Encyclopédie méthodique/Art aratoire et du jardinage/Jardin

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Définition

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Jardin ; enclos dans lequel on fait venir, soit des fleurs, soit des fruits, autant pour l'agrément que pour l'utilité.

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JARDIN ; c'est un terrain fermé de haies ou de fossés, ou de murs, planté, soit pour notre utilité, soit pour nos plaisirs, dans lequel on cultive des arbres, arbrisseaux & arbustes, ainsi que des fleurs, des légumes, ou ce qu'on appelle des simples, ou plantes médicinales. Suivant sa destination, on dit que c'est un jardin fruitier oú verger, potager ou légumier, fleuriste ou botaniste.

Le besoin, l’utilité, ont donné naissance aux premiers jardins, la curiosité, le plaisir, la vanité ont produit les seconds. Les premiers sont le potager, le jardin fruitier, ou verger, & le jardin botanique.

Les seconds jardins, ou jardins d'agrément sont les jardins de fleurs ; les parterres en compartimens, en découpures ou destins ; les bosquets où se trouvent, des allées, des cascades, des jets d'eau, des canaux, des labyrinthes, des boulingrins, & tout ce que la magnificence, la vanité, l’ostentation, aidées souvent par l’abus des arts ont inventé & fait excuter dans cette partie.

La France possède à cet égard les plus beaux & les plus vastes jardins de l'Europe, suivant le rapport des voyageurs.

Le jardin potager est celui où l’on cultive toutes sortes de légumes & de plantes propres à la nourriture de l’homme, & à l’assaisonnement de ses mêts. Le potager simple s'appelle marais aux environs de Paris, parce que dans le principe, la plupart des potagers y étoient de véritables marais que l’on a ensuite convertis en potagers ; d'où est venu le nom de maraîchers, ou maraigers que l’on donne à ceux qui les cultivent.

Dans beaucoup de provinces on l’appelle encore de l’ancien mot meix, d'où l’on a fait meisage, pour en exprimer le produit.

Le jardin fruitier, ou verger, est un terrain qui n'est peuplé que d'arbres à fruit.

Depuis que l'on a trouvé l’art qui n'est pas bien ancien, de dresser des arbres en espaliers & contre-espaliers, la plupart des potagers sont devenus aussi des jardins fruitiers, & la culture de ces espaliers fait la partie la plus recherchée dans le jardinage.

Tout jardinier doit commencer par connoître à fond le terrain qu'il veut cultiver ; il ne faut pas qu'il se contente de l’examiner à la superficie, mais il doit faire des fouilles dans différentes parties de son jardin pour sonder & connoître par-tout la hauteur de la terre, & sur quel fond elle se trouve.

Un jardin quelconque doit avoir trois à quatre pieds de bonne terre en profondeur, sinon, il faut en porter & recharger le sol.

Fouiller & retourner par-tout la terre à trois ou quatre pieds de profondeur, la passer à la claie, est ce que l’on peut faire de mieux ; on est alors assuré de sa terre, & on lui donne les engrais qui lui sont propres.

Cette fouille est indispensable quand on plante des arbres.

Toutes les terres peuvent se réduire à quatre espèces qu'elles tirent de leur fond.

Ces fonds sont 1°. ou de roche ; plus ou moins dure & compacte ; 2°. de grou ou grouine ; 3°. d'argille, ou terre grasse ; 4°. enfin de sable. Outre la variété dans ces espèces, il se fait encore entr'elles un mélange infini : les terres tiennent tantôt plus, tantôt moins des unes ou des autres, le coup-d'œil, l’examen décide de la qualité dominante.

La roche sous laquelle on comprend, depuis la craie jusqu'à la pierre la plus dure, le marbre & le caillou, indique au jardinier le soin qu'il doit avoir de la terre où cette espèce domine ; il faut profonder ce terrain, le dépierrer jusqu'à trois ou quatre pieds, & y mettre de fréquens engrais.

Les terres, dont le fond est de grou ou grouine, sont nitreuses & pleines de salpêtre ; elles donnent des végétaux & des plantes fort chétifs, les arbres y croissent, & y durent très-peu, sur-tout, lorsque ce sol renferme de la minière de fer, ou qu'il en est voisin ; il faut améliorer & changer cette terre, si on ne peut


le faire tout d'un coup, que ce soit au moins successivement.

