Encyclopédie méthodique/Arts académiques/Danse/Bal (danse)

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Panckoucke (1p. 312-316).

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BAL BAL

BAL. Assemblée réunie pour danser.

Comme dans un bal réglé il y a un roi & une reine, pour en suivre la règle, ce sont eux qui commencent à danser, & lorsque leur premier menuet est fini, la reine convie un autre cavalier de venir danser avec elle, & après qu’ils ont dansé, il va reconduire la reine, & lui demander poliment qui elle souhaite qu’il prenne, & après lui avoir fait une révérence, il va en faire une autre à la personne avec qui il doit danser, pour la convier de venir danser.

Mais si la personne que vous conviez parloit à quelqu’un, & qu’elle ne vienne pas aussitôt, il faut se transporter à l’endroit de la salle où l’on commence de danser & l’attendre, & être attentif lorsque cette demoiselle vient, de la laisser passer devant vous, ce sont des attentions que la vie civile veut que l’on observe ; & lorsque vous avez fini votre menuet ou autre danse, vous faites de pareilles révérences en finissant, que celles que vous avez faites avant, mais indépendamment de celle-là le cavalier en fait une autre en arrière, & se va placer, afin de faire place à ceux qui dansent.

Mais si l’on vient vous reprendre lorsque c’est à vous de prier, il faut aller convier la personne qui vous a prié en premier lieu ; autrement ce seroit un manque de sçavoir vivre des plus grossiers ; cette règle est également pour les dames.

De même que lorsque l’on vous vient prier pour danser, il faut vous transporter à l’endroit où l’on commence, & faire les révérences que l’on fait avant de danser ; mais si vous ne sçavez pas danser, il faut faire vos excuses, soit sur le peu d’usage que vous en faites, ou sur le peu de temps qu’il y a que vous apprenez, ainsi vos révérences finies, vous reconduisez cette dame à sa place, & du même temps vous allez faire une révérence à une autre demoiselle, pour la convier de venir faire la révérence avec vous, afin de ne point déranger l’ordre du bal ; mais si l’on vous pressoit de danser, quelque instance que l’on vous fit, ayant refusé une fois, il ne faut pas danser dans tout le bal, parce que ce seroit offenser la personne qui vous a prié d’abord, ce qui doit s’observer d’un sexe comme de l’autre ; comme aussi ceux qui ont la conduite d’un bal, d’être attentifs que chacun danse à son tour, afin d’éviter la confusion & le mécontentement ; comme aussi lorsqu’il arrive des masques, de les faire danser des premiers, afin qu’ils prennent ceux de leur compagnie de suite. On doit faire honneur préférablement aux masques, car très-souvent ce déguisement cache des personnes du premier rang.

Je ne doute pas que lorsque l’on prendra toutes ces précautions, tant de la part de ceux qui assistent dans les bals, ou de ceux qui en font la vocation, ils ne se fassent distinguer par les bonnes manières & la politesse.

Quant aux assemblées qui se font dans les familles, & qui ordinairement ne sont composées que de parens & d’amis, on doit y observer presque le même cérémonial que dans les bals, qui est de sçavoir inviter une personne pour danser, en lui faisant une révérence à propos, & d’être attentif de rendre le réciproque lorsque l’on vous a pris pour danser, de faire la même honnêteté que l’on vous a faite quand c’est à vous à prier.

Des bals anciens & modernes.

Un tableau de Philostrate nous représente Comus dans un sallon éclairé avec autant de goût que de magnificence. Un chapeau de roses orne sa tête ; ses traits sont animés de vives couleurs, la joie est dans ses yeux, le sourire est sur ses lèvres.

Enivré de plaisir, chancelant sur ses pieds, il paroît se soutenir à peine de la main droite sur une épine. Il porte à la gauche un flambeau allumé qu’il laisse pencher nonchalemment, afin qu’il brûle plus vite.

Le parquet du sallon est jonché de fleurs ; quelques personnages du tableau sont peints dans des attitudes de danse : quelques autres sont encore rangés autour d’une table proprement servie ; mais le plus grand nombre est placé avec ordre sous une tribune dans laquelle on découvre une foule de joueurs d’instruments qu’on croit entendre. C’est un bal en forme, auquel Comus préside. Le goût moderne ne produit rien de plus élégant.

