Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Lettre V

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(p. 414-426).
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V

VAGUE. (adj.) Vague se dit en peinture de la couleur, & plus particuliérement de celle du ciel.

On dit, la couleur de ce tableau est vague ; ce ciel d’un ton, d’une teinte, d’une couleur vagues.

Le sens de ce mot tient dans cette acception de ce qu’on appelle indécis ; mais dans le langage de l’art, il emporte cependant un sentiment d’approbation qu’il n’a pas dans le langage ordinaire ; car, lorsqu’on dit, un esprit vague ; un raisonnement, une idée vagues, on a dessein de blâmer & non de donner une louange.

Ces différences sont fondées. En effet un raisonnement est deftiné à fixer les idées intellectuelles, à atteindre un but qui est la vérité ; lorfqu’il n’atteint pas ce but, qu’au lieu de s’y diriger sensiblement, il s’égare ; lorsqu’enfin le raisonnement est vague, il est inutile & ne peut être loué.

L’harmonie du coloris exige de son côté un mélange de nuances, de tons, de teintes, de lumières, de reflets & d’ombres qui n’est jamais plus parfait que lorsqu’on ne peut en discerner les liaisons. Le ciel est d’une imniensité qu’on conçoit d’après l’idée qu’on s’en fait & qu’on rappelle dans le tableau, d’après les tons indécis, transparens avec le secours desquels on le représente. Plus ces tons sont vagues, plus justement ils offrent la ressemblancc ou la vérité qu’un désire. Ces deux principes que je viens d’établir sur le raisonnement & sur la peinture, ne peuvent être mis en exécution que par des moyens absolument différens.

C’est ainsi qu’il y a dans les acceptions différentes des mêmes mots & dans les divers emplois qui leur deviennent propres, une philosophie assez souvent cachée, qui est juste & fondée, & dont peut-être on ne cherche pas assez à se rendre compte.

On dit quelquesois vaguesse, qui est imité de l’italien vaghezza, pour exprimer ce ton aërien & une certaine légéreté ou finesse de teintes, qui appartiennent à d’heureuses ruptures ou mêlanges de tons, dont la pratique, l’observation de la nature & l’étude des maîtres qui sont recommandables par cette partie, peuvent seules instruire l’artiste. (Article de M. Watelet).

VARIER (v. act.) Non seulement la nature


varie ses productions, elle varie aussi les détails de ses ouvrages. Chez elle, les genres sont innombrables ; ils se subdivisent en de nombreuses espèces ; & dans chaque espèce, il n’est pas deux individus qui se ressemblent. L’artiste qui se répète lui-même ou dans un feul ouvrage, ou dans ses différentes productions, n’imite pas la nature ; il n’a qu’a la consulter, & il produira des œuvres variées comme elle. (L.)

VARIÉTÉ (subst. fem.) Pline, après avoir dit qu’entre tant de milliers d’hommes, il n’y a pas deux reffemblances parfaites, ajoute que l’art, malgré tous ses efforts ne peut opérer cette variété, même dans un petit nombre de têtes. (liv. 7. c. I.) M. Falconet a justement relevé cette injuste accusation de Pline contre l’impuissance de l’art. « Si des artistes, ditil, soit peintres, soit statuaires, font les portraits ressemblans de mille hommes qui ne se ressemblent pas, il est certain que les mille portraits n’auront pas encre eux plus de ressemblance… Pline avoit donc mal vu la quantié. de portraits peints & sculptés qui étoient de son temps à Rome… »

« Auroit-il fait une équivoque, en fondant fa comparaison du naturel avec l’art sur les statues grecques, eù en effet la variété des caractères de tête n’est pas eonsidérable ? on sait que, pour la plupart, elles ont un air de famille, les femmes sur-tout. Il régnoit un beau style d’école, qui se transmettoit de statue en statue : mais par les bustes, les médailles & les pierres gravées qui nous restent, nous voyons qu’il n’en est pas ainsi des portraits, puisqu’ils sont très variés. »

« J’accorde que certains artistes n’aient pas, autant que d’autres, le talent de varier leurs têtes ; ce n’est pas alors la faute de l’art, mais de ceux qui l’exercent. L’art peut imiter toutes les variétés de la nature ; & si nous pouvions rassembler l’immense quantité de têtes qu’il a produites, nous les verrions variées par le goût, le temps, l’âge, le pays, & d’autres circonstances dont les artistes dépendent. Ce sont aussi les circonstances qui contribuent à placer la variété ou la reflemblance sur nos physionomies. Chez une nation dans laquelle les races ne sont pas mélangées, on retrouve assez généralement la même conformation de tête & le même air de visage ; on la prendroit souvent pour une famille : mais où le sang est mêlé & les races croisées, les airs de tête sont variés à l’infini. Les fréquens changemens de la température de l’air concourent aussi au même effet, disent les physiciens. »

« Pour faire la comparaison des variétés de la nature avec la prétendue stérilité de l’art, Pline auroit dû envisager les deux objets sous les points de vue que j’ai marqués : il auroit dû sur-tout ne pas confondre l’art avec l’insuffisance ou la pratique maniérée de certains articles, à qui l’on reproche de donner à toutes les têtes qu’ils produisent un air de famille. L’antiquité a eu, comme nous, de ces articles dont la stérilité ne doit pas être rejettée sur l’art, mais sur leur paresse, qui les engageoit à suivre une routine facile, au lieu de consulter la nature, ou sur le goût qu’ils avoient pris pour certains modèles qu’ils copioient & recopiaient toujours. Si les conseils que Socrate donnoit à Parrhasius étoient justes, & ils l’étoient sans doute, l’art peut varier à l’infini les portraits, les caractères, les expressions, les figures, les physionomies. »

Il est démontré par ce passage de M. Falconet, que l’art peut être aussi varié que la nature : En effet s’il est capable d’en copier routes les productions, il est capable de ne se ressembler jamais.

Mais si l’art peut imiter toutes les variétés de la nature, doit-il les imiter toutes ? C’est ce que l’on peut nier, au moins pour la peinture d’histoire & pour la sculpture : comme dans ces genres, son objet est l’imitation de la belle nature, il ne peut l’imiter lorsqu’elle se varie par différens caractères de laideur & de défectuosité. Voilà donc une grande abondance dont il se prive. Mais comme ses ouvrages sont bien moins nombreux que ceux de la nature, il peut encore montrer la plus grande variété, en n’imitant chez elle que ce qu’elle a de beau dans ses productions.

La variété se trouve même dans les têtes des statues antiques : si elles ont entre elles, comme le dit M. Falconet, une certaine ressemblance, c’est celle que leur donne le style de la grande beauté : mais cependant elles diffèrent assez les unes des autres pour qu’on ne puisse les confondre mutuellement. Si l’on trouve entre plusieurs têtes antiques une ressemblance réelle, c’est entre celles qui représentent la même divinité ; car chaque divinité avoit un caractère de tête convenu : c’étoit vraisemblablement celui que lui avoir imprimé quelqu’article dans une statue devenue célèbre. La tête de cette statue devenoit le prototype de toutes les têtes de cette divinité.

La variété que l’article doit mettre dans le choix de ses figures, doit se trouver aussi dans les attitudes, dans les ajustemens, dans les ordonnances & dans tous les accessoires.

Le peintre qui se livre à l’imitation de la vie commune, & au genre qu’on nomme bambochade, trouve dans la nature des sources de variété encore bien plus abondantes que celles qui sont ouvertes au statuaire & au peintre d’histoire. Comme il n’est point astreint à ne choisir les formes qu’entre celles qui s’élèvent jusqu’au caractère de la haute beauté ; comme il peut même se permettre de représenter la laideur ; comme il ne s’interdit pas les expressions communes, triviales, baffes ; il peut mettre dans les ouvrages une diversité sans bornes. C’est un devoir rigoureux pour lui non seulement de ne pas admettre de ressemblance dans ses ouvrages, mais de ne s’en permettre même pas l’apparence.

Si la variété est un devoir pour l’article dans les objets qu’il représente, on peut ajouter qu’il doit aussi varier les travaux qu’il employe pour rendre ces différens objets. Cette variété est une expression du sentiment ; car si des objets divers excitent dans l’ame de l’artiste des sensations diverses, il rendra par des travaux variés la variété de ses sensations. Il ne traitera pas du même pinceau, de la même touche, les chairs de Vénus, & celles de Vulcain, l’embonpoint de la jeunesse & la sécheresse de la décrépitude, l’eclat des étoffes de foie, & la grossièreté de la bure, la mollesse du duvet & la dureté du fer. La monotonie de manœuvre indique l’absence de sentiment dans celui qui opère. Si le sentiment l’animoit, sa main suivroit naturellement les impressions de son ame, & se varieroit comme elles. Écrire tout du même style, peindre tout de la même touche, c’est la preuve d’une ame froide, que rien ne tire de l’apathie. (L.)