Les terres glaiseuses, argilleuses & mattes doivent être labourées profondément, & émiées avec soin ; on n'y doit planter que peu avant, parce que l’air & les sucs qui sont l’aliment des plantes, y pénètrent & y circulent difficilement.

Quand ces terres sont basses & aquatiques, on conseilleroit volontiers l’enlevement de l’argilee à un pied ou deux au-dessous de la bonne terre, & de remplacer cette argille, ou terre grasse par des pierres peur empêcher le séjour des eaux que l'on pourroit même conduire dans une espèce de vivier, ou réservoir, pour servir à l'arrosement.

Ce conseil devient une nécessité à l’égard des trous à faire pour planter des arbres dans ces terres.

Si le sable est à la superficie de la terre, il faut la recharger & remplacer le sable par de bonne terre ; s'il se trouve à trois ou quatre pieds au-dessous de la bonne terre, & qu’il soit entretenu dans une espèce de fraîcheur parde petites sources supérieures, c'est alors un bon fonds pour le jardinage.

La meilleure de toutes les terres pour le jardinage est la sabloneuse : on n'entend pas par là, une terre composée d'un sable sec & aride, & sans aucune liaison ; tel est le sable de rivière ; mais celle dont le grain noir, onctueux & gras, n'excède pas en grosseur un grain de sable, & qui ne s'attachant pas trop au grain voisin, donne au tout une mobilité essentielle pour la bonté de la terre ; c'est là ce qu'on appelle terre meuble, terre à potager.

Plus une terre approche de celle-là, plus elle est propre au jardinage.

Mais il dépend beaucoup de l’industrie du jardinier de rendre sa terre meuble jusqu'à un certain point, par les engrais, par les fréquens labours, par les changemens & mélanges de terre.

On entend par engrais tout ce qui rend une terre meilleure, & dans ce sens, le fumier est un engrais, mais il n'est pas le seul. Si la terre est trop grasse, glaiseuse & matte, on peut corriger ce vice avec les cendres qui ont servi à faire la lessive, avec des sables tirés des ravines, où ils ont été entraînés par le courant des pluies.

Les terres trop légères se lient par des engrais ; parmi les engrais le gazon fourni & touffu qu'on a laissé pourrir pendant l’hiver, ou dans une fosse, ou en monticule l'herbe en dessous, fait un excellent engrais.

Les feuilles ramassées & pourries en tas sont bonnes pour les fleurs, panais, carottes, oignons & choux ; on les étend sur la superficie des planches, après avoir semé & planté.

On fait un excellent engrais avec les fleurs fannées, les herbages & leurs montants, les tontures des charmilles, les bourgeons jetés au palissage, les issues de cuisine, (tripailles & autres chûtes) & toutes sortes de balayures de maison ; on fait pourrir le tout dans une fosse, où il se convertit en terreau.

Les boues de ville & de chemin consommées au moins pendant un an, & passées à la claie.

Les terres neuves des bas prés, celles des taupinières, celles enlevées dans les cours des fermiers, dans les carrefours des villages sont excellentes pour renouveller celles du pied des arbres, remonter un jardin, & sur-tout pour changer les terres nitreuses, salpêtreuses, dont le fond est de grouîne.

La marne est un engrais qu'il faut laisser aux laboureurs.

Parmi les fumiers, celui de cheval a la préférence, excepté dans les terres trop chaudes, où il ne faut l’employer que très-consommé ; on préfère alors celui de vache, quoique moins substantiel.

On se sert de fumier de vache mêlé avec deux tiers de terre neuve pour renouveller un terrain sec & maigre.

Il est nécessaire de renouveller & de remonter un potager quand la terre est effritée, que les productions sont extrêmement maigres & chétives ; ou bien, quand un jardin, pour avoir été trop engraissé par des fumiers, produit à la vérité belles plantes, mais sans goût & sans faveur ; c'est à quoi le commun des jardiniers ne prend pas garde.

On fait cette opération avec des terres neuves que l’on mêle avec celles du potager ; on en fait des monticules à l’entrée de l’hiver & au printems ; on répand le tout sur les carreaux. Ainsi la terre du fond est renouvellée par les influences de l’air & celles des monticules ; la terre neuve y apporte des sucs nouveaux qui joindront la faveur à la fécondité.

