Encyclopédie méthodique/Philosophie ancienne et moderne/ÉTHIOPIENS, s. m. plur. (Philosophie des)

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ÉTHIOPIENS, s. m. plur. (Philosophie des) Histoire de la philosophie ancienne.


Les éthiopiens ont été les voisins des égyptiens & l’histoire de la philosophie des uns n'est pas moins incertaine que l’histoiire de la philosophie des autres. Il ne nous est refté aucun monument digne de foi sur l'état des arts & des sciences dans ces contrées. Tout ce qu'on nous raconte de l'Ethiopie parait avoir été imaginé par ceux qui, jaloux de mettre Apollonius de Tyane en parallèle avec Jésus-Christ, ont écrit la vie du premier d'après cetre vue.

Si l'on compare. les vies de la plupart des législateurs, on les trouvera calquées à-peu-près sur un même modèle ; & une règle de critique qui seroit assez sûre, ce seroit d'examiner scrupuleusement ce qu'elles auroient chacune de particulier, avant que de l'admettre comme vraie, & de rejetter comme faux tout ce qu'on y remarqueroit de commun. Il y a une forte présomption que ce qu'on attribue de merveilleux à tant de personnages différens, n'est vrai d'aucun.

Les éthiopiens se prétendoient plus anciens que les égyptiens, parce que leur contrée avoit été plus fortement frappée des rayons du soleil qui donne la vie à tous les êtres.

D'où l'on voit que ces peuples n'étaient pas éloignés de regarder les animaux comme des développemens de la terre mise en fermentation par la chaleur du soleil, & de conjecturer en conséquence que les espèces avoient subi une infinité de transformations diverses avant que de parvenir sous la forme où nous les voyons ; que dans leur première origine les animaux naquirent isolés ; qu'ils purent être ensuite mâles & femelles, tout à la fois, comme on en voit encore quelques-uns ; & que la séparation des sexes n’est peut-être qu'un accident, & la nécessité de l’accouplement qu'une voie de génération analogue à notre organisation actuelle.

Quelles qu'aient été les prétentions des éthiopiens sur leur origine, on ne peut les regarder que comme une colonie d'égyptiens ; ils ont eu comme ceux-ci, l’usage de la circoncision & des embaumemens, les mêmes vêtemens, les mêmes coutumes civiles & religieures ; les mêmes dieux, Hammon, Pan, Hercule, Isis ; les mêmes formes d'idoles, le même hiéroglyphe, les mêmes principes, la distinction du bien & du mal moral, l'immortalité de l'ame & les métempsycoses, le même clergé, le sceptre en forme de soc, &c. en un mot, si les éthiopiens n'ont pas reçu leur sagesse des égyptiens, il faut qu'ils leur aient transmis la leur ; ce qui est sans aucune vraisemblance : car la philosophie des égyptiens n'a point un air d'emprunt ; elle tient à des circonstances inaltérables, c'est une production du sol. Elle est liée avec les phénomènes du climat par une infinité de rapports. Ce seroit en Ethiopie, proles fine matre creata : on en rencontre les causes en Égypte ; & si nous étions mieux instruits, nous verrions toujours que tout ce qui est, est comme il doit être, & qu'il n'y a rien d'indépendant, ni dans les extravagances des hommes, ni dans leurs vertus.

Les éthiopiens s'avouoient autant inférieurs aux indiens, qu'ils se prétendoient supérieurs aux égyptiens ; ce qui me prouve contre le sentiment de quelques auteurs, qu'ils devoierit tout à ceux-ci, & rien aux autres. Leurs Gymnosophistes, car ils en ont eu, habitaient une petite colline voisine du Nil ; ils étoient habillés dans toutes les saisons à-peu-près comme les athéniens au printems. Il y avoit peu d'arbres dans leur contrée ; on y remarquait seulement un petit bois où ils s'assembloient pour délibérer sur le bonheur général de l'Ethiopie. Ils regardoient le Nil comme le plus puissant des dieux : c’étoit, selon eux, une divinité terre & eau. Ils n'avoient point d'habitations ; ils vivoient sous le ciel : leur autorité étoit grande ; c'étoit à eux qu'on s'adressoit pour l'expiation des crimes. Ils traitoient les homicides avec la dernière séverité. Ils avoient un ancien pour chef. Ils se formaient des disciples, &c.

