Encyclopédie méthodique/Encyclopediana, ou Dictionnaire encyclopédique des ana

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Encyclopediana ou Dictionnaire encyclopédique des ana.
Panckoucke (p. 1).
Encyclopédie Méthodique


ENCYCLOPEDIANA,

ou

DICTIONNAIRE

ENCYCLOPÉDIQUE

DES ANA.

Précédée d’un Vocabulaire universel, servant de Table pour tout l’Ouvrage, ornée des Portraits de MM. DIDEROT & D’ALEMBERT, premiers Editeurs de l’Encyclopédie.

CONTENANT ce qu’on a pu recueillir de moins connu ou de plus curieux parmi les saillies de l’esprit, les écarts brillants de l’imagination, les petits faits de l’histoire générale ct particulière, certains usages singuliers, les traits de mœurs & de caractères de la plupart des personnages illustres anciens & modernes; les élans des ames fortes & généreuses, les actes de vertu, les attentats du vice, le délire des passions, les pensées les plus remarquahles des philosophes, les dictums du peuple, les réparties ingénieuses, les anecdotes, épigrammes & bons mots; enfin les singularités en quelque sorte des Sciences, des Arts, & de la Littérature.

Jucunda & idonta dicere vitae.

HORAT. de Arte poetica.


A PARIS,

Chez PANCKOUCKE, Hôtel de Thou, rue des Poitevins.

M. D CC. XCI.

AVERTISSEMENT
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DES ÉDITEURS.

L’ENCYCLOPEDIANA est un supplément à l’Encyclopédie méthodique, dont elle fait une partie aussi nécessaire qu’agréable. Le mérite de cette collection consistoit à renfermer dans un seul volume (de 964 pages /in-4°.) ce que tous les ouvrages connus sous le titre d’Ana, de ce qu’un très-grand nombre de volumes de recueils fugitifs, de livres rares & singuliers, offrent de remarquable & de saillant dans les différentes parties des Sciences, des Arts, de l’Histoire & de la Littérature. On s’est attaché principalement à faire connoître les hommes célèbres par les traits de mœurs & de caractères, & par les saillies d’humeur & d’esprit qui leur sont échappés. Ils sont peints dans cette nouvelle galerie, moins suivant le costume de leur représentation, que dans le négligé de leur vie privée.

On a surtout eu l’attention de recueillir les pensées, les mots, les singularités, les ridicules, les formes, les traits qui peuvent convenir & s’approprier à des personnages mis en scène. L’ancienne Encyclopédie in-folio devant parcourir dans son immense projet le cercle entier de toutes les connoissances, n’avoit cependant qu’effleuré quelques-uns de ces objets que nous nous sommes proposés de completter tant dans cette Encydopédiana, par rapport à la Littérature, que dans le Dictionnaire des amusemens des sciences mathématiques & physiques, des arts & de l’industrie, qui est actuellement sous presse, & dont on a déjà pu-

vj AVERTISSEMENT

blié les planches gravées. Il eût été sans doute possible de donner une grande extension à l’un & à l’autre de ces recueils; c’étoit même sous ce point de vue que nous l’avions d’abord proposé à l’entrepreneur de l’Encyclopédie (1).

En effet, disions-nous, l’Encyclopédie méthodique ayant pour objet principal l’enseignement, comprend dans sa vaste étendue le domaine utile des sciences, des arts, de l’histoire, & des belles-lettres. L’Encyclopédiana, au contraire, ayant pour but l’amusement des lecteurs, doit présenter ces mêmes objets sous des formes toujours agréables, variées & intéressantes. L’Encyclopédie méthodique pose les principes, elle établit les loix & les règles, elle donne les élémens & le développement des connoissances humaines; & dans sa marche didactique, elle procède avec la gravité qui convient à l’importance de sa doctrine & de ses préceptes. L’Encyclopédiana, plus rapide dans sa course, écarte tout ce que les sciences & les arts ont de sérieux, & ne prenant de toutes choses que la fleur & le plaisir, elle cherche à les répandre avec autant de légèreté que de profusion. Cette partie de l’Encyclopédie moins profonde, moins lumineuse, moins savante que les autres, mais aussi plus vive, plus diversifiée, plus singulière, doit se montrer toujours sous des dehors séduisans. Enfin, l’Encyclopédiana fermera le cercle des connoissances, en

