Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Critique

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Panckoucke (1p. 168-169).
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CRITIQUE (subst. fém.) C’est la faculté de juger. Ce mot est dérivé d’un verbe grec qui signifie juger. Il est aussi quelquefois substantif masculin, un critique éclairé. Enfin, il est adjectif dans ces phrases, un moment critique, une conjoncture critique, une démarche critique.

Demander si la critique est utile, c’est demander si la faculté de juger est utile, ou s’il est utile d’exercer cette faculté.

Pour nous en tenir à notre sujet, c’est-à-dire aux arts qui dépendent du dessin, c’est par la critique ou la faculté de juger que l’artiste connoît ce qui convient à l’ouvrage qu’il entreprend, & que le spectateur prononce s’il a bien rempli ces convenances. C’est la critique qui classe les différentes parties de l’art suivant leur importance, les différentes écoles suivant leur mérite relatif, les différens ouvrages suivant leur beauté. C’est elle qui garantit les arts de la barbarie, en enseignant aux artistes ce qu’ils doivent faire & aux amateurs ce qu’ils doivent estimer. La critique s’épure avec l’art & dégénère avec lui. Quand il n’y avoit pas de meilleurs peintres que le Cimabué ou le Giotto, les critiques regardoient comme des chefs-d’œuvres de l’art, comme ce que l’on pouvoit produire de plus beau, les peintures du Giotto & du Cimabué. Si dans un certain temps & un certain pays, les artistes donnent des mignardises pour de la grace, leur manière pour de la beauté, les critiques oublieront eux-mêmes ce qui constitue la beauté & la grace. Le langage des critiques grecs étoit sans doute bien différent au temps de Solon, au siécle de Périclès, & sous le règne de Constantin.

Le meilleur critique des arts est sans doute l’artiste, parce qu’il a dû rassembler plus de principes nécessaires pour bien juger, & que ces principes lui sont chaque jour rendus plus familiers par la pratique.

Les gens de lettres ont tenté d’enlever aux artistes cette prérogative pour s’en emparer, & l’ont exercée de manière à venger ceux qu’ils en avoient dépouillés. Les amateurs armés à la legère, se sont joints au parti des gens de lettres, & l’on ne s’est pas apperçu qu’ils lui aient procuré plus de force.

L’Abbé Dubos dans ses réflexions sur la pœsie & sur la peinture, prétend que la plupart des gens du métier jugent mal des ouvrages par trois raisons : parce que leur sensibilité est useé. Il seroit plus vrai de dire qu’elle est exercée. Parce qu’ils jugent de tout par discussion. Tout n’est pas du ressort de la sensibilité dans les ouvrages de l’art ; ce qui n’y tient pas au sentiment, ne peut être mieux jugé que par discussion, & les artistes sont plus capable de cette discussion que des personnes étrangères aux arts. Enfin parce qu’ils sont prévenus en faveur de quelque partie de l’art, & qu’ils la comptent dans les jugemens généraux qu’ils portent pour plus qu’elle ne vaut. C’est un défaut dans les artistes d’être trop prévenus en faveur de quelque partie de l’art : mais ils seront encore de meilleurs Juges que des gens qui ne possèdent bien aucune de ces parties. Ils porteront du moins les jugemens les plus sains sur la partie qu’ils connoissent le mieux & pour laquelle ils seront prévenus, & en rassemblant les jugemens de différents artistes prévenus pour différentes parties, on composera un jugement général, qui sera celui de la vérité, & qui, avec le temps, deviendra celui du public, (Article de M. Levesque).