Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Caricature

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Panckoucke (1p. 96-97).
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CARICATURE. Ce mot est absolument du langage de l’Art, mais nous l’avons emprunté du terme Italien caricatura, dont on n’a changé que la terminaison. Nous nommons aussi charge, en langage de Peinture, ce que les Italiens nomment caricatura, & nous avons adopté le mot caricature, emprunté d’eux plus littéralement. On pourroit penser que le mot charge a un rapport figuré, avec une accumulation quelconque ; & la charge pittoresque ou caricature en est une en effet de ridicules, sous lesquels on fait plier les formes, les proportions, les traits, qu’on veut soumettre à la dérision.

La caricature est donc dans la Peinture, ce que l’imitation burlesque, ironique & même satyrique, est dans la Poësie. Si l’on veut démêler quelques-unes des causes qui excitent les hommes à se complaire dans le burlesque & dans les caricatures, il faut observer que le sérieux & le gai, la pédanterie & l’ironie burlesques sont des formes générales de l’esprit, qui ont êté adoptées & employées par les hommes de tous les tems & de tous les pays. Ces formes, si l’on y réfléchit, sont si utiles dans les sociétés humaines, qu’on peut les croire indispensables,


quoiqu’elles paroissent souvent peu importantes & qu’elles soient quelquefois nuisibles.

Le sérieux, porté jusqu’à la pédanterie, soutient l’ordre & les formes nécessaires aux hommes rassemblés, mais elle ne manque guère de passer la mesure qui la rend utile. Alors la gaieté, portée de son côté jusqu’à l’ironie en fait justice, & celle-ci à son tour est réprimée par l’ordre & les formes rectifiées & devenues à cette occasion, plus raisonnables.

Les caricatures empruntent donc de la gaieté de l’esprit le droit de présenter sensiblement par les moyens que donne la Peinture, les ridicules, & de rendre sur-tout risibles, l’excès de la gravité, les affectations dans le maintien, dans les traits, les singularités des ajustemens, & ce que les actions peuvent offrir de contraire aux convenances & aux bienséances.

Les caricatures développent, en exagérant les formes, les caractères différens des physionomies, & c’est d’après quelques-unes de ces exagérations que des Auteurs ou des Artistes, conduits par l’imagination, ont trouvé & fait appercevoir des ressemblances visibles & frappantes entre divers animaux & certaines physionomies.

Aristote dit que les Arts, dans leurs imitations, font les hommes, ou tels qu’ils sont, ou meilleurs qu’ils ne sont, ou enfin plus mauvais.

Le Peintre ou le Dessinateur de caricatures les fait plus mauvais ; mais il peut, comme dans la Comédie, avoir un but moral, & alors il ne dit pas : Voilà comme vous êtes ; mais, voilà comme vous affectez d’être. Telles sont les caricatures du célèbre Hogart, qui en exagérant les caractères, les usages & les mœurs de ses compatriotes, eut sans doute intention de les corriger.

La caricature est alors un miroir qui grossit les traits, & rend les formes plus sensibles. Mais, puisque j’ai comparé ce genre de caricatures à la Comédie, qui charge les défauts & les ridicules, pour qu’on les évite. Je dois dire aussi que cette ressemblance, ni l’exemple d’Aristophane ne justifient pas au moins parmi nous les caricatures personnelles & faites dans une intention particulièrement satyrique. Les siècles qui, à force d’être cultivés, parviennent enfin à une sorte de dégoût & d’ennui des occupations, & même des plaisirs, s’accrochent, si l’on peut parler ainsi, pour remédier à ce mal, aux exagérations de tout genre, fussent-elles même blâmables. C’est par cette raison qu’ils se rendent plus indulgens pour la satyre personnelle, pour la Comédie qui désigne les individus, pour l’épigramme, pour les exagérations des sentimens, les accumulations d’événemens, & ils le seroient pour la caricature pittoresque la plus mal intentionnée & la plus injurieuse, si les sensations qu’elle peut procurer étoient d’une plus grande ressource, & à la portée de plus de monde. J’ai déjà dit au mot Decence, que l’intention étoit le juge des Artistes dans tous les cas de conscience de leur Art. Je les renvoye encore à ce Tribunal pour le genre dont il s’agit, en leur recommandant, lorsqu’ils dessinent des caricatures sans mauvaise intention, & seulement par gaieté, ou de l’aveu même de ceux qui en sont l’objet, de ridiculiser plutôt les formes que le caractère moral. Car un homme (je ne sais si je dois dire aussi une femme) souffrira plus aisément que la caricature exagère quelques défauts de sa taille, par exemple, que de son esprit. Les caricatures qui se font à l’amiable, gardent ordinairement une juste mesure, & sont simplement risibles.

