Encyclopédie moderne/1re éd., 1823/Académie de peinture, de sculpture , etc.

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ACADÉMIE DE PEINTURE, DE SCULPTURE, etc. On appelle ainsi une compagnie d^arti^les qui se rassemblent, avec l’autorisation et sous la pi^otection du gouver-Dément, pour s’occuper de tous les objets qui coocernent la peinture, la sculpture, etc., et pour en donner des leçons publiques.

L’Italie, que l’on regarde à juste titre comme le berceau de la cifilisatioa moderne, vit naître dans son sein les premiers établissements de ce genre : Rome, Florence, eureni ; des académies qui servirent de modèles à toutes celles qui se formèrent plus tard chez les autres nations de l’Europe. Le but des fondateurs fut de favoriser le perfectionnement des arts, et d’Honorer les hommes qui les cultivaient avec distinction.

Ce fut aussi par les mêmes motifs que Louis XIV créa, en 1648 » l’académie royale de peinture et de sculpture. Les artistes qu’on jugea dignes d’en faire partie obtinrent, outre le titré d’académistes et celui de peintres et de sculpteurs du roi, les mêmes avantages et les mêmes privilèges dont jouissaient déjà les membres de l’académie française. Cette faveur était juste, elle était n>6cessaire pour établir un0 ligne de démarcation entre ceux qui n’exerçaient qu’une profession mécanique et lés artistes proprement dits, que Ton désignait tous à cette époque sous la déoomination générale d’ouvriers et d’artisans. On confondait tellement ces deux classes, que les peintres et les sculpteurs de l’académie se voyaient continuellement en butte aux persécutions du corps des doreurs, ëstofTeurs et marbriers, qui, sous^ prétexte de les forcer à se faire passer maîtres, s’arrogeaient le droit de visite dans leurs ateliers, et poussaient Tatidace jusqu’à saisir leurs ouvrages, et à en solliciter la confiscation. Plusieurs arrêts rendns par le conseil d’état ne purent faire cesser entièrement ces abus ; le$ académistes, après plusieurs années de débats, furent obligés de transiger avec le corps de là maîtrise, et d’opérer la jonction des deux corps en oû seul, pour parve*• 9

LjOOQIC oir à faire enregistrer les lettres patentes du mois de février. i64&, portant approbation 4^8 statuts de racadémie. L’arrêt d’enregistrement est du 7 juin iGSs. L’académie , ()ui avait eu si fort à se plaindre des tracasseries que l’esprit de corps lui avait suscitées, ne sut pas elle-même s’en affranchir. Elle s’était appuyée, dans toutes ses demandes, sur la nécessité d’accorder aux artistes cette noble indépendance , sans laquelle ils ne sauraient rien produire de grand et de digne de la postérité ; mais elle fit voir bientôt qu’elle avait plaidé dans l’intérêt de ses membres plutôt que dans l’intérêt des arts : elle obtint, en 1654» le droit exclusif de l’enseignement, avec défense d’ouvrir des ateliers, de po^r le modèle, et de donner des leçons publiques de peinture et de sculpture sans son autorisation ; bien plus , quelques artistes n’avaient pas jugé à propps de solliciter rbônneur d’être admis dans son sein ; ou les y contraignit, sous peine d’être abandonnés aux poursuites du corps de la maîtrise ; en m mot, il ne fut plus permis de professer les arts et d’avoir du talent qu’avec l’agrément et sous le bon plaisir del’acàdémie. royale de peinture et de sculpture. Cette compagnie a conservé son ancienne organisation et une grande partie de ses privilège^ jusqu’en 1789, époque de son entière dissolution. Les arts cessèrent alorsd’être soumis à pn monopole odieux ; chacun put les cultiver avec liberté, et suivre, sans entraves, la carrière où il étaûappelé par sou génie. Les expositions publiques, où les académiciens avaient seuls le droit d’étaler le^irs chefs-d’œuvre privilégiés, s’ouvrirent aux ouvrages de tous les artistes sans distinction ^ l’ignorance seule en fut exclue ; utile concurrence , qui ne pouvait nianquer d’exciter une noble émulation parmi les élèves , et d’empêcher le$ maîtres de se livrer à une orgueilleuse sécurité. On ne tarda pas à en ressentir les heureux effets : des jeunes gens presque ipcopnus parurent tout à coup avec un éclat qui fit pâlir les vieilles réputations académiques ; formés par les leçons et vGooQle