(1) Il avoit été présenté à M. Panckoucke le projet d’environ quinze volumes in-4o, sous le titre d’Encyclopédiana des sciences, des arts & de la littérature: mais l’entrepreneur de l’Encyclopédie méthodique, qui réunit les lumières de l’homme de lettres à celles de l’habile négociant, a su calculer avec précision l’intérêt des Souscripteurs, & prescrire la juste étendue qu’il falloit donner à cette collection.

DES EDITEURS. vij

s’atttachant essentiellement à reprendre tout ce que les savans auteurs & éditeurs de l’Encyclopédie méthodique ont dû rejeter de leur plan. Cependant l’Encyclopédiana n’exclut point dans son exécution l’ordre & la méthode; c’est au contraire en les observant qu’elle peut justifier son titre; c’est en quelque sorte en repassant sur les traces de l’Encyclopédie méthodique, que l’Encyclopédiana, & ensuite le dictionnaire des amusemens des sciences & des arts, compléteront toutes les parties, & suppléeront à ce que l’Encyclopédie a été forcée d’omettre, de rejetter ou de négliger.

N. B. Tous les mots de cette Encyclopédiana seront repris dans le Vocabulaire universel de l’Encyclopédie méthodique.

A[modifier]

A,
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première lettre de l’alphabet dans toutes les langues connues, l’éthiopique exceptée, où l’a est la treizieme lettre.

Il n’a point fait une panse d’a,

expression familière pour désigner quelqu’un qui n’a point travaillé à un ouvrage qu’on lui attribue, ou qu’il devoit faire.

On dit d’un ignorant qu’il ne fait ni a ni b.

Ci-dessous gît M. l’abbé,

Qui ne savoit ni a ni b,

Dieu nous en doint bientôt un autre

Qui sache au moins sa patenôtre.

MÉNAGE.

Le peuple, pour louer un homme de mérite & d’honneur, dit qu’il est marqué à l’a.

Cette expression fait allusion aux monnoies, dont celles réputées de meilleur alloi, ou fabriquées dans la capitale, étoient marquées d’un a.

Ce caractère a forma, suivant l’histoire, un talisman favorable à Antiochus Soter,

dans une bataille contre les gaulois. Ce prince vit en songe Alexandre, qui lui dit que s’il donnoit à son armée la tablette d’ordre en forme de pentalpha ou quintuple A, ce qui répond à un pentagone équilatéral, il seroit vainqueur. Antiochus Soter se conforma à l’avis qu’il eut en songe, & remporta en effet une grande victoire.

Les romains appelloient l’a la lettre salutaire;

voici pourquoi : lorsqu’il s’agissoit d’absoudre ou de condamner un accusé, on distribuoit à chaque Magistrat trois espèces de jettons, sur lesquels étoient gravées les lettres suivantes, A qui signifioit absolvo, j’absous ; sur un autre C qui vouloit dire, condemno, je condamne; & sur le troisième NL, non liquet, le crime n’est pas prouvé.

A etoit encore à Rome une lettre de suffrage.

Quand on proposoir une nouvelle loi, on distriboit au peuple deux ballottes de bois, sur l’une étoit un A qui signifioit antiquam volo, je m’en tiens à l’ancienne loi ; & sur l’autre, UR, uti rogas, comme vous le proposez.

Dans une séance de l’académie françoise, M. de Voltaire parla du dictionnaire de l’académie, prétendant qu’il falloit le retoucher; il partagea lettres entre ses confrères, & pris pour lui l’a, comme la lettre la plus chargée (quelle activité à quatre-vingt-quatre ans !) « Messieurs, leur dit-il » en riant, je vous recommande l’entreprise au nom de l’alphabet ».

Encyclopédiana.

