Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Capital

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Panckoucke (1p. 91-92).
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CAPITAL. Un ouvrage de Peinture est désigné par le mot capital, soit parce qu’il est d’une dimension considérable, soit parce qu’il contient à un dégré éminent le mérite de l’Art & celui de l’Artiste.

On applique donc principalement le terme qui fait le sujet de cet Article, tantôt au Peintre, tantôt à l’Art de la Peinture ; & l’objet le plus capital est celui qui réunit tous ces différens mérites.

On dit : ce tableau est un tableau capital de tel maître.

C’est dans ce dernier sens que le mot capital est surtout en usage parmi les curieux, les possesseurs de collections & les marchands. On dit encore d’un homme qui a rassemblé un grand nombre d’ouvrages de choix, qu’il a plus d’un tableau capital ; qu’il possède un ouvrage capital de Rubens, de Wandeik, du Corrége, du Guide, de Giraudoux, de Ténieres ; mais on ne devroit employer cependant cette expression qu’à l’occasion des maîtres de chaque Ecole qui tiennen les premiers rangs. Je ne dirai qu’un mot de l’abus que le brocantage, l’intérêt des marchands, & souvent la vanite des curieux font de ce terme distinctif. Le Brocanteur s’en sert souvent pour allumer le désir des curieux. La vanité de l’amateur s’enflamme lorsque le marchand employe le mot capital, & son desir a moins pour objet de jouir d’un tableau excellent & de s’instruire en l’étudiant, que de posséder quelque chose que ne possèdent point les Amateurs avec qui il combat de prétentions. Certainement, un très-bon tableau d’un grand maître est préférable à un tableau de moindre mérite ; mais cette assertion suppose que l’Amateur ait assez de lumières pour sentir réellement les beautés supérieures qui méritent à un tableau le nom de capital ; malheureusement pour la plûpart d’entr’eux, le tableau capital n’est que le plus cher, le plus grand, le plus chargé de figures, souvent le mieux verni, & enfin celui qui a tenu bien ou mal-à-propos sa place dans les cabinets les plus connus, dont les Catalogues sont pour certains ouvrages des titres qu’on peut contester comme un grand nombre de titres de noblesse. Un Amateur instruit, & surtout un Artiste, voit souvent dans un tableau qui n’a pas eu ces distinctions, quelquefois même dans un fragment du meilleur temps d’un maître, un ouvrage plus réellement capital.

Un ouvrage capital d’un maître est donc, pour parler avec justesse, celui que l’Artiste distingué a composé dans le genre auquel il a été le plus véritablement appellé par la nature, celui qu’il a fait dans l’instant de la force de son talent, celui qu’il a senti plus de plaisir à faire. Il est cependant juste d’joûter à cela la conservation, sans laquelle on jouit très-imparfaitement de beautés qu’on ne fait qu’entrevoir.

Il est certain que ce sont des ouvrages pareils à celui que je viens de désigner, qu’on doit appeller capitaux ; que ce sont ceux-là dont un Amateur attaché à la réputation de sa collection, a quelque droit de s’enorgueillir, & mieux que tout cela, ceux dans lesquels & l’Amateur & l’Artiste, peuvent s’instruire en jouissant.