Encyclopédie méthodique/Physique/ANIMALCULES

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ANIMALCULES des infuſions ; animalcules microſcopiques ; c’eſt le nom qui a été conſacré pour déſigner de très petits animaux qu’on n’apperçoit en général qu’à l’aide du microſcope. Cet inſtrument, un des plus utiles que la phyſique ait inventés, nous a découvert des mondes nouveaux. Dans une goutte de liqueur, on obſerve des millions de petits animaux qui diffèrent entr’eux ſelon la nature des ſubſtances, principalement des végétaux qu’on y a fait macérer & infuſer.

Dans le vinaigre, on apperçoit ſur-tout en été un grand nombre de petites anguilles, qui ſe multiplient & groſſiſſent en peu de temps juſqu’à un certain point. Ces animaux en qui on diſtingue très bien une tête, une bouche, une queue &c. ſont d’une vivacité extraordinaire, elles font mille ondulations, & elles ſe meuvent même avec tant de viteſſe, que s’il y a trop de liquide placé ſur le porte-objet du microſcope, on eſt obligé d’attendre pour bien obſerver, qu’une bonne partie de la liqueur ſe ſoit évaporée, afin que leur mouvement ſoit conſidérablement rallenti pour appercevoir, par exemple, leur bouche.

Ces animaux paſſent avec le vinaigre même au travers d’un tamis aſſez fin, mais non au travers d’un papier brouillard ; ils périſſent ſi on fait chauffer cette liqueur même ſans la faire bouillir, ou ſi on l’expoſe pendant quelques heures au soleil. On ne trouvera point de ces animaux dans un vinaigre qui a toujours été dans une bouteille bien bouchée.

Lorſqu’on a fait infuſer à froid des grains de poivre noir dans de l’eau ordinaire, on y apperçoit de même, au bout de quelques jours, une multitude étonnante de petits animalcules bien différens de ceux du vinaigre ; leur figure eſt ovale, & leurs mouvemens ſont néanmoins très-rapides. Il y en a qui, après avoir parcouru une ligne droite, tournent ſi vîte autour d’un point près de leur tête, ou ſur leur centre de figure, que d’ovales ils ſemblent devenir circulaires, après quoi ils s’élancent à une certaine diſtance avec une promptitude extrême. Il y en a qui ont la tête hupée ou plutôt garnie de poils.

Dans une infuſion de poivre long, on découvre des animaux différens ; ils peuvent ſoutenir les plus grands froids, & ſe conſervent même en vie au-deſſous d’une glace d’environ deux lignes d’épaiſſeur.

Le ſéné, infuſé à froid, préſente des petits vers blancs, dans le corps desquels on diſtingue de petits anneaux, & de grandes diversités.

Des infuſions d’œillets, de roſes, de jaſmins, de bluets & de différentes autres eſpèces de fleurs ; des infuſions d’écorce, de feuilles, &c, de toutes ſortes de plantes, offrent des diverſités ſingulières dans les figures des animalcules : elles varient encore plus, lorſque les infuſions ſont compoſées de plantes de différens genres ou eſpèces ; le foin & la paille infuſés préſentent cinq ou ſix ſortes d’animaux vivans, différens en couleur, en groſſeur, en figure ; en mouvemens ; & on peut ajouter que dans la plupart des autres infuſions, on ne trouve pas de plus gros animaux, de plus transparens & de plus nets, ni qui durent plus long-temps que ceux-ci.

L’eau qui eſt renfermée dans les écailles des huitres, au bout de trois ou quatre jours, offre à la vue une aſſez grande quantité de petites huitres, belles, tranſparentes, dans lesquelles on diſtingue très-bien la tête & le reſte du corps. La forme de leur corps eſt changeante ; on les voit ſe plier & ſe replier en différentes manières. Leur mouvement eſt quelquefois direct, & d’autres fois circulaire : on les apperçoit ſouvent s’entre-choquer, & par là interrompre leur courſe. Ceux qui ſeront curieux de connoître plus en détail les obſervations précédentes, pourront conſulter l’ouvrage de Joblot, imprimé à Paris en 1718.