Comus, en effet, est regardé comme l’inventeur de toutes les danses dont les Grecs & les Romains embellirent leurs festins. Elles furent d’abord comme les intermèdes de ces repas, que la joie & l’amitié ordonnoient dans les familles. Bientôt le plaisir, la bonne chère & le vin donnèrent une plus grande étendue à cet amusement. On quitta la table pour se livrer entièrement à la danse. Les familles s’unirent pour multiplier les acteurs & le plaisir, mais l’assemblée en devenant plus nombreuse prit un air de fête dont les égards, la bienséance & l’orgueil s’établirent bientôt les arbitres suprêmes. Dès-lors les jeux rians de Bacchus, la gaieté des festins, la liberté qu’inspirent le vin & la bonne chère ; ce désordre aimable qui présidoit aux danses inventées par Comus disparurent, pour faire place au sérieux, au bon ordre, à la dignité des bals de cérémonie.

Nous trouvons leur usage établi dans l’antiquité la plus reculée ; & il n’est point étonnant qu’il se soit conservé jusqu’à nous. La danse simple, celle qui ne demande que quelques pas, les grâces que donnent la bonne éducation & un sentiment médiocre de la mesure, fait le fond de cette sorte de spectacle ; & dans les occasions solemnelles, il est d’une ressource aisée qui supplèe au défaut d’imagination. Un bal est sitôt ordonné, si facilement arrangé ; il faut si peu de combinaisons dans l’esprit pour le rendre magnifique ; il naît tant d’hommes communs, & on en voit si peu qui soient capables d’inventer des choses nouvelles, qu’il étoit dans la nature que les bals de cérémonie une fois trouvés, fussent les fêtes de touts les temps.

Ils se multiplièrent en Grèce, à Rome & dans l’Italie. On y dansoit froidement des danses graves. On n’y paroissoit qu’avec la parure la plus recherchée ; la richesse, le luxe y étaloient avec dignité une magnificence monotone. On n’y trouvoit alors, comme de nos jours, que beaucoup de pompe sans art, un grand faste sans invention, l’air de dissipation sans gaieté.

C’est dans ces occasions que les personnages les plus respectables se faisoient honneur d’avoir cultivé la danse dans leur jeunesse. Socrate est loué des philosophes qui ont vécu après lui, de ce qu’il dansoit comme un autre dans les bals de cérémonie d’Athènes. Platon, le divin Platon mérita leur blâme pour avoir refusé de danser à un bal que donnoit un roi de Syracuse ; & le sévère Caton, qui avoit négligé de s’instruire dans les premiers ans de sa vie, d’un art qui étoit devenu chez les Romains un objet sérieux, crut devoir se livrer à 59 ans, comme le bon M. Jourdain, aux ridicules instructions d’un maître à danser de Rome.

Le préjugé de dignité & de bienséance établi en faveur de ces assemblées, se conserva dans toute l’antiquité. Il passa ensuite dans toutes les conquêtes des Romains, & après la destruction de l’empire, les états qui se formèrent de ses débris retinrent tous cette institution ancienne. On donna des bals de cérémonie jusqu’au temps où le génie trouva des moyens plus ingénieux de signaler la magnificence & le goût des souverains ; mais ces belles inventions n’anéantirent point un usage si connu ; les bals subsistèrent & surent même consacrés aux occasions de la plus haute cérémonie.

Lorsque Louis XII voulut montrer toute la dignité de son rang à la ville de Milan, il ordonna un bal solemnel où toute la noblesse fut invitée. Le roi en fit l’ouverture ; les cardinaux de Saînt-Severin & de Narbonne y dansèrent ; les dames les plus aimables y firent éclater leur goût, leur richesse, leurs grâces.

