Encyclopédie méthodique/Physique/AQUEDUC

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AQUEDUC. Ce mot déſigne en général tout canal qui ſert à conduire les eaux d’un endroit à un autre. Pour cet effet, il faut avoir des eaux en quantité ſuffiſante dans un lieu, ou les y raſſembler par art, pour les conduire où le beſoin l’exige. On doit niveler tout le terrain pour connoître la pente néceſſaire pour cette conduite ; on conſtruit enſuite des canaux, &c., ainſi qu’on l’expliquera dans un inſtant. Les aqueducs peuvent être faits dans la terre ou au-deſſus de la ſurface de la terre ; ils ſont ou anciens ou modernes. On donnera dans cet article une idée ſuffiſante des uns & des autres.

Lorſqu’on a découvert de l’eau dans un lieu, & qu’on veut la conduire dans un autre endroit, l’on creuſe dans le premier terrain, de petits puits éloignés les uns des autres de 25 ou 30 pas ; on les joints par des tranchées qui reçoivent les tranſpirations de l’eau, & la conduiſent vers le lieu où l’on veut qu’elles ſe rendent. Avant de commencer ce travail, l’on fait un nivellement, afin de profiter de la pente que le terrain pourra présenter naturellement, ou pour en donner une au fond de la tranchée, obſervant, autant que cela ſe peut, de côtoyer les montagnes, parce que les eaux qui en proviennent ſont abondantes & ſaines ; mais il faut prendre garde, en approfondiſſant, de percer les lits de tufs ou de glaiſes qui retiennent l’eau, autrement on pourroit la perdre.

Après avoir creuſé la tranchée à une profondeur conſidérable, donné aux terres un talus proportionné à leurs qualités, réglé la pente de fond, & pouſſé de diſtance en diſtance, à droite & à gauche, des rameaux en forme de patte d’oye, pour raſſembler le plus d’eau que l’on pourra ; l’on étend ſur le fond un lit de terre glaiſe bien battu, enſuite l’on conſtruit une pierrée, c’eſt-à-dire, deux petits murs de pierre poſée à ſec, d’un pied d’épaiſſeur, ſur 18 pouces de hauteur, régnant le long des berges, pour former un petit canal de 8 à 9 pouces de largeur, vers la naiſſance de la tranchée qu’on élargit, à meſure que la conduite eſt plus longue, & que les eaux deviennent plus abondantes. On recouvre enſuite ce canal avec des dalles ou pierres plates, ſur leſquelles on poſe du gazon renverſé, pour empêcher qu’en recomblant la fouille, il ne tombe rien ſur le fond.

Il eſt à propos de former de 50 toiſes en 50 toiſes des puiſards, c’eſt-à-dire, des petits puits de trois pieds de diamètre, ſur ſix environ de profondeur, meſuré au deſſous du fond de la conduite ; ces puits ſont deſtinés à recevoir le ſable & le limon que les eaux entraînent avec elles ; c’eſt pourquoi il faut les revêtir de bonne maçonnerie de brique, enveloppée d’un courrois de terre glaiſe, pour que l’eau ne s’y perde pas. On cure ces puiſards deux fois l’an.

Après avoir, en traverſant le terrain qui fournit de l’eau, pouſſé le canal de pierrée auſſi loin que vont les filtrations, l’on ſe ſert enſuite de tuyaux pour continuer la conduite juſqu’à l’endroit où l’on veut qu’elle ſe rende, ce qui peut ſe faire ſimplement avec des tuyaux de bois ou de grès, lorſqu’on ne rencontre en chemin ni fond ni éminence conſidérables, mais ſeulement des pentes & des contre-pentes douces, le long deſquelles l’eau n’eſt point aſſez forcée pour mettre ces ſortes de tuyaux en danger de crever, autrement il faudroit en employer de fer coulé pour former le reſte de la conduite, ou ne s’en ſervir qu’aux endroits qui en demandent indiſpenſablement.

Les tuyaux de fer ne ſont en uſage que depuis 1672. M. Francini eſt le premier qui en ait fait conſtruire de cette eſpèce, leur longueur n’étoit anciennement que de 3 pieds ; on en fait actuellement de plus longs. Ils ſont accompagnés de brides ; on y met des rondèles de cuir ; des couches de mortier à froid ; enſuite l’on ſe ſert de vis & d’écrous, compoſés de bon fer.

De quelque eſpèce que ſoient les conduites, il faut les accompagner de diſtance en diſtance de regards, pour éprouver les parties qui tiennent ou perdent l’eau : ces regards ne ſont autre choſe que de petits puits ou cheminées par leſquels l’on découvre les tuyaux pour mettre l’eau en décharge. L’on y pratique auſſi des ventouſes, c’eſt-à-dire, de petits tuyaux verticaux ſur la conduite, pour laiſſer échapper l’air entraîné par l’eau, & qui pourroit la faire crever.

L’on peut ſe ſervir d’aqueducs ſouterrains, pour amener l’eau tout naturellement juſqu’à ſa deſtination, ſans être obligé de ſe ſervir de tuyau, lorſque le terrain le permet ; alors on fait un petit canal bien pavé en mortier de ciment, dans le fond de l’aqueduc, accompagné de deux banquettes, pour en faire la viſite, & en faciliter l’écurement.

Un des plus beaux aqueducs ſouterrains qu’on ait en France, eſt celui d’Arcueil, qui ſert à conduire dans une rigole l’eau de pluſieurs tranchées de recherches faites en pierrées dans les campagnes de Rongis, Paret, Coutin. Cet aqueduc a 7 000 toiſes de longueur ; il est conſtruit en pierres de taille, depuis le vallon d’Arcueil juſqu’au château d’eau qui eſt à la porte Saint-Jacques ; ſa pente eſt de 6 pouces, ſur 200 toiſes, & la rigole eſt accompagnée de deux banquettes de 18 pouces de largeur, ſur leſquelles on peut marcher juſqu’au deſſus du village d’Arcueil. Sa hauteur, depuis le fond de la rigole juſqu’au deſſous de la clef, eſt de 6 pieds, excepté en quelques endroits, où on a été obligé d’en donner moins pour s’aſſujettir aux grands chemins ſous leſquels il paſſe.

