Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Dictionnaire de la pratique/Toile

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TOILE. (subst. fém.) De grands maîtres ont peint sur des toiles grossieres & lâches ; d’autres ont préféré des toiles fines & serrées. Chacun d’eux auroit donné de bonnes raisons de son choix, qui tenoit à sa maniere d’opérer. La toile, avant de recevoir le sujet dont elle sera couverte, doit être imprimée, c’est-à-dire, qu’elle doit être couverte de plusieurs couches de couleur. Voyez l’article Impression.

Toile. Maniere de transporter un vieux tableau sur une toile neuve. Lorsqu’un tableau peint sur toile s’écaille, se gerse ; lorsque cette toile est moisie & déchirée tellement que les bords ne peuvent plus tenir au chassis ; lorsqu’enfin le tableau est détendu, qu’il fait des bosses, qu’il a des trous & menace ruine, il est très-urgent de le remettre sur toile.

Quelques personnes, pour rendre la vieille toile & la couleur plus douces & moins rebelles, exposent pendant plusieurs jours le tableau à l’humidité d’une cave. Voici d’ailleurs la méthode qu’on suit le plus ordinairement. On colle sur le côté peint du tableau, du papier blanc avec un empois léger. Cette premiere opération est nécessaire pour que le tableau ne s’écaille pas dans les mouvemens & les frottemens qu’il doit éprouver. D’un autre côté, on a tendu sur un fort chassis à clef, une bonne toile neuve sur laquelle on couche très-également, avec une grosse brosse, de la colle bien cuite & faite avec de la farine de seigle & une gousse d’ail. On met une semblable couche de cette colle sur le derriere du tableau. Cela étant fait promptement, on pose le revers du tableau sur cette toile neuve. On le frotte avec un tampon de linge, que l’on appuie assez fortement, en partant toujours du centre & en faisant soutenir les coins du tableau. Par ce moyen, on oblige à s’échapper l’air qui pourroit rester entre les deux toiles, & y causer ce qu’on appelle des cloches.

Le tableau étant ainsi rentoilé, on le pose sur une table bien unie, du côté de la peinture, & on frotte très-rudement le derriere de la toile neuve avec un lissoir. C’est un instrument de verre, ou même de fer bien poli, avec lequel on lisse le linge, la papier, les étoffes, les bas de soie, &c. Quelques personnes ajoutent à ces procédés celui de passer un fer chaud sur le tableau, en opposant, par derriere, une planche pour faire résistance à cette pression. Par ce moyen, la colle échauffée devient plus liquide, pénétre, du côté du tableau, la vieille toile, & fixe d’autant plus la peinture, tandis que, du côté de la toile neuve, la colle excédente sort à travers le tissu, ensorte qu’il n’en reste partout qu’une épaisseur égale. Il faut faire attention de ne pas employer le fer trop chaud, & de ne frotter le tableau, qu’en interposant, entre lui & le fer, quelques feuilles de papier, car celle qui est sur la peinture ne seroit pas suffisante.

Quand on juge que le tableau rentoilé est bien sec, on humecte avec une éponge abbreuvée d’un peu d’eau tiede, le papier blanc collé sur la peinture. Il s’enleve aisément, ainsi que l’empois qui l’attachoit sur le tableau. Il reste à le nétoyer, & souvent à le restaurer. Voyez les articles Restauration & Tableau.

Si le tableau n’en pas bien vieux, qu’il n’ait pas besoin d’être remis sur toile, & qu’il ait cependant un trou à réparer, on peut y appliquer une piece que l’on colle derriere le trou de la maniere que nous venons d’indiquer & avec la même colle. On observe d’effiler les bords de la piece, afin qu’étant fortement pressée, elle ne marque pas sa forme sur le tableau.

Lorsqu’un ouvrage est peint sur bois, ou même sur une toile mal imprimée, ou devenue tellement mauvaise, que la couleur s’écaille absolument, on court risque de perdre l’ouvrage, à moins d’enlever entierement toute la peinture pour l’appliquer sur une toile neuve.

Ce moyen de conserver les chefs-d’œuvre de la peinture à l’huile, n’est connu qu’en France : C’est une invention du milieu de notre siecle ; invention si belle & si étonnante, que j’ai vu les Italiens eux-mêmes, les plus adroits des hommes, douter de la vérité de ce que je leur en racontois.