Philippe II alla à Trente en 1562, pendant la tenue du concile. Le cardinal Hercule de Mantoue qui y présidoit en assembla les pères, pour déterminer la manière dont le fils de l’empereur Charles-Quint y seroit reçu. Un bal de cérémonie fut délibéré à la pluralité des voix. Le jour fut pris ; les dames les plus qualifiées furent invitées, & après un grand festin, selon le cardinal Palavicini, dont j’emprunte ce trait historique, elles dansèrent


avec autant de modestie que de dignité.

La décence, l’honnêteté, la convenance de ces sortes de fêtes étoient au reste, dans ce temps, si solemnellement établies dans l’opinion des hommes, que l’amer Fra-Paolo dans ses déclamations cruelles contre ce concile, ne crut pas même ce trait susceptible de critique.

La reine Catherine de Médicis qui avoit des desseins & qui n’eut jamais de scrupules, égaya ces fêtes, & leur donna même une tournure d’esprit qui y rappella le plaisir. Pendant sa régence, elle mena le roi à Bayonne, où sa fille reine d’Espagne, vint la joindre avec le duc d’Albe, que la régente vouloit entretenir. C’est là qu’elle déploya touts les petits ressorts de sa politique vis-à-vis d’un ministre qui en connoissoit de plus grands, & les ressources de la galanterie vis-à-vis d’une foule de courtisans divisés qu’elle avoit intérêt de distraire de l’objet principal qui l’avoit amenée.

Les ducs de Savoie & de Lorraine, plusieurs autres princes étrangers étoient accourus à la cour de France, qui étoit aussi magnifique que nombreuse. La reine qui vouloit donner une haute idée de son administration, donna le bal deux fois le jour, festins sur festins, fête sur fête. Voici celle où je trouve le plus de variété, de goût & d’invention.

Dans une petite isle située dans la rivière de Bayonne, & qui étoit couverte d’un bois de haute-futaye, la reine fit faire douze grands berceaux qui aboutissoient à un sallon de forme ronde qu’on avoit pratiqué dans le milieu. Une quantité immense de lustres de fleurs furent suspendus aux arbres, & on plaça une table de douze couverts dans chacun des berceaux.

La table du roi, des reines, des princes & des princesses du sang étoit dressée dans le milieu du sallon, en sorte que rien ne leur cachoit la vue des douze berceaux où étoient les tables destinées au reste de la cour.

Plusieurs symphonistes distribués derrière les berceaux & cachés par les arbres, se firent entendre dès que le roi parut. Les filles d’honneur des deux reines, vêtues élégamment, partie en nimphes, partie en nayades, servirent la table du roi. Des satyres qui sortoient du bois leur apportoient tout ce qui étoit nécessaire pour le service.

On avoit à peine joui quelques moments de cet agréable coup-d’œil, qu’on vit successivement paroitre pendant la durée de ce festin, différentes troupes de danseurs & de danseuses représentant les habitants des provinces voisines, qui dansèrent les uns après les autres, les danses qui leur étoient propres, avec les instruments & les habits de leur pays.

Le festin fini, les tables disparurent ; des amphithéâtres de verdure, & un parquet de gazon surent mis en place, comme par magie ; le bal de cérémonie commença ; & la cour s’y distingua par la noble gravité des danses sérieuses, qui étoient alors le fond unique de ces pompeuses assemblées.

Ces sortes d’embellissements aux bals de cérémonie, leur ont donné quelquefois un ton de galanterie & d’esprit, qui a pu leur ôter l’uniformité languissante qui leur est propre.

Ceux de Louis XIV turent magnifiques. Ils se ressentoient de cet air de grandeur qu’il imprimoit à tout ce qu’il ordonnoit ; mais il ne fut pas en son pouvoir de les sauver de la monotonie. Il semble que la dignité soit incompatible avec cette douce liberté, qui seule fait naître, entretient & sçait varier le plaisir. En lisant la description que je vais copier ici du bal que donna Louis XIV pour le mariage de M. le duc de Bourgogne, on peut croire avoir vu la description de touts les autres.