igi par les exemples d*un peintre habile , quils reconnaissent * encore aujourd’hui pour leur maître , ils travaillèrent , de concert avec, lui , à la restauration de notre école , au voX-^ lieu des dissensions intestines qui désolaient lapa^trie» et tan»^ dis que nos jeunes soldats combattaient avec gloire pour assurer son indépendance.

Cependant l^orizon politique commençait à s’épurer ; on avait beaucoup détruit, on voulut reconstruire* Le désir de donner une grande impulsion aux sciences » aux lettres et aux arts , engagea le gouvernement à réorganiser sur un plan nouveau les anciennes académies : Tinstitut fut créé et divisé en quatre classes ; on plaça dans la dernière L’académie de peinture et de sculpture et celle d’architecture » on y joignit une section de musique ; et cette classe ainsi composée porte aujourd’hui le titre à^acadénUe des beaux-artê. Elle compte au nombre de ses attributions la nomination de ses membres, le jugement des concours, et le choix des professeurs chargés de la surveillance et de la direction de Pécole. Le mode suivant lequel elfe exerce ses jugements a trouvé plus d’un censeur : on a prétendu , et ce n’est pas sans raison, qu’il était absurde de soumettre les ouvrages de peinture , de sculpture et de gravure aux suffrages des musiciens et des architect<Bs ; et qu’il ne l’était pas moins de faire juger par des peintres, des sculpteurs et des graveurs , les projets d’architecture et les compositions musicales. Mais si ce vice- d’organisation peut causer quelques erreurs, il en est un autre bien plus grave, . bien plus préjudiciable aux arts , puisqu’il tend à les corrompre ’dans leur source, et à les précipiter dans une fausse direction, je veux parler du vice de l’enseignement. Ce sujet mérite , par son importance , d’être traité avec quelque étendue.

J’ai dit que l’académie avait été supprimée en J 789 ; malheureusement l’école ne fut pas compris dans cette suppression. L’enseigneijnent resta conilé à d’anciens académiciens, qui, pour la plupart, dominés par les préjugés de leur jeunesse , et ne pouvant se résoudre à condamner des principes qu’ils avaient professés toute leur vie , se montrèrent constamment les ennemis déclarés des nouvelles doctrines , ou du moins ne les approuvèrent qu’avec de dangereuses restrictions. Placés sous Finfluence de ces vétérans" de l’école française dégénérée , les élèves pouvaiènt-ils embrasser la réforme avec cette franchise, cet enthousiasme, je dirais presque ce fanatisme » si nécessaires pour la rendre complète et durable ? Non , sans doute. Le bien s’opéra > mais partiellement et. avec lenteur ; de précieuses semences commencèrent à éclore, mais mêlées à dès germes vicieux qui en arrêtèrent le dévéloppenaent ; la routine et le mauvais goût furent comprimés , mais non pas totalement anéantis ; en un mot, la régénération de l’école était encore récente , et déjà tout semblait annoncer qu’une nouvelle décadence était prochaine et inévitable. On m’objectera peut-être que c* fâcheux résultats n’auraient point eu lieu , si le choix des professeurs avait été fait avec plus de discernement. Ma réponse sera facile. Quelques circonstances favorables que l’on s^uppose , on nç pourra jamais trouver chez une même nation, et à une même époque , qu’un très petit nombre dé peintres et de sculpteurs tous également distingués par la pureté de leur goût et par l’excellence de leurs principes : on sera donc obligé d’admettre dans le corps bhàrgé de l’enseignement , des hommes d’un talent médiocre ; il est même démontré par l’expérience que leur nombre augmentera d’année en aimée, et l’on pourrait presque calculer le moment où ils s’y trouveront en grande majorité. Ainsi voilà, comme dand le premier cas , la jeunesse tombée entre des mains inhabiles et peu capables de guider son inexpérience. La conséquence se présente naturellement ; les naêmes causes produiront les mêmes effets. En vain deux ou trois artistes, fidèles aux saines doctrines, viendraient, à de longs intervalles , lui indiquer la route qu’il faut suivre : leur voix étouffée par celles de leurs nombreux colvGooQle