Le fumier de mouton ne s'emploie qu'en petite quantité, parce qu'il est trop chaud ; il entre dans la terre factice pour les orangers & les couches.

Il en est de même de la poudrette ; on appelle


ainsi les excrémens humains, qui, retirés des fosses, ont passé au moins trois ou quatre ans à 1'air.

Le fumier de porc est fort mauvais, & ne peut aussi s'employer qu'en petite quantité, bien passé & consommé avec d'autres.

Les fientes de poules & de pigeons sont dangereuses par la quantité d'insectes qu'elles produisent, & par l’aigre qu'elles renferment ; il faut les bannir du jardin, sur-tout celles de poule ; on peut, mais rarement, se servir de celles de pigeon bien consommées ; elles entrent alors dans la terre factice, pour les orangers & les melons. (Voyez Potager.)

(Elémens du Jardinage.)

Jardins fruitiers.

Le règne de Louis XIV fut l’époque de la perfection des arts en France. L'art des jardins fruitiers prit alors une nouvelle forme. Laquintinie parut, & les arbres, autrefois livrés à eux-mêmes, couvrirent de leurs branches, de leurs feuilles, de leurs fleurs & de leurs fruits, la nudité & la rusticité des murs. Enfin dans ses mains l’arbre prit la forme d'un espalier, d'un éventail & d'un buisson. Ce grand homme opéra une révolution presqu'aussi entière dans la culture du légumier.

Pendant que la France & l’Europe entière admiroient & adoptoient les méthodes de Laquintinie, & qu'on s'extasioit à la vue de ses espaliers, de simples particuliers, conduits par le génie de l’observation & de l'expérience, perfectionnoient à petit bruit, ou plutôt presqu'ignorés, la théorie de la taille des arbres. Enfin après des travaux soutenus pendant près d'un siècle, on a commencé à se douter que les seuls habitans du village de Montreuil avoient découvert le secret de la nature. Ce n'est que depuis quelques années que la vérité gagne de proche en proche. Il faudra bien du tems pour que la révolution soit générale & complette ; on tient à ses anciens préjugés ; on les caresse, & il est difficile d'en secouer le joug. Les partisans de la méthode de Laquintinie ne croiront pas sur paroles, & ils demanderont des preuves sur la supériorité de celle des Montreuillois. Sans entrer ici dans aucune discussion, je leur dirai seulement : « On voit encore aujourd'hui à Montreuil des pêchers plantés à la fin du siècle dernier ». Que l’on cite un pareil exemple dans les fruitiers de Laquintinie & dans tout le reste de la République. Laquintinie connut le genre de culture de ces bons travailleurs, mais trop attaché à la méthode qu'il avoit imaginée, & encouragé par les louanges que la nation, lui prodiguoit, il crut au-dessous de lui de devenir imitateur. Il avoit fait venir le jeune Pépin, cultivateur de Montreuil, qui tailla en sa présence plusieurs arbres ; mais Laquintinie, jaloux ou enthousiaste de sa propre méthode, se hâta de le congédier, & Pépin de retourner à son village y cultiver l’héritage de ses pères.

Formation des jardins fruitiers.

Ils supposent nécessairement une plus grande profondeur à la couche de terre végétale que celle des légumiers, afin que le pivot des arbres plonge & s'enfonce sans contrainte, & sur-tout sans être forcé de s'étendre horisontalement. Ceci demande des développemens & éprouvera beaucoup de contradiction.