Pluſieurs obſervateurs, entr’autres, Linné, Buffon, Needham, ont prétendu que les corpuſcules en mouvement, qu’on remarque dans différentes infuſions, n’étoient pas des animalcules. Le premier de ces ſavans lui même, qui, ſans balancer, plaçoit au rang des animaux l’éponge, dont l’animalité eſt ſi incertaine, doute ſi les animalcules d’infuſion ſont des corps vivans, pourvus d’organes, ou quelques petites portions de sel & d’huile. Au jugement de ce grand naturaliſte, on peut oppoſer celui des obſervateurs les plus exercés & les plus exacts, de Joblot, Baker, Trembley, Reaumur, Roëſel, Ledermüller, Bonnet, Wrisberg, Pallas, Munchauſen, Goëze, Wagler, Roffredi, Téréchowsky, Hermann, &c. Ils ont observé cent & cent fois, dans ces petits corpuſcules, un mouvement ſpontané dans toutes les directions, accéléré ou rallenti à volonté, différent dans les diverſes eſpèces ; la faculté de ſe tourner de tous les côtés, de ſe tenir en repos, de ſe mouvoir de nouveau, d’éviter les objets qui ſe préſentent, de ſentir ceux qui leur nuiſent, & de s’en tenir éloignés, ils y ont vu le mouvement des organes intérieurs & extérieurs, celui du cœur & des inteſtins, l’expulſion des excrémens manifeſtée dans quelques eſpèces, l’accroiſſement, le changement dans la ſituation reſpective des parties, une fuite précipitée vers les reſtes de la goute de liqueurs qui s’évapore, une ſollicitude inquiète à ſaiſir ce dernier refuge d’une vie momentanée, le mouvement des organes qui aſpirent l’eau, plus accéléré dans ces derniers inſtans, languiſſant & enfin nul au moment de la mort. Ajoutons la copulation à peine douteuſe dans un petit nombre, & obſervée avec certitude dans quelques-uns par M. Fabricius[1]. D’après toutes ces obſervations, il n’eſt certainement plus poſſible de révoquer en doute l’animalité de ces êtres, & de ne pas admettre l’exiſtence des animalcules des infuſions.

M. l’abbé Needham dit dans ſes nouvelles obſervations microſcopiques qui parurent en 1750, qu’il a vu pluſieurs petits corps mouvans ſur différentes matières ; par exemple, on a apperçu ſur de petits grains de ſable paſſés au tamis, un animalcule qui a un grand nombre de pieds, & le dos blanc & couvert d’écailles. On a trouvé de petits animaux reſſemblans à des tortues, dans la liqueur des puſtules de la galle. On a vu dans l’eau commune, expoſée pendant quelque temps à l’air, quantité de petits corps mouvans, de différentes groſſeurs & de différentes figures, dont la plupart ſont ronds ou ovales. Leuwenhoeck eſtime que mille millions des corps mouvans que l’on découvre dans l’eau commune, ne ſont pas ſi gros qu’un grain de ſable ordinaire. » Le dernier obſervateur ajoute encore qu’il a trouvé dans un chabot, plus d’animalcules que la terre ne peut porter d’hommes. On ſait que M. Paulin a prétendu que tout étoit plein de vers imperceptibles à la vue simple, & d’œuf de vers, mais qui n’écloſent point par-tout indifféremment. M. de Maleſieu a vu de ces animalcules microſcopiques qui étoient vingt-ſept millions de fois plus petit qu’une mite.

Nous ne parlerons point ici des animaux microſcopiques qu’on obſerve dans la liqueur ſpermatique. Hartfoeker, & enſuite Leuwenhoek, ont cru que le fœtus n’étoit qu’un de ces vers qui ſe développoit, & qu’il n’y en avoit qu’un ou deux, ſelon les eſpèces, qui échappoient à mille cauſes de deſtructions, & que ces vers étoient de pères en fils contenus les uns dans les autres dans la ſemence des mâles. M. de Buffon penſe que ces corps mouvans ſpermatiques, ne ſont pas de vrais animaux, mais ſeulement des molécules organiques, vivantes & propres à former un nouveau corps organiſé de la même nature que celui dont elles ſont extraites. Mais quand même ce ſeroient de vrais animaux que ces petits êtres mouvans, ainſi que le croient d’autres obſervateurs, il ne s’enſuivrait pas que l’opinion de Hartfoeker fût vraie ; car on apperçoit auſſi, dit-on, de ſemblables animalcules dans la ſemence des femelles ; & d’un autre côté, ces vers ſont dans les liqueurs ſpermatiques de tous les individus, comme ils ſont dans toutes les autres liqueurs.

Quoique la plupart des naturaliſtes & phyſiciens obſervateurs aient parlé des petits animaux que le microſcope fait découvrir dans les eaux imprégnées de particules de ſubſtances animales & végétales, cependant tous, depuis Leuwenhoek juſqu’à Spallanzani, dans l’intervalle d’un ſiècle, ont négligé d’en déterminer diſtinctement les eſpèces, ce qui eſt bien plus difficile qu’une ſimple obſervation. M. Hille eſt le premier qui ait oſé inſérer dans le genre animal d’un petit nombre d’eſpèces des animalcules d’infusion. M. Müller, ſavant naturaliſte danois, qui a conſacré tous ſes travaux à l’étude de cette branche de l’hiſtoire naturelle, a fait un ouvrage très-étendu ſur cette matière, que le ſavant Othon Fabricius a publié après la mort de ſon ami, ſous ce titre : Animalcula infuſoria, fluviatilia & marina, quæ detexit, ſyſtematice deſcripſit et ad vivum delineari curavit, &c. 1786, in-4°. 4.