Un autre aqueduc de cette eſpèce, eſt celui de Rocquancour, qui amène l’eau à Versailles ; ſa longueur eſt de 1 700 toiſes, ayant en tout trois pieds de pente ; qui eſt tout ce qu’on a pu lui en donner. Pour le conſtruire, on a été obligé, en pluſieurs endroits, de faire des fouilles de 14 toiſes de profondeur ; ce qui en a rendu l’exécution très-difficile : l’on fit 150 regards ſur la longueur de cet aqueduc, qui n’étoient point placés à égale diſtance, mais ſeulement aux endroits qui pouvoient faciliter le transport des matériaux. Voyez l’architecture hydraulique de Belidor.

Lorſqu’on trouve des facilités pour conduire l’eau dans une rigole, & qu’on ne peut ſe diſpenser de la faire paſſer par des vallons profonds, il faut, pour continuer le niveau de pente, ſoutenir les eaux ſur des aqueducs de maçonnerie élevés par des arcades ; c’eſt ainſi qu’en ont uſé les romains pour amener de bonnes eaux dans les villes, comme le font voir les veſtiges qui reſtent de leur magnificence, aux environs de Niſmes, d’Arles, de Frejus, de Metz, de Ségovie, &c. Des ſources abondantes rempliſſoient un réſervoir ; de là l’eau étoit conduite par des canaux ſouterrains de pierre de taille, & ſouvent ſi ſpacieux, qu’un homme pouvoit y marcher debout ; quelquefois ces canaux traverſoient des rivières ſur de hautes & ſuperbes arcades, comme on le voit au pont du Gard en Languedoc, & ſur la moſelle, près de Metz. À l’aqueduc de Ségovie il reſte encore à présent plus de 150 arcades, toutes formées de grandes pierres ſans ciment ; elles ont avec le reſte de l’édifice, plus de cent pieds de haut. Cet aqueduc traverſe la ville, & paſſe par-deſſus la plus grande partie des maiſons.

M. Delorme, de l’académie de Lyon, a fait connoître, par un mémoire qu’il lut dans une aſſemblée de cette ſociété, une partie des travaux immenſes que les romains avoient faits pour amener de l’eau de toutes parts à la ville de Lyon. Quelle dépenſe & quelle hardieſſe n’a-t-il pas fallu pour franchir les montagnes qui ſont entre Feur, Saint-Étienne, Saint-Chaumond & Lyon ! ſi l’on mettoit bout à bout tous les aqueducs qui ont été faits en différens temps pour amener de l’eau à Lyon, ils occuperoient une étendue de plus de ſoixante lieues de long.

Rome moderne ſe ſert encore des aqueducs que conſtruiſirent ſes premiers habitans, il y a près de 2 500 ans. Tous les aqueducs qui conduiſoient les eaux à l’ancienne Rome, pris enſemble, avoient plus de cent lieues de long.

L’aqueduc que les Romains conſtruisirent aux environs de Nîmes, avoit ſept lieues de long ; le pont du Gard en faiſoit partie. La deſcription de celui-ci mérite de trouver ici une place. Il fut conſtruit pour amener dans cette ville les eaux des fontaines d’Airan & d’Eure, qui prennent leur ſource près d’Uzès. Trois rangs d’arches à plein ceintre, poſées les unes ſur les autres, conſtituent ce fameux pont ; le rang le plus bas a ſix arches, de 10 toiſes 2 pieds de hauteur & 83 toiſes de longueur ; les eaux de la rivière paſſent ordinairement ſous la cinquième arche, qui a 13 toiſes d’ouverture ; le ſecond rang a 11 arches, 10 toiſes de hauteur, & 133 toises 2 pieds de longueur : le troiſième rang a 35 arches, 4 toiſes de hauteur & 136 toiſes 3 pieds de longueur : l’élévation totale du pont, depuis le niveau de l’eau du Gardon, eſt de 24 toiſes 3 pieds.

Ce monument, un des plus beaux & des plus hardis de l’antiquité, eſt bâti en pierres de taille poſées à ſec ; il eſt d’ordre toſcan. Élevé entre deux hautes montagnes, à trois lieues au nord-eſt de Nîmes, il les unit enſemble. Au niveau de leur ſommet eſt conſtruit un aqueduc de quatre pieds de longueur, ſur cinq de hauteur dans œuvre ; il eſt couvert de dalles d’un pied d’épaiſſeur, de trois de largeur & d’un pied de ſaillie. L’intérieur eſt enduit d’une couche de ciment de trois pouces d’épaiſſeur, ſur laquelle on avoit paſſé une peinture rouge, ſans doute pour empêcher la filtration. Le fond de l’aqueduc eſt un blocage de petites pierres mêlées avec du gravier & de la chaux ; ce qui forme un maſſif de huit pouces d’épaiſſeur. Ce grand aqueduc continué juſqu’à Nîmes, y portoit les eaux dans des réſervoirs ſitués dans les divers quartiers de la ville.

Vers le commencement du 17e. ſiècle, on voulut faire ſervir le pont inférieur pour le paſſage des voitures, & à cet effet on échancra inconſidérément les piles des arches du ſecond rang, & l’on y pratiqua des encorbellemens avec des garde-foux. Mais heureuſement on s’apperçut bientôt de cette erreur qui auroit entraîné la ruine de l’édifice. On fit donc remettre ce pont à-peu-près dans ſon ancien état, en ne laiſſant qu’un petit chemin pour les gens à pied ou à cheval. Mais comme un paſſage ſur le Gardon étoit indiſpenſable pour les voitures pendant les groſſes eaux, les états-généraux de la province réſolurent d’adoſſer un ſecond pont au premier, ce qui fut exécuté en 1747.

