Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Hardi, hardiésse

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Panckoucke (1p. 406-407).
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HARDI, HARDIÉSSE (adj.), (subst. fém.) La hardiesse est, dans la carrière des arts, la marche d’un homme qui va sûrement parce qu’il connoît bien son pas & la route qu’il doit suivre ; sa démarche a la grace de la liberté,


parce qu’il ne craint ni de s’égarer, ni de se heurter, ni de tomber. On ne peut le confondre avec l’audacieux qui court sans savoir où il va, se heurte, tombe & se relève pour retomber encore.

La hardiesse suppose donc la science, ou elle n’est que l’impudence d’un charlatan. L’homme habile est hardi, parce qu’il a la conscience de ce qu’il peut ; l’ignorant est audacieux, car ce qu’il est incapable de faire, il ne le connoît même pas.

La hardiesse répand un charme singulier sur les ouvrages de l’art. Il manque quelque chose pour plaire à ce qui est même bien fait, s’il est fait avec timidité. Le spectateur souffre de la peine qu’a supporté l’artiste, & ce sentiment diminue ses plaisirs. D’ailleurs la timidité est un sentiment froid, & tout ce qu’elle produit devient froid comme elle. Il faut échauffer ses juges, si l’on ne veut pas qu’ils soient sévères & même quelquefois injustes.

Un jugement prompt & sain, une pratique assidue, sont les vrais moyens de parvenir à la hardiesse louable. Avec une théorie étendue, mais sans pratique, on exécute timidement ce que l’on fait ; on connoît bien ce que l’on doit faire, mais on le fait avec peine : c’est, en tout, la grande habitude qui est la cause de l’aisance, & c’est l’aisance qui produit la hardiesse. On est timide, quand on prévoit qu’on pourra manquer ce qu’on se propose ; on est hardi quand on a coutume de faire & de réussir.

De grands maîtres ont été timides dans l’exécution ; mais ce n’est pas leur timidité qui fait leur mérite. Elle est toujours un défaut ; &, comme nous l’avons dit ailleurs, il n’est aucun défaut qu’on ne puisse excuser par l’exemple d’un maître.

On peut dire qu’il est des défauts qui nuiroient moins au succès que la timidité, parce qu’elle semble annoncer des fautes même lorsqu’il n’y en a pas. Sa marche incertaine paroît toujours voisine de la chute ; & comme elle ne montre pas la sûreté qui promet la réussite, on ne peut croire qu’elle ait réussi. Le mot d’un professeur de l’art ne manque pas de justesse « Si vous faites des fautes, disoit-il aux élèves, faites-les hardiment. » Ce mot ressemble à celui de Voltaire qui disoit à un jeune poëte tragique : « Frappez fort, si vous ne pouvez frapper juste. » Mais Voltaire ni le professeur ne disoient : « Faites des fautes, ne frappez pas juste. » S’il est un moyen d’éviter les fautes en travaillant hardiment, c’est de se rendre compte d’avance, par une esquisse arrêtée, de l’ordonnance, des formes, de l’effet & de la couleur. Mais ce moyen devient insuffisant, si l’on n’a pas l’aisance & la pratique du faire.

Tout cet article peut se réduire à un vers de la Fontaine :

Travaillez, prenez de la peine.

C’est en prenant de la peine qu’on acquiert la facilité, & c’est la facilité qui donne la hardiesse. (Article de M. Levesque.)