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Endehors/Patriotisme et Pornographie

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Chamuel (p. 24-31).


Patriotisme et Pornographie


Ces deux mots côte à côte sont presque une devise d’époque. Ils résument les tendances les plus clinquantes de notre moderne société : on est, chez nous, en France, le spirituel, le léger, le badin amateur des gaudrioles ; on est aussi — même en civil — l’austère pioupiou, frère du cosaque, prêt à faire son devoir… si on joue Lohengrin.

Seulement — et c’est là où se corse l’allure, — il est à peu près impossible de laisser face à face, sans qu’ils s’insultent, deux spécialistes du patriotisme ; il est absolument chimérique d’essayer de mettre en présence deux travailleurs-poètes de la pornographie sans les voir se jeter à la tête tout le bidet de leur dédain.

Les loups ne se mangent pas entre eux ; mais les patriotes se dévorent et les pornographes se bouffent !


Ces temps derniers, sans distinction de formats et de titres, toutes les feuilles de conteurs pironesques qui, en avant-garde, allaient vers la frontière, ont été priées de ne pas franchir la ligne des forts de la Meuse. L’ukase belge troussait à la fois des quotidiens et des hebdomadaires, des bihebdomadaires aussi, toute la petite armée à laquelle, quoi qu’on en dise, l’Événement Parisien de jadis a donné la note.

Hélas ! dans le malheur commun, les copains eurent, les uns pour les autres, des mots amers.

Et nous avons entendu le rédacteur en chef d’un des journaux incriminés — un quelconque Jules Roques — s’exprimer à peu près ainsi :

— Ce qu’il y a d’embêtant tout de même, pour nous autres artistes, c’est d’être interdit en compagnie si mêlée : tel journal, passe encore ; mais tel canard, vrai ! c’est dégoûtant !

Bien que très amateur des nuances, j’affirme que ces subtiles différences m’échappent. Ce n’est pas parce que l’on viendra me citer le nom de trois ou quatre célébrités du genre que j’en demeurerai sans réplique. Entre Émile Blain et Marcel Prévost, mes préférences ballotteront.


Vais-je crier haro sur toutes les personnalités que visait une récente circulaire ministérielle contre les journaux, affiches et images offensant la morale publique ?

La morale est assez grande fille — et assez publique, pour que le besoin de ménagements extrêmes ne se fasse pas sentir.

Ce côté m’est indifférent, et les nouvellistes joyeux qui écrivent leurs petites histoires à la bonne franquette auraient tort, je le crois, de renoncer aux revenus que ça leur procure, puisqu’il y a clientèle pour eux. Les sans-prétentions de la gauloiserie parlent d’or et ils ont raison. Uniquement, ce qui me chiffonne, ce qui m’agace, c’est la belliqueuse manie de certains écrivains et de certains peintres et dessinateurs affirmant sans rire qu’ils font de l’art, pur de toute arrière-préoccupation, en reproduisant éternellement la femme nue aux bas noirs.

Une habileté de métier n’idéalise pas longtemps un truc, toujours le même.

Si les pseudo-artistes en question, aujourd’hui sensuels ou même lubriques, demain dans une autre conception se révélaient penseurs, alors oui, l’on pourrait dire que ce sont les mouvements divers d’un tempérament qui n’a rien de commun avec celui des fabricants de cartes transparentes. Mais non, le procédé est transparent lui aussi. Après les demi-nudités raccrocheuses et les boniments à sous-entendus, d’autres encore, et toujours et toujours.

Il est impertinent de soutenir qu’il se trouve une volonté artiste dans ces rabâchages, dans ce labeur de ruminants.

Ce qu’il y a de voulu, de constamment voulu, c’est la pose plastique pour la joie des vieux messieurs, c’est l’allusion grasse pour le déniaisement des fillettes.

But chatouilleur.

À l’usage des provinciales romanesques, on tient de galants manuels, précieuses correspondances — psychologies génitales…

Et cela ne prouve qu’une chose : les photographes de Cythère et autres psychologues de Lesbos ne doivent pas, entre eux, se débiner.

Devant l’excitation voulue, tous les pornographes sont égaux.


Quant aux patriotes, ceux qui s’affublent du nom, on aimerait mutuellement les voir s’apprécier.

Est-ce que ces braves gens se connaissent trop ? ils se méprisent.

Ainsi, la plupart des journaux parisiens font campagne contre une petite feuille niçoise ayant pour titre : Il Pensiero.

Il paraît que le rédacteur de ce journal, un nommé André, réclame le retour de Nice à l’Italie. C’est là, pour un Italien, une revendication de bon patriote irrédentiste. Malheureusement le signor André est un Français.

Ah ! s’il était étranger, son compte serait vite réglé : un bon petit décret d’expulsion et Il Pensiero pourrait aller se faire rédiger de l’autre côté des Alpes. Mais André est Français, sinon de cœur et sinon de naissance, du moins par naturalisation.

On a beau se demander comment l’atteindre, on n’a jusqu’à présent trouvé que l’arme du mépris.

Faut-il l’écrire ? dans la main des patriotes, et en ce cas, cette arme suprême apparaît déloyale. André peut être un ennemi qu’on tente de frapper, non un adversaire auquel on refuse son estime. Moins que tous autres, les chauvins n’ont le droit d’insulter cet homme ; je le dis et le prouve.

Lorsque la Lorraine et l’Alsace revinrent aux Allemands, des Lorrains et des Alsaciens protestèrent, et, pour que leur cri fût mieux entendu, pour que leur action fût plus efficace, ils n’optèrent point, — devenant allemands pour mieux servir la France. Ceux-là, dont quelques-uns se sont faits, au Reichstag, les représentants d’espérances têtues, même en Germanie, nul ne les a vilipendés. Au contraire leur abnégation, leur courage ont été lyriquement chantés. Eh bien ! la situation d’André est la même, il regrette Nice comme Antoine regrettait Metz, et pour l’un comme pour l’autre, il est une beauté en la lutte isolée.

Le niçois séparatiste se déclarant Français pour combattre seul dans une ville où des haines terribles l’entourent, André, est un téméraire.

Sa marotte peut être jugée, son attitude commande un égard.

Et le patriote français, le monomane, l’Horace cocardier qui s’équiperait pour le tuer en un corps à corps sans merci, le chauvin batailleur, avant le dernier combat, devrait un salut à ce Curiace.


Mais que nous sommes loin de saisir les décoratives grandeurs, et comme tristement ceux qui ont évité le gâtisme des pornographies, échouent dans l’étroitesse des doctrines.

Tant pis, peut-être tant mieux.

Les progressistes en retard jettent de fausses notes et claironnent d’étranges motifs.

C’est le chant du cygne.

Ils rêvent là-bas, dans le lointain de la Méditerranée bleue, l’exécution d’un monsieur, comme eux amant de territoire — un de leurs émules — et, tandis qu’ils rêvent, ils n’entendent pas les jeunes qui montent, chaque jour grandissant leur nombre, les jeunes révoltés qui surgissent — fièrement traîtres à la patrie — et criant de voix vibrantes :

— Assez ! plus de sacrifices pour les marâtres, plus de batailles… ou une dernière — et qu’elle soit contre vous !