Nous ne dirons rien ici de quelques autres grands aqueducs conſtruits par les Romains, tels que ceux de l’Aqua-Marcia, de Druſus, de Rimini, de Carthage, &c. On peut voir l’Antiquité expliquée du P. Montfaucon. Il nous ſuffira de remarquer, ainſi que nous l’avons déjà fait dans notre mémoire couronné par l’académie de Lyon, ſur la meilleure manière de paver & de nettoyer les rues d’une ville, que quelque magnifiques que fuſſent les temples, les théâtres, les amphithéâtres, les bains, les colonnes, les obéliſques, dont la grandeur, l’éclat, la beauté, frappoient tous les regards, c’eſt avec raiſon que Strabon s’étonnoit de la magnificence qu’on remarquoit dans ſes rues & chemins, dans ces cloaques conſtruits pour entretenir la propreté des rues, & dans les aqueducs, ouvrages admirables, négligés cependant par les Grecs, auteurs de tant d’inventions excellentes & à jamais mémorables.

Les Romains, afin de procurer & d’entretenir la propreté des rues, ont employé des moyens qu’aucun peuple de la terre, quelque puiſſant qu’il fût, n’a oſé imiter ; je veux parler de leurs magnifiques cloaques ; ces deux noms qui dans notre langue ſemblent peu faits pour être enſemble, s’allient merveilleuſement dans celle des Romains. Auſſi Caſſiodore les appelle-t-il ſplendidas ; & Pline dit que c’eſt la plus haute entrepriſe qui fut jamais faite dans la capitale du monde. Ces cloaques admirables, (vrais égouts, vrais aqueducs ſouterrains) ne ſervoient qu’à purger les rues de la ville de Rome de leurs immondices. On eſt ſurpris, dit Pline, comment, pour les faire, on a pu percer & enfoncer les montagnes, & rendre par ce moyen la ville de Rome preſque ſuſpendue en l’air. Strabon aſſure que l’on pouvoit aller par bateaux au-deſſous de toutes les rues, ces cloaques ou aqueducs étant d’une largeur & d’une hauteur ſi conſidérables, qu’un char de foin y pouvoit très-facilement. Pline ajoute qu’Agrippa y fit former ſept conduits d’une eau ſi rapide, qu’elle emportoit ordinairement, comme un torrent, tout ce qu’elle rencontroit, & qu’on ne s’appercevoit pas, de ſon temps que l’eau eût produit la moindre détérioration, quoiqu’ils euſſent été conſtruits depuis le siècle de Tarquin l’ancien, c’eſt-à-dire, depuis plus de huit cents ans.

Ces cloaques, ſelon Albert, ne ſont rien moins que des ponts, des arches ou des voûtes d’une extrême longueur & largeur, qui ont été conſtruits ſous les grandes rues de la ville, pour les nettoyer, & pour ſoutenir le fardeau des matériaux dont elles étoient pavées, de même que les colonnes, les obéliſques, & autres ouvrages d’un poids énorme, qu’on charrioit tous les jours. On peut juger de la ſolidité de ces aqueducs ſouterrains, par le trait ſuivant que Pline rapporte. M. Scaurus voulant faire tranſporter trois cent ſoixante colonnes de marbre, chacune de 38 pieds de longueur, du lieu où elles avoient été à ſon théâtre, juſqu’au Mont Palatin, pour en décorer ſa maiſon, les commiſſaires ou intendans des cloaques, craignant que le tranſport d’un grand nombre de maſſes auſſi peſantes, n’ébranlât ces eſpèces de voûtes, demandèrent à Scaurus qu’il s’obligeât à faire réparer à ſes dépens tout le dommage qui pourroit en réſulter. Cette précaution fut inutile, car on ne remarque aucune dégradation. C’eſt par ce moyen admirable que les rues de Rome étoient nettoyées des boues & des immondices dont le pavé pouvoit être couvert ; car il y avoit divers égouts & réceptacles par où les eaux entraînoient dans leur chûte les ordures qui étoient ſur le pavé ; de ſorte qu’en quelques inſtans les rues étoient nettes & ſèches. Jamais ces aqueducs ſouterrains ne pouvoient être comblés, parce qu’à toute heure il étoit facile de les nettoyer par le moyen de ſept canaux, d’où ſortoit une eau mue avec une grande rapidité, en levant les écluſes qui la retenoient. Ce torrent impétueux entraînoit le tout dans le Tibre par les bouches deſdits aqueducs qui y avoient été conſtruits par Tarquin l’ancien, qui en ſut le premier auteur. Quelle ne devoit pas être la ſolidité de ces aqueducs ſouterrains, puiſque ni huit ſiècles écoulés, ni le choc continuel des eaux, ni les débordemens du Tibre, ni les chûtes fréquentes des maiſons, ni les tremblemens de terre, &c. n’avoient pu tant ſoit peu entamer leur maçonnerie ?

Par ce qu’on vient de dire, on peut voir à quel point de perfection les Romains avoient porté l’art des aqueducs. Ils ne négligèrent rien pour en conſtruire par-tout où ils étoient néceſſaires, ſurtout pour conduire les eaux, même dans leurs colonies les plus éloignées de la métropole, ainſi que le démontrent les reſtes magnifiques de ces ſuperbes monumens qu’on admire encore en France & dans d’autres contrées.

Sous le règne de Louis-le-Grand, on en a conſtruit de très-beaux, les aqueducs d’Arcueil, de Rocquancourt dont nous avons déjà parlé, & ſur-tout le ſuperbe aqueduc de Maintenon, dont on voit la figure dans l’architecture hydraulique de Belidor, Tom. II. Liv. IV. Chapitre quatrième, planche première. Il eſt élevé par trois ſuites d’arcades, placées les uns au deſſus des autres, dont l’objet eſt de former en l’air la rigole ou canal, accompagnée de deux banquettes & d’un parapet de chaque côté, &c. Cet aqueduc, le plus grand qui ſoit à préſent dans l’univers, a trente cinq mille pieds de long & deux cent quarante deux arcades ; il fut conſtruit pour porter les eaux de la rivière de Bucq à Versailles : nous ne parlerons point ici de ceux de Marly, qui ſont très-connus.

L’aqueduc de Montpellier, conſtruit récemment sous la direction de M. Pitot, a 7 400 toiſes de long ; il a mené à l’endroit le plus élevé de cette ville, les eaux de la fontaine de Saint-Clément, qui fournit 80 pouces d’eau ou environ. Il y a eu, dans la longueur de cet aqueduc, 200 toiſes à percer, dans un tertre auſſi dur que le roc, qu’on a néanmoins voûté par ſous-œuvre : on a de plus conſtruit, dans cette étendue de chemin, pluſieurs ponts-aqueducs.

