Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Illusion

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Panckoucke (1p. 438).

IL

ILLUSION. (subst. fém.) Le but des arts qu’on appelle arts d’imitation, est fixé par cette dénomination même. Ils doivent imiter la vérité, mais ces imitations ne doivent pas être prises pour la vérité même. Si elles ressembloient parfaitement à la nature, fi elles pouvoient être prises pour elle, elles n’exciteroient plus aucun sentiment d’admiration ni de plaisir. Par exemple, si une symphonie, qui imite un orage, étoit prise pour un orage véritable, elle n’exciteroit aucun sentiment d’admiration pour le musicien, & feroit même naître un sentiment désagréable de crainte chez les personnes que les orages intimident. On applaudit-des passages de musique qui imitent le bruit d’un carosse, ou celui des marteaux qui tombent sur l’enclume : mais si l’illusion étoit assez parfaite, pour qu’on crût entendre en effet un bruit de marteaux ou de voitures, personne ne s’aviseroit d’applaudir, & l’on auroit tout aussi peu de plaisir que lorsqu’on passe à côté d’un carosse, ou devant l’attelier d’un forgeron. Passons de la musique à la poësie : si le spectateur, qui voit une tragédie, se faisoit une illusion assez forte pour croire qu’il est témoin d’une action véritable, il n’éprouveroit le plus souvent qu’un sentiment d’horreur, & fuiroit cette même scène qui ne l’attache que parce qu’elle lui cause seulement une illusion imparfaite, dont il sent le prestige en même temps qu’il s’y livre. Enfin un spectateur qui verroit un tableau représentant un chien, & qui croiroit voir un chien véritable, éprouveroit une sensation aussi indifférente que lorsqu’il rencontre un chien sur son passage ; mais si le tableau représentoit un lion, loin de le regarder avec plaisir, il ne songeroit qu’à prendre la fuite. Quelle femme soutiendroit le spectacle du massacre des innocens, si le tableau lui causoit une entière illusion ? Quel homme verroit sans horreur, Judith tenant la tête sanglante d’Holopherne ?

Il n’est point de serpent ni de monstre odieux
Qui, par l’art imité, ne puisse plaire aux yeux.

Cela est vrai ; mais si l’imitation pouvoit être portée jusqu’à l’illusion complette, ces monstres, ces serpens feroient frémir au lieu de plaire.

Nous ne parlerons pas de la sculpture qui est aussi un art d’imitation, car qui prendra jamais une statue de marbre ou de bronze pour un homme vivant ?


Cependant les personnes qui ne connoissent point l’art, placent dans l’illusion la perfection de la peinture. Cette erreur n’est pas nouvelle. Les anciens ont célébré les raisins de Zeuxis que des oiseaux vinrent becqueter, & le rideau de Parrhasius qui trompa Zeuxis lui-même. Il est vrai que l’artiste, en prenant les précautions nécessaires pour la manière dont il expose ses ouvrages, peut opérer une illusion complette par des peintures de fruits, de rideaux, de basreliefs, d’ornemens d’architecture, & d’autres objets semblables ; mais il ne fera jamais prendre pour la vérité même un tableau qui supposera des plans variés & un certain enfoncement. Si donc l’illusion étoit la première partie de la peinture, la plus grande gloire, dans ce genre, seroit réservée aux peintres qui ne traitent que les plus petits détails de la nature, & le dernier de tous les genres seroit celui de l’histoire, parce qu’il se refuse plus que les autres à la parfaite illusion.

« On voit, dit Félibien, de certaines remarques qu’Annibal Carrache a faites sur les vies des peintres de Vasari, & à l’endroit où il est parlé de Jacques Bassan, il dit : Jacques Bassan a été un peintre excellent & digne de plus grandes louanges que celles que Vasari lui donne, parce qu’outre les beaux tableaux qu’on voit de lui, il a fait encore de ces miracles qu’on rapporte des anciens Grecs, trompant par son art, non seulement les bêtes, mais les hommes : ce que je puis témoigner, puisqu’étant un jour dans sa chambre, je fus trompé moi-même, avançant la main pour prendre un livre que je croyois un vrai livre, & qui ne l’étoit qu’en peinture. »

Est-il bien certain qu’Annibal ait fait cette note ? Mais s’il l’a faite, il ne faut pas se laisser séduire par quelques mots peu réfléchis, échappés à ce grand artiste. Surpris d’avoir été trompé lui-même par un ouvrage de l’art, il a mis, sans y bien songer, trop d’importance à cette petite aventure : mais on peut être bien sûr qu’il n’auroit pas donné l’un de ses moindres tableaux d’histoire pour le livre peint & découpé du Bassan.

Nous pourrions ajouter bien des choses sur l’illusion : mais nous croyons plus convenable de laisser parler M. Cochin, artiste non moins célèbre par la sûreté de son jugement & la pureté de son goût, que par ses talens. (Article de M. Levesque.)