J'établis en principes, 1°. qu'on ne doit planter aucun arbre dépouillé de son pivot. 2°. Que tout arbre doit être greffé franc sur franc ; il résulte donc de ces deux assertions que, pour se procurer un bon & excellent jardin fruitier, il faut une couche de terre qui ait beaucoup de profondeur. On concluroit à tort qu'on désapprouve les jardins fruitiers dont la couche de terre franche n'a que trois ou quatre pieds, & qui porte sur une couche de gravier ou de pierrailles, &c. Lorsqu'il n'est pas possible de se procurer un autre sol, on est forcé de se contenter de celui-là ; il est inutile alors de laisser le pivot, & de ne planter que des arbres greffés franc sur franc. Ces exceptions ne détruisent pas les deux assertions générales, elles les confirment, au contraire, puisque nulle règle sans exception. Mais je persiste à dire que celui qui est assez heureux pour avoir un grand fonds de terre & de bonne terre, doit en profiter & en tirer le meilleur parti. Je conviens que des arbres ainsi plantés resteront plus long-tems à se mettre à fruit, sur-tout s'ils sont taillés suivant la méthode ordinaire ; que certaines espèces réussissent mieux greffées sur coignassier, sur prunier, &c. il ne s'agit ici pas de quelques exceptions particulières, mais de la masse des arbres fruitiers considérée dans son ensemble ; En suivant les procédés que j'indique, on ne sera pas obligé de remplacer chaque année un grand nombre d'arbres & souvent un tiers ou une moitié après la première année de la plantation ; enfin, on aura des arbres forts & vigoureux qui subsisteront pendant plusieurs générations d'hommes. J'ose dire plus, si un particulier avoit la patience d'attendre, je lui conseillerois de semer sur place le pépin, le noyau, &c. ; de cultiver leur produit avec les mêmes soins que les semis des pépinières ; enfin, de greffer lorsque les troncs auroient acquis la grosseur convenable & déterminée pour recevoir la greffe. La beauté & la durée de tels arbres bien-conduits, feroient époque dans le canton, sur-tout si on n'avoit pas eu la manie de les semer trop près les uns


des autres ; on auroit alors l’arbre naturel & l'arbre dans toute sa force. Que l’on considère dans une forêt l’arbre venu de brin ou celui venu sur couche, & on décidera auquel des deux on doit donner la préférence. Il en est ainsi de l’arbre fruitier. Je sais que la greffe s'oppose à la grande & naturelle extension de l’arbre ; mais, par exemple, les abricotiers à noyau doux n'ont pas besoin d'être greffés pour produire leurs espèces, ainsi que plusieurs autres fruits à noyau. Je demande si on pourra comparer avec eux, pour la force, pour la vigueur, un abricotier, un pêcher greffé sur un prunier ou sur un amandier, &c. &c. ? si le pommier ou le poirier sont aussi vigoureux greffés sur coignassier que sur franc ? enfin, si un arbre quelconque, dont on a supprimé le pivot, végète aussi rapidement & dure autant que celui dont on a ménagé le pivot, & sur-tout que celui qui a été semé à demeure ? Nier ces faits, c'est vouloir se refuser à l’évidence, il y a très-peu d'exceptions à cette loi. L'on veut jouir & jouir promptement, dès-lors il faut contrarier la nature, & l’arbre, par une caducité précoce, la venge des lois qu'on a violées.

Il est très-ordinaire de voir, dans un jardin fruitier, les arbres à fruits d'été, d'automne & d'hiver, mêlés indistinctement les uns avec les autres ; on ne sépare pas plus les arbres dont la végétation a une force, par exemple, comme douze de ceux dont le degré de végétation n'excédé pas six. Il résulte de ces bigarrures, qu'une allée, qu'une partie d'un espalier sont dégarnis de fruits & de feuilles, tandis que les arbres de certaines places en sont chargés. Il vaut beaucoup mieux destiner un emplacement pour chaque espèce en particulier ; par exemple, tous les bonc-chrétiens d'été ensemble, &c. &c. Il en est ainsi pour les arbres inégaux en végétation. N’est-il pas plus agréable à voir dans une allée des arbres taillés, soit en éventail, soit en buisson, & tous de la même force & de la même hauteur, plutôt que d'en voir l’un plus haut, l'autre plus bas ? Le jardinier aura beau tailler long ou court, par exemple, une arménie panachée, ses branches ne s'élèveront, ne s'étendront & ne se feuilleront jamais autant que celles d'un dagobert, &c. ; le premier aura perdu ses feuilles à la première matinée fraîche, tandis que l'autre ne se dépouillera qu'aux gelées. Que d'exemples pareils il seroit facile de rapporter !

J'insiste sur la séparation des espèces, afin que le jardinier ne fasse point de méprise à la taille. L'homme instruit connoît la qualité de l’arbre à la seule inspection du bois ; mais, pour parvenir à ce point de certitude, il faut une longue pratique, & sur-tout avoir l’art de bien observer. Un autre avantage qui résulte de cette séparation, consiste dans la facile cueillette des fruits, elle évite le transport çà & là des échelles, des paniers, &c.

