Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Dessiner

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Panckoucke (1p. 190-191).
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DESSINER, faire des dessins à la plume, au crayon, au lavis, &c. Nous prendrons ici ce verbe dans l’acception où il signifie étudier la nature ou des imitations de la nature par la voie du dessin.

Gérard Lairesse & Raphaël Mengs vouloient que les maîtres commençassent par faire dessiner aux élèves des figures géométriques, sans le secours de la règle & du compas. Ils croyoient que cette méthode étoit plus capable que toute autre de leur donner la justesse du coup-d’œil qui seule conduit à déssiner correctement. Ils avoient observé qu’il n’est aucun objet dans la nature dont les contours & les formes ne soient composés de figures géométriques simples ou mixtes, d’où ils conclurent que l’élève


parvenu à tracer avec justesse ces figures à la simple vue, trouveroit ensuite peu de difficulté à dessiner correctement toutes les formes que présente la nature. Cette méthode procureroit un second avantage ; c’est qu’en faisant ainsi dessiner des figures géométriques aux élèves, on auroit soin de les leur démontrer, & dès leurs premiers pas dans l’art ils acquierroient la connoissance des premiers élémens de géométrie, qui, comme on sait, ne sont pas inutiles aux artistes.

On ne pourroit assurer que les maîtres de Raphaël aient commencé suivant cette méthode son éducation pittoresque ; mais il est certain du moins qu’ils lui apprirent à dessiner avec une correction si précise qu’on peut même l’appeller servile. Elle lui donna d’abord un goût sec ; mais comme elle lui avoit fait acquérir la justesse du coup-d’œil & l’habitude d’une imitation sévère, elle lui procura la facilité de prendre une belle manière de dessin, lorsqu’il eut vu les ouvrages de Michel-Ange, & les chefs-d’œuvre de l’antiquité. La sécheresse est, sans doute, un vice dans les maîtres ; encore leur pardonneroit-on jusqu’à un certain point ce vice s’ils le rachetoient par les grandes beautés qui en peuvent être voisines ; mais la sécheresse, causée par la recherche de l’extrême précision, & par la peine d’y parvenir lorsqu’on n’a pas encore acquis cette aisance que donne l’habitude, est assurément le plus excusable de tous les défauts que puisse avoir un élève. On n’est pas loin de l’époque où l’on sentira généralement le tort qu’on a fait à l’art en voulant que les élèves commençassent par être moëlleux & faciles.

Il ne faut pas craindre, dit Mengs, que la méthode géométrique nuise à l’élégance. L’élégance consiste dans la grande variété des lignes courbes & des angles, & ce n’est que la géométrie qui peut donner l’aisance de les exécuter.

Il veut que l’élève, après s’être attaché long-temps à dessiner des figures géométriques, s’exerce à tracer des contours d’après de bons dessins, &, ajoute-t-il, il y trouvera plus de facilité que les élèves formes par une autre méthode, puisqu’il aura contracté l’habitude de tracer toutes les figures qui peuvent contribuer à former ces contours. On ne négligera pas en même-tems de lui faire connoître les proportions du corps humain, que le maître aura soin de lui démontrer d’après celles des meilleures antiques. Quand il sera enfin parvenu à dessiner des contours avec franchise, on lui permettra de relever ses dessins par le clair-obscur, c’est-à-dire, de les accompagner d’ombres & de lumières. Il prendra en même-tems des leçons d’anatomie, & de perspective, pour se préparer à dessiner d’après nature. Ces deux sciences sont nécessaires pour copier le modèle vivant & l’antique. La perspective nous apprend la cause des apparences des corps dans les différentes situations où ils peuvent se trouver par rapport à l’œil qui les regarde, & l’anatomie la cause des formes que prennent les chairs par rapport à la forme des os qui leur servent de soutien, & par rapport à celle des muscles, & à leurs différens mouvemens. Si l’on ne connoît pas les causes, on n’imitera les effets qu’avec incertitude. Ce n’est que dans la science que les artistes doivent chercher la véritable facilité. L’air de liberté qu’affecte l’artiste ignorant n’est qu’une charlatanerie par laquelle il ne peut seduire que d’autres ignorans.

L’élève risquera beaucoup de ne pas dessiner une figure dans ses véritables proportions, si, par exemple, il commence par dessiner la tête pour finir par les dernières extrêmités, sans se faire d’abord une division méthodique. Soit que l’on veuille copier cette figure dans sa grandeur naturelle, ou la réduire à une proportion différente, il faut d’abord tracer la ligne d’à-plomb de cette figure, & ensuite fixer par des lignes ou des points la grandeur qu’on veut donner à l’une de ses parties. La proportion de cette partie servira d’échelle & de point de comparaison pour les autres. On cherchera à estimer à vue d’œil quelle proportion il y a entre cette partie, la tête par exemple, & la poitrine ; quand on l’aura trouvée, on marquera une seconde division, & on suivra cette opération jusqu’au bas de la figure. Quant à la ligne perpendiculaire d’à-plomb, elle servira à s’assurer qu’on ne fait pas perdre à la figure son équilibre, & à remarquer combien les différentes parties s’écartent de cette ligne.

On s’assurera encore de la situation respective & du mouvement des différentes parties, par une opération méchanique, en tenant tantôt perpendiculairement, tantôt horizontalement le porte-crayon, fermant un œil, & mirant ainsi la figure. Il faudra aussi bien remarquer la forme de l’espace vuide que laisse, par exemple, un bras écarté du corps, & à quelle partie du corps répondent le coude, le poignet de ce bras, & marquer cette observation par des points ou des lignes légèrement tracés. Par ces moyens réunis, on peut parvenir à s’assurer des formes avec presqu’autant de précision d’après nature ou d’après une statue, que si l’on traçoit un certain nombre de quarreaux sur un dessin qu’on se propose de copier, & le même nombre de quarreaux sur le papier destine à recevoir la copie.

Si l’on doit copier une composition, on prendra les mêmes précautions pour juger de la correspondance des différentes figures que pour juger celle de différentes parties d’une même


figure. Supposons que la composition ne soit que de deux figures, on examinera à quelle partie de la première figure répond la tête de la seconde, &c.

Enfin, comme dans l’art du dessin, il s’agit moins de montrer de l’adresse que de l’exactitude, on fera bien de multiplier toutes les précautions qui peuvent tenir lieu d’échelle, d’à-plomb, de compas, de quarreaux

Après s’être bien assuré des places qu’occupent les différentes parties en hauteur & en largeur, & les avoir determinées par des lignes & des points, il faut avoir le plus grand soin de ne charger, ni d’altérer le contour en le traçant. Le premier défaut conduit à la pesanteur ; le second à la maigreur, & tous deux sont également graves, puisqu’ils éloignent également en sens contraire de la justesse la plus precise. (Article de M. Levesque).