurs ou extérieurs, malgré la volonté du « Maître de la Ville » — dirigeant du moment — et nous avons souligné l’importance de l’élément étranger au bourg et à la ville dans son développement, puis, enfin, le rôle joué à ce point de vue par les inventions du XIXe siècle, la voie ferrée et ses conséquences dans la plupart des pays du monde ; enfin, les premières idées en faveur d’un plan d’ensemble pour améliorer, aménager, transformer ou créer les cités sur des bases modernes, en donnant ainsi aux hommes des objectifs nouveaux au point de vue de la vie sociale solidaire.
L’urbanisme technicien sera animé par cet esprit : il sera « homme social » d’abord, il aura par tempérament et par goût des vues d’ensemble. En qualité de technicien, il sera au courant des données générales sur les influences et les évolutions que nous avons résumées ci-dessus, et, de ce fait, il n’étudiera pas un projet de ville sans en connaître dans ses grandes lignes, le passé, les tendances économiques et politiques, ses valeurs propres, matérielles et intellectuelles, persistantes, temporaires : il situera d’une façon aussi précise que possible le village, le bourg, la petite ville ou la grande cité dans leurs relations géographiques, géologiques, économiques, etc… avec les autres villages, bourgs et cités voisines. C’est alors que, possédant cette première documentation, il concevra le plan et, l’ayant conçu et précisé au mieux, il fera appel — car il est homme d’idées générales mais il n’est pas universel — aux collaborateurs, spécialistes — suivant l’importance du projet — architectes, décorateurs, ingénieurs de toutes catégories : mines, hydrauliques, mécaniques, transports, travaux publics, sanitaires, agriculture, etc…, voyers, hygiénistes, paysagistes, médecins, etc…, etc….
Le principal élément de documentation, c’est la statistique, puis « la situation de la ville » ; à cet effet, la photographie aérienne rend d’importants services, car elle fixe précisément cet emplacement avec sa physionomie propre, le chaos de ses rues et ruelles, ses places, ses maisons, ses faubourgs ; elle déterminera mieux les extensions à prévoir ; c’est une base d’études critiques et constructives de premier ordre. Signalons que les communes du département de la Seine et de la Seine-et-Oise ont été levées par avions, ainsi que Paris et plusieurs départements de la France.
Le plan d’aménagement ou de transformation et d’extension vient ensuite ; il comportera l’étude des banlieues avec les routes ; les ramifications avec le centre ; les servitudes, les expropriations des terrains, des usines, maisons. Certaines villes sont obligées d’envisager, pour leur extension normale, l’empiétement sur plusieurs communes, donc entente intercommunale obligatoire.
Le plan a pour base de réalisation : la voie centrale, où passeront le plus grand nombre possible d’automobiles. C’est la voie de passage, puis toutes les autres, en fonction de celle-ci, en tenant compte de l’orientation rationnelle des maisons à construire.
Le plan de la ville intérieure consiste en l’étude des transports en commun : gare, métropolitain, autobus, des espaces libres, de l’hygiène sociale intéressant toute l’agglomération, des parcs, squares, jamais assez vastes, des piscines, des terrains de jeux et de sports, en tenant compte de leur utilisation par les enfants, les adolescents, les adultes ; puis, évidemment, de tous les éléments primordiaux de la vie matérielle : eau potable, lumière, évacuation des eaux usées, incinération des ordures ménagères. Enfin, le cadre étant tracé, l’Urbaniste et ses collaborateurs auront à se préoccuper des centres collectifs : entrepôts, marchés, écoles, théâtre, etc…, puis les lignes générales des futures habitations : confort, matériaux, esthétique. Ce ne sont là, bien entendu, que des lignes schématiques d’un vaste travail qui demande de la conscience et de l’intelligence.
Les spécialistes dégageront, au fur et à mesure des réalisations, des théories et programmes précis, mais il y aura toujours dans ces projets à venir des cas d’espèces nombreux.
L’urbanisme est devenu rapidement une préoccupation de premier ordre pour tous les esprits clairvoyants ; on peut dire qu’il n’y a rien de social sans l’urbanisme, et, malgré les difficultés générales, il est peu de pays dans le monde, qui, obligatoirement, ne tentent de réaliser, partiellement tout au moins, ce problème.
L’U.R.S.S., avec de grandes audaces dans ses travaux publics et ses constructions de villes, ses centrales électriques, ses nouvelles habitations, ses voies ferrées, va contribuer à créer une unité économique. Le Japon, par l’extension de ses voies ferrées, a pu reconstruire un nombre important de villes. En Europe, avec un rythme plus ou moins accéléré, en Amérique du Sud, au Brésil, la ville de Rio-de-Janeiro complètement transformée sur un plan nouveau. Partout, on assiste à des réalisations plus ou moins importantes et rapides.
Dans l’ensemble des pays capitalistes, malgré ce qui s’y accomplit à cet effet, les créations ne correspondent pas aux nécessités de la vie sociale.
L’urbanisme rationnel, intégral n’existera que lorsque les intérêts particuliers, capitalistes, propriétaires, feront place à l’intérêt collectif. L’urbaniste, en société capitaliste, ne peut avoir les mêmes vues qu’en société socialiste, ce mot pris dans son sens général ; les horizons ne sont pas les mêmes. Une ville ne comportera plus ses quartiers bourgeois et ses quartiers ouvriers, les maisons auront le même confort. Examinons les plans actuels les plus modernes : ils indiquent bien la maison ouvrière, les bains populaires, les jardins ouvriers, etc., qui marquent nettement la différence persistante entre les classes sociales et l’urbaniste n’y peut rien !
Nous ne manquons ni de richesses matérielles (matériaux de toutes sortes) ni de techniciens remarquables, spécialistes de premier ordre, ni de machines.
Le tout est une question d’organisation, de répartition, de mise en commun de toutes ces richesses et de toutes ces valeurs, pour la mise en œuvre d’un plan immense mais réalisable.
Cependant, sous ces réserves absolues, nous pensons qu’il faut réaliser l’Urbanisme au maximum, au mieux, dès maintenant, afin de donner immédiatement plus de bien-être aux individus ; nous pensons qu’il faut créer une tendance, une opinion publique en faveur des améliorations réelles des villes et communes — mais dans le sens d’un urbanisme rationnel — et cette opinion doit provoquer cette action. — L. Clement-Camus.