AARON-RASHID.[modifier]

Le père de Rashid ayant démêlé ses talens, le déclara son successeur, au préjudice du droit de Musa son frère aîné; mais à la. mort du calife, Rashid respectant le droit de la nature, obligea tous les grands à prêter à son frère le serment de fidélité qu’ils lui dévoient. Cet acte de générosité & de justice ne détruisit point la haine que le nouveau calife avoit contre Rashid; & méprisant la loi qui assurait le sceptre au plus âgé de la famille, il déclara son fils héritier du califat. Cette injustice scandalisa les zélés musulmans ; Musa crut devoir étouffer ces murmures dans le sang de son frère ; mais la mère des deux princes fit périr un fils indigne de vivre, pour conserver les jours du vertueux Rashid, qui fut proclamé calife l’an 786.

Des victoires signalées furent les premiers titres que le calife s’acquit à l’amour de ses sujets.

Après celle qu’il venoit de remporter sur l’empereur Nicéphore, le prince vaincu lui envoya de riches présens, entr autres plusieurs épées de prix. Le calife les coupa avec son cimetere, en présence des ambassadeurs. Rapportez, dit-il, à votre maître ce que vous venez de voir, pour le convaincre que ses armes ne résisteront jamais aux miennes ; je pourrois encore lui faire don de mon cimetere ; mais il lui faudroit mon bras pour s’en servir.

Rashid fit neuf fois le pèlerinage de la Mecque, avec une magnificence que ses successeurs ne purent égaler. Sa marche ressembloit à une pompe triomphale; les peuples s’empressoient en foule sur son passage, les chemins étoient couverts de riches tapis, & la terre sembloit produire partout des parfums & des fleurs.

Charlemagne fut le seul prince de son temps dont il rechercha l’amitié. Il lui fit présent d’une horloge sonnante qui passa pour une merveille.

Un jour que ce calife marchoit à la tête de son armée, une femme vint se plaindre que des soldats avoient pillé son champ. N’as-tu pas lu dans l’alcoran, lui dit Aaron, que les princes désolent les lieux par où passent leur armée. J’ai lu aussi, répondit la femme, que les maisons des princes seront détruites à cause de leurs injustices. Rashid ne la désapprouva pas, & la fit indemniser. Ce prince mourut en 800, âgé de quarante-six ans, dont il avoit régné vingt-trois, avec gloire & avec équité.

ABAILARD.[modifier]

Pierre Alailard naquit à Palais, près de Nantes, en 1079, d’une famille noble.

A

2 ABA

Il joignoit aux talens de l’homme de lettres les agrémens de l’homme aimable. II fut persécuté par S. Bernard, dont il avoit l’ambition d’être le rival; mais le plus grand de tous ses malheurs fut d’abuser de la confiance du chanoine Fulbert, qui lui avoit confié l’éducation d’Héloïse sa nièce, à peine sortie de l’enfance. L’innocente écolière prit également de l’amour pour l’étude & pour le maître qui la lui faisoit chérir.

Nullâ reparabilis arte

Loesa pudicitia est.

Abailard proposa d’épouser celle sur laquelle il avoit usurpé les droits d’un époux légitime ; mais il exigeoit que le mariage fût tenu secret, & que l’enfant déjà né fût élevé sous l’ombre du mystère. Le mariage fut célébré; mais Fulbert croyant qu’il étoit de l’honneur de sa nièce, d’être connue pour épouse d’Abailard, publia leur union. Abailard détermina la tendre Héloïse à se retirer pour quelque temps au couvent d’Argenteuil. Fulbert alors, croyant qu’il vouloit la forcer d’être religieuse, pour s’en débarrasser, conçut le projet d’une horrible vengeance. Il aposta des hommes armés qui dégradèrent Abailard de la dignité d’homme. Ce malheureux docteur alla cacher sa honte dans le monastère de Saint-Denis en France, où il se fit religieux. Son amante désespérée prit le voile à Argenteuil, d’où elle sortit pour aller au Paraclet, près Nogent-sur-Seine, où son amant avoit fait bâtir un oratoire. Après bien des traverses, Abailard mourut au monastère Saint-Marcel, âgé de soixante-trois ans. Ses cendres furent déposées au Paraclet, où Héloïse les avoit fait transporter.

