Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Attitude

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Panckoucke (1p. 46-48).
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ATTITUDE , (subst. fém.) Une attitude est la position d’un corps animé. Elle peut être stable ou passagère, méditée ou accidentelle.

Mais la Peinture & la Sculpture rendent permanentes celles qui sont les plus rapides, comme Méduse rendoit immobiles, dans leurs mouvemens les plus impétueux, ceux qu’elle fixoit d’un regard.

La Peinture donne donc une immobilité durable aux effets & aux mouvemens les plus instantanés que les passions puissent produire sur les corps vivans.

Le génie de l’Artiste, son imagination, ses observations, sa réminiscence fidèle, sa main instruite par l’usage & par l’habitude, opèrent ce prodige ; mais la perfection de l’Art exige qu’un choix bien médité détermine les attitudes que le Peintre emploie dans ses ouvrages, & que le mouvement qu’il représente appartienne complettement à la nuance de passion ou d’affection dont il suppose que sa figure est animée.

Il n’est pas suffisant que la colère brille dans les yeux d’Achille, menacé de perdre Briséis ; tous les traits doivent l’exprimer, le mouvement de toute la figure, chacun des membres enfin doit y participer, & cependant il n’est pas rare de voir dans les tableaux, des fureurs qui, n’existant que dans quelques traits, laissent d’ailleurs le sang circuler assez tranquillement dans les veines & la plupart des muscles dans un état fort passible ; aussi ces figures, dont le regard est le plus souvent terrible, n’effrayent guère que des enfans, & cela, par la difformité qu’ils y remarquent.

L’effet général d’une passion sur toutes les parties du corps & le juste accord de cet effet avec la nuance de passion que doit avoir la figure qu’on représente, sont les grand ; moyens par lesquels la Pantomime & la Peinture, qui ont tant de rapport ensemble, peuvent exciter des impressions vives & des émotions fortes.

Combien seroient à desirer des observations relatives à cet objet, sur-tout si elles étoient faites par des Artistes éclairés, & accompagnées de dessins ; sur-tout encore si ces dessins offroient des figures entières, où l’on trouveroit des détails dans le genre de ceux que Le Brun nous a donnés sur quelques expressions des traits de la seule physionomie ! Les observations dont je parle sont difficiles à bien faire & à bien rendre ; mais la


méditation seule ne peut y suppléer. Les Peintures de ce genre, faites par les Poëtes, ne sont pas toujours justes ; elles sont presque toutes incomplettes, & l’Art de nos Comédiens n’offre pas de modèle certain, d’autant que, s’il en est quelques-uns qui, bien remplis de leur rôle, entrent dans les passions & les sentent de manière à les exprimer complettement, la plus grande partie les joue sans les sentir.

Cependant le Spectateur d’une Tragédie, comme celui d’un tableau d’Histoire, ne peut être ému qu’autant que les Acteurs du Théâtre & les figures peintes semblent entièrement pénétrés de la passion qui doit les animer. Souvent les Spectateurs ne se rendent pas un compte exact de ce qui manque au complément de l’expression dans chaque mouvement & chaque attitude, mais ils sont refroidis comme par instinct, & à cet égard l’instinct a une sagacité prompte, que le raisonnement donne avec beaucoup plus de lenteur & d’incertitude.

L’unité, ou le complément d’action dans chaque attitude est infiniment rare dans les ouvrages de Peinture, ainsi qu’au Théâtre. Et il est, je crois, plus ordinaire qu’elle y manque par exagération que par toute autre cause ; car on s’égare au moins autant dans les Arts d’imitation, en passant le but, qu’en s’arrêtant en deçà. L’imagination est portée à exagérer, & le nombre des connoissances solides qu’il faut acquérir, le nombre d’observations & de réflexions qu’il faut faire est si grand dans la Peinture, qu’elles semblent devoir se nuire les unes aux autres, à moins que la Nature n’ait donné à l’Artiste les dispositions les plus distinguées.

