Enfances célèbres/Deux enfants de Charles Ier

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Librairie de L. Hachette et Cie (p. 193-225).



DEUX ENFANTS DE CHARLES Ier



NOTICE SUR LA PRINCESSE ELISABETH STUART ET SUR LE DUC HENRI DE GLOCESTER.

La reine Henriette d’Angleterre, femme de Charles Ier et fille d’Henri IV, quitta l’Angleterre au moment des troubles avec quatre de ses enfants. Mais les deux autres, Élisabeth et Henri de Glocester, ne purent la rejoindre et restèrent prisonniers, comme leur père, du Parlement révolté.

La princesse Élisabeth était née au palais de Saint-James, le 8 janvier 1635. Dès son plus jeune âge elle montra un esprit vif et pénétrant et les plus heureuses dispositions pour l’étude. Elle avait à peine dix ans, que son père la consultait déjà avant de prendre une décision, tant il avait reconnu en elle de justesse d’esprit et de perspicacité précoce. Elle était frêle et délicate, mais d’une figure expressive et charmante. Elle avait quatorze ans quand elle perdit son père ; elle en ressentit une si vive douleur qu’on la vit dépérir rapidement ; on lui avait donné pour prison, ainsi qu’à son frère le duc de Glocester, la forteresse de Carisbrooke dans l’île de Wight, la même où leur père avait langui prisonnier. La vue de ces murs acheva de la tuer. On la trouva morte un matin dans sa chambre, le 8 septembre 1650.

Elle fut inhumée secrètement dans l’église de Newport. La reine Victoria vient de lui faire élever un monument dont Marochetti a fait la statue dans la nouvelle église de Newport.

Le duc Henri de Glocester, frère de la princesse Élisabeth, naquit aussi dans le palais de Saint-James en 1640. Il suivit la destinée de sa sœur, mais à la mort de celle-ci, Cromwell le renvoya en France rejoindre sa mère, ses frères et ses sœurs exilés ; il languit triste et taciturne jusqu’à la restauration de son frère Charles II sur le trône d’Angleterre. Il était toujours poursuivi par l’image de son père décapité auprès duquel on l’avait conduit, ainsi que sa sœur Élisabeth, la veille du jour de son exécution, et qui lui avait dit : » Mon fils, souviens-toi qu’ils vont couper la tête de ton père. »

Ce jeune prince ne rentra en Angleterre que pour y mourir. Il expira à peine âgé de vingt et un ans dans le petit palais de Whitehall, le même qui fut témoin du supplice de son père.

DEUX ENFANTS DE CHARLES Ier.

Chaque pays a son Eldorado, son coin de terre enchanté que le soleil caresse, que la nature embellit, et où on voudrait vivre les belles années de la jeunesse. La France a ses îles d’Hyères et l’Italie ses îles du lac de Côme ; l’Espagne a Grenade, le Portugal a Cintra, l’Angleterre a son île de Wight.

Dans les premiers jours d’août 1859, je partis de Londres à trois heures, par un temps brumeux, et j’arrivai à six à Portsmouth, par un magnifique soleil couchant qui me rappela ceux du Midi. La mer, d’un vert d’aigue-marine, était azurée par le reflet du ciel. Je montai sur le pont du steamer qui devait me conduire à l’île de Wight, et bientôt l’île charmante, l’île jardin de l’Angleterre, sœur lointaine de l’Isola-Bella, apparut devant moi comme un immense radeau de verdure et de fleurs caressé par les flots.

Tandis que le steamer s’éloignait du port de Portsmouth, un grand vaisseau de guerre y arrivait ; il revenait de Crimée chargé de soldats, qui tous se pressaient sur le pont pour saluer les côtes de l’Angleterre. Les uniformes rouges et les armes brillantes se détachaient sur le bleu d’un ciel chaud et lumineux. Le grand navire passa si près de nous que je pus distinguer les figures martiales et bronzées de ces vaillantes troupes décimées ! Le vaisseau creusa derrière nous un profond sillage et entra dans la rade de Portsmouth, pendant que la marée nous poussait vers l’île de Wight, et bientôt nous touchâmes le Pire, jetée aérienne qui sert de promenade aux baigneurs, et par laquelle les nouveaux débarqués arrivent à Ryde, la ville aristocratique de l’île.

[Illustration : Tandis que le steamer s’éloignait du port de Portsmouth, un grand vaisseau de guerre y arrivait.]

En ce moment, les deux tours du château d’Osborne se dressaient à la pointe extrême de l’île, éclairées en plein par le soleil couchant qui les couronnait et les faisait ressembler à deux phares.