Il y a peu d’années que le roi des deux Siciles fit conſtruire le bel aqueduc de Caſerte. Le prince de Biſcari en a fait conſtruire un dans la terre d’Aragona en Sicile, qui conſiſte en trente & une arcades qui vont d’une montagne à l’autre. Le grand maître actuel de Malte fait travailler à grands frais depuis huit ans, à doubler le fameux & ſuperbe aqueduc conſtruit ſous le magiſtère du grand maître Vignacourt, qui tranſporte dans l’étendue de cinq lieues les ſeules eaux qu’on voit dans la cité-Valette, & qui, dans leurs cours, ſervent à l’arroſage des cotons qui font la production la plus eſſentielle de l’île. Voyez le mot Canaux & le mot Eau.

On ne peut, dans cet article, ſe diſpenſer de parler de la meſure des eaux courantes dans un aqueduc, (il en est de même dans une rivière.) pour meſurer ces eaux courantes qu’on ne peut pas recevoir dans un vaiſſeau, on ſe ſervira de la méthode ſuivante qui eſt de monsieur Mariotte. On mettra ſur l’eau une boule de cire chargée d’un peu de matière plus peſante, enſorte qu’il ne paſſe que fort peu de la cire au-deſſus de la ſurface de l’eau, de peur du vent ; & après avoir meſuré une longueur de 15 ou 20 pieds de l’aqueduc, on reconnoîtra avec un pendule à demi-ſecondes en combien de temps la boule de cire emportée par le cours de l’eau paſſera cette diſtance. Enſuite on multipliera la largeur de l’aqueduc par la hauteur de l’eau, & le produit par l’eſpace qu’aura parcouru la cire ; le dernier produit, qui eſt ſolide, marquera toute l’eau qui aura paſſé pendant le temps qu’on aura remarqué, par une ſection de l’aqueduc. Pour faire cette opération avec juſteſſe, il faut que le lit de l’aqueduc ait la même pente que la ſuperficie de l’eau qui y paſſe, & de plus l’on ſuppoſe que l’eau coule également vîte au fond, au-deſſus, aux côtés.

Suppoſons, par exemple, qu’un aqueduc ait deux pieds de largeur, & que l’eau y ſoit haute d’un pied, & qu’en 20 ſecondes de temps la cire ait fait 30 pieds ; ce ſera un pied & demi par ſeconde. Mais, parce que l’eau va plus lentement au fond qu’au deſſus, il ne faut prendre que 20 pieds ; ce ſera donc un pied par ſeconde. Le produit d’un pied de hauteur par deux pieds de largeur eſt 2, qui multiplié par 20 de longueur, donne 40 pieds cubes, ou 40 fois 35 pintes d’eau, qui ſont 1 400 pintes en 20 ſecondes ; & ſi 20 ſecondes donnent 1 400, 60 ſecondes en donneront trois fois autant, ſavoir, 4 200 pintes ; & diviſant 4 200 par 14 qui eſt le nombre des pintes qu’un pouce d’eau donne en une minute, ou en 60 ſecondes, on trouvera le quotient de 300, qui ſera le nombre des pouces que donnera l’eau de l’aqueduc.

On calculera facilement de cette manière le nombre des pouces que donne une rivière quelconque, par exemple, celle de la Seine à Paris ; car puiſqu’il paſſe par deſſous le pont rouge en une minute, 200 000 pieds cubes d’eau, ſi on multiplie 35, qui eſt le nombre des pintes que contient un pied cube, par 200 000, on aura 7 000 000 pintes, qui étant diviſées par 14, donnent 500 000, qui eſt le nombre des pouces que donne la rivière de Seine quand elle eſt dans ſa moyenne hauteur.

Si l’on veut calculer de grandes ouvertures, comme une toiſe quarrée, il faut conſidérer la hauteur de la ſurface de l’eau au deſſus du milieu de la toiſe ; ſoit, par exemple, 5 pieds ; il y aura donc 8 pieds juſqu’au milieu de la toiſe. Le produit de 8 par 13 eſt 104, donc la racine quarrée est 10 & à peu près ; on dira comme 13 eſt à 10 , ainſi 14 à 11 à fort peu près ; & parce qu’un pouce rond eſt 16 fois plus grand qu’un rond de trois lignes, un pouce, ſurmonté de 8 pieds, donnera 16 fois 11 pintes, ou 176 pintes, qui diviſées par 14, donnent 12 pouces pour un pouce de diamètre d’ouverture. Une ouverture ronde d’un pied de diamètre donne 144 fois davantage ; le produit 12 par 144 eſt 1 810 ; le pied rond donnera donc 1 810 pouces. La toiſe ronde contient 36 fois un rond d’un pied, le produit de 36 par 1 810 eſt 65 160 ; comme 11 à 14, ainſi 65 160 à 82 930 : donc la toiſe quarrée, ſurmontée de 5 pieds, donnera 82 930 pouces.

Si l’eau coule par un aqueduc ou par un canal de rivière, ſelon une petite pente uniforme, elle acquerra dans un médiocre eſpace une vîteſſe qu’elle n’augmentera plus ; car le frottement des bords & du fond du canal, & le renverſement des parties de l’eau du deſſus au deſſous, & la réſiſtance de l’air aux petites vagues qui ſont en la ſurface, lui font perdre une partie de ſa vîteſſe ; & par conſéquent elle ne peut accélérer ſon mouvement que juſqu’à une certaine vîteſſe qu’elle acquiert en peu de temps ; d’où il s’enſuit, que ſi une rivière a coulé par un aſſez long eſpace dans une certaine pente, & qu’elle coule enſuite par une pente moins roide, c’eſt-à-dire, par un plan moins incliné, elle diminuera de vîteſſe ; car puiſqu’elle aura acquis dans la première pente toute la vîteſſe qu’elle y peut avoir, qu’elle n’auroit pu acquérir dans une moindre, il s’enſuit qu’elle diminuera de vîteſſe peu-à-peu dans cette pente qui eſt moindre, juſqu’à ce qu’elle ſoit réduite à la vîteſſe qu’elle y peut acquérir. Mouvement des eaux de Mariotte.

