Encyclopédie méthodique/Physique/APODOPNIQUE

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APODOPNIQUE, ſoufflet apodopnique, c’eſt-à-dire, ſoufflet propre à rétablir la reſpiration dans les perſonnes tombées en aſphixie. Lorſqu’on examine quels ſont les ſecours qui ont eu des ſuccès dans le traitement de l’aſphixie, on verra que ce n’eſt qu’en rappelant l’irritabilité, & en ranimant la circulation au moyen du rétabliſſement de la reſpiration, que ces ſecours ont eu de l’efficacité : auſſi la ceſſation de la reſpiration eſt-elle aſſez généralement regardée comme la véritable cauſe de la mort des aſphixiques ; c’eſt pourquoi le moyen qui rétablira le plus promptement & le plus aiſément cette fonction, eſt le meilleur ſecours contre l’aſphixie.

De tout temps l’inſufflation de l’air dans les poumons, a été conſeillée & pratiquée avec ſuccès ; mais ce moyen avoit pluſieurs inconvéniens attachés à ſon uſage, entr’autres celui d’injecter, dans les poumons de l’aſphixique, un air moins propre à la reſpiration ; car on ſait que l’air, tel qu’il ſort des poumons, a perdu en plus ou moins grande quantité ſon air vital, ſeul fluide d’entretenir la vie des animaux, & qu’il ne contient preſque plus que ce gaz méphitique auquel les modernes ont donné le nom de mofette atmoſphérique.

L’uſage du ſoufflet ordinaire pour injecter de l’air dans le poumon, n’eſt pas ſans défaut. L’air qu’il fournit, eſt, à la vérité, auſſi pur que celui que procure l’atmoſphère qui l’entoure ; mais on n’eſt point aſſuré que par le moyen de ce ſoufflet, on introduiſe de l’air dans les poumons. La raiſon en eſt que les poumons d’un aſphixique étant déjà remplis d’un air méphitique, il faut, pour y injecter du nouvel air, en extraire indiſpenſablement celui qui s’y trouve. Les gaz méphitiques étant auſſi plus pesans que l’air atmoſphérique, fourniſſent encore un nouvel obſtacle à leur déplacement. Il faut donc trouver un moyen qui commence par pomper le gaz contenu dans les poumons, & qui lui rende au même inſtant un air pur & propre à la reſpiration.

M. de Gorcy, phyſicien de Neuf-Briſack, a imaginé récemment un inſtrument propre à obtenir ces effets, & lui a donné le nom de ſoufflet apodopnique. Il eſt compoſé de deux corps de ſoufflets joints enſemble, ſans communication de l’un à l’autre. Le feuillet extérieur de chacun de ces ſoufflets, a une ouverture pratiquée pour y adapter une ſoupape. La partie inférieure par où l’air doit ſortir, eſt faite auſſi de manière à recevoir deux autres ſoupapes. À un pouce environ de ces ſoupapes, les deux conduits qui communiquent dans l’intérieur de chaque ſoufflet, ſe réuniſſent en un ſeul, terminé par un tuyau flexible, & dont l’extrémité eſt arrondie en canule, laquelle doit faire un coude, afin d’y être introduite plus facilement dans les narines.

Les ſoupapes ſont faites comme celles de la machine pneumatique de Nairne. C’eſt une gorge de cuivre, fermée à un bout par une plaque de même métal, laquelle plaque eſt percée de ſix petits trous également éloignés les uns des autres. Cette plaque eſt recouverte d’un morceau de taffetas gommé, auquel on fait une petite inciſion tranſversale, de deux ou trois lignes, placée entre deux petits trous, dont elle eſt également diſtante. On a soin de fixer le taffetas, au moyen d’un fil fort, & tourné à l’entour de la gorge de cuivre. Cela poſé, ſi l’on ſouffle par le côté de la plaque oppoſée au taffetas, l’air paſſant au travers des trous de la plaque, ſoulève le taffetas, & s’échappe par les inciſions placées entre les trous. Si au contraire on ſouffle de l’autre côté, l’air applique le taffetas ſur l’ouverture des petits trous, & les ferme exactement.