VÉRITÉ. (subst. sem.) L’objet de l’art n’est pas la vérité elle-même, mais l’apparence de la vérité. Pour offrir cette apparence, il est obligé de recourir à des moyens de convention ; c’est à-dire qu’il est forcé de se permettre des mensonges, que les spectateurs conviennent de recevoir comme des vérités, & sans cette convention, l’art n’existeroit pas. C’est, par exemple, une convention de la part du spectateur avec le statuaire, d’admettre, comme ayant de la vérité, une figure qui représente un personnage humain, & que cependant il voit bien n’être que de marbre ou de bronze, La forte de vérité que renifle se propose, ne va donc pas jusqu’à produire l’illusion. Voyez les article, Convention, Illusion, Peinture. (L.)

VÊTEMENT (subst. masc.). L’objet de Winckelmann en traitant du vêtement des anciens, dans son histoire de l’art, a été de se rendre utile aux artistes. Nous croyons devoir le suivre préférablement aux autres écrivains qui ont traité le même sujet, mais qui n’avoient pas le même but, & à qui les connoissances de l’art étoient même absolument étrangères. En le prenant pour guide, nous nous permettrons quelquefois d’ajouter à son récit.

Les femmes, dans des temps fort anciens, portoient des vêtement de lin, de coton & d’autres étoffes légères ; il est prouvé aussi qu’eiles se vêtirent de drap. Dans les temps postérieurs, elles portèrent de la soie & même des étoffes tissues d’or. Les hommes, même avancés en âge, portoient des tuniques de lin peu de temps avant la guerre du Péloponèse.

Soit que les anciens statuaires se conformassent à ce qu’ils avoient le plus souvent sous les yeux, soit qu’ils cherchassent à imiter ce qu’ils trouvoient le plus favorable à leur art, on voit qu’ils aimoient à employer la toile pour les draperies de leurs figures.

Il ne faut pas croire que chez les anciens, l’usage de la toile fût aussi rare qu’on le pense communément. Le plus ancien des historiens, Hérodote, rapporte que les Grecs tiroient du lin de l’Egypte & de la Colchide. On sait que les prêtres d’Egypte en étoient vêtus : on sait que c’étoit avec une robe de lin qu’on descendoit dans l’antre de Trophonius. Dans l’Elide, on cultivoit & l’on mettoit en œuvre le plus beau lin. En Italie, les Samnites portoient des vêtemens de toile dans leurs expéditions. Les Ibériens de l’armée d’Annibal avoient des tuniques de lin teintes en couleur de pourpre. Enfin Varron, cité par Pline, remarquoit que les femmes de la maison des Serranus ne portoient pas de robes de lin, & il n’auroit pas observé cette circonstance comme une singularité, si l’usage du lin n’avoit pas été ordinaire dans les autres familles.

Les étoffes légères en coton & travaillées dans l’île de Cos étoient célèbres chez les Grecs. Elles servoient au vêtement des femmes ; au moins fut-il des temps où les hommes n’auroient pu en faire usage sans passer pour des efféminés. Ces étoffes étoient quelquefois rayées, quelquefois ornées de fleurs. Il paroît que les anciens ont connu la toile de coton claire & transparente que nous appellons mousseline, & une étoffe de soie semblable à nos gazes.

Il est vrai que la soie fut connue bien plus tard que le lin & le coton. L’usage ne s’en répandit à Rome que sous les Empereurs. Le tableau antique qu’on appelle la noce Aldobrandine représente des figures vêtues d’étoffes de couleurs changeantes. Ces mêmes couleurs, que n’admet ni le coton, ni le lin, ni la laine, se remarquent sur les copies des peintures antiques que l’on conserve au Vatican & sur plusieurs peintures d’Herculanum. S’il étoit bien certain que la soie n’a été connue en Europe qu’après les temps de la république Romaine, il seroit prouvé que le tableau de la noce Aldobrandine, & les originaux des peintures conservées au Vatican, n’ont été faites que sous les Empereurs.

Les anciens statuaires, & en général les artistes de l’antiquité, paroissent avoir employé de préférence les étoffes légères ; mais il est prouvé par quelques statues antiques, qu’ils ont aussi quelquefois fait usage du drap pour les draperies. C’est ce qu’il est aisé de reconnoître à l’ampleur & aux formes des plis.

Les anciens, & sur-tout les Romains, lorsque, sous les empereurs, ils le livrerent à un luxe effréné, ont fait usage d’étoffes d’or. Mais la manière dont elles étoient fabriquées ne leur laissoit pas assez de souplesse, pour qu’on pût les imiter avec succès dans les ouvrages de l’art. Les anciens ne savoient pas, comme les modernes, couvrir d’une très mince lame d’or un fil de chanvre ou de soie ; mais c’étoit avec un fil d’or pur qu’ils faisoient le tissu de leurs riches étoffes. Elles devoient être d’un grand prix, mais inflexibles ; elles ne pouvoient former que de gros plis d’une roideur désagréable, & qui ne se mouloient pas sur les formes du corps. Pendant que Winckelmann étoit à Rome, on y découvrit deux urnes funéraires, dans lesquelles on trouva des habits faits d’un fil d’or pur. Ces restes de l’antiquité auroient mérité d’être conservés, mais les propriétaires les firent fondre aussitôt. De l’étoffe trouvée dans l’une de ces urnes, on tira quatre livres d’or. C’est du moins ce que déclarèrent les moines du collége Clémentin, dans la vigne desquels elle fut déterrée. Winckelmann doute de la justesse de cette déclaration. On conserve dans le cabinet d’Herculanum quelques pièces de galon d’une fabrique semblable à celle de ces étoffes.

La tunique étoit le vêtement de dessous pour les deux sexes, & répondoit à notre chemise. Les Grecs lui donnoient le nom de chiton. La tunique n’étoit pas fendue sur le devant comme le sont nos chemises d’hommes ; elle étoit assez ouverte pour se passer comme les chemises de nos femmes, & on l’attachoit au dessus des hanches avec une ceinture.

Nous suivrons l’ordre que nous trace Winckelmann pour le costume des vêtemens, & nous commencerons par ceux des femmes.

Il observe que, dans leurs vêtement, il faut distinguer trois pièces différentes ; la tunique, la robe & le manteau. Il remarque que la tunique se voit à plusieurs figures déshabillées ou endormies, telles que la Flore Farnèse, les Amazones du Capitole, la figure qu’on nomme vulgairement Cléopâtre, & la belle Heraphrodite du palais Farnèse ; que la plus jeune des filles de Niobé qui se précipite dans le sein de sa mère n’est vêtue que d’une simple tunique ; qu’on peut voir, par ces figures, que la tunique étoit de lin ou d’une étoffe légère, sans manches, & attachée avec un bouton sur les épaules, en sorte qu’elle couvroit toute la poitrine, à moins que le bouton ne fût détaché. On peut ajouter que la tunique ou le chiton des femmes étoit beaucoup plus long que celui des hommes, qui ne descendoit que jusqu’au dessus du genou.

Notre anire pense que les tuniques avec des es longues & étroites étoient résérvées aux personnages de théâtre, que c’est ainsi qu’on les voit à de petites statues représentant des acteurs comiques. On pourroit conjecturer que les acteurs ne revêtoient ces sortes de tuniques, que parce qu’elles étoient ou qu’elles avoient été d’usage hors du théâtre. Cependant les artistes peuvent adopter l’opinion de Winckelmann, parce-qu’elle est favorable à leur art qui se plaît surtout à exprimer le nud. Mais d’ailleurs il ne faut pas croire que les Grecs n’aient eu d’autres sortes de vêtemens que ceux dont nous voyons des représentations sur les statues ou sur les peintures antiques. Nous connoissons les noms d’un grand nombre de vêtemens grecs & romains dont les formes nous sont absolument inconnues.

Si les figures comiques vêtues de tuniques à manches longues & serrées ne représentent que des esclaves, on peut supposer que ce sont des esclaves phrygiens : car on sait que cette sorte de vêtement étoit affectée à cette nation. C’est celui que l’on voit aux belles statues de Pâris dans les palais Lancelotti & Attempi ; c’est celui que porte ce berger phrygien sur les bas-reliefs & les pierres gravées. Cybele, divinité phrygienne, est représentée avec des manches semblables. On les voit aussi aux figures d’Isis, non qu’elle appartînt à la Phrygie, mais parce qu’elle étoit une divinité étrangère ; car il paroît que les Grecs caractérisoient généralement ainsi les figures qui appartenoient à des nations barbares.