ABANDON (Dans le style).[modifier]

« Quand un esprit » juste & plein de chaleur, dit Voltaire, possède » bien sa pensée, elle sort de son cerveau tout » ornée des expressions convenables, comme Mi » nerve sortit tout armée du cerveau de Ju » piter ».

Après cette heureuse définition, le père de la Henriade fournira un des plus beaux exemples qu’on puisse choisir de l’abandon dans le style.

Tour les cœurs corrompus l’amitté n’est point faite;

O tranquille amitié, félicité parfaite.

Seul mouvement de l’ame oùl’excès soit permis,

Corrige les défauts qu’en moi le ciel a mis;

Compagne de mes pas dans toutes mes demeures,

Et dans tous les états, & dans toutes les heures.

Sans toi tout l’homme est seul, il peut par ton appui

Multiplier son être & vivre dans autrui.

Amitié, don du ciel, & passion du sage;

Amitié, que ton nom couronne cet ouvrage,

Qu’il préside en mes vers comme il règne en mon cœur.

Qu’on se rappelle encore ce beau trait de l’’abandon dans le style, tiré de l’oraison funèbre de M. le Tellier, chancelier de France, par Bossuet.

« Ne dites pas à ce zélé magistrat qu’il travaille » plus que son grand âge ne le peut souffrir; vous » irriteriez le plus patient des hommes. Est-on, » disoit-il, dans les places pour se reposer & »pour vivre? Ne doit-on pas sa vie à Dieu, au » prince & à l’état? Sacrés autels, vous m’êtes » témoins que ce n’est pas aujourd’hui par ces ar» tificieuscs fictions de l’éloquence, que je lui mets » en la bouche ces fortes paroles ! Sache la posté » rité, si le nom d’un si grand ministre fait aller » mon discours jusqu’à elle, que j’ai moi-même » entendu ces saintes réponses ».

ABBANCAS,[modifier]

philosophe ancien, qui, au rapport de Lucien, laissa périr dans les flammes sa femme & ses deux enfans pour sauver son ami : on lui demanda la raison de cette préférence, c’est, dit-il, qu’il est plus difficile d’avoir un ami qu’une femme & des enfans.

ABBAYES.[modifier]

Un plaisant raisonnoit ainsi : «Au » trefois l’église ne connoissoit que le vocatifs » c’étoit la vocation pure & » sincère qui en ouvroie » la porte : mais à présent on décline tous les cas. » Les nominations attachées à certaines abbayes » royales, ou accordées par les concordats & les » induits, sont le nominatif; les résignations ou » collations, qui n’ont en vue que l’intérêt du sang » & l’avancement de ses proches, sont le génitif ; » la simonie a le datif pour elle ; comme l’accusatif » est le partage du devolut; & l’ablatif, c’est quand » par violence, par procès injustes, ou par séduc » tions, on arrache un bénéfice au véritable titu » laire ».

Le père de Hugues-Capet n’étoit riche que pat les abbayes, on l’appelloit Hugues abbé.

Ogine, mère de Louis-d’Outremer, possédoie l’abbaye de Sainte-Marie de Laon, que le Roi donna ensuite à sa femme Gerberge.

La princesse de Conti, sous le règne de Louis XIV, avoit possédé l’abbaye de Saint-Denis. .

ABBÉ.[modifier]

C’est, dans le sens propre, le possesseur d’une abbaye; & dans un sens général tout homme qui porte un habit ecclésiastique.

On l’attend comme les moines font l’abbé, façon de parler proverbiale pour dire qu’on dîne toujours en attendant.

Faute d’un moine, on ne laisse pas de faire un abbé ; autre expression proverbiale qui signifie qu’on ne laisse pas de délibérer, ou de conclure une affaire en l’absence, ou malgré l’opposition de quelqu’un.

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Le moine répond comme l’abbé chante, ce qui signifie que les inférieurs ne sont pas toujours du même avis que leurs supérieurs.