M. Pitot trouve la méthode qu’on vient de donner, imparfaite, parce que, 1o. ſi l’on ſe ſert d’un morceau de bois, la réſiſtance de l’air l’empêche de deſcendre auſſi vîte que le courant, & ſi l’on ſe ſert d’une boule de cire, on la perd preſque toujours de vue ; 2o. parce que, ſelon lui, il n’eſt pas poſſible, à moins que de prendre des ſoins très-pénibles, de meſurer exactement le chemin parcouru ; 3o. Par la raiſon enfin que deux expériences faites au même endroit d’une rivière, donnent ſouvent des vîteſſes fort différentes, le morceau de bois ou la boule de cire ne prenant pas toujours le même fil de l’eau. 4o. Parce qu’on ne peut pas connoître la vîteſſe de l’eau dans les endroits où il importe le plus de la connoître, comme à l’entrée ou à la ſortie d’une arche de pont, par exemple, ou à quelque endroit où on a deſſein de placer une machine.

On a long-temps agité la queſtion de ſavoir ſi la vîteſſe des eaux vers le fond des rivières eſt plus grande ou plus petite qu’à leur ſurface. Les uns ont prétendu que les eaux inférieures étant preſſées par les ſupérieures, elles doivent couler plus vîte ; & que de plus, la chûte des eaux depuis leurs ſources juſqu’au fond des rivières, étant plus grande, que depuis les mêmes ſources juſqu’à la ſurface, & les vîteſſes étant par un des principes fondamentaux de l’hydraulique en raiſon ſous doublée des hauteurs ou des chûtes, la vîteſſe des eaux vers le fond doit être plus grande que vers la ſurface.

D’autres oppoſent à ces raiſons la quantité de frottement des eaux contre le fond ou le lit & les bords des fleuves & des rivières, des aqueducs & des conduites d’eau quelconques. M. Pitot a prouvé, dans un mémoire lu en 1730 à l’académie des ſciences, que la quantité de frottemens des fleuves contre leur fond & leurs bords eſt prodigieuſe ; & il eſt heureux qu’elle le ſoit, car ſans les frottemens, les fleuves & les rivières ne ſeroient pas navigables. La preuve en eſt que ſi l’on calcule par les principes du mouvement des eaux la vîteſſe que celles des fleuves doivent prendre par leur chûte de la hauteur de leur ſource, en faiſant abſtraction des frottemens, on trouvera toujours cette vîteſſe vingt fois & ſouvent plus de trente fois plus grande que celle que les eaux des mêmes fleuves ont réellement ; ainſi, ſans les frottemens, preſque toutes les eaux courantes ſeroient des torrens affreux dont on ne tireroit aucun avantage.

Les eaux étant donc rallenties ſi conſidérablement par les frottemens de leurs lits & des bords, il eſt naturel de penſer que celles qui ſont près du fond, ſont plus rallenties que celles de la ſurface. Toutes ces questions peuvent être éclaircies avec la plus grande facilité par le moyen de l’inſtrument qu’a proposé M. Pitot ; puiſque par cette machine on meſurera la juſte quantité de la vîteſſe des eaux, à telle profondeur qu’on voudra, & cela auſſi facilement qu’à leur ſurface. Voici la deſcription qu’en a donnée ce ſavant dans les mémoires de l’académie des ſciences, année 1732, page 366 & ſuivantes.

Α B eſt une tringle de bois, taillée en forme de priſme triangulaire. Voyez la fig. 217. Sur le milieu d’une des trois faces de cette tringle, eſt creuſée une rainure capable de loger deux tuyaux de verre blanc ; l’un de ces tuyaux eſt courbé à angle droit en D ; & le bout D E, fig. 218, paſſe par un trou fait à la tringle.

La face C D, fig. 217, dans laquelle les tuyaux H D E & M N, fig. 218 & 219, ſont logés, eſt diviſée en pieds & pouces. F G I L, fig. 220 & 221, eſt une règle mobile de cuivre refondue dans le milieu ſur preſque toute ſa longueur, de la quantité de la ſomme des diamètres des tuyaux, en-ſorte qu’elle ne couvre les tuyaux qu’à ſes extrémités, & un peu à ſon milieu. Un des côtés de cette règle eſt diviſé en pieds & pouces pour les hauteurs des chûtes d’eau, & l’autre côté en pieds & pouces de vîteſſe de l’eau, relative aux hauteurs, ainſi que nous l’expliquerons bientôt. Elle eſt retenue par de petites plaques de cuivre qui embraſſent la tringle, & qui la ſerrent au moyen de trois vis K K K, fig. 221 ; enſorte qu’on peut arrêter la règle, à telle hauteur qu’on veut de la tringle.

À l’égard des meſures ou des dimenſions de la machine, on pourra prendre la vîteſſe de l’eau à une profondeur d’autant plus grande, que la tringle & les tuyaux ſeront plus longs, en obſervant, d’augmenter la groſſeur ou la force de la tringle à proportion de ſa longueur. On lui donnera environ un pouce & demi de largeur à chaque face, ſur une longueur de 6 pieds, & on la fera du bois le plus fort qu’on trouvera. Comme les plus grandes vîteſſes des fleuves ne vont guère au delà de 10 pieds par ſeconde, il ſuffit de donner à la règle mobile de cuivre 18 ou 20 pouces de longueur.

Le premier tuyau H D E, fig. 218, étant recourbé à angle droit, & le ſecond M N, fig. 219, étant tout droit ; ſi l’on met la machine dans une eau dormante, l’eau s’élèvera à la hauteur de ſon niveau dans les deux tuyaux. Mais dans une eau courante, elle s’élèvera dans le premier tuyau à la hauteur relative à la force du courant, pendant qu’elle reſtera à son niveau dans le ſecond tuyau.

Nous ajouterons encore que, pour rendre le niveau de l’eau plus apparent dans les tubes de verre, on doit paſſer un blanc de ceruſe broyé à l’huile dans la rainure.