On partagea, (dit l’historien que |e ne fais que transcrire), en trois parties égales la gallerie de Versailles, par deux balustrades dorées de quatre pieds de hauteur. La partie du milieu faisoit le centre du bal. On y avoit placé une estrade de deux marches, couverte des plus beaux tapis des Gobelins, sur laquelle on rangea dans le fond des fauteuils de velours cramoisi, garnis de grandes crépines d’or. C’est-là que furent placés le roi & la reine d’Angleterre, madame la duchesse de Bourgogne, les princes & les princesses du sang.

Les trois autres côtés étoient bordés au premier rang de fauteuils fort riches pour les ambassadeurs, les princes & les princesses étrangères, les ducs, les duchesses & les grands officiers de la couronne. D’autres rangs de chaises derrière ces fauteuils étoient remplie par des personnes de considération de la cour & de la ville.

A droite & à gauche du centre du bal étoient des amphithéâtres occupés par la foule des spectateurs ; mais pour éviter la confusion, on n’entroit que par un moulinet l’un après l’autre.

Il y avoit encore un petit amphithéâtre séparé, où étoient placés les vingt-quatre violons du roi avec six hautbois & six flûtes douces.

Toute la gallerie étoit illuminée par de grands lustres de cristal & quantité de girandoles garnies de grosses bougies. Le roi avoit fait prier par billet, tout ce qu’il y a de personnes les plus distinguées de l’un & de l’autre sexe de la cour & de la ville, avec ordre de ne paroître au bal qu’en habits des plus propres & des plus riches ; de sorte que les moindres habits d’hommes coûtoient jusqu’à trois à quatre cents pistoles. Les uns étoient de velours brodé d’or & d’argent, & doublés d’un brocard qui coûtoit jusqu’à cinquante écus l’aune ; d’autres étoient vêtus de drap d’or ou d’argent. Les dames n’étoient pas moins parées : l’éclat de leur pierreries faisoit aux lumières un effet admirable.

Comme j’étois appuyé (continue l’auteur que je copie sur une balustrade vis-à-vis l’estrade où étoit placé le roi, je comptai que cette magnifique assemblée pouvoit être composée de sept à huit cents personnes, dont les différentes parures formoient un spectacle digne d’admiration.


M. & madame de Bourgogne ouvrirent le ial par une courante, ensuite madame de Bourgogne prit le roi d’Angleterre, lui la reine d’Angleterre, elle le roi, qui prit madame de Bourgogne ; elle prit Monseigneur, il prit Madame, qui prit M. le duc de Berri. Ainsi successivement touts les princes & les princesses du sang dansèrent chacun selon son rang.

M. le duc de Chartres, depuis Régent, y dansa un menuet & une sarabande de si bonne grâce ([1]) avec madame la princesse de Conti, qu’ils s’attirèrent l’admiration de toute la cour.

Comme les princes & les princesses du sang étoient en grand nombre, cette première cérémonie fut assez longue pour que le bal fit une pause, pendant laquelle des suisses précédés des premiers officiers de la bouche, apportèrent des tables ambulatoires superbement servies en ambigus, avec des buffets chargés de toutes sortes de rafraîchissemens, qui furent placés dans le milieu du bal, où chacun eut la liberté d’aller manger & boire à discrétion pendant une demi-heure.

Outre ces tables ambulantes, il y avoit une grande chambre à côté de la gallerie qui étoit garnie sur des gradins d’une infinité de bassins remplis de tout ce qu’on peut s’imaginer pour composer une superbe collation dressée d’une propreté enchantée. Monsieur, & plusieurs dames & seigneurs de la cour vinrent voir ces appareils & s’y rafraîchir pendant la pause du bal. Je les suivis aussi, ils prirent seulement quelques grenades, citrons, oranges, & quelques confitures sèches ; mais sitôt qu’ils furent sortis, tout fut abandonné à la discrétion du public, & tout cet appareil fut pillé en moins d’un demi-quart-d’heure, pour ne pas dire dans un moment.

Il y avoit dans une autre chambre deux grands buffets garnis, l’un de toutes fortes de vins, & l’autre de toutes sortes de liqueurs & d’eau rafraichissante. Les buffets étoient séparés par des balustrades, & en dedans une infinité d’officiers du gobelet avoient le soin de donner, à qui en vouloir, tout ce qu’on leur demandoit pour rafraîchissemens pendant tout le temps du bal, qui dura toute la nuit. Le roi en sortit à onze heures avec le roi d’Angleterre, la reine & les princes du sang, pour aller souper. Pendant tout le temps qu’il y fut on ne dansa que des danses graves & sérieuses, où la bonne grâce & la bonne noblesse de la danse parurent dans tout son lustre.