On voit, sur des tableaux d’Herculanum, des robes à manches courtes qui ne descendoient que jusqu’à la moitié de l’humerus.

Ordinairement les robes de femmes, dit Winckelmann, ne consistoient qu’en deux longues pieces d’étoffe sans coupe & sans forme, cousues dans leur longueur, & attachées sur les épaules par un ou plusieurs boutons, auxquels on substiuoit quelquefois des agrafes. Ces agrafes étoient pointues ; les femmes d’Argos & d’Egine les portoient plus longues que celles d’Athenes.


Cette robe se passoit par dessus la tête ; on la donnoit ordinairement aux figures divines & à celles des temps héroïques. Les robes des jeunes Lacédémoniennes étoient ouvertes sur les côtés depuis le bas, jusqu’au haut des cuisses ; elles voltigeoient librement, comme on le voit à des figures de danseuses.

Il y avoit aussi des robes de femmes à manches étroites & cousues qui descendoient jusqu’aux poignets : on peut en voir des exemples à la figure de la plus âgée des filles de Niobé, à la prétendue Didon des peintures d’Herculanum, & surtout sur les vases peints.

Les menoes très larges, comme celles des deux statues de Pallas de la Villa Albani, n’appartiennent pas à la robe, mais à la tunique. On peut quelquefois prendre pour des manches la partie de la robe qui tombe de l’épaule sur le bras. L’antiquité n’offre aucun modèle de manches larges & plistées à la manière des chemises de nos femmes. C’est par licence que le Bernin en a donné de semblables à sa sainte Véronique. Plusieurs peintres & sculpteurs sont tombés dans cette faute de costume.

Au reste, comme nous l’avons dit, il ne faut pas croire que les monumens nous fassent connoître toutes les sortes de robes dont les femmes faisoient usage. Nous ne savons pas ce que c’étoit que les vêtemens nommés ampéchoné, anabolé, xystis. L’ignorance où nous sommes à cet égard, peut donner aux artistes quelque libertés, & désarmer les censeurs trop sévères.

Les femmes ceignoient leurs robes au-dessous du sein, & cet usage se trouve encore aujourd’hui dans plusieurs endroits de la Grece. Leur ceinture étoit un ruban qui se nommoit tænia, stophion, mitra. Quelquefois il est apparent dans les figures, quelquefois il est caché par les plis de la robe qui le recouvrent. A la petite Pallas de bronze de la Villa Albani, & aux figures de femmes du plus beau vase de la collection d’Hamilton, on voit trois cordons avec un nœud se détacher des deux bouts de la ceinture. La ceinture forme sous le sein un nœud qui est quelquefois en rosette. A la plus jeune des filles de Niobé, on voit les deux bouts de la ceinture passer sur les épaules & sur le dos : c’est ce qu’on peut aussi remarquer aux quatre cariatides de grandeur naturelle trouvées en 1761 à Monté-Portio, près de Frescati. Quelques figures du Térence du Vatican nous montrent la robe attachée de cette manière par deux rubans sur le haut des épaules : c’est du moins ce que doivent faire suposser les bandes qui tombent des deux côtés. Ces bandes ou rubans soutenoient la ceinture. Quelquefois la ceinture n’est pas une simple bandelette, mais un large ruban, comme on le voit à plusieurs figures antiques. Winckelmann observe que Melpomène a communément une large ceinture, qui se trouve aussi quelquefois aux représentations de la Muse Uranie.

Dans les figures d’Amazones, la ceinture, au lieu d’être placée au dessous des mammelles, à la manière des femmes, est attachée au dessus des reins, à la manière des guerriers, & ce caractère témoignoit apparemment leur humeur belliqueuse.

On voit quelques figures de femmes qui n’ont pas de ceinture, & dont la tunique détachée tombe négligemment sur une épaule. Telle est la figure du palais Farnèse à qui l’on donne le nom de Flore, & que Winckelmann croit être l’une des heures. Les peintures d’Herculanum, des marbres & des pierres gravées offrent des figures de danseuses & de bacchantes qui n’ont point de ceinture, ou qui la portent à la main. On voit aussi dans les tableaux d’Herculanum deux jeunes filles sans ceintures : l’une tient de la main droite un plat de figues & de la gauche une aiguiere panchée ; l’autre porte un plat & une corbeille. Notre antiquaire croit qu’elles représentent ces femmes qui servoient dans le temple de Pallas & qu’on appelloit Deipnophoroi, porteuses de mets. Les femmes dans la douleur négligeoient leur ajustement & n’avoient pas de ceinture ; telle on voit, sur un bas-relief de la Villa-Borghese, Andromaque accompagnée des femmes troyennes : elle est vêtue d’une robe traînante, & reçoit, aux portes de Troie, le corps de son époux.

Comme les manteaux des anciens étoient fort amples, & qu’on n’en connoît la forme que par des figures sur lesquelles ils sont différemment jettés, & sont différens plis, il est très-difficile & peut-être même impossible d’en bien établir la coupe. Le plus grand nombre des savans supposent qu’ils étoient quarrés & qu’ils ne doivent la forme qu’ils paroissent avoir qu’à la manière dont ils sont jettés sur le corps ; Winckelmann veut au contraire qu’ils fussent ronds, ou dumoins arrondis comme les nôtres : mais nous ne croyons pas qu’il ait donné des preuves convainquantes de cette opinion.

Il suppose aussi qu’il y avoit au manteau quatre glands, & que si l’on n’en voit ordinairement que deux, c’est que les deux autres sont cachés par le jet de ce vêtement ; quelquefois, ajoute-t-il, on en voit rois, comme à une Isis exécutée dans le style étrusque, à un Esculape, &c. Il croit prouver son assertion par les quatre glands qui se remarquent à deux figures étrusques du palais Barberini. Son raisonnement a deux défauts. Le premier en ce qu’il suppose que tous les manteaux avoient une même forme, tandis qu’il y en avoit de formes & de noms différens ; le second en ce qu’il ne suppose pas que ces formes ayent changé,


& qu’il est cependant plus que vraisemblable qu’elles ont subi un grand nombre de changemens. On pourroit aussi lui reprocher de vouloir prouver la forme des manteaux Grecs par celle des manteaux étrusques ; & l’on peut croire que ces deux nations n’avoient pas absolument la même manière de se vêtir.

Il mérite plus de confiance quand ses observations lui on été nettement indiquées par les monumens. Il mérite donc l’attention des artistes, quand il leur apprend que la manière la plus ordinaire de jetter le manteau étoit d’en croiser un quart qui pouvoit, au besoin, servir à couvrir la tête ; qu’on lit dans quelques auteurs que le manteau se plioit quelquefois en double ; & qu’on en trouve la preuve dans les manteaux des deux belles statues de Pallas de la Villa-Albani. Ces manteaux sont attachés au dessus de l’épaule droite, passent sous le bras gauche, & sont relevés par devant & par derrière sous l’égide. Il a aussi fort bien remarqué que les artistes jettoient quelquefois le manteau sur leurs figures de la manière qui flattoit le plus leur goût & les aidoit le mieux à former de beaux plis. Il donne pour exemple une statue impériale de la Villa-Albani : elle est assise, & son manteau n’est qu’une chlamyde qui étoit assez courte ; cependant l’artiste l’a jettée sur les cuisses de la figure, ensorte qu’elle traîneroit à terre si la figure étoit debout.

Le plus souvent, le manteau est jetté sur le bras droit par dessus l’épaule gauche ; quelquefois il forme un nœud sous le sein ; d’autres fois les deux bouts sont contenus sous la poitrine au moyen d’une agrafe. L’antique offre des exemples de ces différentes manières de porter le manteau.

Les femmes avoient aussi de petits manteaux qui n’étoient guère plus longs que ce qu’on appelle aujourd’hui des mantelets, & qu’on pourroit leur comparer, avec la différence qu’ils n’étoient pas ouverts par devant & qu’il falloit les passer par dessus la tête ; ils s’attachoient sur l’épaule avec un bouton, & avoient deux ouvertures pour passer les bras. Winckelmann soupçonne que c’étoit cette sorte de manteau ou mantelet que les Grecs nommoient encyclion, cyclas, ampechonion, anaboladion : mais il est vraisemblable que ces différens noms indiquent des différences dans les ajustemens qu’ils désignent ; & ce sont ces différenc es qu’on ne doit pas espérer de pouvoir spécifier.