Le sieur Picaud est le premier inventeur de la maniere d’enlever la peinture à l’huile de dessus un mauvais fond. C’est ainsi qu’il a transporté sur toile le Saint Michel, sublime ouvrage de Raphael, & la Charité d’Andrea del Sarto, deux tableaux de la collection du roi. Ils avoient été peints sur bois, & ils périssoient de toutes parts, lorsque M Picaud entreprit de les enlever de leurs fonds. Il a fait voir aussi sur toile, des ouvrages qui avoient été peints à l’huile sur plâtre. Son procédé est resté secret ; il en a laissé seul dépositaire son fils, qui en use encore avec un grand succès.

Le sieur Hacquin n’ayant pu découvrir cette méthode, s’est occupé d’en chercher une qui produisît le même effet. Il a été assez heureux pour réussir, par un procédé qu’on croit être tout différent, & qui a les mêmes avantages. M. Hacquin, second fils de l’inventeur, est chargé de l’entretien des tableaux du roi, & remplit avec honneur l’emploi qui lui est confié.

Quelques personnes présument que son procédé consiste à amincir & à finir par user entierement le fond soit de bois, soit de toile, sur lequel le tableau a été peint. Les résultats du sieur Picaud prouvent au contraire qu’il a obtenu le moyen de détacher l’ouvrage de peinture sans en altérer le fond, puisque les planches des tableaux dont j’ai parlé ont été exposées à côté des ouvrages portés sur toile, & l’on a remarqué qu’elles étoient dans une parfaite intégrité. (Article de M. Robin.)


Toile. Maniere d’ôter les tableaux de dessus leur vieille toile. Il faut commencer par ôter le tableau de son chassis, & l’attacher ensuite sur une table extrêmement unie, le côté de la peinture en dessus, en prenant bien garde qu’il soit bien tendu, & ne fasse aucuns plis. Après cette préparation, vous donnerez sur tout votre tableau une couche de colle forte ([1]), sur laquelle vous appliquerez à mesure des feuilles de grand papier blanc, le plus fort que vous pourrez trouver ; & vous aurez soin, avec une molette à broyer les couleurs, de bien presser & étendre votre papier, afin qu’il ne fasse aucun pli, & que partout il s’attache bien également à la peinture. Laissez sécher le tout : après quoi vous déclouerez le tableau, & le retournerez, la peinture en dessous & la toile en dessus, sans l’attacher ; pour lors vous aurez une éponge, que vous mouillerez dans de l’eau tiede, avec laquelle vous imbiberez petit à petit toute la toile, essayant de temps en temps sur les bords, si elle ne commence pas à s’enlever & à quitter la peinture. Alors vous détacherez avec soin & tout doucement un coin de la toile que vous roulerez, & continuant ainsi de la pousser avec les deux mains & de la rouler, vous la détacherez successivement toute entiere. Cela fait, avec votre éponge & de l’eau, vous laverez bien le derriere de la peinture, jusqu’à ce que toute l’ancienne colle, nu à-peu-près, en soit enlevée ; vous observerez dans cette opération, que cette éponge ne soit jamais trop remplie d’eau, parce qu’il pourroit en couler par dessous la peinture, qui détacheroit la colle qui tient le papier que vous avez mis d’abord. Tout cela fait avec soin, vous donnerez sur l’envers de votre peinture ainsi bien nétoyée, une couche de votre colle, ou de l’apprêt ordinaire dont on se sert pour apprêter les toiles sur lesquelles on peint ; & sur le champ vous y étendrez une toile neuve, que vous aurez soin de laisser plus grande qu’il ne faut, afin de pouvoir la clouer par les bords, pour l’étendre de façon qu’elle ne fasse aucun pli ; après quoi avec votre molette vous presserez légérement en frottant, pour faire prendre la toile également partout, & vous la laisserez sécher ; ensuite vous donnerez pardessus la toile une seconde couche de colle par partie & petit à petit, ayant soin, à mesure que vous coucherez une partie, de la frotter & étendre avec votre molette, pour faire entrer la colle dans la toile, & même dans la peinture, & pour écraser les fils de la toile ; le tableau étant sec, vous le détacherez de dessus la table, & le reclouerez sur son chassis ; après quoi, avec une éponge & de l’eau tiede, vous imbiberez bien vos papiers pour les ôter. Lorsqu’ils seront ôtés, vous laverez bien pour enlever toute la colle & nétoyer toute la peinture ; ensuite vous donnerez sur le tableau une couche d’huile de noix toute pure, & le laisserez sécher, pour mettre ensuite le blanc d’œuf.