À cette gravité si l’on ajoute les embarras du cérémonial, la froide répétition des danses, les règles rigides établies pour le maintien de l’ordre de ces sortes d’assemblées, le silence, la contrainte, l’inaction de tout ce qui ne danse pas, on trouvera que le bal de cérémonie est de touts les moyens de se réjouir, celui qui est le plus propre à ennuyer. Il est cependant arrivé fouvent cfdc U bift^^^»^ àes circonftances Ta rendu le plaifir à la mode » au poiét qu’un menuet danfèavec grâce ëtoit feul capable de faire une grande réputation. Dom Juan d*Autriche , vice-roi des Pays-Bas , partit exprès en pô/le de Bruxelles , & vînt à Paris incognito pour voir danfer â un bal de cérémonie avec Marguerite de Valois » qui paflbit pour la meilleure danfeufe de r£urope« 

Des bals masqués.

On s^ennuyoit à Rome dans les hais’ de cérémonie , & on s’amufoît dans la célébration des fêtes faturnales fous mille déguifements différents. Le goût pour le plaifir fit bientôt un feul de ces deux genres* On garda les bals férieux pour les occahons de grandes repréfentatîons , & on donna des bals maiqués dans les circonftai^es où Ton voulut rire.

Les aventures que le mafqué fervoit ou hifoh naître , les caraâères divers de danfe qu’il donnoit occafion d’imaginer , Tamufement des préparatifs , le charme de Texécution , les équivooues badines auxquelles Vîncopiito donnoît lieu , nrent & dévoient faire le fuccés de cet amufement , qui tient autant à lefprit qu’à la joie. U a été extrêmement à la mode pendant prés de deux cents ans ; on a fur- !out donné des bals mafqués magnifiques durant le règne de Louis XIV. Mais les bals publics , dont je parlerai bientôt , firent tomber touts les autres pendant la régence , & la mode des premiers n’eft pas encore revenue.

Les Grecs n’ont point eu ce genre ^ il femble entièrement appartenir aux Romains. Mais ces derniers Font connu forr tard , & il paroit furprenant lue les mafques en ufâge aux théâtres des uns & es autres n’en aient pas plutôt donné l’idée. La danfe fimple eft le tond du bal mafqué aufii bien que des bals de parade. On l’y emploie fans aâion ; mais on lui a donné prefque toujours un caraâére.

Parmi les moyens d’amnfement fans nombre que ce genre procure « il a des inconvénients & il a caufé des malheurs.

Néron mafqué indécemment courott les rues de Rome pendant les nuits , tournoit en ridicule la gravité des fenateurs , & déshonoroit fans fcrupule les plus honnêtes femmes de Rome. Dans un bal mafqué que la ducheffe de Berri donna aux Gobelins le 29 Janvier 1393» le roi Charles VI qui y étoît venu mafqué en fauvage , faillit ï être brûlé vif par l’imprudente curiofite du duc d’Orléans. Le comté de Joui & le bâtard de Foix y périrent, le jeune Nantouillet nefe *fauva qu|en fç plongeant dans une cuve pleine d’eau , qu’un heureux hafard lui fit rencontrer. ^ Mais les règles qu*on a établies pour maintenir Tordre , la paix & la ffireté dans ces fortes de plaifirs, en a banni prefque touts les dangers , & un peu de prudeace dans le choix des mafcarades peut


aisément en prévenir touts les malheurs.

Des mascarades.

Trois efpèces de dîvertiffements affez différents les uns des autres , ont été cqpnus fous le nom de mafcarade*

Le premier & le plus ancien étoit formé de qua<tre , huit , douze & jufqu’à feize perfonnes , qn^, après être convenues d’un ou de plufieurs déguifements » s’arrangoient deu !b à deux « ou quatre à quatre» & entroient ainfi mafquëes danS le baL Telle fut la mafcarade en fauvage du roi. Charles VI & celle des forciers du roi Henri IV. Les mafques n’étoient affu jettis à aucune loi , & il leur étoit permis de faire jouer les airs^ qu’ils vouloient danfer , pour répondre au caraâère du déguifement qu’ils avoient choifi.