L’un de ces noms appartenoit peut-être au mantelet dont la Flore du Capitole nous a conservé le modèle. Il est plus long que ceux dont nous venons de parler, & est composé, comme eux, de deux pièces, l’une de devant & l’autre de derrière. Il est cousu des deux côtés du bas en haut, & boutonné sur l’épaule ; mais des fentes ont été réservées pour passer les bras. Le bras gauche de la figure est passé dans une de ces fentes ; le droit est couvert du manteau, mais on voit l’ouverture qui auroit pu le recevoir.

Winckelmann condamne les savans qui ont pris pour des représentations de Vestales, des figures de femmes qui ont la tête couverte de leurs manteaux. Il soutient que cet ajustement, loin de désigner des vierges consacrées au culte de Vesta, ne convient qu’à des femmes mariées. Il ne veut reconnoître des têtes de vestales que dans celles qui sont ceintes d’une large bande qui descend sur les épaules, telles qu’on les voit sur une plaque de métal & sur une onyx, avec des lettres initiales qui indiquent leur qualité de vestales : il reconnoîtroit encore des vestales à un voile quarré, mais d’une forme oblongue, qui leur prendroit par dessus la tête. Si l’on admet son opinion, il faut reconnoître qu’il ne nous reste, de toute l’antiquité, d’autres têtes de vestales, que celles qu’on voit sur l’onyx & sur la plaque de métal dont il fait mention. Mais n’est-il pas vraisemblable, comme nous l’avons dit ailleurs, que les vestales, qu’on cherchoit à dédommager, par une grande liberté, du sacrifice que l’on exigeoit d’elles, n’étoient pas assujetties à un costume très-rigoureux ? N’est-il pas encore possible que des savans se soient trompés dans l’interprétation de quelques lettres initiales, & que les deux monumens qui, suivant Winckelmann, nous offrent seuls la coëffure des vestales, ne leur soient en effet étrangers ?

Les femmes avoient communément la tête nue. Il est prouvé par les statues & les médailles que, surtout à Rome, elles changeoient souvent les modes de leurs coëffures & qu’elles ne le cédoient guère à nos femmes en inconstance. Montfaucon o’bserve que l’on trouve Faustine, femme de Mare-Aurèle représentée avec trois ou quatre coëffures différentes, dans l’intervalle de dix neuf ans que regna son époux.

Les femmes se couvroient souvent la tête d’un voile qui portoit différens noms, parce que sans doute il y en avoit de formes ou de grandeurs différentes. On en faisoit d’un tissu tellement subtil, qu’on les comparoit à des toiles d’araignées. Il y avoit encore bien d’autres ornemens de tête en usage pour les femmes, & comme on n’en connoît que les noms, cette ignorance laisse aux artistes une assez grande liberté. Ils ne doivent cependant pas en d’observer le costume, ils doivent ne s’écarter qu’avec modération des formes que les monumens leur font connoître.

Pour se garantir du soleil, les femmes avoient une espèce de chapeau qu’on nommoit sciadion. Ceux dont la forme nous a été conservée par


les monumens ont très-peu de fond. Les anciens ont aussi connu des parasols à-peu-près semblables aux nôtres.

Winckelmann observe que, dans les têtes de femmes qu’il rapporte à l’ancien style, on trouve des cheveux bouclés, mais en général plus négligés qu’aux têtes d’hommes ; qu’aux figures du haut style, les cheveux sont peignés simplement par dessus la tête, & forment des sillons ondoyans ; qu’aux jeunes filles, ils sont relevés & noués sur le sommet de la tête, ou attachés en nœud, & assujettis sur le derrière de la tête par une aiguille. Quelquefois, continue-t-il, les cheveux des femmes sont attachés par derrière à une certaine distance de la tête, & descendent en grosses touffes sous la bandelette qui les rassemble. C’est ainsi qu’on les voit à la Pallas de la Villa-Albani, aux cariatides de la Villa-Negroni & à la Diane du cabinet d’Herculanum.

Les femmes affligées, les veuves le coupoient les cheveux. Dans la haute antiquité, les enfans qui avoient le malheur d’être privés de leur père, déposoient leurs cheveux sur sa tombe. C’est ce que firent Oreste & Électre, comme nous l’apprend Euripide, & comme on le voit par leurs statues à la Villa-Ludovisi.

On voit des femmes & même des Déesses coëffées d’un réseau qui enveloppe leurs cheveux. L’usage des boucles d’oreilles étoit commun, & les artistes antiques ont même prêté cet ornement à des divinités. Il ne reste, il est vrai, que deux figures antiques qui aient des boucles d’oreilles ; mais on en voit un grand nombre qui ont les oreilles percées : les boucles se sont perdues, parce qu’elles étoient d’or, & peut-être même enrichies de pierreries. Les filles de Niobé, la Vénus de Médicis, pour ne pas parler de statues moins célèbres, ont les oreilles percées. Buonarrotti s’est trompé quand il a soutenu qu’on ne trouvoit des oreilles percées qu’à des têtes représentant des Déesses : on en voit à des têtes qui sont des portraits, & à des cariatides qui apparamment ne représentent pas des divinités. On sait que chez les Romains les femmes & les jeunes hommes portoient des boucles d’oreilles qui étoient souvent d’un grand prix. Platon, Xénophon ne nous permettent pas de douter qu’il en étoit de même dans la Grèce : & quand les écrivains auroient gardé le silence sur cet objet, on voit Achille avec des boucles d’oreilles, sur un vase antique de terre cuite de la bibliotheque du Vatican.

Winckelmann parle aussi d’un ornement que les femmes portoient au dessus du front, & qui ressembloit beaucoup aux aigrettes des femmes modernes. On voit cette parure à la tête de Marciana, nièce de Trajan, dans le jardin du palais Farnese. Une autre tête de Marciana, conservée dans la Villa-Panfili, la représente avec un ornement du même genre, mais en forme de croissant. On sait que, du moins chez les Romains, les colliers étoient une parure des deux sexes, & que quelquefois ils étoient le prix des belles actions.

Les bracelets étoient des cercles élastiques de métal ; cet ornement devoit être assez incommode. Comme on portoit des tuniques à manches fort courtes, un mettoit les bracelets au haut du bras ; on en portoit aussi au dessus du poignet. La nymphe antique endormie, fameuse sous le nom de Cléopâtre, a un bracelet en forme de serpent, ce qui l’a fait prendre pour un aspic.

Les jambes avoient aussi leur parure, qui consistoit en un anneau ou une bande, placée au dessus des chevilles. Quoique l’on donne cette parure aux bacchantes, elle n’est pas étrangère à d’autres sortes de figures : on la voit à deux victoires sur un vase de terre cuite qui appartenoit au célèbre Mengs ; elle fait cinq fois le tour de la jambe.

L’habit de dessous, pour les hommes comme pour les femmes, étoit la tunique ; mais celle des hommes étoit plus courte. Elle étoit composée de deux pièces d’étoffes, droites & plus ou moins longues, couues ensemble. On laissoit une large ouverture en haut pour passer la tête, & deux plus étroites aux côtés pour passer les bras. souvent elle n’avoit pas de manches, mais la partie qui couvroit le haut des bras en avoit l’apparence. On en voit cependant qui ont des manches courtes descendant à-peu-près à la moitié de la partie supérieure du bras. Une statue de sénateur, dans la Villa-Négroni, a une tunique à manches courtes. Sur la plupart des monumens, on ne voit que la partie de la tunique qui couvre la poitrine, parce que le reste est caché par le manteau.

On trouve dans les auteurs différens noms qui désignent différentes espèces de manteaux.

Celui qu’on appelloit chlamyde étoit un vêtement de guerre, & étoit en usage dès les temps héroïques. La chlamyde couvroit l’épaule gauche sur laquelle on l’attachoit au moyen d’une boucle, d’une agrafe, ou d’un bouton. Elle étoit arrondie dans sa partie inférieure. Dans les représentations de Castor & de Pollux, elle est déployée sur les épaules, & attachée avec un nœud sur la poitrine. Elle étoit affectée aux jeunes gens chez les Athéniens, & ils la portoient peut-être à la manière des Dioscures, jeunes demi-dieux.

Le paludamentum des Romains étoit la même chose que la chlamyde, ou du moins il avoit le même usage & à-peu-près la même forme. Les empereurs eux-mêmes ne le porterent qu’à la guerre jusqu’au temps de Gallien.