Lorsque les tableaux que l’on veut changer de toiles, se trouvent écaillés, crevassés, ou lorsqu’ils ont des ampoules, il faut avoir soin, sur les endroits défectueux, de coller des feuilles de papier l’une sur l’autre pour soutenir ces endroits & les empêcher de se fendre davantage, ou de se déchirer dans l’opération ; & après avoir remis la toile neuve, on rajustera ces défauts de la maniere suivante. Ceux que l’on change de toile se trouvent raccommodés par l’opération même ; mais si la toile est bonne, & qu’on ne veuille pas la changer, on fait ce qui suit.

Il faut, avec un pinceau, mettre de la colle forte tiede sur les ampoules, ensuite percer de petits trous avec une épingle dans lesdites ampoules, & tâcher que la colle les pénétre de façon à passer dessous. Il faut, après cela, essuyer légérement ladite colle, & avec un autre pinceau, passer sur les ampoules seulement un peu d’huile de lin ; après quoi on aura un fer chaud, sur lequel on passera une éponge ou linge, mouillé, jusqu’à ce qu’il ne frémisse plus (crainte qu’il ne soit trop chaud) ; alors on poussera ledit fer sur les ampoules, ce qui les rattachera à la toile, & les supprimera entierement.

Il faut cependant remarquer qu’après avoir ôté ces ampoules, il est nécessaire de mettre par derriere une seconde toile pour maintenir l’ancienne & empêcher que les ampoules ne viennent à se former de nouveau : en voici la maniere.


Il faut mettre d’abord sur l’ancienne toile une couche de forte colle tout le long des bords le long du cadre, & rien dans le milieu ; après quoi on appliquera la seconde toile qu’on fera prendre en passant la molette légérement dessus ; on clouera ensuite le tableau sur la table, & on couchera de la colle par parties, que l’on pressera & étendra avec la molette, comme pour changer les tableaux de toile.

Pour raccommoder les crevasses & les endroits écaillés, tant aux tableaux changés de toile qu’aux autres, il faut prendre de la terre glaise en poudre, & de la terre d’ombre, délayer ensuite ces deux matieres avec de l’huile de noix, de façon qu’elles forment comme une pâte ; on y ajoute, si l’on veut, un peu d’huile grasse pour faire sécher plus vîte : on prend ensuite de cette pâte avec le couteau à mêler les couleurs, & on l’insinue dans les crevasses & dans les endroits écaillés, essuyant bien ce qui peut s’attacher sur les bords & hors des trous ; cette pâte étant bien seche, on donne sur tout le tableau une couche d’huile de noix bien pure ; & lorsqu’elle est seche, on fait sur la palette les teintes des couleurs justes aux endroits où se trouvent les crevasses, & on les applique avec le couteau ou avec le pinceau.

Pour faire revivre les couleurs des tableaux, ôter tout le noir, & les rendre comme neufs, il faut mettre par derriere la toile une couche de la composition suivante.

Prenez deus livres de graisse de rognon de bœuf, deux livres d’huile de noix, une livre de céruse broyée à l’huile de noix, une demi-livre de terre jaune, aussi à l’huile de noix ; faites fondre votre graisse dans un pot ; & lorsqu’elle sera tout-à-fait fondue, mêlez-y de l’huile de noix, ensuite la céruse & la terre jaune ; vous remuerez le tout avec un bâton pour mêler toutes les drogues ; vous employerez cette composition tiede.

Pour les tableaux sur cuivre, prenez du mastic fait avec de la terre glaise & de la terre d’ombre délayée à l’huile de noix ; remplissez-en les endroits écaillés ; après quoi vous prendrez du sublimé corrosif, que vous ferez dissoudre dans une quantité suffisante d’eau ; vous l’appliquerez dessus, & le laisserez sécher ; au bout de quelques heures vous le laverez bion avec de l’eau pure ; & s’il n’est pas encore bien dégraissé, vous recommencerez : on peut aussi se servir de cette eau de sublimé pour les tableaux sur bois & sur toile.