J’ai parlé des attitudes que décrivent les Poëtes ; on croiroit qu’il leur seroit plus facile d’y mettre une vérité qui ne demande d’eux que la clarté du discours, fondée sur la propriété des termes ; mais on doit considérer que les Poëtes ont une relation à observer & à faire marcher avec les autres, à laquelle les Peintres ne sont point assujettis : car ils doivent accorder les discours de la passion avec l’attitude qu’ils décrivent & qui en marque la nuance.

Telle manière de s’énoncer convient à telle nuance d’une passion, ainsi que telle attitude, & tout cela ne convient pas à une autre.

D’ailleurs, pour que le Poëte qui récite & qui décrit (tel que le Poëte Épique) remplisse ce que l’exacte vérité & l’unité exigent, il faut qu’il entremêle avec tant d’art la peinture de l’action avec le discours qu’elle suppose, qu’il paroisse que tout marche ensemble, & que tout s’offre, pour ainsi dire, à la fois, quoique ces vérités ne soient que successives.

Si l’ouvrage est dramatique, la Pantomime que le Poëte prépare au Comédien doit avoir aussi sa juste mesure, relative au discours, & se succéder dans la progression qui convient ; car si l’Auteur, se complaisant en son talent, insiste trop sur une nuance de sentiment ou d’affection, l’Acteur, embarrassé de ses mouvemens & de son attitude, ne saura comment en prolonger l’expression. Si les nuances sont trop décousues & trop brusques, ses mouvemens, ses attitudes seront, malgré lui, trop agités : dans le premier cas, il restera trop en attitude ; dans l’autre, il en changera trop vîte, & la nature, qui ne procède pas ordinairement ainsi, en souffrira, comme l’intérêt qui est fondé sur elle.

Ces objets ne me paroissent pas avoir encore été observés & discutés comme ils mériteroient de l’être. Les grands Acteurs, s’ils n’étoient trop souvent occupés de préjugés & de prétentions personnelles, pourroient, par de judicieuses & modestes observations éclairer sur cette matière les Auteurs mêmes les plus distingués, & ils y gagneroient les uns & les autres.

Le mot attitude en Peinture, auquel je dois revenir, signifie encore, dans un sens plus circonscrit, la position que le Peintre de portrait adopte pour représenter ceux qu’il peint, ou que ceux-ci se choisissent eux-mêmes.

Je parlerai de cette acception particulière dans l’article PORTRAIT ; mais je me permettrai d’avance quelques observations.

Le mot attitude est quelquefois pris dans un sens ironique, parce que la plupart des attitudes que choisissent particulièrement ceux qui se font peindre, ou que demandent quelquefois les Artistes eux-mêmes, ont une gêne & une affectation qui paroissent ridicules ou choquantes.

C’est d’après cela vrai-semblablement qu’un homme qui, dans la société, prend un maintien médité par la vanité, ou par quelque prétention, fait dire de lui qu’il est en attitude.

Un des moyens de combattre ce ridicule est la bonne Comédie, parce qu’en même temps que l’Auteur fait parler à ses personnages le langage des ridicules & des foiblesses qu’il leur suppose, il donne lieu aux Comédiens, qui représentent ces personnages, d’imiter aussi les mouvemens, les gestes, le maintien & les attitudes qui leur sont propres, de manière à exciter la dérision.

Un préservatif que la Peinture de son côté pourroit fournir, seroit des suites d’ingénieuses caricatures, à l’usage de ceux qui font faire leur portrait avec prétention. On y représenteroit des attitudes, dont une légère exagération rendroit le ridicule frappant.

On verroit l’important dans la méditation la plus profonde & comme accablé de tous les objets dont il se fait entourer dans son portrait, pour fonder sa considération ; l’homme qui desire qu’on lui donne l’empreinte du génie, dans une agitation qui tient du délire ; le sensible, comme un sybarite efféminé ; l’homme gai, comme s’il étoit yvre ; le moindre homme de loi, comme un grand Magistrat, & les Employés subalternes dans


des attitudes de Ministres. Je ne me permets pas d’étendre cette idée de caricature jusqu’aux femmes.