Voici encore une proposition qui paraîtra paradoxale à bien des gens ; j'ose avancer qu'on doit planter dans les endroits les plus froids & les plus battus des vents, les arbres à fleurs les plus précoces, comme abricotiers, pêchers, amandiers, &c. Ces arbres, originaires d'Arménie & de Perse, se trouvent en France dans un climat bien différent ; cependant ils y fleurissent dès que le degré de chaleur de l’atmosphère est le même que celui qui les mettoit en fleur dans leur pays natal ; ils ont beau avoir changé de climat, ils obéissent, quand les circonstances ne s'y opposent pas, à la loi que la nature leur a assignée dans le nouveau. Aussi voit-on, lorsque les fortes gelées sont tardives, des pêchers, des amandiers fleurir au commencement de nivôse & souvent de pluviôse ; or, en plaçant ces arbres dans l'endroit le plus froid & le plus exposé aux grands courans d'air, ils ne fleuriront pas en pure perte, aussi-tôt que les autres arbres de leur espèce, plantés contre de bons abris. D'ailleurs ils fleuriront plus tard au printems ; le développement & l’épanouissement étant retardés, la fleur craindra beaucoup moins les funestes effets des gelées tardives du printems. Admettons encore que ces arbres soient en fleurs dans le même tems que le seront ceux qui sont bien abrités, je ne crains pas de dire que les fleurs de ces derniers seront bien plus maltraitées que les autres, en raison de l’humidité qui les recouvre, tandis que le courant d'air l’aura dissipée sur les fleurs des premiers. On fera très-bien cependant d'avoir de bons abris pour les pêchers, les abricotiers, les amandiers, sur-tout dans les départemens du nord, afin que si les gelées détruisent les fleurs des arbres plantés sur l’élévation, elles n'endommagent pas celles des arbres bien abrités, & ainsi tour-à-tour. J'ai observé un très-grand nombre de fois, dans l’intérieur de la république, que les gelées du printems nuisoient plus aux arbres des bas fonds qu'à ceux des coteaux ou des éminences. Les sols argílleux sont à comparer aux bas fonds, ils retiennent l’eau trop long tems, quand une fois ils en sont imbibés ; la chaleur a-t-elle dissipé leur humidité ? leurs molécules se resserrent, s'adaptent les unes aux autres, & en masse se durcit au point que les racines n'ont plus la liberté de s'étendre. Les fruits cueillis sur ces arbres n'ont ni saveur, ni parfum, & ces arbres offrent sans cesse le triste spectacle de la nature souffrante, & qui dépérit insensiblement.

Les jardins fruitiers sont communément environnés de murs, soit afin de défendre les fruits contre le pillage, soit pour se procurer de beaux espaliers. Les arbres y sont plantés & taillés ou en espalier ou en contre-espalier, ou en éventail,


ou en buisson, ou bien livrés à eux mêmes, s'ils sont à plein vent. Tout le monde convient que le fruit de ces derniers est infiniment supérieur au goût ; mais dans les départemens du Nord, la chaleur n'est souvent pas assez forte pour lui faire acquérir une parfaite maturité : il convient, & on est forcé alors de les tenir ou à mi-tige, ou ravalés par une taille quelconque, soit en éventail, soit en buisson. Le premier offre le long d'une allée une jolie tapisserie de verdure, singulièrement embellie au tems des fleurs, & très-riche lorsque les fruits ont acquis leur grosseur & leur couleur ordinaire ; mais la monotonie est fatigante. Les seconds permettent à la vue de pénétrer à travers le vide qui reste entre eux, à mesure qu'ils s'éloignent & forment une cloche dont l’évasement est au sommet. Il est certain que si tous ces arbres sont à la même hauteur, que s'ils ont un égal diamètre, ils produisent un très-bel effet.

On n'aime pas la bigarrure le long des allées ou des espaliers, que présentent les arbres à mi-tige, placés alternativement avec les arbres nains : ou tout un, ou tout autre. Le mi-tige seul figure très-bien, & la vue se promène agréablement par-dessous. L'arbre en éventail fait tapisserie, & ne permet pas de voir au-delà, pour peu que ses branches soient élevées. Lorsqu'on plante, on doit considérer, 1°. L’utile, 2°. l’agréable.