Quoique Winckelmann ait cru avoir trouvé


la forme de la chlœna des Grecs, de la lœna des Latins, je pense qu’il est difficile de la connoître. Il en fait un manteau court, & je crois qu’il étoit ample, fort commode, & qu’il servoit, en quelque sorte, de déshabillé. Si cela est vrai, on peut supposer qu’il ne parôit sur aucun monument. Il étoit connu dès les temps héroïques, & Homère en parle souvent. Il donne à la chlœna tantôt l’épithete de grande, tantôt celle d’épaisse : il nous apprend qu’elle étoit destinée à garantir du froid, à défendre contre le vent. En un mot, il en fait une espèce de redingote. Au reste il se peut qu’il y ait eu plusieurs sortes de chlœna. Les antiquaires à venir se tromperoient beaucoup, s’ils vouloient établir la forme de tous nos manteaux, de toutes nos redingotes, d’après celle de quelques redingotes & de quelques manteaux qui aura été conservée par les ouvrages de l’art.

On connoît, par les monumens, de longs manteaux grecs & les artistes doivent les étudier : mais ils ne peuvent se flatter de connoître tous ceux qui étoient en usage. On peut croire que l’himation, le pharos, le tribonion, &c, différoient par la forme ainsi que par le nom. Il y eut des manteaux nommés doubles ; il y en eut qu’on appelloit simples. Depuis Auguste, les Romains porterent indifféremment le manteau grec & les Grecs la toge. Les Latins appellèrent le manteau grec pallium, & les Grecs adopterent eux-mêmes ce nom.

En général, les manteaux que l’on voit aux statues n’avoient point de collets. Ils étoient amples & longs. Quelquefois ils étoient découpés en languettes sur les bords. Les philosophes cyniques portoient le manteau nommé tribonion, & le revêtoient immédiatement sur la chair. Il avoit peu d’ampleur & ne descendoit pas fort bas. Winckelmann prétend que le manteau des cyniques étoit de ceux qu’on appelloit doubles. S’il a raison, ce mot double s’appliquoit à la grossièreté de l’étoffe ; car le manteau des cyniques n’étoit pas doublé. On aura donc appelle simples, aploi, les manteaux d’une étoffe fine & légère.

Montfaucon a trouvé, dans un manuscrit de Denys d’Halycarnasse, un dessin qui représente cet historien. Le manuscrit & le dessin qui l’accompagne, sont de la bibliotheque du prince Chiggi à Rome & paroissent être du dixième siècle ; mais Montsaucon suppose que la représentation de l’historien a éte copiée d’après un original beaucoup plus ancien. L’historien grec, qui vivoit du temps d’Auguste, est coëffé d’une toque par dessus des cheveux court & frisés. Sa robe fort longue elle-même, a de longues manches assez étroites. Son manteau doublé de pelleterie, sorte de gausape, a un collet élevé comme celui des jésuites, & des manches pendantes par derrière, dans lesquelles on pouvoit cependant passer les bras à volonté. La figure est chaussée de sandales dans la forme de celles que nous avons vues aux recollets, qui avoient sous la pointe du pied une élévation semblable à celle du talon. Elle a des bas ou du moins des chaussettes. Elle écrit avec une plume sans barbes, ou avec un chalumeau taillé comme nos plumes. L’encrier est octogone, & est percé de quatre trous destinés à recevoir des plumes. La lame du canif est recourbée en forme de croissant, comme quelques uns de ceux que l’on fabrique en Allemagne & en Angleterre. Tout ce costume appartient vraisemblablement au bas-Empire.

La toge étoit le manteau des Romains. Quoiqu’on la trouve sur plusieurs statues & sur plusieurs bas-reliefs, on dispute sur sa forme, parce qu’elle est d’une ampleur & qu’elle fait des plis qui empêchent d’en suivre la coupe. Denys-d’Halycarnasse dit qu’elle avoit la figure d’un demi-cercle. Winckelmann pense que cet histoirien n’a voulu parler que de la forme qu’elle prenoit sur le corps, & il soupçonne qu’ainsi que les Grecs, les Romains mettoient souvent ce manteau en double. Il a raison d’ajouter qu’il suffit aux artistes, sans en connoître précisément la coupe, d’étudier la forme qu’elle prend sur les statues antiques qui en sont vêtues. Il ajoute, pour l’instruction des peintres, qu’elle étoit blanche.

Il ne faut pas négliger ce qu’il dit sur le jet de la toge qu’on nommoit cinctus gabinus, & qui étoit en usage dans les cérémonies sacrées & surtout dans les sacrifices. La toge étoit alors relevée jusques par dessus la tête, « de sorte que le pan gauche, laissant l’épaule droite en liberté, descendoit sur l’épaule gauche & alloit sur la poitrine, où les deux bouts étoient passés l’un dans l’autre, de manière pourtant que la robe descendoit jusqu’aux pieds. C’est ce qu’on voit sur un bas-relief de l’arc de Marc-Aurèle, où cet empereur est représenté faisant un sacrifice. »

« Lorsque les empereurs, ajoute-t-il, sont representés avec une partie de la toge relevée sur la tête, ils désignent par cet ajustement la dignité sacerdotale. Parmi les dieux, Saturne est ordinairement figuré la tête couverte jusqu’au sommet. En fait de figures divines, il ne se trouve, si je ne me trompe, que deux exceptions à cette remarque. La première concerne un Jupiter, nommé le chasseur, exécuté sur un autel de la Villa-Borghese, & monté sur un centaure : il a la tête couverte de la manière en question. Pluton, sur une peinture du tombeau des Nasons, nous offre la seconde exception. »

On peut cependant objecter à Winckelmann qu’une figure peur avoir la tête couverte d’une partie du manteau, sans être dans la fonction


de faire un sacrifice. Les anciens, dans la douleur, se cachoient le visage de leurs manteaux : ils se couvroient aussi la tête de leurs manteaux pour se garantir des injures du temps.

La prétexte étoit une robe bordée de pourpre. On la donnoit aux enfans de qualité quand ils entroient dans l’adolescence. Elle étoit aussi l’attribut de quelques magistratures surtout dans les colonies. On ne la peut voir représentée sur les statues, non plus que le laticlave, parce que le marbre ne rend pas les couleurs.

Des figures de l’arc de Constantin prouvent qu’au moins dans les siècles inférieurs, on donna de longues & larges manches aux tuniques. On portoit alors en écharpe une large bande, à la manière dont les modernes portent les cordons des grands ordres. On voit de ces bandes à l’empereur, aux officiers qui l’entourent, & à des hommes confondus dans la soule, & qui implorent les libéralités du souverain.

Quoique les anciens eussent communément la tête nue, ils connoissoient cependant différentes sortes de chapeaux, dont ils faisoient surtout usage à la campagne, & que les Grecs nommoient cynée, pilion, sciadion. On voit, sur un bas-relief, un cavalier coëffé d’un chapeau semblable à ceux des nôtres dont les bords sont rabbattus. Le pileus étoit un bonnet rond, ou un chapeau sans bords : le petasus étoit un chapeau à bords fort étroits. Le cucullus ressembloit beaucoup au capuchon des capucins. Au moyen de rubans dont on garnissoit le chapeau, on pouvoit l’attacher sous le menton ; c’est ainsi qu’est représenté Thésée sur un vase de terre cuite à la bibliotheque du Vatican. Quand on vouloit aller nue tête, on rejettoit le chapeau sur les épaules, & il y restoit suspendu par les rubans. Les bergers portoient des chapeaux ; c’est même un des caractères de la vie pastorale. Ceux qui montoient des chars aux courses du cirque à Rome, portoient des chapeaux pointus, en forme de pains de sucre.

Il faut étudier sur les monumens les chaussures antiques, qui toutes fort simples, prenoient cependant une grande variété de formes. Les anciens avoient des souliers entiers qui enveloppoient le pied, & qui étoient quelquefois brodés en or ; ils en avoient qui consistoient en une semelle avec des bords à l’entour de la largeur d’un doigt, & un cuir qui soutenoit le talon ; ces chaussures étoient lacées sur le cou-de-pied par des bandes de cuir qui partoient de la semelle. Ils avoient des souliers tissus de cordes, tels qu’on en voit au cabinet d’Herculanum ; ils en avoient de cuir qui montoient jusqu’à mi-jambe, & étoient des espèces de botines ; ils avoient des sandales consistant en une semelle retenue par des courroies. Elles étoient composées quelquefois de cinq semelles cousues ensemble, ce qui est prouvé, dit Winckelmann, par autant d’incisions qu’on voit aux sandales de l’une des Pallas de la Villa-Albani, qui sont épaisses de cinq doigts. D’autres fois elles n’avoient que trois semelles ; chacune d’un doigt d’épaisseur, & souvent qu’un simple cuir. Winckelmann suppose que les semelles épaisses étoient de liège, garnies d’un cuir en dessus & en dessous.