Pour ôter le vieux vernis des tableaux, il suffit de les frotter avec le bout des doigts, & les essuyer ensuite avec un linge mouillé. (Article de M. DE Montamy, dans l’ancienne Encyclopédia.)
CONJECTURE
Sur le moyen de transporter sur toile les tableaux
peints sur bois.

M. Picaud a enlevé de dessus le paneau un tableau de Raphaël & un d’André del Sarre, & les a transportés sur toile. Les planches sur lesquelles ces tableaux avoient été peints, ont éte exposées aux regards du public. Peut être cette opération dépend-elle mains d’un secret difficile à trouver, que de beaucoup d’adresse & de patience. On n’ignore pas que les paneaux destinés à recevoir un sujet peint, étoient d’abord imprimés de plusieurs couches de détrempe, & que par conséquent c’étoient ces couches de détrempe qui tenoient collée la peinture au paneau. Si donc on fixe sur la peinture à l’huile une toile avec une forte colle, & qu’ensuite on parvienne à humecter un petit coin de la détrempe qui est sous cette peinture, on enlèvera une petite partie du tableau que l’on roulera : on pourra s’aider aussi d’un instrument à lame mince & tranchane : on continuera d’humecter successivement la détrempe & de rouler la partie de tableau qui s’en sera détachée, jusqu’à ce qu’enfin, & aprè un long travail, on ait détaché tout le tableau de dessus la planche. Il ne s’agira plus que d’en coller le revers sur une toile neuve, avec de la colle très-forte ou du marouffle, & l’on décolera ensuite la toile qui en contre la surface.

On parviendra de même à transporter sur toile une peinture à l’huile faite sur le mur. Il faudra scier avec grand son une partie médiocrement étendue de la muraille peinte, coller une toile sur la peinture avec une colle bien tenace ; user avec précaution, & sans exciter aucun éclat, l’épaisseur de la muraille, & quand elle sera devenue très-mince, établir tout autour un rempart de cire ; alors on jettera dessus un acide qui décomposera la pierre calcaire, & l’on observera bien le moment où cet acide sera près de toucher à la peinture, pour se hâter de l’enlever & de verser à la place de l’eau claire. Il ne s’agira plus que de mettre sur toile la peinture détachée de la muraille, & l’on suivra à cet égard le même procédé que pour la peinture détachée d’un pineau. Comme on auroit été obligé de scier par parties une grande composition, on rajusteroit avec soin ces parties sur la toile, & un peintre habile répareroit les jointures. Peut-être ne seroit-il pas nécessaire d’établir un rempart autour de la peinture, & de couvrir la pierre d’une certaine épaisseur d’acide : il pourroit bien suffire d’humecter doucement la pierre calcaire avec un linge trempé dans l’acide. De cette maniere on seroit plus maître de son opération, parce qu’elle se feroit avec plus de lenteur. Nous avons supposé que la peinture


étoit sur la pierre ; mais si elle étoit sur un enduit de plâtre, comme il arrive plus ordinairement, le succès seroit plus facile. L’enduit de plâtre représente assez bien les couches en détrempe de l’impression des peintures sur paneaux.

M. de Montamy ne conseille que l’eau tiede pour détacher une vieille toile de la peinture à l’huile qui y d’adhérente. L’opération ne seroit-elle pas plus facile & plus prompte si l’on employoit l’eau forte ou seconde ? Je crois qu’avec beaucoup de prudence & d’attention, on l’empêcheroit d’attaquer la peinture ; mais il faudroit se hâter d’avoir recours à l’eau pure, aussitôt que la toile commenceroit à le détruire.

On pourroit changer en certitude les conjectures que je hasarde, en prenant pour essais de mauvais ouvrages peints à l’huile sur toile, sur paneau & sur muraille. Toutes faciles que seroient ces expériences, si on les faisoit en petit, le temps ne me permet pas de les tenter. Il y a bien des années que j’avois formé cette conjecture, & j’aurois pu la vérifier ; mais d’autres objets l’avoient éloignée de ma pensée.

Je doute que l’un puisse trouver aucun moyen de sauver une peinture à fresque, en la détachant de mur sur lequel elle a été faite, parce qu’elle est intimement adhérente à l’enduit, qu’elle l’a pénétré, & ne fait plus avec lui qu’un même corps.

  1. (1) Il ne s’agit pas ici de la colle forte des menuisiers, mais d’une forte colle de farine.