M. Müller diviſe les petits animaux microſcopiques, en animalcules d’infufion & en bullaires. Les premiers paroiſſent très-petits, même à l’œil armé, ont la plus grande affinité avec les ſpermatiques, ſont homogènes, gélatineux, ſans diſtinction des parties. Les bullaires ſont la plupart microſcopiques, aquatiques, hétérogènes, membraneux : on y diſtingue des parties internes & externes. La propagation eſt incertaine dans la première de ces claſſes ; celle de la ſeconde ſe fait dans quelques eſpèces par les œufs, par les fœtus vivans, par une eſpèce de bourgeons, & par la ſéparation tranſversale ou longitudinale, qu’un obſervateur trop précipité pourroit prendre pour une copulation.

Quelques obſervateurs ont cru que parmi les animalcules, les plus grands dévorent les plus petits pour s’en nourrir. Mais M. Müller prétend que c’eſt une erreur, & que les petits animalcules ne ſont qu’arrêtés dans les cils ou poils dont quelques eſpèces ſont pourvues, & ſont rejetés enſuite encore vivans. On trouve des animalcules dans les eaux les plus pures, dans leſquelles on n’aperçoit aucune partie végétale ; mais on en aperçoit un plus grand nombre dans les liquides putréfiés ; cependant il n’y en a pas dans toutes les liqueurs putrides : on en voit encore dans celles qui le ſont au plus haut degré, & même après que la fermentation putride a ceſſé.

Il y a des eſpèces d’animalcules qui vivent pluſieurs jours, d’autres pluſieurs ſemaines, quelques-uns pluſieurs mois, & même une année, dans une eau renouvelée ſans être fétide. Aucune expérience n’a pu faire voir à M. Müller, non plus qu’à MM. Spallanzani & Wrisberg, la réſurrection des animalcules bullaires.

Division méthodique des animalcules selon M. Müller

Ire. Classe. Animalcules qui n’ont aucun organe extérieur.

Ire. Classe. Sect. 1re. An. épais (craſſiuſcula) 5 g.

Ire. Classe. Sect. 2e. An. membraneux. 5 genres.

IIe. Classe. Animalc. pourvus d’organes extérieurs.

Ire. Classe. Sect. 1re An. nus, 6 genres.

Ire. Classe. Sect. 2e. An. teſtacées (teſta tecta). 1 g.

Ces 17 genres comprennent 378 eſpèces, dont M. Müller donne les deſcriptions, avec les ſynonymes, & les infuſions dans leſquelles on les obſerve.

La variété des formes de ces différens animalcules eſt très-grande. Il y en a de ronds, d’ovales, d’oblongs, de quarrés, d’anguleux ; quelques-uns ſont droits, d’autres courbes, ſphériques, plats, concaves, obtus, pointus, en forme de fleurs, de plantes, d’oiſeau, de poiſſon, de coquillage, de cloporte, de ſcolopendre, de limaçon, de hériſſon, de cornet, &c. Dans la plupart des trichodes, on découvre très-distinctement les organes & leurs mouvemens ; par exemple, dans le trichoda pocillum, on voit la bouche s’ouvrir ; on aperçoit les mâchoires, le muſcle & les cils de la bouche, les articulations & les poils de la queue. Quant aux couleurs, elles ſont moins variées que les formes ; on y trouve le blanc, le jaune, le rougeâtre, le verd, le gris & le brun. L’obſervation de ces phénomènes recule vraiment les bornes connues de la nature, & offre à la curioſité & aux recherches des savans, un nouveau monde. Chaque brin d’herbe, comme le dit à cette occaſion, M. de Kéralio, en parlant de l’ouvrage de M. Müller ; chaque feuille, chaque particule de fleur, de bois, de tout être organiſé, eſt enceint de pluſieurs milliers d’êtres vivans. Le plus petit de ces fœtus a des organes compoſés de parties, & eſt peut-être enceint lui-même d’une ſucceſſion de fœtus ſemblables. Et ſi ce monde, infiniment petit, étonne & confond l’imagination ; elle n’eſt pas moins accablée, en concevant qu’il peut exiſter un autre monde infiniment grand dans quelque partie de l’immenſité.

Conſidérons ici ſeulement deux des eſpèces de ces animalcules. Le volvox globator « eſt un globule diaphane, verd, enceint de globules plus petits, d’un verd foncé : ſa couleur devient blanchâtre & orangée. Il ſe propage de cette manière : la membrane ſe fend ; les petits globules en ſortent & deviennent des animalcules semblables à la mère, qui meurt en donnant la vie. Le volvox végétant eſt ſemblable à une petite plante qui porte à l’extrémité tranſparente de ſes branches, de petites roſes compoſées de très-petits corpuſcules ovales & diaphanes. On voit enſuite ces petites fleurs ſe détacher de leur ſupport & nager librement dans la liqueur. »

  1. Nov. act. ſociet. ſcient. Haſn. Dœnice. tom. II, pag. 240, 246.