La féconde efpèce étoit une compofition régu* Hère. On prenoit un fujet ou de la fable ou de Thifioire. On formoit deux ou trois Quadrilles qui s’arrangeoient fur les caraâères ou lu jets choifis , &.qui danfoient fous ce déguifement les airs qui étoient relatifs à leur perfonnage. On joignoit à cette danfe quelques récits qui en donnoient les explications néceflaires. Jodelle , Pafferat , Baif , Ronfard, Bemferade 9 fignalérent leurs talents en France dans ce genre ^ qui n’eft qu’un abrégé des grands ballets, oc qui me paroit avoir pris naissance à notre cour.

Il y en a une troîfiéme qu*on imagina en 167$ ; qui tenoit aufii du grand ballet, & qui, en allongeant la mafcarade déjà connue • ne nt autre chofe que d’<n changer l’objet principal » en fubflituant mal-adroitement le chant à la danfe. Cette efpéce de compofition théâtrale retint touts les vices de» autres , Se n’étoit fufceptible d’aucun de leurs agré«  ments. Tel eft le Carnaval , mauvais opéra formé des entrées de la mafcarade du même nom , corn* poféepar Benfardeen 1668, queLully augmenta de récits en 1675 ,& qui réuffit à fon théâtre , parce que tout ce qu’il donnoit alors au public étoit reçu avec enthouuafme*

C’eft fur-tout à la cour aue la mafcarade a été fort enufage’. Ce n’étoit qu un petit genre ; mais il exigeait de l’efprlt , de la galanterie & du goût. II n’en eft point avec ces parties qui ne foit diene d’éloges, &qui ne mérite de trouver place dans rhifioire des arts.

Les mafcarades que les rois Charies IX , Henri III , Henri IV & Louis XIII ont danfées , font fans nombre ; on en fit une chez le cardinal Mazarin le a Janvier 165$ , dont étoit Louis XIV. C’eft la première que le roi ait danfée. Le Carnaval de Benferade, qiron exécuta le 18 janvier x668 , fut la dernière où ce monarque, père des arts , prit le mafciue. U n’avoit pas encore trente ans.

Des bals publics.

Le nombre multiplié des bals mafques pendant le réene de Louis XIV avoit mis au commence ?

    • Rrij

ment decefôcle cet amufement à la mode. Les princes faifoient gloire de fuivre Texemple qu avoit donné le fouverain. On vit au Palais Royal & i Sceaux des bais mafqués où régnèrent le goût , Vinyention, la liberté, lk>pulence. L’éledeur de Ba-Vière f le prince Emmanuel de Portugal vinrent ^ors en France , & ils prirent le ton qu ils trouvèrent établi. L’un donna les plus belles fêtes à Surenne , Tautre à Thôtel d% Breronvilliers. Une profiifion extraordinaire de rafraichiffements , les illuminations les plus brillantes , & la liberté la moins contrainte firent lornement des bals mafqués qu’ils donnèrent. Le public en )ouit ; mais les particuliers effrayés de la fomptuofité que touts ces princes avoient répandue dans ces fêtes fuperbes, n*ofèrent plus fe procurer dans leurs maifons de femblaMcs amufements ; ils voyoientune trop grande diftance entre ce que Paris venoit d’admirer, & ce que leur fortune ou la bienféance leur permettoit de faire%

Ceâ dans ces circonflances que M. le Régent fit uTt établiflement qui fembloit favorable au pro-Çrè ^ de la danfe , & qui lui fut cependant trésfunefterPar une ordonnance du ^ i décembre 1715 , les ^^/^ publics furent permis trois fois la femaine dans la falle de TOpéra. Les direâeurs firent faire une machine avec laquelle ofi élevoit le parterre &-Forchefire an niveau du théâtre. La falle fut ornée de lufires , d’un cabiiiet de glaces dans le fond » de deux orcheftres aux deux bouts» & d’un buffet de rafraîchiffemens dans le milieu. La nouveauté de ce ipeâade , la commodité de jouir de touts les plaifirs du bal fans foins , fans préparatifs , fans dépenfe , donnèrent à cet établifTement un tel fiKcès , que dans un excès d’indulgence que j’ai vu durer encore, on pouffa rcnthoufiafme jufqu*à trouver la falle belle , commode , & digne en tout du eoût 9 de l’invention 6e de la magnificence françoife.