Abbé de Sainte-Espérance, se dit d’un abbé qui attend un bénéfice.

Jouer à l'abbé, c’est s’amuser d’une sorte de jeu où l’on doit imiter tout ce que fait celui qu on nomme l'abbé.

Un jeune abbé est, dans le ton du monde, un jeune homme qui fait s’adoucir les yeux, montrer ses dents, rendre sa bouche petite, avoir la main douce & potelée, marcher légèrement, faire un petit conte agréablement : joignez à cela une certaine idée de volupté & de délicatesse, de la gaieté, de l’esprit, de la galanterie, & vous aurez son portrait.

L’abbé de Cosnac ayant été nommé à l’évêché de Valence, vint trouver l’archevêque de Paris, afin de prendre jour pour son sacre. « Etes-vous « prêtre, lui demanda l’archevêque? Non, dit l’abbé... . Vous êtes donc diacre?... Encore « moins. C’est-à-dire, continua l’archevêque, » que vous n’êtes que sous-diacre. Point du tout, » répliqua Vabbé .... Je n’ose pas vous interroger » davantage; j’appréhende que vous ne soyez pas « baptisé». Ce qu’il y avoit de certain, c’est que l’abbé de Gosnac n’avoit pas même la tonsure.

On demandoit à un jeune abbé s’il n’avoit point de bénéfice, il répondit que non : j’en avois un, dit-il, que mon pere avoit acheté, on lui a dit que c’étoit une simonie, il l’a revendu.

Un abbé qui assistoit à la première représentation de la tragédie de Brutus, s’étoit placé sur le devant d’une loge, quoiqu’il y eût des dames derrière lui. Il fut apostrophé par le parterre, qui lui cria à plusieurs reprises place aux dames, à bas la calotte. L’abbé impatient de ces clameurs, prend sa calotte & la jette au parterre : tiens, la voilà, parterre, tu la merites bien. Ce mot fut trouvé heureux & applaudi. On laissa l’abbé tranquille.

Un jeune abbé qui avoit toutes les grâces de son âge, figure agréable, propos galans, l’air confiant avec les femmes, & qui possédoit sur-tout l’art de chanter divinement, sollicitoit un bénéfice chez l’évêque de Mirepoix, chargé de la distribution des grâces. C’étoit un jour d’audience. Le prélat expédia tout le monde avant lui. Sur le point de rentrer dans son cabinet, il dit : « Monsieur l’abbé, des bénéfices, n’est-ce pas » ? Celui-ci baissant les yeux avec la timidité d’un séminariste, marmottoit un oui ... Alors l’Evêque qui le connoissoit bien, se met à lui chanter ou à lui dire pour toute réponse :

Quand on sait aimer & plaire

A-t-on besoin d’autre bien? &c.

ABB 3

Un abbé le Sueur fut visiter Voltaire à titre d’homme de lettres. « Monsieur l’abbé, lui dit » l’autenr de la Henriade : vous avex un beau » nom en peinture ».

Un abbé, appellé Mouton, fit assigner différentes personnes pour reconnoître les redevances dues à son abbaye. Un villageois vint le trouver, & lui demanda pourquoi il en agissoit ainsi? C’est, dit l’abbé, pour me défendre du loup. Cette réponse offensa le paysan, qui répartit : plût à Dieu que le loup vous eût mangé étant agneau, & que vous ne fussiez jamais venu mouton dans notre pays.

Un abbé qui jouissait de plusieurs bénéfices, disputoit contre un légat du pape, & lui soutenoit autorité du concile au-dessus du souverain pontife. Ou n’ayez qu’un bénéfice, lui répondit spirituellement le légat, ou croyez à l’autorité du pape.

Un ecclésiastique qui n’avoit pas toujours tenu une conduite exemplaire, sollicitoit le régent de lui accorder une abbaye. Le duc d’Orléans, fatigué enfin des demandes de cet abbé, lui dit un jour, pour s’en défaire : « Je vous conseille, Monsieur, « puisque vous voulez absolument une abbaye, » d’en fonder une, ce n’est qu’à ce titre que vous » pourrez être satisfait ».