Le cothurne étoit une chaussure plus ou moins haute ; mais le plus communément sa hauteur étoit du travers de la main. Cette chaussure étoit généralement affectée à la Muse tragique.

Winkelmann après avoir parlé de la forme des habits, traite de leur couleur sur laquelle en général les écrivains modernes ont gardé le silence.

« A commencer, dit il, par les figures divines, Jupiter se voit avec une draperie rouge, & Neptune, si sa figure nous étoit parvenue en tableau, auroit un vêtement verd de mer, comme on avoit coutume de peindre les Néreïdes. Tout ce qui avoit rapport aux dieux marins, jusqu’aux animaux qu’on leur sacrifioit, portoit des bandelettes d’un verd de mer ; c’est d’après ce principe que les poëtes donnent aux fleuves des cheveux de la même couleur. En général les nymphes sont ainsi vétues dans les peintures antiques. Le manteau d’Apollon, quand il en porte, est bleu ou violet, & Bacchus, dont la draperie pourroit être de pourpre, est habillé de blanc. Martianus Capella donne la couleur verte à Cibèle, comme étant la Déesse de la terre & la mère des êtres. Junon, par rapport à l’air qu’elle désigne, peut-être vêtue de bleu céleste, mais l’écrivain que je viens de citer lui donne un voile blanc. Cerès devroit avoir une draperie jaune, parce que cette couleur est celle de la moisson & qu’elle fait allusion, à l’épithete d’Homère qui l’appelle la blonde Cerès. Le dessin colorié d’une peinture antique conservé à la bibliotheque du Vatican, & publié dans mes Monumenti inediti, nous offre Pallas, dont le manteau, au lieu d’être d’un bleu céleste, comme on le voit communément aux figures de cette Déesse, est couleur de feu, pour désigner sans doute son ardeur guerrière ; car c’étoient aussi de cette couleur qu’étoient les habits de guerre des Spartiates. Sur les peintures d’herculanum, nous voyons Vénus avec une draperie flottante d’un jaune doré, faisant allusion à l’épithete de Venus dorée. Une des Naïades, sur le dessin du Vatican dont nous venons de parler, a une tunique fine de cette teinte que nous nommons couleur-de-fer, comme Virgile décrit la figure du Tibre :

…Eum tenui glauco velabat amicta Carbasus.


Mais d’ailleurs sa draperie est verte, comme l’est celle des fleuves chez les autres poëtes. Du reste ces deux couleurs sont symboliques & disignent l’eau : la verte surtout fait allusion au rives bordées d’arbrisseaux. »

« Une courte notice sur la couleur de l’habillement des héros & des rois ne sera pas jugée superflue, surtout par les artistes. Nestor étoit drapé de rouge. Tout le vêtement des trois rois captifs de la Villa-Médicis, & de deux autres de la Villa-Borghese, exécuté sur le porphyre, paroît indiquer une draperie de pourpre, & désigner la dignité royale de ces prisonniers. Dans un tableau antique, Achille avoit une draperie verd de mer, pour faire allusion à Thétis, sa mère ; cette partie de costume a été observée de même par Baltazar Beruzzi, dans la figure de ce héros, au plafond d’une salle de la Farnesina. Sextus Pompée, après avoir remporté une victoire navale sur Auguste, prit un habit semblable, s’imaginant, au rapport de Dion Cassius, être un des fils de Neptune. Marcus Agrippa, ayant gagné à son tour une bataille navale sur ce fils de Pompée, fut gratifié par Auguste d’un drapeau couleur de verd de mer. Les prêtres, chez toutes les nations, étoient habillés de blanc. »

« Dans l’antiquité, les femmes portoient le deuil en habits noirs, & cela chez les Romains comme chez les Grecs. Cet usage existoit déja du temps d’Homère : il nous apprend que Thétis, plongée dans la tristesse à la mort de Patrocle, prit le plus noir de ses vêtemens. Sous les empereurs cette coutume éprouva un changement total, & les femmes porterent le deuil en habits blancs. Ainsi quand Plutar que nous parle en général des habits blancs pour le deuil, sans fixer l’époque, il n’est question alors que de l’usage de son temps. Hérodien fait mention du deuil en habits blancs dans sa relation des funérailles de l’empereur Septime-Sévère. Il nous raconte que l’image de cet empereur, faite en cire, étoit entourée, d’un côté, d’une troupe de femmes vêtues de blanc ; & de l’autre, du corps des sénateurs habillés de noir. » « Chez les Romains, continue Winckelmann, les hommes s’habilloient constamment de noir dans le deuil, comme nous l’apprenons, entre autres, par un trait de Trajan qui, ayant perdu son épouse Plotine, porta des habits noirs pendant neuf jours. »

Ici Winckelmann tombe dans la même erreur qu’il a reprochée à Plutarque, & prend pour un usage constant, ce qui n’appartient qu’au temps des empereurs. On fait que, du temps de la république, les Romains portoient le deuil en toges d’un gris sale & foncé, qu’ils nommoient pullus color. C'étoit avec ces habits que les accusés se présentoient sentoient sur la place, pour exciter la pitié du peuple. (L.)

VIE (subst. fem.) Le premier dégré de l'expression consiste à donner de la vie aux figures, puisqu'il faut d'abord qu'elles paroissent animées pour sembler éprouver quelqu'affection de l'ame. Les peintres gothiques ne savoient pas donner à leurs figutes l'apparence de la vie, & depuis que l'art a fait de si grands progrès, il n'est encore accordé qu'à un petit nombre d'artistes d'imprimer cette apparence à leurs ouvrages. Des peintures fades & plates ne représentent rien qui ait de la vie. Deux parties de l'art contribuent surtout à la donner ; le dessin qui exprime avec justesse les mouvemens, le clair-obscur qui donne le relief aux objets. Une touche savante achève la création, & donne une ame à ce qui n'est que du papier, de la toile, du marbre, du bronze.

Dans la langue de l'art, on attribue la vie même à des représentations, d'objets inanimés. Ainsi l'on peut conseiller à un paysagiste de donner de la vie à ses ouvrages ; e'est-à-dire, de détruire ce qu'ils ont de morne, ce qui les empêche d'exprimer ce mouvement, cet esprit de vie qui semble répandu dans toute la nature. (L.)

VIERGE, teinte vierge. On voit par cette application du mot vierge dans l'art de peindre, qu'il n'est employé que comme attribut de certaines couleurs artificielles.

Lorsque le peintre à empâté une partie de son tableau à laquelle il veut donner la derniere main, il fond alors, ou noye les teintes les unes dans les autres pour en faire perdre à l'œil les différences, & en rendre les degrés insensibles. Ce travail, en arrondissant les corps, en ôtant la crudité des couleurs naturelles, fait perdre cependant aux teintes de leur fraîcheur. C'est alors que le peintre qui a la pratique du coloris, place de côté & d'autre des teintes, qu'on nomme Vierges, parce qu'il ne les mêlange plus sur son tableau. Il atteint à la perfection de cette pratique, si cette teinte, toute fraîche qu'elle est, n'est point dure, crûe, tranchante, & si elle est du ton convenable à son plan, & à l'effet de la partie qu'elle enrichit par sa fraîcheur & par sa pureté.

L'opposé des teintes Vierges, sont celles qu'on nomme sales. (Article de M. Robin.)

VIGNETTE (subst. fem.) On donne ce nom aux gravures qui décorent les livres. Mais ce mot a reçu une signification trop étendue. Il devroit, suivant son étymologie, signifier seulement les gravures qui décorent le haut des pages, parce que ces gravures ont remplacé l'ornement que les miniaturistes peignoient au-


trefois au haut des pages des manuscrits, & qu'on nommoit vignette, parce qu'il représentoit souvent des feuilles de vigne. Après l'invention de l'imprimerie, on a remplacé ces miniatures par des gravures en bois, & dans la suite, des éditeurs plus curieux ont préféré des gravures en taille-douce.

Les graveurs chargés de ces sortes d'ouvrages leur ont conservé le nom de vignettes, quoique ces ouvrages n'eussent plus rien de commun avec l'ornement nommé vignette, que d'occuper la même place : &, par extension, ils ont aussi donné le même nom aux gravures qui servent de frontispices aux livres, ou qui sont répandues dans le corps de l'ouvrage, quoi qu'elles ne soient pas destinées, comme les anciennes vignettes, à orner le haut d'une page, & qu'elles occupent une page entière. C'est ainsi que bien des mots ont perdu la signification qui peut rappeller leur origine, & que l'on ignore l'histoire des révolutions qu'ils ont éprouvées.