igi lègues serait à peine entendue ; et leurs sages conseils ne produiraient qu’une impression éphémère sur la génération nouvelle, qui, habituée chaque jour à un autre langage, se trouverait bientôt hors d’état de Iesi#nprendre. Sous quelque point de vue que l’on envisage l’enseignement exercé par un corps académique, il’est impossible.de ne pas être frappé de ses imperfections. Quoi de plus dangereux, par exemple, pour les jeunes gens qui fréquentent Técole, que la diversité des avis qu’ils reçoivent tour à tour êe chacun des professeurs en exercice ? Trop peu éclairés pour distinguer le vrai d’avec le faux, ils changent, malgré eux, de direction toutes les fois qu’Us changent de guide. Leur esprit se pe>4 dans un chaos d’idées incohérentes et souvent opposées ; ils marchent au hasard, sans but fee, sans appui ; et s’ils finissent, après de longues études, par acquérir quelque ombre de talent, c’est un talent sans ca^ raclère, sans originalité » où l’on peut remarquer un certain nombre de qualités médiocres, mais qui ne brille par aucune qualité supérieure.

D’un autre côté, comment le professeur pourrait-il prodiguer tous ses soins à un si grand nombre d’élèves à ia fois^ Quel intérêt veut-on qu’il prenne ^ leur avancement^ lorsque la majeure partie d’entre eux n’appartiennent pas, à son école particulière, et que leurs succès ne doivent faire rejaillir sur lui aucune espèce d’honneur ? Il faut avoir assisté soimême aux leçons académiques pour juger jusqu’à quel point elles sont données avec négligeqce et d’une manière tout— à —fait opposée au vrai système de l’enseignement. C’est presque toujours sans quitter son siège, et sans daigner jeter un sed regard sur le modèle, que le savant académicien, placé dans un des coins, de la salle, corrige ^ la hâte les dessins qu’on vient lui soumettre. Au lieu de comparer la copie à l’original qu’elle doit reproduire, il se contente de la juger d’après Tidée qu^il s’est formée ^ dans sou imagination ^ de la figure humarne en général. Cependant la nature peut être belle de tant de manières y différentes » elle se montre sous des formes et avec des effets si variés, elle présente des nuances si délicates et si difficiles à saisir, qu’il est impossible de la bien connaître et de la rendre avec fidélité et avec finesse, sans l’avoir étudiée d’abord avec une scrupuleuse naïveté. L’élève apprendra par la suite à distinguer ce qu’elle offre de beau ou’de défectueux, son goût s’épurera, et, devenu imitateur moins timide, il l’embellira, mais en lui conservant ee caractère de vérité individuelle qui ajoute tant de charme aux productions des arts. Par la méthode opposée, il s’habitue à n’imiter de son modèle que les lignes principales de l’attitude et la disposition de chacune des parties ; du reste, appliquant sans discernement à tous les individus le système de formes qu’on lui a démontré, il finit par dessiner uae figure comme un architecte dessinerait une colonne, un pilastre, un entablement. Ainsi l’amour du beau et du vrai se perd insensiblement, et l’école se peuple d’une multitude d’artistes praticiens, véritables machines à peindre et à sculpter, dont les ouvrages, dépourvus de goût et de sentiment, tendent à faire redescendre les arts au rang des professions mécaniques.

Les inconvénients que présente le système d’enseignement pratiqué dans Içs académies^ sont si évidents et si multipliés ; que l’on pourrait ajouter beaucoup d’autres réflexions à celles qui précèdent ; mais, resserré par l’espace, je crois en avoir dit aissez pour qu’il me soit permis de conclure que ce système est faux, nuisible aux progrès des arts, et que la retraite lucrative qu’il assure à un certain nombre d’artistes est peut-être le ^eul avantage qu’il procure et qu’il soit impossible de contester. D… h.