Rien n’eſt plus ſimple que l’uſage & la manière de ſe ſervir de cette machine. Si l’on veut, par exemple, meſurer la vîteſſe de l’eau à ſa ſurface, on arrêtera, par le moyen des vis, la règle de cuivre ſur la première diviſion de la tringle, & on préſentera l’ouverture du tuyau recourbé au courant ; alors le niveau de l’eau du ſecond tuyau étant ſur la première diviſion de la règle, on verra monter l’eau dans le premier juſqu’à une certaine hauteur ; cette hauteur ſera marquée en pouces & lignes ſur le côté droit de la règle, & on aura les pieds & pouces de vîteſſe du courant, marqués ſur ſon côté gauche.

Si on veut avoir la vîteſſe du courant à un, deux, ou trois pieds de profondeur, on arrêtera ſimplement la règle mobile ſur ces mêmes diviſions de la tringle, & on opérera comme ci-deſſus.

Il eſt aiſé de diriger l’ouverture du tuyau vis-à-vis le fil de l’eau ; car en tournant doucement la machine, on verra le point où l’eau s’élève le plus dans le premier tuyau. Que ſi on tourne l’ouverture du côté oppoſé au courant, dès qu’on aura paſſé la perpendiculaire à ſa direction, l’eau reſtera à la même hauteur dans les deux tuyaux.

Il arrive aſſez ſouvent que le courant des eaux dans un même endroit, varie plus ou moins, c’eſt-à-dire, que la vîteſſe eſt tantôt plus grande & tantôt plus petite : alors on voit l’élévation de l’eau dans le premier tuyau, tantôt plus grande, tantôt plus petite, & dans des balancemens preſque continuels. Il faut, dans ce cas, prendre le milieu entre ces balancemens, ou entre la plus grande & la moindre élévation, pour avoir la vîteſſe moyenne.

Les vagues cauſées par le vent, occaſionnent auſſi de ces balancemens, c’eſt pourquoi il faut éviter de faire ces expériences lorſqu’il fait beaucoup de vent.

Il n’y a perſonne qui, avec une légère connoiſſance de la théorie du mouvement des eaux, ne conçoive ſur-le-champ l’effet de cette machine ; car, ſuivant les premiers principes de cette science, on doit conſidérer la vîteſſe des eaux courantes comme une vîteſſe acquiſe par leurs chûtes d’une certaine hauteur, &, que ſi l’eau ſe meut de bas en haut avec une vîteſſe toute acquiſe, elle montera préciſément à la même hauteur, ou à une hauteur égale à celle de la chûte, d’où elle auroit dû tomber pour acquérir cette vîteſſe.

De plus, la force de l’impulſion de l’eau par ſa vîteſſe eſt toujours égale au poids d’un ſolide d’eau, qui auroit pour baſe la ſurface choquée, & pour hauteur celle d’où l’eau auroit dû tomber pour acquérir cette vîteſſe. Donc l’eau doit monter dans le tuyau de notre machine par la force d’un courant préciſément à la hauteur d’où elle auroit dû tomber pour former ce courant.

Pour ſavoir maintenant la quantité de vîteſſe des eaux courantes, relative à leur aſcenſion dans le tuyau recourbé de la machine, il faut ſe rappeler le principe fondamental de preſque toute la théorie du mouvement des eaux, qui eſt, que les vîteſſes des eaux ſont en raiſon ſous-doublée de la hauteur de leur chûte..… Mais les élévations, ou aſcenſions de l’eau dans notre tube étant égales aux chûtes, il s’enſuit que les vîteſſes des courans ſeront en raiſon ſous-doublée des élévations de l’eau, & que par conſéquent les élévations ſont en raiſon doublée, ou comme le quarré des vîteſſes..… car, par exemple, une vîteſſe double fera élever l’eau dans le tube à une hauteur quatre fois plus grande ; une vîteſſe triple la fera élever à une hauteur neuf fois plus grande, &c.

Une chûte ou une élévation de l’eau étant connue ou donnée, pour avoir ſa vîteſſe en pieds par ſeconde, il faut obſerver d’abord que de même qu’un corps en tombant parcourt un eſpace de 14 pieds dans la première ſeconde de ſa chûte, & que ſi ce même corps ſe meut avec la vîteſſe toute acquiſe à la fin de la première ſeconde de sa chûte, il parcourra d’une vîteſſe uniforme un eſpace de 28 pieds par ſeconde : de même auſſi l’eau ſort par une ouverture faite au bas d’un réſervoir de 14 pieds de hauteur, avec une vîteſſe de 28 pieds par ſeconde ; d’où il ſuit que la chûte ou l’élévation de l’eau étant connue, pour avoir ſa vîteſſe en pieds par ſeconde, on dira, ſuivant le principe : comme la racine quarrée de 14 eſt à 28, ainſi la racine quarrée de la hauteur donnée ſera à la vîteſſe qu’on cherche. Si au contraire la vîteſſe eſt donnée, & qu’on veuille trouver la hauteur, on dira : comme 28 eſt à la racine quarrée de 14, ainſi la vîteſſe donnée ſera à la racine quarrée de la hauteur qu’on cherche ; ou bien, comme le quarré de 28 eſt à 14, ainſi le quarré de la vîteſſe donnée ſera à la hauteur qu’on cherche.

C’eſt par cette méthode que M. Pitot a calculé la table ſuivante de toutes les chûtes ou élévations de l’eau, correspondantes à toutes les vîteſſes en pieds par ſeconde de temps, de pouces en pouces depuis un pouce juſqu’à 12 pieds de vîteſſe ; & il a dreſſé la règle des vîteſſes de ſa machine par le moyen de cette table.