Osborne est la résidence privée de la reine d’Angleterre ; elle s’est plu à embellir les jardins et les promenades de ce riant palais et l’habite plusieurs mois de l’année. Mais mon but, en visitant l’île de Wight, était surtout de voir l’ancien château fort de Carisbrooke, qui servit de prison à Charles Ier. Je partis un matin de Ryde pour faire cette excursion.

L’antique forteresse, dont les premières constructions remontent aux Romains, est située près de Newport, capitale de l’île. La Medina traverse Newport et coule en ligne droite et en s’élargissant toujours jusqu’à Cowes, où est son embouchure. Newport, bâti dans l’intérieur des terres, n’a d’intéressant que ses souvenirs historiques et son église de Saint-Thomas qui renferme une tombe virginale, qui est la poésie éternelle de l’île.

Après avoir traversé Newport, je laissai à ma droite le joli village de Carisbrooke avec ses arbres, ses jardins, son église, flanquée d’une haute tour, dont le cadran fait voir les heures aux campagnards éloignés ; la mer est à l’horizon, et à mesure que je montais, me rapprochant de la forteresse, l’étendue des flots se déroulait plus immense. Je marchais sous de grands arbres séculaires, dans des sentiers de gazon, au pied des remparts en ruine. Je passai sous une grande arche de porte sans fermeture, et j’arrivai sous la voûte profonde de pierre, flanquée de deux bastions, qui sert d’entrée à la forteresse. Je me trouvai alors dans une espèce de place d’armes. Je me dirigeai à l’aventure, et j’escaladai les débris des remparts, auxquels s’enchevêtrent des arbustes, des sureaux et des ronces. Le hasard m’avait bien guidée ; c’est là que se trouve la fenêtre de la citadelle par laquelle Charles Ier tenta de s’échapper. Cette fenêtre, formée de deux ogives, était voisine de la chambre du prisonnier. Chaque ogive n’avait d’abord qu’un barreau, mais, après la tentative d’évasion, le barreau fut doublé. Un figuier et une vigne sauvage s’enlacent maintenant à cette fenêtre et y forment un treillis. Tandis que je regardais la base des remparts extérieurs, à travers le feuillage frissonnant à la brise de mer qui soufflait de l’ouest, j’entendis dans la grande cour de la forteresse une voix de jeune fille qui me disait en anglais : » Quand madame aura vu à son gré les ruines, je la conduirai dans les appartements fermés. » Celle qui me parlait ainsi paraissait avoir dix-huit ans. Sa taille était élancée, son visage avait un éclat de carnation que possèdent seules les jeunes Anglaises ; j’en dirai autant de ses yeux noirs, tranquilles et profonds ; ce ne sont point les yeux des Italiennes, ils ont plus de pensée et moins de flamme ; sa chevelure brune et abondante était nattée sous un chapeau rond en paille grise. Elle portait une robe en mousseline blanche et lilas, dont le corsage flottant était fermé au cou par un nœud de ruban cerise ; les manches laissaient le bras à découvert jusqu’au coude ; les mains étaient voilées par de petites mitaines en filet noir. Elle avait dans toute sa personne cette propreté anglaise irréprochable.

Je lui demandai comment elle possédait les clefs du château ; elle me répondit qu’elle était la fille du concierge du lord gouverneur (c’est toujours un lord qui est le gouverneur titulaire de ces ruines), et qu’elle était chargée d’accompagner les visiteurs. Avant de la suivre dans les appartements intérieurs, je voulus continuer mon exploration des remparts et des tours démantelées. Tout ce qui reste des remparts était couvert d’une végétation vigoureuse ; les genêts et les sureaux en fleurs répandaient dans l’air leurs chauds parfums qui me rappelèrent ceux des campagnes du Midi. Les abeilles assiégeaient ces fleurs pour y prendre leur miel.

Je descendis des remparts, je traversai la place d’armes, je laissai à ma gauche les bâtiments plus modernes que la jeune fille devait me montrer, et je me dirigeai vers la tour principale, la grande tour bâtie par les Romains, près de laquelle s’élèvent deux magnifiques sapins. Les chroniques des sixième et neuvième siècles parlent de cette tour comme d’une place très-importante ; elle avait alors à sa base un puits de trois cents pieds de profondeur, qui fut comblé plus tard comme inutile. On monte jusqu’au sommet effondré de cette tour par un escalier de soixante-douze marches très-hautes et très-rudes, qui de loin font ressembler cet escalier à une échelle presque perpendiculaire. À l’angle sud-est de la tour romaine sont les restes d’une autre tour plus basse appelée Montjoye, dont les murs ont dix-huit pieds d’épaisseur. Arrivée sur le parapet en ruine qui couronne la haute tour romaine, je m’assis sur des touffes de bruyères pour contempler longuement la mer et la campagne qui se déroulaient sous mes yeux.

