Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Broyer

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BROYER. Broyer les couleurs, ou les matières qu’on transforme en couleurs pour l’usage de la Peinture, c’est les écraser, les diviser, les réduire en poudre & les rendre absolument propres à l’Artiste, en les amalgamant, pour ainsi dire, avec une portion convenable d’huile.

On place les matières concassées sur une pierre très-dure & très-polie ; on les écrase avec une molette : on promène cette molette, qu’on presse des deux mains, sur la pierre en tout sens, & l’on continue cette opération, non-seulement pendant assez longtemps, pour que l’on puisse mêler l’huile aux matières pulvérisées, mais encore lorsque l’huile y est mêlée, pour les incorporer parfaitement ensemble.

La molette, dont il vaut mieux donner ici une idée que de remettre à en parler à l’article MOLETTE, est une espèce de gros tampon, plus large par le bas que par le haut, qui sert à le tenir. L’extremité basse de ce tampon est plate & fort unie, & c’est en pressant la matière des couleurs entre cette surface très-lisse & celle également lisse de la pierre à broyer, qu’on parvient à réduire presque jusqu’à l’état de poudre impalpable les couleurs, & à les incorporer parfaitement à l’huile, de manière qu’une petite portion prise & pressée entre les doigts, ne fait sentir aucun grain qui arrête les doigts.

La pierre à broyer peut etre de différentes matières, ainsi que la molette. Le porphyre, l’agate, le crystal peuvent servir à ces usages ; mais nous entrerons dans ces détails dans le second Dictionnaire, où nous donnerons aussi des figures qui rendront les explications plus sensibles. Ce que je puis ajoûter ici, pour donner quelqu’idée théorique à ce sujet, c’est que les couleurs destinées à exécuter : des tableaux précieux, demandent à être parfaitement divisées & amalgamées avec l’huile la plus choisie. On doit aisément sentir que, plus l’Artiste s’engage à entrer dans les plus petits détails des tons, des demi-teintes, des passages, plus il paroit souhaiter que l’œil le plus clair-voyant juge de près son ouvrage, & plus il est intéressant pour son succès que nul obstacle physique ne s’oppose à son travail, & que nulle inégalité, nulle aspérité, nul corps étranger ne se fasse appercevoir dans sa couleur : c’est par cette raison que quelques Artistes, qui mettent un grand prix à ce genre de Peinture, préparent & broyent eux-mêmes leurs couleurs ; ils font un choix des portions les plus parfaites des matières qu’ils emploient ; ils les brisent, les pulvérisont, lesbroyent avec une huile choisie, & cela dans un lieu propre & à l’abri de la poussière qui pourroit, par le mouvement le plus léger de l’air y porter des atômes étrangers. Ces soins, qui paroissent minutieux,


ne sont point blâmables, parce qu’effectivement les couleurs extrêmement pures se conservent davantage, s’emploient avec plus de facilité & sont susceptibles de plus d’éclat.

Dans les grands ouvrages, ces mêmes soins seroient difficiles & peut-être impossibles à employer ; mais ils ne sont point aussi nécessaires, parce que ces ouvrages se voyant de plus loin. Cependant j’observerai encore que ces raisons servent trop souvent de prétexte à une négligence nuisible aux Artistes qui se la permettent, & blâmable dans plusieurs marchands qui préparent les couleurs avec trop de négligence, sans mettre assez de choix dans les matières, & en y en introduisant d’hétérogènes. L’Artiste y perd une facilité d’opérer nécessaire ; ses teintes sont plus sujettes à se salir ; enfin, ses ouvrages moins physiquement purs, conservent moins l’accord qu’on leur donne & se détruisent plus vîte.