La plupart de leurs foiblesses ou de leurs ridicules ne doivent nous permettre que le sourire & non la dérision, d’autant que nous contribuons trop souvent aux erreurs de leur esprit, pour avoir le droit d’être sévères.

Le mot attitude convient encore particulièrement à la danse, comme étant liée à la pantomime ; mais si ce dernier art étoit établi plus qu’il ne l’est parmi nous, le terme d’attitude lui deviendroit absolument propre & indispensable. Il entreroit nécessairement dans son langage, parce qu’il se formeroit un systême raisonné de positions & une nomenclature de signes dont le nom général seroit attitude.

Je ne puis me refuser d’ajouter que si cela arrive, cet art nuira d’autant plus à la Peinture qu’il aura plus de succès ; car l’art de la Pantomime étant plus difficile à exercer dans une certaine perfection que la Comédie même, il y aura bien peu d’Acteurs de ce genre qui puissent servir de modèles aux Peintres, & cependant les Artistes se laisseront entraîner à les étudier, à cause des applaudissemens que le Public leur prodiguera.

Jeunes Artistes, plus exposés à ces dangers, parce que les réflexions n’ont pas encore mûri votre jugement, & que par les relations qui existent naturellement entre tous les Beaux-Arts, vous devez aimer les Spectacles, cherchez toujours à copier la Nature de la première main ; elle vous offrira des attitudes vraies, & les Acteurs, les Danseurs, vos Modèles même les plus dociles ne vous offriront la plupart que des attitudes fausses, génées, ou affectées. Peut-être si vous vous imposiez à vous-même l’attitude que vous cherchez, en vous regardant dans une glace, rencontreriez-vous plus juste, en supposant que votre ame flexible fût susceptible d’impressions que l’intérêt de votre Art rendroit plus expressives.

Au reste, entre plusieurs attitudes, que vous regardez comme convenables au sujet que vous traitez, choisissez toujours les plus simples.

L’Art, dans sa naissance, commence par des attitudes simples, mais représentées avec une vérité souvent séche, quelquefois pauvre ou mesquine. L’Art, plus avancé dans ses progrès, cherche à éviter ces défauts par le mouvement, le piquant & la force. L’Art, dans son degré le plus parfait, s’apperçoit que le mouvement conduit par degré à l’exagéré, comme le piquant à l’invraisemblable & la force à l’outré. Il revient alors sur lui-même, si les mœurs & les opinions ne s’y opposent pas. Il redemande la simplicité, mais choisie, guidée par la justesse de l’expression, dirigée par le goût, c’est-à-dire, par le sentiment fin des convenances, & embellie par la naïveté & la grace.

Lorsqu’on a créé dans l’Art de la Peinture une sorte d’Art des contrastes, on a induit les Artistes à s’égarer ; car non-seulement la Nature ne contraste pas, autant qu’on voudroit le faire croire ; mais son effet pittoresque vient aussi souvent de l’harmonie juste de la couleur & du clair-obscur, que des contrastes.

L’étude de l’Anatomie est au moins un préservatif contre l’abus des attitudes trop contrastées & exagérées, si le Peintre la consulte.

Combien de mouvemens & d’attitudes, qu’on regarde comme admirables, font sourire l’Anatomiste qui sait que les os & les muscles ne les permettent pas.

Un ouvrage qui indiqueroit, avec des preuves tirées de la structure de nos ressorts, les bornes que la Nature impose aux mouvemens, aux extensions des bras, des jambes, des yeux, du corps, seroit utile aux Artistes. Il empécheroit peut-être tant d’incorrections sur lesquelles on s’extasie en les prenant pour des prodiges d’expression, & démontreroit que ce qu’on admire suppose le plus souvent des os déboîtés & des muscles déplacés, effets de l’exagération.

Des erreurs semblables seroient également mises en évidence par la perspective, lorsqu’on démontreroit que les écarts des jambes d’un grand nombre de figures sont excessifs & hors de toute possibilité, sur-tout en les rapportant aux plans perspectifs indiqués dans le tableau.