Table de vîteſſe de l’eau en pieds & pouces, par ſeconde de temps, avec la hauteur de leur chûte.
Vîtesse
de l’eau.
Hauteur
des chûtes.
pieds. pouces. pouces. lignes. points.
0 1   0 0 0
0 2   0 0 0
0 3   0 0 2
0 4   0 0 3
0 5   0 0 5
0 6   0 0 6
0 7   0 0 10
0 8   0 1 1
0 9   0 1 5
0 10   0 1 9
0 11   0 2 2
1 0   0 2 7
1 1   0 3 0
1 2   0 3 6

Vîtesse
de l’eau.
Hauteur
des chûtes.
pieds. pouces. pouces. lignes. points.
1 3   0 4 0
1 4   0 6 6
1 5   0 5 1
1 6   0 1 9
1 7   0 6 5
1 8   0 7 1
1 9   0 7 10
1 10   0 8 7
1 11   0 9 5
2 0   0 10 3
2 1   0 11 1
2 2   1 0 0
2 3   1 1 0
2 4   1 2 0
2 5   1 3 0
2 6   1 4 0
2 7   1 5 1
2 8   1 6 3
2 9   1 7 5
2 10   1 8 7
2 11   1 9 10
3 0   1 11 1
3 1   2 0 5
3 2   2 1 9
3 3   2 3 1
3 4   2 4 6
3 5   2 3 1
3 6   2 7 6
3 7   2 9 0
3 8   2 10 6
3 9   3 0 1
3 10   3 1 9
3 11   3 3 5
Vîtesse
de l’eau.
Hauteur
des chûtes.
pieds. pouces. pouces. lignes. points.
4 0   3 5 1
4 1   3 6 10
4 2   3 8 5
4 3   3 10 5
4 4   4 0 3
4 5   4 2 1
4 6   4 4 0
4 7   4 6 0
4 8   4 8 0
4 9   4 10 0
4 10   5 0 0
4 11   5 2 1
5 0   5 4 3
5 1   5 6 5
5 2   5 8 7
5 3   5 10 10
5 4   6 1 1
5 5   6 3 5
5 6   6 4 1
5 7   6 8 1
5 8   6 10 6
5 9   7 1 0
5 10   7 3 6
5 11   7 6 0
6 0   7 8 6
6 1   7 11 1
6 2   8 1 7
6 3   8 4 5
6 4   8 7 1
6 5   8 9 10
6 6   9 0 7
6 7   9 3 5
6 8   9 6 3

Vîtesse
de l’eau.
Hauteur
des chûtes.
pieds. pouces. pieds. pouces. lignes. points.
6 9   0 9 9 1
6 10   0 10 0 0
6 11   0 10 3 0
7 0   0 10 6 0
7 1   0 10 9 0
7 2   0 11 0 0
7 3   0 11 3 1
7 4   0 11 6 3
7 5   0 11 9 5
7 6   1 0 0 7
7 7   1 0 3 10
7 8   1 0 7 1
7 9   1 0 10 5
7 10   1 1 1 9
7 11   1 1 5 1
8 0   1 1 8 6
8 1   1 2 0 0
8 2   1 7 3 6
8 3   1 2 7 0
8 4   1 2 10 6
8 5   1 3 2 1
8 6   1 3 5 9
8 7   1 3 9 5
8 8   1 4 1 1
8 9   1 4 3 10
8 10   1 4 8 7
8 11   1 5 0 5
9 0   1 5 4 3
9 1   1 5 8 1
9 2   1 6 0 0
9 3   1 6 4 0
9 4   1 6 8 0
9 5   1 7 0 0


Vîtesse
de l’eau.
Hauteur
des chûtes.
pieds. pouces. pieds. pouces. lignes. points.
9 6   1 7 4 1
9 7   1 7 8 0
9 8   1 8 0 3
9 9   1 8 4 5
9 10   1 8 8 7
9 11   1 9 0 10
10 0   1 9 5 1
10 1   1 9 9 5
10 2   1 10 1 9
10 3   1 10 6 1
10 4   1 10 10 6
10 5   1 11 3 0
10 6   1 11 6 8
10 7   2 0 0 0
10 8   2 0 4 6
10 9   2 0 9 2
10 10   2 1 1 9
10 11   2 1 6 5
11 0   2 2 2 8
11 1   2 2 3 10
11 2   2 2 8 7
11 3   2 3 1 5
11 4   2 3 6 3
11 5   2 3 11 1
11 6   2 4 4 0
11 7   2 4 9 0
11 8   2 5 2 0
11 9   2 5 7 0
11 10   2 6 0 0
11 11   2 6 5 1
12 0   2 6 10 3

L’application de l’idée de l’inſtrument dont on vient de parler au ſillage des vaiſſeaux, vint à M. Pitot dans le moment qu’il en eut fait la première expérience ſur la rivière. On place dans le milieu du vaiſſeau deux tuyaux de métal de trois ou quatre lignes de diamètre, comme ceux qu’on a décrits ci-deſſus. Leur partie ſupérieure ſera refendue pour y enchâſſer un tube de verre pour voir l’eau. Lorſque le vaiſſeau ſera arrêté, l’eau ſera à la même hauteur dans les deux tuyaux ; mais dès que le vaiſſeau fera route, le tuyau recourbé ſera dans le même cas que celui de la machine précédente dans une eau courante ; ainsi l’eau s’élèvera dans le tuyau, & ſa hauteur au-deſſus de celle de l’autre tuyau marquera la vîteſſe ou le ſillage du vaiſſeau avec beaucoup de juſteſſe. Lorſque le vaiſſeau fera trois lieues par heure, par exemple, l’eau s’élèvera dans le tuyau d’environ 41 pouces ; & lorſqu’il ne fera que deux lieues & demie par heure, l’eau s’élèvera de près de 31 pouces. Pour éviter des répétitions, nous avons cru à propos d’expoſer ici l’application de l’idée de M. Pitot au ſillage des vaiſſeaux, plutôt que de la renvoyer ailleurs.

Cette méthode de meſurer la vîteſſe courante des eaux des rivières, des canaux, des aqueducs quelconques, en un mot, eſt bien plus aiſée & plus exacte dans la pratique que celle de Mariotte. Mém. des Acad. des Sciences, ann. 1732, pag. 366.

Les petits canaux pour conduire les eaux d’un endroit quelconque à une ville, ont moins de cet éclat impoſant qui frappe l’imagination, mais ils n’en ſont pas moins utiles ; une notice de ce qui a été entrepris pour quelqu’un de ces petits canaux peut être d’autant plus avantageuſe à un physicien, que les occaſions d’en diriger ſe préſentent plus ſouvent. Nous choiſirons pour exemple le projet d’amener à Paris les rivières d’Yvette & de Bièvre.