On nomme culs-de-lampe les ornemens en gravure qui décorent le bas des pages à la fin des livres ou des chapitres. Ce nom leur a été donné, parce qu'ils se terminent dans une forme à-peu-près semblable à celles de l'extrêmité inférieure des lampes qui sont suspendues dans nos églises. M. de Voltaire vouloit que ce mot fût retranché de la langue française ; mais son autorité n'a pu l'emporter sur l'usage. (L.)

VIGUEUR, VIGOUREUX, (subst. fem.), (adj.), Sont des expressions qui, comme bien d'autres, s'employent figurément dans la langue des beaux-arts. Comme la grace est de l'essence des femmes, & que la vigueur & la force forment la perfection de l'homme, on applique ces expressions à ces genres de beautés qu'elles rappelent dans les ouvrages de l'art : ainsi on dit la grace de l'Albane, & la vigueur de Ribera.

Bien que le mot vigueur serve souvent à caractériser celle des formes, & que l'on puisse dire le dessin vigoureux de Michel-Ange, les formes vigoureuses de l'Hercule Farnèse ou des figures d'Annibal Carrache, néanmoins les mots vigueur & vigoureux s'employent le plus communément en parlant du Coloris. C'est dans ce sens qu'on dit, « la première manière du Guide, fut mâle & vigoureuse, & sa seconde fut douce & aimable : Le Giorgion est un peintre vigoureux. »

Dans l'art de graver on entend par une estampe vigoureuse, celle qui est forte de brun & piquante d'effet, soit qu'on entende parler de la vigueur de l'épreuve, soit du talent employé par l’artiste pour produire une teinte vigoureuse.

Mais de quelque manière que l’on se serve des mots vigueur & vigoureux dans l’art, ils font toujours l’éloge du morceau dont on parle.

(Article de M. Robin.)

VIVACITÉ (subst. fem.). Ce mot n’appartient point à l’art, & s’il y est quelquefois appliqué, c’est dans la même signification que dans la langue commune. On peut même ajouter que les artistes en font peu d’usage. Au lieu de dire que la couleur a de la vivacité, ils disent qu’elles a de l’éclat, de la force. Au lieu de louer la vivacité d’action dans les figures d’un tableau, ils disent qu’elles ont du mouvement, qu’elles ont un beau, un grand mouvement. (L.)

UNION, (subst. fem.) Ce mot peut être pris pour l’accord donc on a traité au long sous la première lettre de ce dictionnaire, & alors il peut s’entendre de toutes les parties de l’art ; en effet il faut non seulement de l’union dans les tons & dans les teintes d’un tableau ; il en faut aussi dans ceux d’une estampe, dans toutes les parties qui composent un ouvrage de sculpture, & dans celles qui sont relatives au dessin.

Mais le sens propre de l’union dans la peinture est surtout applicable au Coloris Pour en sentir toute la valeur, il faut établir pour principe que chaque objet de la nature à une couleur générale, une teinte universelle qui lui sont particulières : il y a plus ; chaque partie d’un visage, par exemple, a sa teinte spéciale. Ainsi dans une peau fine, la couleur brillante & argentine du front, est différente de celle qui entoure les yeux, toujours un peu plus violâtre, de celle des joues, ainsi du reste. Ajoutons que la différente exposition de ces parties sous les divers rayons de la lumière y apporte encore des variétés. De tout cela il suit qu’il doit y avoir une approximation telle dans toutes les teintes qui s’employent dans chacune de ces parties, que si le peintre mettoit sur le front, par exemple, une de celles qui appartiennent aux joues, il n’y auroit plus d’union entre ces teintes. D’un autre côté, si de ces teintes destinées pour peindre le front il mettoit, dans la masse lumineuse, quelqu’une de celles qui doivent appartenir aux parties fuyantes, il n’y auroit plus d’union dans les tons.

Ce que nous venons de dire pour une partie de détail, par rapport au coloris, est applicable à de plus grandes parties d’un ouvrage de peinture : c’est ainsi qu’il faut de l’union dans le fond, dans les tons d’un ciel, dans ceux d’une terrasse. &c &c. (Article de M. Robin.)


UNIVERSALITÉ (subst. fem.) C’est une qualité nécessaire au peintre d’histoire. Suivant le sujet qu’il doit traiter, il faut qu’il sache représenter du paysage ou de l’architecture. Il peut être obligé de peindre des chevaux, des chiens, des tygres, des lions, des serpens. Les armes guerrières, les ustensiles des cérémonies sacrées, entrent souvent dans ses ouvrages. Enfin il est peu d’objets de la nature morte ou vivante qu’il ne puisse être obligé de peindre.

Raphaël avoit cette universalité. « Non seulement, dit Félibien, il avoit la conduite des peintures, mais il ordonnoit encore, dans le palais du pape, de tous les ornemens de stuc ; il fournissoit les dessins pour la menuiserie ; enfin, il n’y avoir point d’ouvriers sur lesquels il n’eût une entière direction. » Le Brun se chargea de diriger tous les détails dans les maisons de Louis XIV. Statues, serrurerie, orfêvrerie, tout se faisoit sur ses dessins.

Il est très-utile au peintre d’histoire de faire des études, ou du moins des esquisses de tous les objets qu’il rencontre, & qu’il n’aura peut être pas occasion de revoir s’il se trouve un jour dans la nécessité de le représenter dans quelqu’ouvrage.

Les artistes de l’antiquité ne se piquoient pas d’être universels : la figure humaine étoit souvent pour eux l’unique objet de leurs études ; on leur pardonnoit de négliger les accessoires. Les modernes n’ont pas la même indulgence. (L.)

VRAI (le) (subst. mas.) Rien n’est beau que le vrai, le vrai seul est aimable. Le vrai est de l’essence des beaux arts, & torts les avantages qui lui sont attribués, leur appartiennent aussi.

Sans le vrai l’art est nul. La fonction spéciale de l’art étant du parler aux yeux, son but est manqué s’il ne leur présente le vrai.

C’est par lui seul que l’art peut nous montrer les élémens, les saisons, les climats, les distances, les corps, les habitations, les rangs, les caracteres ; & c’est lui. qui donne les nuances aux passions.

Sans le vrai, l’art n’a rien exprimé ; il ne peut alors être ni jugé ni senti.

C’est dire combien un artiste est voisin de la perfection, que de louer sa supériorité dans le mérite d’être vrai : s’il ne la possède pas il n’y a plus d’ensemble, de sagesse, de variété, de simplicité, de grand, ni de mouvement dans ses ouvrages. D’où il suit que malgré tous ses efforts, l’artiste qui laisse voir des parties symmétriques où il faut des contrastes qui, par systême ou par manie met indifféremment de l’agitation dans toutes les figures, ou qui ne leur fait pas exprimer tout ce qu’elles doivent sentir : cet artiste, dit-je, quelque talent qu’il ait d’ailleurs est un artiste foible. Nous convenons pourtant qu’on peut intéresser les gens de l’art par des beautés d’exécution. Ces parties peuvent faire réussir quelque tems un artiste ; mais ses succès seront passagers. En vain le Vouet, par l’aisance de ses compositions, la hardiesse de son pinceau & la témérité de ses teintes, si je puis m’exprimer ainsi ; en vain, dis-je ce peintre est parvenu, par ses partisans exaltés, à faire éloigner le Poussin de notre France, ce même Vouet n’est aujourd’hui connu que de quelques possesseurs de tableaux, au lieu que le nom du Poussin sert à indiquer tout ce qui se rencontre de grand & de sage dans un ouvrage de peinture.

La première pensée d’un tableau ou d’une statue doit avoir le vrai pour base. Si ce premier point n’est rempli, les détails les plus précieux ne pourront fixer l’admiration. Il ne suffit pas d’être copiste insipide pour imprimer à une composition le caractère du vrai ; il faut s’occuper de répondre, par une disposition poëtique, aux idées que les spectateurs ont dû se former des sujets ou des personnages qu’on a le désir de leur faire reconnoître. C’est moins pour satisfaire les hommes qui auront connu ses modèles, que pour les peindre aux siècles futurs, que l’artiste doit travailler : sa tâche est de transmettre à la postérité les vertus & les caractères de ses héros.

Or, ce n’est pas avec des vérités individuelles, & présentées sans chaleur & sans choix, que l’artiste remplira cette tâche noble & difficile. Ni le statuaire Dupré, ni le peintre de Marie de Médicis, Rubens, ne nous ont représenté Henri le Grand avec une stature petite & mesquine, telle que la nature l’avoit donnée à ce héros. Dans sa statue au milieu de cette capitale, & dans cette suite de tableaux enchanteurs que le public pouvoit admirer n’aguère dans la galerie du Luxembourg, la figure de Henri est noble, fière & d’un bel ensemble.