Un abbé de qualité se présenta avec des cheveux un peu longs devant son évêque, qui étoit fils d’un chirurgien du roi; le prélat lui fit une mercuriale très-vive sur l’indécence de tels cheveux dans un ecclésiastique, l’abbé piqué sortit une paire de ciseaux de sa poche, & la présentant à son évêque: Monseigneur, lui dit-il, je ne sais point précisément la forme que doivent avoir mes cheveux, comme vous êtes fils de maître, voudriez-vous bien me la marquer. Cette saillie étoit déplacée; l’abbé ne devoit point manquer de respect à son évêque; aussi fut-il relégué dans un séminaire pour quelque temps.

Un jeune abbé à qui on pouvoit reprocher une prononciation affectée, & des gestes maniérés, prêchoit dans une ville de province; s’étant trouvé le lendemain chez le président de la jurisdiction, il se plaignit de ce que les officiers de cette jurisdiction avoient quitté son sermon pour aller à la comédie. Ces gens, répondit le président, sont de mauvais goût, de vous quitter pour des comédiens de campagne.

Un auteur tout plein d’esprit, connu par des couplets charmans, mais d’un caractère sans doute trop insouciant, en un mot, l’abbé de l’At... vivoit aujourd’hui dans la compagnie la plus choisie, & se trouvoit demain dans la plus mauvaise. Une femme aimable, qui vouloit le corriger de cet humiliant abandon, prit sur elle de lui dire un jour : « Mon cher abbé, j’ai le plus grand plaisir à vous » recevoir, mais quelquefois, je suis fâchée de

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ne pouvoir pas vous saluer quand je vous ren » contre ». « Que voulez-vous, madame, répondit naïvement l’abbé, j’allume mon flambeau au so» leil & je l’éteins dans la boue ».

L’abbé de ... qui étoit sujet, faute de mémoire, à rester court en chaire, venoit de se faire peindre. On trouva le portrait fort ressemblant, & quelqu’un dit : Il n’y manque que la parole. Ne voyez-vous pas, répartit aussi-tôt un railleur, que M. l’abbé est représenté prêchant?

Dans un chapitre de province, un jeune abbé fut tenté de se déguiser un soir pour aller au bal, & fut assez foible pour succomber à la tentation. Tous les chanoines en furent instruits, & délibérèrent sur la peine qu’ils devoient infliger au coupable. Ils s’en remirent après de longs débats, à la décision de leur doyen. «Messieurs, dit-il à « ses confrères : remettons-lui ces petites esca » pades, il s’en lassera comme nous ».

Un abbé fut mis à la bastille pour avoir paru longtemps dans le monde sous des habits de femme. Quelques avantures d’éclat le trahirent, & la cour informée de sa conduite, le fit enfermer. Il s’occupoit dans sa prison à faire des vers malins, & le plus souvent contre les personnes les plus respectables. Un de ses amis l’étant allé voir, lui demanda à quoi il passoit le temps ? A composer des chansons, lui répondit le prisonnier, cela m’amuse. Voulez-vous que je vous en dise une que je fis hier. En même temps il lui chanta quelques couplets, que son ami trouva si hardis qu’il lui dit : Es-tu fou, mon cher abbé, de composer de pareilles chansons ? Crois-moi, change d’amusement; car tu pourrois bien te repentir.... Fi donc, interrompit Y abbét tu n’y pense pas. Qu’ai-je à craindre? Ne fuis-je pas payé d’avance.

Le roi François I jouant un jour à la paume avec un abbé, fut tellement piqué d’un coup de renvoi, qu’il s’écria, dans son impatience: U’abbé, je te donne à tous les diables ;. & rhoi, sire, je vous donne à tous mes moines, qui sont bien d’autres compagnons.