Ceci ſuppoſé, voici, d’après M. de Gorcy, la manière de placer ces ſoupapes. La première ſoupape Α s’adapte ſur le trou du feuillet Α, figure 249, & le côté de la plaque qui porte le taffetas, eſt placé dans l’intérieur du ſoufflet ; ce qui permet à l’air extérieur de pénétrer dans le ſoufflet, & l’empêche de refluer au-dehors. La ſeconde ſoupape eſt poſée à l’extrémité du ſoufflet Α par où l’air doit ſortir ; elle eſt dans un ſens contraire à la première, c’eſt-à-dire, qu’elle doit laiſſer ſortir l’air contenu dans le ſoufflet, & l’empêcher d’y rentrer. La troiſième ſe trouve à côté de la ſeconde ; mais placée dans le paſſage intérieur du ſoufflet D, elle fait le même effet que la première, c’eſt-à-dire, qu’elle livre à l’air extérieur l’entrée du ſoufflet, mais lui en défend la ſortie. La quatrième enfin reſſemble à la deuxième, en ce qu’elle laiſſe ſortir l’air de l’intérieur du ſoufflet D, où elle occupe la même place que la première du ſoufflet Α, & elle empêche l’air de l’extérieur d’y entrer. L’extrémité inférieure des deux ſoufflets, quoique percée par deux canaux différens au-deſſus des ſoupapes, eſt cependant terrninée par un même tuyau, parce que l’air qui doit ſortir & rentrer par ce canal, ne le fait qu’alternativement, quoique les mouvemens des ſoufflets ſoient ſimultanés.

Tout étant ainſi préparé, après avoir introduit la canule du tuyau flexible dans une narine, & tenant le ſoufflet par les deux manches L & M, on fait fermer exactement la bouche & l’autre narine, alors on déploie ſeulement le ſoufflet, & voici ce qui arrive : le côté Α reçoit l’air extérieur par la ſoupape Α, & nullement par la ſoupape B du tuyau. Le ſoufflet D, au contraire, ſe remplit par la ſoupape C, la ſoupape D reſtant fermée. Mais comme le tuyau communique avec l’air du poumon, c’eſt donc l’air qui ſe trouvoit dans cet organe qui a paſſé dans le ſoufflet D. Si on affaiſſe enſuite le ſoufflet, le côté Α, qui eſt rempli d’air extérieur, le portera dans le poumon, & le côté D ſe vuidera de celui qu’il a pompé dans cet organe. En continuant la même manœuvre, on obligera, par ce moyen, la poitrine de l’aſphixié d’exécuter le mouvement de la respiration. Mais on doit bien prendre garde de précipiter le mouvement du ſoufflet, car il faut imiter parfaitement la reſpiration naturelle.

La feuille qui ſépare les deux ſoufflets a auſſi un petit manche, afin de pouvoir fixer un des ſoufflets, lorſqu’on voudra n’en faire agir qu’un. Les ſoupapes Α & D ſont fermées extérieurement par un couvercle percé de pluſieurs petits trous pour laisser paſſer l’air. Ce couvercle eſt viſſé & n’eſt fait que dans l’intention d’empêcher l’approche des corps externes qui pourraient endommager le taffetas des ſoupapes.

Les bords extérieurs des ſoupapes Α & D ſont travaillés en vis pour recevoir le couvercle ; mais cette vis a auſſi une autre deſtination. Dans le cas où l’on voudra employé le gaz déphlogiſtiqué, ou air vital, au lieu de l’air commun, elle doit ſervir à recevoir l’extrémité d’un tuyau flexible, qui eſt adapté à une veſſie remplie de ce gaz. Alors le ſoufflet Α pompe l’air de cette veſſie, pour l’injecter dans les poumons ; mais comme l’air vital peut ſervir pluſieurs fois à la reſpiration, & que par conséquent il eſt avantageux de ne point perdre celui qui n’a ſervi qu’une ou deux fois, on peut adapter auſſi à la ſoupape D un tuyau ſemblable au premier, mais beaucoup plus long, dont l’autre extrémité ira ſe perdre dans la même veſſie. Par ce moyen on ne perdra point d’air vital, & on le fera reſpirer autant de fois qu’on le déſirera.

Nous plaçons à la ſuite de cet article le mot pompe apodopnique, parce qu’on en comprendra mieux l’uſage après celui du ſoufflet.

