Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Adoucir

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Panckoucke (1p. 10-11).
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ADOUCIR, (verb. act.) Le terme dont il s’agit ici tient, sans doute, sa première acception du sens du toucher, ou de celui du goût.


On adoucit ce qui est rude, ou ce qui est âpre. C’est ainsi que, par des applications figurées, nous transportons à nos différens sens ce qui appartient particulièrement à chacun d’eux.

Après avoir crêé, par exemple, le mot adoucir, pour le toucher, on l’aura appliqué au goût, qui est passivement une sorte de toucher. On aura hasardé ensuite, par approximation d’idées, d’employer le mot adoucir, relativement aux sons ; enfin, de l’adapter aux modifications dont les couleurs sont susceptibles, & quoique ces acceptions soient de nature à être appellées figurées, elles tiennent toujours cependant à la nature du toucher ; sens unique, que modifient les différens organes du tact, de la vue, de l’ouïe, du goût & de l’odorat.

Mais on a étendu bien davantage le sens figuré du mot adoucir, en disant : adoucir le style, adoucir l’expression ; enfin, l’on a passé jusqu’à dire, à l’occasion des qualités morales : adoucir le caractère, les passions, la colère & la fureur.

Pour ramener le sens de ce mot à l’Art de la Peinture, on adoucit les couleurs de deux manières, ou en affoiblissant leur éclat, leur valeur, ou en les accordant entr’elles d’une manière intelligente & fine qui produise à l’œil l’effet le plus harmonieux. Les moyens de l’Art, pour parvenir à ce but, sont des liaisons de tons, des passages, des couleurs rompues, & des dégradations de nuances insensibles ; ainsi que le choix même des couleurs qu’on approche les unes des autres.

C’est à l’occasion de ce dernier soin, nécessaire pour certaines couleurs que s’est introduite dans le langage de l’Art, l’expression de couleurs amies. Il n’en est point qui soient absolument ennemies les unes des autres ; mais il est aisé de se convaincre que quelques-unes ont entr’elles des rapports plus ou moins favorables. Il y en a, par cette raison, dont l’effet blesse l’oeil, lorsqu’elles se touchent, ou se trouvent trop voisines. La Nature sait cependant accorder tout son systême coloré, sans exception, dans quelques combinaisons & dans quelques rapprochemens que le trouvent les objets. Ses moyens puissans & universels sont l’interposition de l’air & la parfaite harmonie du clair-obscur, dans laquelle entrent les reflets qui les rompent & les rejaillissemens de la lumière qui les accordent.

C’est donc par l’emploi de ces moyens & en s’en servant avec un artifice raisonné que le Peintre sauve les dissonances dans son harmonie, comme on le fait dans la Musique par des préparations indispensables.

Les dissonances pittoresques, ainsi que les dissonances musicales concourent souvent à rendre l’effet plus énergique, lorsqu’elles sont employées à propos & qu’on n’en abuse pas. Il faut sur-tout qu’elles ne soient ni tranchantes, ni brusques.

Cette comparaison, au reste, ne doit pas être prise à la rigueur, & il en est ainsi de presque toutes celles qu’on emprunte d’un Art, pour les appliquer à un autre ; car s’il y a des approximations & des ressemblances sensibles à plusieurs égards entr’eux, & plus encore entre certaines de leurs parties, ils ont aussi des différences qui s’opposent à la justesse des comparaisons, & l’abus qu’on fait aujourd’hui, plus fréquemment que jamais, de ces rapprochemens, grace à l’ignorance de ceux qui les emploient, ou à la prétention trop générale de parler de tout & de tout connoître, contribue à jetter de l’obscurité, de la confusion dans les idées, dans les jugemens & à répandre le mauvais goût dans l’élocution.

Les sens, ainsi que les Beaux-Arts, ont sans doute entre eux, comme je l’ai dit, des rapports apparens & généraux. L’imagination s’efforce de les rendre plus réels pour multiplier les jouissances dont elle est toujours avide ; mais la Nature a posé des limites. On pourroit bien se permettre de dire que l’oeil écoute, que l’oreille voit, parce qu’effectivement ce qu’on entend peint, en quelque sorte, les objets à l’imagination, & qu’en voyant avec sagacité, on entend, pour ainsi dire, les discours qui cependant ne frappent pas notre oreille ; mais les propriétés de la vue ne peuvent. passer tellement au sens de l’ouïe, que l’une se substitue entièrement à l’autre. Il ne faudroit pas oublier que c’est toujours figurément que l’on conçoit ces substitutions, & c’est cependant ce que l’on perd de vue, par le trop grand usage des termes figurés & l’abus que l’esprit sans justesse en fait souvent.

Si l’on vouloit rendre une langue parfaitement conforme à la raison & à la nature des choses, la réforme seroit d’autant plus difficile que cette langue auroit été plus maniée par les Orateurs & les Poëtes. Il est rare, il est impossib1e même qu’ils ayent la connoissance, non-seulement approfondie, mais exacte de tout ce dont ils parlent, il leur semble nécessaire de parler de tout, & il est très-commun qu’ils usent de ce droit comme les Poëtes, dont Horace désigne la hardiesse.

Je reviens, pour la dernière fois, au mot adoucir, comme terme de Peinture, & pour ne pas m’écarter davantage, je m’adresse à ceux qui exercent cet Art.

Vous avez, d’après ce que j’ai dit, deux manières d’adoucir vos tons & vos nuances : l’une est de diminuer leur éclat ; l’autre de les accorder dans leur vigueur avec beaucoup d’art.

Le premier moyen peut vous conduire à altérer la force & la vérité de la couleur de chaque objet ; alors vous affoiblirez plutôt que vous n’adoucirez votre coloris.

Si vous choisissez l’autre moyen, en vous attachant à accorder ensemble les couleurs & les tons


dans leur plus grande valeur, vous approcherez du systême de la Nature & de la perfection de l’Art, relativement à la couleur.

Je me borne à ces explications, parce que les mots Accord, Clair-obscur, Harmonie, & quelques autres, donneront occasion de développer les différentes idées qui ont rapport au mot dont traite cet article.

Je ne parle pas d’adoucir l’expression. Dans la Peinture, toute expression exagérée ou affoiblie, est blàmable.