Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Catalogue de tableaux, dessins, estampes

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Panckoucke (1p. 98-99).

CATALOGUE DE TABLEAUX, DESSINS, ESTAMPES, &c. Il est assez difficile aux


hommes raisonnables de s’empêcher de sourire, lorsqu’ils jettent les yeux sur l’importance que la vanité ou l’intérêt mettent aujourd’hui à la possession des objets de luxe ou de ceux que le luxe s’approprie. Tel homme riche & ennuyé, dépourvu de connoissances & tourmenté par l’oisiveté accumule des Tableaux, des Dessins, des Estampes, & bientôt lassé du plaisir qu’il en attendoit, s’en fait un de se procurer, par sa prodigalité à cet égard, un inventaire dont on parlera, & de préparer un Catalogue qui parcourra l’Europe, & y portera son nom, fait pour être ignoré.

Depuis que les productions des Beaux-Arts sont des objets de faste pour une partie de ceux qui les achètent, elles ont dû devenir de plus en plus objets de spéculations & de charlataneries mercantiles pour ceux qui en sont commerce. Les Catalogues, les descriptions, les éloges des Ouvrages qu’on expose en vente, & auxquels on joint après les ventes le détail des prix de chaque objet, sont composés la plupart de manière à exciter les désirs, à reveiller l’émulation des Amateurs qui ont pour but la gloire de l’emporter les uns sur les autres ; & si ces étalages de descriptions empoulées, qui inondent le Public sous le nom de catalogues, n’étoient pas condamnées à un prompt oubli, s’il s’en conservoit quelques exemplaires, & que les hommes devinssent un jour plus raisonnables qu’ils ne sont, on pourroit craindre qu’ils ne jugeassent trop défavorablement de notre siècle, à moins que par une juste compensation, ils n’opposassent a nos futilités, & je dirai même à nos désires, les connoissances réelles & estimables dont nous avons avancé les progrès, & les résultats incontestables de travaux heureux qu’ont produit nos sciences & nos Arts. Au moins est-il juste d’observer que la plus grande partie des ridicules, qu’on attribue à la nation entière, est restreinte dans quelques classes d’hommes peu instruits, quoiqu’ils aient le moyens de l’être, & de désœuvrés, pour qui les ridicules sont moins fâcheux & bien moins pénibles à supporter que le vuide de leurs facultés & les ennuis de leurs jours oisifs. Ces classes, devenues à la vérité trop nombreuses, existent dans nos Capitales, où elles se multiplient en proportion du nombre des habitans & de la richesse. Pour revenir aux inconvéniens des énoncés ridicules & peu sincères qu’on prodigue si souvent aujourd’hui sous le nom de catalogues, un de leurs effets pernicieux par rapport aux Arts & à la Nation, est d’accoutumer à priser généralement les ouvrages vantés d’après des considérations de luxe, de mode, par la seule rareté des objets & sur-tout, beaucoup moins d’après les beautés réelles de l’Art & de la nature, que d’après ce qu’on nomme agréments, la plupart arbitraires ou sujets aux caprices des modes & de des conventions. L’inconvénient relatif aux Artistes est de les détourner du goût qu’ils pourroient avoir pour les premiers genres & pour les grands principes, en leur démontrant par le fait, que les genres inférieurs sont les plus recherchés, & les ouvrages de ces genres les plus récompensés, soit par les louanges, soit par le prix qu’on leur assigne. De-là le refroidissement auquel nous les voyons s’abandonner pour les sujets nobles, graves, pathétiques, dans lequel l’Art peut exercer ses plus admirables illusions. De-là le penchant épidémique pour les sujets qu’on nomme agréables, galans, ou qui se distinguent par quelque singularité.

La foi qu’on ajoute aux catalogues, les prix qu’ils établissent avec une sorte d’autorité, d’après les fantaisies & les ruses des Marchands, tendent à l’intervention des idées justes, des évaluations conformes à la raison & à l’importance des genres d’ouvrages qui demandent plus ou moins de génie, & qui ont plus ou moins de droits réels à intéresser le cœur & l’esprit ; mais si je m’étendois trop long-tems sur le sujet de cet article, ne risquerois-je pas qu’on ne m’accusât d’aller sur les brisées du personnage de notre Comédie, qui vouloit réformer les enseignes ? Les vérités trop particularisées touchent effectivement ou s’approchent du moins de la pédanterie, & par conséquent sont bien près d’encourir la peine du ridicule.