Admettons qu'on ait à former ta totalité d'un jardin fruitier, & qu'on désire avoir des arbres sous toutes les formes ; les allées une fois tracées, le sol divisé par plattes-bandes ou par quarreaux, on réservera les quarreaux du fond aux arbres à plein vent, les quarreaux qui les précèdent seront destinés aux arbres à mi-tige, ceux en avant aux arbres taillés en buissons ; les seconds quarreaux aux arbres nains, livrés à eux-mêmes, & tels qu'ils pousseront après les avoir ravalés après leur plantation, & encore mieux sans les avoir ravalés ; enfin, les quarreaux sur le devant seront occupés par des arbres taillés en éventail.

On sera peut-être étonné que je place dans le nombre des nains des arbres qui ne seront point sujets à la serpette ni à la taille, outre qu'ils produiront un effet pittoresque, & un peu sauvage au milieu de ces arbres symmétriquement arrangés, j'ose assurer que chaque année ils se chargeront de beaucoup plus de fruits que les autres, & l’on sera surpris de leur étonnante végétation. Enfin, après une longue suite d'années, on les mettra, si l’on veut, & sans courir aucun risque, en arbres à plein vent ; il suffira petit-à-petit & médiocrement chaque année, de supprimer les branches les plus basses, & de recouvrir soigneusement les plaies avec l’onguent saint Fiacre. Au surplus, la disposition de la forme des arbres dépend de la volonté du propriétaire.

Lorsque l’on plante un fruitier, l’espace paroît immense, & le pied de chaque arbre, très-éloigné du pied voisin, parce qu'alors on n'apperçoit qu'un tronc mince, sans branches, sans feuilles, & absolument nud, mais pour peu qu'on ait l’habitude de voir & de juger de l’espace qu'il occupera dans la suite, on se règle alors sur la distance proportionnelle que les arbres exigeront entr'eux : c'est pourquoi j'ai conseillé de mettre chaque espèce à part, soit par rapport au fruit, soit par rapport à la force de la végétation de chaque espèce. Ce n'est pas tout : on doit encore connoître la manière d'être & de végéter de chaque arbre dans le pays qu'on habite, & relativement au sol : par exemple, les bons-chrétiens d'été, d'Ausch, à feuilles de chêne, &c. poussent bien plus vigoureusement (toutes circonstances égales) dans les départemens du Midi que dans ceux du Nord ; ils demandent donc à être plus éloignés entr'eux dans cette région qu'aux environs de Paris. C'est de cette manière que l'homme instruit juge & compare, tandis que l’ignorant tire des coups de cordeaux, alligne & espace symmétriquement ses arbres. Eh ! le coup-d'œil, dira-t-on, doit-il être compté pour rien ? Je réponds : Eh ! qu'importe votre coup-d'œil à la nature ? croyez-vous que la beauté d'un jardin dépend d'une monotone symmétrie ? Le premier point est de tirer du sol tout le parti possible, & d'avoir des arbres de la plus grande beauté. Veut-on encore absolument ne pas déroger au total à l’ordre symmétrique ? eh bien, placez dans les premiers rangs les arbres qui étendent moins leurs branches & s'élèvent moins, & ainsi successivement pour les autres, selon l’ordre de la végétation. Alors les coups de cordeaux seront sur le devant plus serrés & plus larges dans le fond ; mais comme l’effet de la perspective est de paroître diminuer de largeur à mesure qu'elle se prolonge, la suppression d'un, de deux, de trois ou quatre arbres sur le fond sera insensible, suivant la grandeur & la largeur du quarreau ; alors, au lieu d'avoir des lignes droites, vous en aurez d'obliques, mais parallèles & symmétriques. Tout l’art consiste, avant de planter, de mesurer la longueur & la largeur du quarreau, de désigner par des points sur le papier l’espace qui doit régner entre chaque arbre, & de calculer leur nombre, de manière qu'il se trouve toujours un arbre sur la bordure tout autour du quarreau. Sa grandeur & la force de végétation de chaque espèce, décident le nombre que l’espace doit contenir, ainsi que celle à laisser entr'eux. On ne se repent jamais d'avoir éloigné les arbres ; au contraire, on se repent toujours, & bientôt, d'avoir planté trop près. Je plante près,


vous dit-on, pour jouir plus vite, à la longue je supprimerai un rang d'arbres. La précaution est utile pour garnir des espaliers, si toutefois on n'attend pas que les arbres aient souffert par l’entrelacement de leurs racines ; alors ces arbres surnuméraires de l’espalier seront choisis parmi ceux qui se mettent les premiers à fruits, & on les taillera fort à fruit, sans se soucier qu'ils fassent jamais de beaux arbres, puisqu’ils doivent être supprimés après un certain nombre d'armées. En général, on attend toujours trop tard à faire cette soustraction.