On attribue aux éthiopiens, l'invention de l'astronomie & de l'ontologie & il est certain que la sérénité continuelle de leur ciel, la tranquillité de leur & température toujours égale de leur climat, ont dû les porter naturellement à ce genre d'étude.

Les phases différentes de la lune font, à ce qu'on dit, les premiers phénomènes célestes dont ils furent frappés ; &, en effet, les inconstances de cet astre me semblent plus propres à incliner les hommes à la méditation, que le spectacle constant du soleil, toujours le même sous un ciel toujours serein. Quoique nous ayons l'expérience journalière de la vicissitude des êtres qui nous environnent, il semble que nous nous attendions à les trouver constamment tels que nous les avons vus une première fois ; & quand le contraire est arrivé, nous le remarquons avec un mouvement de surprise : or, l'observation & l'étonnement sont les premiers pas de l'esprit vers la recherche des causes. Les éthiopiens rencontrèrent celle des phases de la lune, ils assurèrent que cet astre ne brille que d'une lumière empruntée. Les révolutions, & même, les irrégularités des autres corps célestes ne leur échappèrent pas ; ils formèrent des conjectures sur la nature de ces êtres ; ils en firent des causes physiques générales. Ils leur attribuèrent différens effets & ce fut ainsi que l'astrologie naquit parmi eux de la connoissance astronomique.

Ceux qui ont écrit de l’Ethiopie prétendent


que ces lumières & ces préjugés passèrent de cette contrée dans l'Égypte, & qu'ils ne tardèrent pas à, pénétrer dans la Lybie : quoi qu'il en soit, le peuple, par qui les lybiens furent instruits, ne peut être que de l'ancienneté la plus reculée. Atlas était de Lybie. L'existence de cet astronome se perd dans la nuit des tems : les uns le font contemporain de Moyse, d’autres le confondent avec Enoch : si l'on suit un troisième sentiment, qui explique fort bien la fable du ciel, porté sur les épaules d'Atlas, ce personnage n'en sera que plus vieux encore ; car ces derniers en font une montagne.

La philosophie morale des égyptiens se réduisoit à quelques points, qu’ils enveloppoient des voiles de l'énigme & du syrnbole : « il faut, disoient-ils, adorer les dieux, ne faire de mal à personne, s'exercer à la fermeté, & mépriser la mort : la vérité n'a rien de commun, ni avec la terreur des arts magiques ni avec l'appareil impofant des miracles & du prodige : la tempérance est la bafe de la vertu : l'excès dépouille l'homme de sa dignité : il n'y a que les biens acquis avec peine dont on jouit avec plaisir : le faste & l'orgueil sont des marques de petitesse : il n'y a que vanité dans les visions,, & dans les songes, &c. ».

Nous ne pouvons dissimuler que le sophiste, qui fait honneur de cette doctrine aux éthiopiens, ne paroisse s'être proposé secrettement de rabaisser un peu la vanité puérile de ses concitoyens, qui renfermoient dans leur petite contrée toute la sagesse de l’univers.

Au reste, en faisant des éthiopiens l'objet de ses éloges, il avoir très-bien choisi. Dés le tems d'Homère, ces peuples étoient connus & respectés des grecs pour l'innocence & la simplcité de leurs mœurs. Les Dieux mêmes, selon leur poëte, se plaisoient à demeurer au milieu d'eux. ,... ζεύζ . . . μετ αρευμόναζ . . . άσθεοπήαζ . . . έβη . . . θεοί δ' αμα παντιζ . . . . Jupiter s'en était allé, dit-il, chez les peuples innocens d’Ethiopie, & avec lui tous les Dieux. Iliad.

(Cet article est de diderot).