Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Ligne de beauté

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Panckoucke (1p. 477-478).

LIGNE de beauté. Les anciens ont connu le beau, & nous en ont laissé les plus parfaits modèles. Raphaël & d’autres modernes se sont montrés heureux imitateurs des anciens : mais rien ne nous apprend que les artistes de la Grece aient cherché une certaine ligne, qui servît de démonstration au caractère de la beauté. On ne nous dit pas que Raphaël ait trouvé cette ligne, & l’ait démontrée à les élèves. Enfin, on ne trouve rien de cette ligne dans les écrits de Léonard de Vinci, quoique cet habile peintre soit entré dans de fort grands détails sur son art. On ne s’en est occupé que dans le temps même où l’on commençoit à s’éloigner de l’imitation du beau ; & je ne crois pas que cette imagination frivole fût capable d’y ramener.

Je ne connois pas l’ouvrage de Parent qui semble en avoir parlé le premier, & qui faisoit consister la beauté dans une ligne elliptique, ce qui ne me paroît pas en donner une idée fort claire. Hogarth, fameux peintre anglois, que le genre dont il s’occupoit, & que nous appellons caricature, ne devoit pas familiariser avec la beauté, voulut cependant prouver que la ligne de beauté étoit ondoyante, & il la compara à la lettre S. En consequence de son principe, il crut prouver que l’araignée, n’ayant rien d’ondoyant dans ses formes, ne pouvoit être belle. On auroît pu se servir de son principe même, pour lui répondre que l’araignée est belle, parce qu’elle a dans ses formes quelque chose d’ondoyant. M. Falconet, très-supérieur à cette futile recherche, a fait sentir en passant le ridicule de la ligne inventée par Hogarth, pour exprimer la beauté, & a tracé lui-même une ligne qui lui sembloit préférable, & qui tend à la rondeur & au méplat. On a aussi voulu trouver l’image de la beauté dans la ligne flamboyante, c’est-à-dire, dans celle que décrit la flamme qui s’élève. Mengs, à qui le tour de son esprit faisoit aimer tour ce qui avoit l’air métaphysique, a trop parlé dans ses ouvrages de la ligne serpentine, ce qui a souvent répandu de l’obscurité dans ses préceptes. La ligne serpentine répond à l’S. de Hogarth, & l’on ne voit pas ce qu’elle a de commun avec beauté, dont tous les mouvemens doivent décrire les lignes les plus douces.

Ce qu’on peut établir de plus vrai, c’est qu’il n’y a point de ligne de beauté, & que la beauté se forme de la succession & de l’accord d’un nombre infini de lignes différentes entr’elles. Désigner par une S ou par une ligne serpentine, ondoyante, flamboyante, le caractère de la beauté, c’est en indiquer obscurément la douceur & la souplesse. Si l’on veut absolument parler de lignes, il faut dire que la ligne droite tend à la roideur gothique ; que les formes composées de lignes qui se coupent angulairement, sont dures ; qu’elles peuvent avoir un air de science, mais qu’elles manquent de graces & de vérité ; que de la ligne circulaire résulte un dessin rond & pesant, & qu’en un mot la vraie beauté des formes est produite par un grand nombre de lignes différentes, qui toutes semblent tendre à s’arrondir, & qui ne s’arrondissent jamais.

Nous n’aurions pas parlé de la ligne de beauté, si l’Encyclopédie ne devoit pas, autant qu’il est possible, contenir tout ce qui a été dit sur l’art. (Article de M. Levesque).