L'expérience démontre que les arbres plantés, soit dans les bas fonds, soit dans les terrains goûteux-marécageux, donnoient des fruits sans goût, & dont le parfum ne différoit guères de celui de la rave : de tels fruits sont très-indigestes, & ne se conservent pas. Ces arbres sont dévorés par la mousse, les lichens, &c, & la main attentive du jardinier ne peut complettement les détruire. Je préfererois un sol graveleux., ou caillouteux, ou sabloneux, parce, qu'avec de l’eau & des engrais appropriés, je me procurerois des arbres passables, mais dont le parfum du fruit seroit admirable. Lorsque le terrain est goûteux, les fossés d'écoulement sont le seul moyen de les assainir, s'il n'est pas possible d'en ouvrir, il vaut mieux renoncer à l’établissement du jardin. Heureux, cent fois heureux, celui qui trouve une bonne & profonde couche de terre végétale.

La position la plus utile pour un jardin fruitier, est celle d'un coteau à pente douce, & à l’abri des vents orageux. Dans les départemens du Midi, il est indispensable que l’on puisse conduire l’eau au pied des arbres, au moins deux ou trois fois dans l’été, & après que l'eau a pénétré la terre, la travailler ; sans cette précaution, le fruit flétrira sur l’arbre, ou bien, s'il y reste attaché, sa trop précoce maturité ne permettra pas qu'il prenne sa grosseur ordinaire ni son goût parfumé.

Peu de personnes se déterminent à planter des fruitiers séparés, & sur-tout avec des arbres à plein vent ; alors c'est un verger proprement dit, & pour profiter du terrain qui se trouve entre les arbres, on sème de la graine de foin ; mais on a soin chaque année de faire travailler deux fois la circonférence du pied des arbres. Si l’entretien de cette prairie exige une fréquente irrigation, ces arbres se trouveront dans le cas de ceux plantés dans les terrains humides, dont il a déjà été question. Cependant, cette terre ne doit pas rester inculte, on peut la semer ou la planter avec des légumes qui exigent peu d'eau, & qui sont en état d'être récoltés un peu auparavant l’époque des grandes chaleurs : les arbres profiteront singulièrement des labours donnés à à la terre. Quant aux arbres en éventail ou en buisson, il n'est guères possible d'en cultiver le sol dans la vue d'en retirer des récoltes ; leur ombre est trop rapprochée de la terre, trop épaisse, les plantes s'étioleroient. On doit cultiver la terre en plein plusieurs fois dans l’année, & la tenir rigoureusement sarclée.

Ce que j'ai dit jusqu'à présent s'applique aux jardins fruitiers en général. Ceux des départemens méridionaux, dans les Pays-Bas, & par conséquent très-chauds, exigent quelques précautions de plus ; ils demandent à être arrosés par irrigation, & les grenadiers, les jujubiers, les caroubiers n'y exigent pas des abris ainsi que l’oranger & le citronnier. Quant aux figuiers, ils doivent être plantés dans un quartier séparé ou en bordures, & ils ne réussissent jamais mieux que lorsque leurs racines ont de l’eau tout auprès, & lorsque leur tête est exposée au plus gros soleil. Les câpriers, arbustes à tiges inclinées, craignent singulièrement l’humidité & la terre forte ; les cerisiers, appelés guigniers dans le Nord, y réussissent très-mal, malgré les soins les plus assidus ; les griottiers à fruits, nommés cerisiers à Paris, y réussissent un peu mieux. On n'y cultive aucune espèce de vigne, ni en espalier, ni en contre-espalier, ni en treille, parce que les raisins de vignes sont si bons, si sucrés, si parfumés, qu'il ne vaut pas la peine de leur donner des soins particuliers. Il est inutile d'entrer ici dans de plus grands détails. (Extrait des Décades du cultivateur).