J’avais en face, sur le premier plan, la forêt et le village de Carisbrooke, et, plus loin, à droite, la ville de Newport ; à gauche, l’Océan, dont la marée montait, et où quelques voiles se montraient au large ; derrière moi s’étendaient les plaines et les collines couvertes de cultures abondantes. Tout l’intérieur de la tour, vide des constructions primitives, est devenu comme un puits de verdure où s’enlacent les lierres et les sureaux. Des lézards sautaient du mur en ruine où j’étais adossée et disparaissaient dans cet abîme dont ils agitaient un moment la surface : c’était le seul bruit qui parvenait jusqu’à moi ; à cette hauteur, la nature paraissait endormie sous l’accablante chaleur de ce jour d’août.

Il me semblait voir errer, sur les remparts de la vieille citadelle que je dominais, l’ombre de Charles Ier, de ce roi chevaleresque et mélancolique, passionné et lettré comme Marie Stuart ! Il aimait les arts en profond connaisseur, il savait goûter Raphaël dont il recueillit les précieux cartons ; il fit éclater le génie de Van Dyck et décida de sa fortune.

Sa famille était dispersée, la reine (Henriette, fille de Henri IV) avait passé en Hollande (avant la déchéance du roi) avec la princesse royale qui épousa le prince d’Orange ; la reine était revenue en Angleterre ramener des secours pour la royauté ; mais elle fut forcée de se réfugier bientôt en France, où la princesse Henriette (qu’immortalisa Bossuet), le prince de Galles (qui fut plus tard Charles III), et le duc d’York (qui devint Jacques II), la rejoignirent. — Deux autres enfants, la petite princesse Élisabeth et son plus jeune frère le duc de Glocester, n’avaient pu quitter l’Angleterre pendant la captivité de leur père ; ils furent confiés par le Parlement à la comtesse de Leicester ; elle eut pour eux des soins de mère. Il est rare, malgré la guerre et les passions politiques qui déchaînent les hommes, qu’une femme se prête au rôle de geôlier et persécute l’enfance ! Ces deux derniers enfants du roi, d’une intelligence précoce et d’une beauté frappante que Van Dyck a rendue dans un tableau de famille, étaient ceux que le pauvre monarque prisonnier aimait entre tous ; il demanda vainement à les voir pendant qu’il était enfermé à Carisbrooke. Mais le 29 janvier 1649, les soldats de Cromwell virent passer sous la sombre porte de Whitehall deux enfants conduits par une lady[4] ; une petite fille de treize ans, vêtue de noir, avec la fraise à la Médicis entourant son cou délicat et montant jusqu’à l’ovale expressif de sa tête blonde, donnait la main à un petit garçon de huit ans, frêle et amaigri comme elle : c’étaient le frère et la sœur ; tous deux étaient si tristes et si graves, qu’ils faisaient involontairement songer à ce vers de Shakspeare.


So wise, so young, they say do ne’er live long.

[Note 4 : La comtesse de Leicester.]

Ils traversèrent plusieurs salles pleines de gardes, et arrivèrent enfin dans une chambre plus sombre, où ils trouvèrent leur père calme et digne, écrivant devant une table. Mais quand les deux enfants se précipitèrent dans ses bras, la nature éclata en sanglots, et l’héroïsme stoïque fut vaincu ; ce père était Charles Ier, qui devait mourir le lendemain ! ces enfants, la jeune princesse Elisabeth et le petit duc de Glocester !

[Illustration : Les soldats de Cromwell virent passer sous la sombre porte de Whitehall deux enfants conduits par une lady.]

[Illustration : La nature éclata en sanglots]

Quand le roi put maîtriser son émotion, il remit à sa fille quelques bijoux pour sa mère, ses frères et ses sœurs, et, pour elle, la Bible qui ne l’avait jamais quitté durant sa captivité, et où il avait puisé de hautes et immortelles consolations !

Cette entrevue sembla soulager l’âme du père, mais elle brisa à jamais celle des deux enfants. Ils comprirent bien, dès les jours suivants, que le roi avait été décapité aux rigueurs qui s’étendaient sur eux : la pension que leur faisait le Parlement fut supprimée ; ils perdirent leur titre de prince, et leurs serviteurs leur furent enlevés ; Cromwell parla même de leur faire apprendre un métier. Le petit duc devait devenir un ouvrier cordonnier, et la jeune princesse une ouvrière en boutons.