C’est avec raison qu’on a blamé Pigale d’avoir copié servilement la corpulence lourde & engorgée du Maréchal de Saxe. Une proportion bien découplée, des formes vigoureuses & ressenties, eussent peint à la postérité & l’ame de ce guerrier & le physique agile & robuste que l’histoire lui attribuera dans ses descriptions.

Si le vœu de ce citoyen raisonnable, qui demande que la statue de Voltaire soit érigée dans la place Dauphine, étoit mis à exécution, je ne voudrois pas que l’artiste nous le présentât sous la forme d’un vieillard desséché & d’une nature abjecte, ainsi que se montre la statue de Pigale. Je ne voudrois pas même que, courbé sous la charge pesante des années, il parût assis & drapé en philosophe


antique, ainsi que l’a rendu M. Houdon avec tant de finesse & de pureté. Non, il faudroit que simplement couvert de la tunique des poëtes antiques, saisi dans cet âge heureux où il enrichit notre scêne, de Mérope, d’Alzire & de Mahomet, on le montrât debout, l’air inspiré, tout occupé de la perfection de sa Henriade, fixant ses yeux enflammés sur la statue de son héros immortel. Son attitude élancée concourroit avec sa taille svelte à exprimer le mouvement & la légèreté précieuse dont il anima toutes ses productions. Enfin nos neveux, & nous même trouverions la statue de Voltaire en rapport avec cette abondance, cette subtilité d’esprit & ce sel inimitable, qu’il a su répandre dans ses ouvrages.

On voit donc qu’il ne suffit pas de copier indifféremment la nature. On voit qu’il faut la choisir avec sentiment, & que c’est au génie seul a nous donner le vrai.

Qu’on n’aille pas cependant croire que pour être vrai, on doive, dans tous les cas, être élégant & recherché ; un véritable artiste, c’est-à-dire celui qui n’est pas borné à l’exécution méchanique de son art, se transporte à toutes les scènes qu’il veut peindre : il est simple & pauvre dans la chaumière de Philemon & Baucis ; il est voluptueux dans les bosquets où il nous découvre le grouppe de Renaud & d’Armide ; il répand de la grace à Paphos, & de la sublime, & respectable beauté dans la grotte où Diane & ses nymphes se reposent d’une chasse fatigante. Enfin c’est en s’oubliant soi-même, c’est en faisant passer dans son âme le caractère propre de ses sujets que l’artiste peut nous montrer le vrai.

Une fois bien pénétré de ce besoin de peindre toujours à l’esprit, les vérités de détails viendront d’accord se placer dans son ouvrage. Il ne peindra pas les malheurs de Marseille sous un ciel brillant & serein : l’air, le feuillage des arbres, les habitations elles-mêmes, tout dans son tableau, prendra la teinte de cette vapeur empestée qui répand sur toutes les figures la douleur, l’horreur & la mort. Mais par qu’elle route parvient-on à commander, pour ainsi dire, à son art, & à le faire plier à ses volontés ? cette route est simple & malheureusement peu fréquentée. Les systêmes d’école, la manie de suivre ses maîtres en esclave, nous écartent des moyens de trouver & de rendre le vrai.

Ces moyens se bornent, comme nous l’avons dit à l’article instruction, à n’acquérir de science qu’avec son propre esprit, qu’avec ses propres yeux, à bien étudier l’antique, les organes & les couses des mouvements des êtres animés, enfin la nature dans toutes ses circonstances.

C’est par des vues solides sur le vrai & sur les moyens d’y atteindre, qu’on sentira le vuide de cette question ridicule : doit-on, pour faire des progres dans l’art, copier la nature telle qu’elle se présente, ou corriger ses imperfections en l’étudiant ? nous répondrons en un mot, que pour la rendre dans ses ouvrages avec choix & variété, il faut apprendre à l’imiter avec toutes ses différences.

C’est par cette fimple méthode que s’annulera la recherche de ces distinctions métaphysiques & pueriles du vrai simple, du vrai composé & du vrai idéal, si laboriesement discucutées par de Piles.

Il n’est qu’une manière d’être vrai pour les yeux, dans l’art du statuaire & dans celui du peintre ; c’est d’être vrai pour l’esprit ; & comme nous l’avons dit, & ce à quoi se résument toutes nos réflexions, on y parvient en n’offrant le savoir que sous l’empreinte du jugement, du goût & du génie. (Article de M. Robin.)

VUE (subst. fem.) On appelle vue le portrait d’un site qu’on a fait d’après la nature. On dit dessiner des vues, peindre des vues, saisir une vue.

Ce terme, comme on le voit, est de la dépendance du paysage, & j’ai parlé déja du sujet de cet article dans celui qui a été consacré au paysage.

Le genre des vues s’étend à une infinité d’objets particuliers. Une marine, une chaumière, un terrein singulier, des roches, tout cela (lorsque l’étude en est faite sur la nature) s’appelle des vues.

Une des occupations les plus amusantes qu’occasionne la pratique de l’art dont je traite, est celle de dessiner ou de peindre des vues ; c’est pour les grands artistes un délassemnet, parce qu’ils les saisissent avec une facilité qui leur est agréable, & qui fait jouir ceux qui les voyent opérer de l’exercice de leur talent, & parce que cet exercice qu’ils en font leur donne occasion de remarquer & de sentir une infinité : d’objets, de détails, de vérités qui ne s’offrent jamais à eux sans leur procurer des sensations intéressantes.

Pour les jeunes élèves, dessiner des vues est un amusement quelquefois trop attrayant par l’espèce de facilité qu’ils y trouvent & les libertés qu’ils se croyent autorisés à prendre. Dans les pays riches en vues pittoresques, le artistes se livrent au plaisir de dessiner les sites heureux avec une espèce d’enthousiasme, qui peut les détourner des études plus essentielles auxquelles ils doivent consacrer des momens précieux & courts ; mais pour les simples amateurs qui s’occupent à exercer l’art du dessin,


saisir passablement un site est une ressource contre le désœuvrement, qui peut flatter leur amourpropre, par quelques succès, qui leur sont généralement interdits dans les genres plus difficiles. Bien dessiner la figure d’après la nature est un de ces pas que peu d’amateurs ont le temps ou le courage de franchir. C’est le fruit d’une étude assidue de la bosse, étude souvent rebutante & toujours difficile : dessiner, composer & peindre avec l’inspiration du génie, ou tout au moins avec le secours d’un véritable talent, sont des progrès qu’il est extrêmement rare de voir faire à ceux qui ne se consacrent pas entièrement à la peinture, & qui sont difficiles même à obtenir par les artistes qui n’ont pas d’autre occupation ni trop souvent d’autre ressource.

Mais lorsque ceux qu’un goût naturel & vrai entraîne à s’amuser de la peinture, ne pouvant s’y dévouer exclusivement, se trouvent doués de quelques dispositions, ils peuvent parvenir, en les cultivant avec fuite, à dessiner & même à peindre, dans les momens de loisir, ce que la nature compose sans cesse autour d’eux, pour leur donner l’envie de l’imiter ; alors dans les campagnes, près des villages, dans une ferme, cette douce occupation, en leur faisant passer délicieusement des momens qui souvent seroient vuides, les conduit à observer & les effets de la lumière & des détails même qui peuvent souvent inspirer leur bienfaisance & les rapprocher de la véritable : humanité, en les fixant à la véritable nature.

Il est dans les arts, & dans quelques sciences, des plaisirs & des utilités qui ne sont guère connus que de ceux qui les ont éprouvés.

L’exercice des sciences profondes a des avantages incontestables pour la société ; il en a même pour ceux qui les exercent par l’attrait qu’elles leur présentent & l’occupation à laquelle elles les fixent ; mais on ne peut guère nier qu’elles ne tendent à isoler d’autant plus, qu’on s’y applique plus exclusivement. La pratique des beaux-arts, qui ont tous pour but l’imitation des hommes & des choses, en obligeant ceux qui les exercent à tout voir, à tout observer, doit naturellement les rendre plus sociables &, si on l’osoit dire, plus humains.

Au reste, nous sommes peu maîtres de nos penchans : l’art de les diriger, c’est-à dire, d’en tirer avantage pour les autres & pour nous, quoique dépendant de nous-mêmes. suppose encore plus de bonheur & de réflexions qu’on ne pense.

On trouvera au mot paysage quelques détails relatifs au sujet de cet article, & je ne dois pas les répéter. (Article de M. Watelet.)

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