Bientôt après les comédiens obtinrent en faveur de leur diéâtrc une pareille permiffion. Leur peu de fuccès les rebuta ; leurs bals ceflêrent , & l’O-I ^êra depuis a joui feu ! de ce privilège. Mais la danfe , qui fot lobjet ou le prétexte de ces bals publics , bien loin d y gagner pour le progrès de l’art , Îr a au contraire tout perdu. Je ne parle ici que de 9 danfe fimple , telle que les gens du monde Tap* prennent & l’exercent. Les ^^/li étoient uneefpèce de théâtre pour eux où il leur étoit glorieux de faire briller kur adreffe. Ceux de l’Opéra ont fait tomber touts ceux des particuliers , & on fçait qu’il n^eA phis du bon air d’y danfer. Les deux côtés de la falle font occupés par quelaues mafqués pbfcurs <lui futvem l’es ahrs que Torcftefire foue» Tout le refte fe heurte, fe mêle, fe pouffe. Ce font les iaturnales de Rome qu’on renouvelle, ou le carnaval de Venife qu’on capie.

Que de reffources cependant ne feroît-il pas aifé êe trouver dans un étabnifement de cetre efoèce , & pour le pKOgrès^ de U daxife Ôcpows f amuienenr BAL

du public t avec un peu.de foin, une Imagtnatron médiocre , & quelque goût , on rendroit ce fpectacle le fonds &lareflourcela plus fflre de l’Opéra , une école délicieufe de danfe pour notre jeune noblefTe , & un objet d’admiration confiante pour cette foule d’étrangers , qui cherchent en vain dans l’état où ils le voyent , le charme qui nous le fait trouver fi agréable.

On peut mettre au nombre des bals publics ceux ^ue la ville de Paris a donnés dans les occafions éclatantes, pour fignaler fon zèle & fon amour pour nos rois , ou pour, célébrer les événements glorieux à la France.

Dans ces circonflances les illuminations , les (eCtins , les feux d’artifices & les bals ont été prefque toujours la tablature qu’on a fuivie. On ne s’en efl écarté que Jorfque l’hôtel de- ville a été gouvernée par quelqu’un de c9^ hommes rares dont fes fafles s’honorent.

Lorfque les Suiffes furent fur le point de venir en France pendant le règne de Henri IV , pour renouveller leur alliance , le prévôt des marchands & que , & en conféquence ils délibérèrent un feftin & un bal. « 

Mais ils étoiem fans fonds, & ils demandèrent à Henri IV pour fournir à cette dépenfe la pernriffion de mettre un impôt fur les tobinets des fontaines. Cherche^ quelque autre moyen , leur répondit ce bon prince , qui nef oit point à charp à mon peu* pie y pour bien régaler mes alliés ; aUe^ , Meneurs , continua-t-il , ïi n’appartient qtCà Dieu de changer Ceau en vin.

Feu M. Turgot fit l’équivalent d’un pareil miracle , fans furcharger le peuple & fans imponuner le roi. Ce magiflrat que la poflérité ,pour l honneur de notre fiècle , mettra de niveau avec les hommes les plus célèbres du fiécle de Louis XtV , fçut bien changer une cour irrégulière en une falle de bai la plus magnifique qu’on eût vue encore en Europe» & un édifice gothique , en un palais de Fées. T«ut profpèfe, tout s’embellit, tout devient adinirabte fous ^la main vivifiante d’un homme de génie.

  1. (1) Bouret lui avoit dédié son histoire de la danse, de laquelle ceci est pris.