L’abbé Brigalier avoit infructueuscment dépensé beaucoup d’argent pour être initié dans les mystères de la magie; condamné à rester dans son ignorance, il prétendit à force d’adresse au moins passer pour magicien. Un jour une dame de la cour oui le croyoit fort habile, ayant acheté une pièce d’étoffé rouge pour une verte, s’adressa à lui, afin qu’il la changeât en la couleur qu’elle désiroit. Le changement se fit sous les yeux de la dame, qui ne s’apperçut pas de la substitution d’une autre pièce d’étoffe, & qui par ses éloges commença la réputation de l’abbé.

Mademoiselle de Montauban, dont cet abbé étoit aumônier, se plaisoit à tous ses tours, & en parloit sérieusement au comte des Chapelles, homme

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de beaucoup d’esprit, & très-peu crédule, qui, avant que de croire, demandoit à voir. L’abbé se défendoit d’opérer, ce qu’il appelloit modestement ses merveilles, par rapport à l’interdiction dont il étoit menacé de la part de son archevêque. Cette excuse en effet très-valable, piqua la curiosité du comte, qui promit le secret le plus inviolable. L’abbé, d’accord avec mademoiselle de Montauban pour tromper le comte, n’opposoit plus qu’une foible résistance, lorsqu’une jeune demoiselle, aussi du complot, entra dans la chambre toute en pleurs, & à travers ses sanglots, proféra: mademoiselle, je suis désespérée, mon petit oiseau vient de mourir. Eh bien, répondit mademoiselle de Montauban, il n’est pas question de pleurer; ne voilà-t-il pas monsieur l’abbé qui le ressuscitera? Il a déjà fait des choses aussi surprenantes. N’a-t-il pas l’autre jour changé un poulet en un coq d’inde?

L’abbé Brigalier dit formellement qu’il n’en feroit rien; & puis, ajouta-t-il, est-ce qu’il est possible de ressusciter un oiseau qui est mort. Pressé cependant par les deux dames, il promit de les contenter, & demanda une urne pareille à celles où les anciens conservoient les cendres des morts, & comme il ne s’en trouva pas, il se servit d’une boîte de confitures, après l’avoir fait scrupuleusement examiner par le comte des Chapelles. L’oiseau mort fut placé dans la boîte, qui liée avec un ruban noir, fut placée dans un petit tour qui répondoit dans un couvent de religieuses avec lequel mademoiselle de Montauban avoit communication par sa chambre. On tourna le tour du côté des nones, qui, d’intelligence, substituèrent une pareille boîte où il y avoit un oiseau vivant, & renvoyèrent l’ouverture du tour du côté de mademoiselle de Montauban. L’abbé marmota quelques paroles, fit plusieurs signes, ouvrit la boîte & au grand étonnement du comte, & laissa envoler le petit oiseau. Dès le soir même on fit au souper du roi l’histoire de la résurrection du moineau, & le comte des Chapelles attesta qu’il en avoit été le témoin.

Le même abbé Brigalier étant à Lyon, avoit promis à plusieurs dames & des cavaliers de leur faire voir le diable. Embarrassé pour tenir sa promesse, il rencontra un petit gueux, qu’il emmena chez lui, & l’ayant habillé grotesquement, il le praça derrière un tableau qui représentoit le diable. La compagnie arrive, se place, l’abbé commence ses grotesques cérémonies, & lorsque la crainte commence à s’emparer des visages, le petit diable pousse le tableau, saute à travers le quadre, fait quelques tours dans la chambre & se sauve à la faveur d’une tapisserie par une porte dérobée. Longtemps les spectateurs ont cru avoir vu le diable, & tout Lyon assuroit alors que l’abbé Brigalier avoie un commerce intime avec le diable.

ABBESSE.[modifier]

Une abbesse étant curieuse de voir madame la Palatine de Bavière, abesse de Mau-

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buisson, mais inquiète sur la préséance & le rang, lui fit demander si la droite lui seroit donnée. Depuis que je fuis religieuse, dit madame la Palatine, je ne connois ni la droite ni la gauche que pour faire le signe de la croix.

ARISTOTE,[modifier]

surnommé le prince des philosophes, fut le chef de la secte des péripatéticiens. Il étoit né en Macédoine, l’an 384 avant J. C.