De tout temps la ville de Paris a manqué d’une ſuffiſante quantité d’eau. 800 Pouces d’eau ſont néceſſaires à cette ville pour le beſoin intérieur des maiſons, & elle en a tout au plus 200 à 230 : ſavoir, par la pompe notre-dame, 120 à 125, par Arcueil, 40 à 50 ; par la ſamaritaine, 25 à 30, par les ſources du Pré-Saint-Gervais, 12 à 15 ; & par Belleville, 10, ainſi qu’il conſte par les mémoires de M. Deparcieux, qui a ſacrifié les vingt dernières années de ſa vie à montrer les avantages de ſon projet de l’Yvette ; ſouvent même il arrive que cette quantité d’eau est exceſſivement réduite.

Ce fut en 1762 que M. Deparcieux préſenta pour la ſeconde fois à l’académie le projet de l’Yvette ; en 1766, il lut ſur le même ſujet un ſecond mémoire, & un troiſième en 1767. Dans ces trois mémoires, cet académicien a rendu compte des différentes opérations qu’il avoit faites pour s’aſſurer de la jauge des eaux & du nivellement, & il y a tracé la route que doit ſuivre l’acqueduc qui porteroit les eaux de l’Yvette à Paris.

Pour empêcher les filtrations, & pour purifier l’eau, il veut qu’elle ſoit menée par un acqueduc en maçonnerie, que de diſtance en diſtance il y ait une grille pour arrêter les immondices ; & des repos ou les eaux puiſſent dépoſer. Il indique le percement d’une montagne entre Palaiſſeaux & Maſſi ; enfin il parle des ponts, acqueducs & autres travaux que l’exécution de ſon projet exige ; & il eſtimoit que la dépenſe de cette conduite pourroit monter à cinq ou six millions. Pour les détails, on peut conſulter les mémoires de l’académie.

Après la mort de M. Deparcieux, arrivée en 1768, le gouvernement crut devoir s’occuper du projet de cet académicien. MM. Péronnet & Chezy furent chargés de faire un travail détaillé, pour évaluer au juste la dépenſe de ſon exécution. Le 15 décembre 1775, M. Péronnet rendit compte de ſon travail dans une aſſemblée publique de l’académie ; mais l’exécution du projet fut depuis ce temps arrêtée, peut-être à cauſe de la grande dépenſe, à laquelle on la portoit, qui étoit de 7 826 209 livres. C’eſt ce qui détermina, pluſieurs années après, M. de Fer de la Nouerre à examiner ſi on ne pouvoit pas, à la rigueur, ſe procurer l’eau à moins de frais, & procurer, par ce moyen, une plus prompte exécution.

M. de Fer, dans ſon ouvrage intitulé, de la ſcience des canaux navigables, a traité du même objet dans un mémoire ſur la poſſibilité d’amener à Paris, en une ſeule campagne, les rivières d’Yvette & de Bièvre au haut de l’eſtrapade, à moins d’un million de dépenſes, au lieu de ſept millions huit cent treize mille livres, auxquelles cette dépense avoit été portée. M. de Fer y donne la carte & le détail de la route qui paſſant par Vitaires, Chatenay, & le Bourg-la-Reine, évite la dépenſe de pluſieurs acqueducs. Pour cet effet, il s’eſt contenté de propoſer une ſimple rigole, ſans revêtiſſemnent de pierres, ſemblable aux rigoles des canaux de Languedoc & de Briare. Ce mémoire fut approuvé par l’académie des ſciences après un mûr examen ; & le 3 novembre 1787, il y eut un arrêt du conſeil du roi qui autoriſa l’exécution du plan de M. de Fer.

Les pompes à feu, la machine du pont notre-dame, celle de la ſamaritaine, par leſquelles on a voulu fournir de l’eau à Paris, n’ont point par elle-mêmes la conſtance des aqueducs. La durée d’un aqueduc eſt indépendante de toutes les révolutions : ceux que l’on avoit faits autrefois pour la ville de Rome, ſervoient encore au bout de 1 200 ans ; & les reſtaurations faites par les papes, avec des dépenſes médiocres, ont ſuffi de nos jours, pour amener des fleuves d’eau ſur les montagnes de Rome moderne.

On connoît l’acqueduc de la nouvelle rivière que Hugh Midleton amena à Londres en 1608, qui fournit 400 pouces d’eau, (chaque pouce d’eau produit 13 pintes par minute.) Cet aqueduc de Londres pourroit en donner bien davantage, comme le prouve M. de Fer, en propoſant d’amener la rivière de Lew à Londres : on épargneroit par là le charbon de terre qui par-tout commence à devenir beaucoup moins abondant. En effet, ſi les machines à feu ſe multiplioient avec profuſion, & que chaque machine conſommât ſeulement 27 pieds cubes de charbon tous les jours, les mines les plus riches s’épuiſeroient. Auſſi n’y a t’il plus qu’une pompe à feu qui ſoit à Londres dans une pleine activité.

M. Brulé s’eſt enſuite occupé à renouveler le projet d’amener à Paris la rivière de Beuvronne, qui peut fournir 1 800 pouces d’eau, & que l’on prendroit entre Claye & Greſſy, à 13 milles à l’Orient de Paris : elle peut arriver 95 pieds au-deſſus des eaux de la Seine.

Ces divers projets auroient ſans doute été mis en pratique à cauſe de leur utilité & de leur grande économie dans les frais de conſtructions ; mais diverſes circonſtances politiques où s’eſt trouvée la ville de Paris, en ont ſuſpendu l’exécution pour quelque temps.

Aqueducs ſouterrains, pour nettoyer les foſſes. Voyez le mot Fosses, vers la fin de l’article. On a déja parlé ci-deſſus des aqueducs ſouterrains des Romains & de quelques-uns de ceux des peuples modernes.

Aqueduc. (dans l’oreille) C’eſt un conduit long & étroit qui paſſe obliquement de la caiſſe du tambour juſque dans le palais. Ce canal, en partie cartilagineux & en partie membraneux, ſe termine dans la bouche par une ouverture aſſez grande à côté de la luette & proche les fentes qui ſont aux narines. La communication du palais à cette cavité eſt ſenſible, en ce que ceux qui prennent du tabac en fumée le rendent quelquefois par les oreilles, & que ceux qui ſont ſourds entendent quand on leur parle dans la bouche. Voyez Caisse du tambour.