Apodopnique, pompe apodopnique. Cette machine dont le but, ainſi que celui du ſoufflet apodopnique, eſt de rétablir le mécaniſme de la reſpiration dans les perſonnes aſphixiées, eſt compoſée de deux cylindres de cuivre, égaux en hauteur & en diamètre, renfermant chacun un piſton : ces deux piſtons s’élèvent & s’abaiſſent enſemble par le moyen d’une manivelle commune. À la baſe de chaque cylindre ſont deux ſoupapes, l’une placée à la partie poſtérieure, l’autre du côté oppoſé, & toutes deux mobiles, de manière qu’elles deviennent réciproquement antagoniſtes dans les mouvemens alternatifs du piſton. La ſoupape poſtérieure du cylindre gauche, (la machine vue antérieurement) s’ouvre de dehors en dedans quand le piſton monte, & c’eſt par cette entrée que le cylindre reçoit l’air atmoſphérique, qui remplit alors tout l’eſpace qui ſe trouve depuis la baſe du cylindre juſqu’à la hauteur du piſton. On peut appeller cette ſoupape, ſoupape atmoſphérique. En même temps l’autre ſoupape eſt deſtinée à s’ouvrir du dedans au dehors, quand le piſton deſcend. Pendant ce ſecond mouvement, l’autre ſoupape ſe ferme, comprimée par l’air atmoſphérique, foulé par le piſton. Ce fluide devant ſe porter où il y a moins de réſistance, traverſera conſéquemment la ſoupape ouverte qu’on peut nommer ſoupape pulmonaire. Si on ſuppoſe qu’à cette ſoupape, il y ait une branche de tuyau, que ce tuyau ſoit prolongé par un petit cylindre de cuir ſouple, mais parfaitement clos, & qu’on conduiſe ce tube de cuir juſque dans la plaie, faite par la bronchotomie ; (dans les cas où la mâchoire d’un aſphixique eſt tellement ſerrée qu’on ne pourrait injecter de l’air par la bouche) : alors on aura la route exacte que prend l’air pour arriver dans les poumons.

Le ſecond cylindre ne diffère du premier que par la diſpoſition de ſes ſoupapes. La ſoupape pulmonaire à laquelle ſe trouve également viſſée une autre branche du tuyau dont on a parlé, & qui ſe termine également par le petit tuyau de cuir, s’ouvre de dehors en dedans, quand le piſton monte & attire par ce moyen l’air des poumons, pour venir ſe perdre dans l’intervalle du cylindre que laiſſe libre l’aſcenſion du piſton. Lorſqu’on fera deſcendre le piſton, cette ſoupape ſe fermera, tandis que l’autre s’ouvrira du dedans au dehors, pour laiſſer paſſer l’air inſpiré par la ſoupape pulmonaire.

Tout étant ainſi diſpoſé, il paroît, dit M. Heus Courtois, auteur de cet inſtrument, dans ſon mémoire ſur les aſphixies, 1o. que chaque cylindre fait une inſpiration, quand chaque piſton monte ; à ſavoir, le cylindre gauche inſpire l’air extérieur par ſa ſoupape atmoſphérique ; le cylindre droit inſpire l’air des poumons de l’aſphixié par la ſoupape pulmonaire, ce qui produit dans le patient une expiration proprement dite. 2o. Quand les piſtons deſcendent, chaque cylindre fait une expiration ; à ſavoir, le cylindre gauche par ſa ſoupape pulmonaire ſe débarraſſe en faveur des poumons, de l’air qu’il a inſpiré par ſa ſoupape atmoſphérique ; ce qui forme pour le patient une inſpiration proprement dite ; & le cylindre droit par ſa ſoupape atmoſphérique, ſe débarraſſe de l’air qu’il a reçu des poumons par ſa ſoupape pulmonaire.

Comme l’expiration de l’aſphixié, déterminée par le jeu des ſoupapes, attire au dehors tout le fluide ſpumeux ſtationnaire dans les bronches, & qu’à la longue cette écume ramaſſée dans le cylindre, pourrait en troubler la manœuvre, l’auteur de cet inſtrument a pratiqué, au fond du cylindre, une gouttière dont la partie la plus large & la plus élevée commence au bas de la ſoupape pulmonaire, pour se terminer, en s’inclinant, au bord poſtérieur de la ſoupape atmoſphérique ; c’est un égout par lequel s’échappe le fluide dont il faut débarraſſer les poumons. On peut, en élevant plus ou moins le piſton déterminer la quantité d’air qu’il faut injecter dans les poumons à chaque inſpiration, ſelon que la machine ſera appliquée à un homme ou à un enfant.

On a ſoumis divers animaux à l’effet de cette pompe apodopnique ; & auſſitôt on a vu leurs poumons ſe dilater & ſe reſſerrer ſelon le mouvement d’élévation & d’abaiſſement imprimé aux piſtons. On a même pouſſé plus loin l’expérience ; & après avoir coupé quelques tranches de la ſurface d’un poumon, on a vu & ſenti l’air s’échapper par toutes les routes qu’avoit ouvertes la ſection, & ces mêmes routes ſe reſſerraient dans l’inſpiration de la pompe. Cette pompe eſt donc une machine qui reſpire ; mais, par l’appareil qui l’accompague, elle ne peut reſpirer qu’en faveur de l’organe qui ne reſpire plus, & elle lui communique ſes deux états de reſpiration complète. Les cylindres de la pompe de M. Heus, & les poumons de l’aſphixié, ſont entr’eux dans le même rapport de mouvement que les ventricules du cœur & les oreillettes ſuppoſées.