Les charges sont donc quelquefois des jeux de la Peinture ; comme les grotesques, dans la composition desquels on les fait entrer. Elles peuvent prétendre, relativement aux Artistes, à une sorte de mérite, car lorsqu’elles sont tracées promptement & pour ainsi dire, par un trait spirituel, elles prouvent, indépendamment d’une grande facilité, une sagacité fine à saisir les caractères & les expressions. D’ailleurs, ne coûtant que quelques instans, elles ressemblent mieux à un jeu & donnent la preuve, en cas qu’on y démêle quelque malice, qu’au moins elle n’a pas été méditée.

Quelques maîtres qui ont donné des préceptes ou des conseils, exhortent les Peintres à porter toujours avec eux des tablettes ou de petits cahiers, & à tracer les caractères des physionomies, & les expressions qui les frappent. Il est naturel, dans ces sortes d’études passagères, & qui ne permettent qu’un instant, que l’Artiste charge plus ou moins, pour mieux graver dans son esprit ce qu’il a observé. Ces espèces de caricatures sont destinées à être en quelque sorte secrettes & au seul usage de l’Artiste qui les fait. Il en devroit être ainsi des observations que les hommes qui s’appliquent à étudier leurs semblables, font habituellement & écrivent quelquefois. c’est l’usage que les uns & les autres font de ces deux espèces de caricatures, ainsi que l’intention qu’on a eue en les faisant, qui les justifie ou les condamne.

Léonard de Vinci non-seulement a conseillé les études dont je parle, mais il les a pratiquées, & nous possédons des caricatures qui ont été gravées d’après ses dessins. Elles semblent, la plupart, avoir pour but de personnifier, pour ainsi dire, quelques-uns des caractères moraux les plus ordinaires aux hommes dans certains états. On verra dans quelques copies de ces gravures qui se trouveront dans le second Dictionnaire, quelques exemples des caricatures que j’ai dit avoir été faites pour rapprocher les traits humains de ceux de quelques animaux ; & l’on y trouvera aussi des copies de quelques-unes des charges de Vinci, dans lesquelles on démêle les caractères, les pen-


chants & les nuances d’idées affectées à certains états ; par exemple, la physionomie madrée, revêtue du froc d’un Moine, un homme à qui le menton, excessivement long, donne un air de bonté qui touche à la niaiserie ; un autre, dont le menton, excessivement retroussé, le nez aigu, la bouche rentrée, & relevée par les coins, donnent le caractère comique & un rire sardonique habituel. On y voit des traits boudeurs, grondeurs, importans, caustiques ; des têtes, telles que les modèlent avec le tems la paresse du désœuvré, l’embonpoint du gourmand, la luxure du mondain, la vie végétative du Cénobite, l’insouciance de la richesse, la bonhomie de l’homme simple, le dédain de l’orgueil, la maussaderie de l’esprit mal-fait, le contentement de l’amour-propre, la grosse finesse ou gaieté de l’homme sans éducation, le rire bête ou affecté du niais, la méditation habituellement triste du mélancolique, &c.

Ces échantillons pourront faire imaginer à ceux qui n’en auroient pas d’idée, combien le genre des caricatures est étendu, & quels sont ses avantages & ses inconvéniens.