Aristote se mit dans sa jeunesse au rang des disciples de Platon. Mais ses talents naturels, son ardeur insatiable de tout savoir, ses lectures immenses, le firent de bonne heure regarder comme un génie du premier ordre. Ceux qui étudiaient avec lui ne l’appelloient que l’esprit ou l’intelligence. Strabon dit de lui qu’il fut le premier qui pense à se former une bibliothèque, & il y a lieu de croire qu’Aristote profita habilement des découvertes de ceux qui l’avaient précédé.

Aristote employa beaucoup de temps à voyager, dans le dessein de s’instruire.

Philippe, roi de Macédoine, ayant dessein de le charger de l’éducation d’Alexandre son fils. » Je rends moins graces aux dieux, lui écrivoit-il, « de me l’avoir donné, que de l’avoir fait naître

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« pendant votre vie ; je compte que, par vos » conseils, il deviendra digne de vous & de » moi ».

Aristote reçut toutes fortes d’honneurs à la cour de Macédoine ; mais la récompense la plus flatteuse sans doute que ce philofophe obtint pour tous ses soins, fut d’entendre Alexandre-le-Grand répéter souvent : je dois à mon père le bonheur de vivre, & à Aristote, de bien vivre.

Un témoignage encore plus flatteur du mérite supérieur d’Aristote, est la lettre que ce même prince, maître de la terre, lui écrivit sur les débris même des trônes qu’il venait de renverser : « J’apprends que tu publies tes traités acroatiques. » Quelle supériorite me reste-t-il maintenant sur » les autres hommes ? Les hautes sciences que tu m’as enseignées vont devenir communes ; & tu « savois cependant que j’aime encore mieux sur- « passer les hommes par la science des choses su- « blimes que par la puissance. Adieu ».

Aristote enseignoit alors la philosophie à Athénes. Les athéniens lui avaient donné le Lycée pour y fonder sa nouvelle école. Le concours des auditeurs étoit prodigieux. Le matin il enseignoit la philosophie, & le soir la rhétorique ; & comme il donnait ordinairement ses leçons en se promenant, ses disciples furent appellés Péripatéticiens.

Aristote avoit bien des rivaux jaloux de sa gloire. Ils tinrent leur haine secrette pendant la vie d’Alexandre, que l’on savoit aimer tendrement son précepteur. Mais après la mort de ce conquérant, ils osèrent se montrer plus à découvert. Ils cherchèrent à lui porter des coups plus sûrs, en se servant du ministère d’un prêtre de Cérès, qui l’accusa d’impiété devant le juge. Comme cette accusation pouvoit avoir des suites fâcheuses, & que l’exemple de Socrate étoit encore récent, le philosophe ne crut pas devoir attendre le succès du jugement, & il se retira secrettement à Chalcis, dans l’isle d’Eubée. Ses amis firent de vains efforts pour l’arrêter ; Empêchons, leur dit-il en partant, qu’on ne fasse une nouvelle injure à la philosophie, paroles qui faisoient allusion à la mort de Socrate.

Aristote étoit d’une activité si infatigable pour l’étude, que, « lorfqu’il se mettait en devoir de » se reposer, il tenoit dans la main une boule d’ai-, » rein appuyée sur les bords d’un bassin, afin que » le bruit qu’elle feroit en tombant dans le bassin » pût le réveiller ».

Un bavard lui demandait s’il ne l’avoit pas ennuyé : non, dit-il, car je ne t’écoutois pas.

Le fameux Aristote, étant près de mourir, fut prié par ses disciples de se nommer un successeur. Théophraste de Lesbos, & Ménédème de Rhodes,

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prétendaient tous deux à cet honneur. Aristote se fit apporter deux bouteilles, l’une de vin de Rhodes, l’autre de vin de Lesbos. Il goûta d’abord le premier vin, & en fut très-content : il passa ensuite au vin de Lesbos ; & lorsqu’il en eut bu : « Ces deux vins, dit-il, sont très-bons, sans » doute ; celui de Lesbos me paraît cependant » plus agréable ». Il vouloit, par cet ingénieux trait de politesse, donner honnêtement la préférence à Théophraste.