Ces indignités (qui heureusement pour la nation anglaise ne s’accomplirent pas) me faisaient penser aux tortures infligées au fils de Marie-Antoinette ; il en mourut, et les autres, suivant la belle expression anglaise, moururent d’un cœur brisé.

Je savais la fin prématurée de ces deux adolescents, dont la vie fut si vite assombrie par le malheur ; mais les circonstances de leur déclin, les détails, qui sont la physionomie des choses, m’échappaient. Les historiens contemporains parlent peu de la mort de cette jeune princesse, si merveilleusement intelligente, dont tous célèbrent l’esprit. Elle naquit dans le palais de Saint-James, le 8 janvier 1635 ; elle était d’une beauté attrayante qui semblait refléter son cœur affectueux et son vif esprit. Van Dyck en a fait un portrait quand elle avait sept ans. C’est une petite fille, au cou tendu, à la mine éveillée et mutine. Elle avait douze ans quand le comte de Montreuil, alors ambassadeur de France à Londres, écrivait d’elle à sa cour : » qu’elle était d’une grande beauté, qu’elle rappelait par son esprit le roi Henri IV, son grand-père, et que jamais dans un enfant il n’avait vu tant de grâce, de dignité et de sensibilité. »

Hume va plus loin, il lui accorde une grande supériorité de jugement, et le chancelier Clarendon ajoute que son intelligence inusitée et profonde était un sujet d’étonnement pour son père, qui la consultait souvent et s’émerveillait sur ses remarques toujours justes sur les hommes et sur les choses. — Où avait-elle langui, et où s’était-elle éteinte, cette belle enfant si merveilleusement douée ? Je la voyais toujours frappée à mort sortant de Whitehall, en tenant par la main ce petit frère dont elle semblait être la mère anticipée ; puis elle disparaissait pour moi dans l’ombre et l’oubli de l’histoire.

Tandis que les souvenirs de Charles Ier et de sa famille remontaient à flots pressés dans mon esprit, j’étais toujours assise sur le sommet de la tour gigantesque de Carisbrooke, dominant la campagne tranquille et l’Océan agité. Les travailleurs quittaient les champs, poussant les bœufs vers l’étable ; les troupeaux de moutons aux pieds noirs et polis, contrastant avec la blancheur de leur toison, se serraient vers les granges : le crépuscule se faisait dans le ciel, où se montraient déjà de pâles étoiles.

Comme pétrifiée sur ce sommet, je méditais encore sur les luttes incessantes des sociétés, qui troublent de leurs éternels orages la terre nourricière, ainsi que des enfants qui s’entre-déchirent sur le sein de leur mère.

Tout à coup une voix fraîche et jeune monta de l’escalier de la tour et dit en anglais :

» Si madame veut voir l’appartement de la princesse, il est temps, car la nuit va venir. » Et la jeune et jolie gardienne de Carisbrooke, avec son trousseau de clefs, arriva bientôt jusqu’à moi. Je la suivis en silence ; elle tenait à la main avec ses clefs un petit livre que j’eus la curiosité de regarder : c’étaient les poésies écossaises de Burns.

Les appartements dans lesquels me conduisit la jeune fille forment la partie moderne de la citadelle de Carisbrooke ; ils furent construits sous le règne d’Élisabeth, et adossés à un vieux bâtiment qui sert aujourd’hui de ferme et où se trouve un puits très-profond dont l’eau a la fraîcheur de la glace. Cette ferme est ombragée par de beaux arbres et des fourrés de végétations qui la relient à la partie en ruine des remparts. C’est de ce côté qu’était la chambre de Charles Ier, dont il ne reste que des fragments de murs et un pan de fenêtre. Ces débris, les constructions anciennes et les constructions plus modernes dont je viens de parler, se massent ensemble et séparent la place d’armes, que j’avais traversée en entrant, de la cour qui mène à la grande tour.

Les appartements du temps de la reine Élisabeth n’ont aucune espèce de caractère ; on y entre par un vestibule carré sans ornementation ; on monte un assez large escalier avec une rampe à balustres peints en gris, et l’on arrive dans un grand salon oblong dont le plafond est formé par des poutres à découvert peintes en gris. Une grande cheminée de la Renaissance est aussi peinte en gris, de même que les corniches et les soubassements, dans l’encadrement desquels ont dû être placées des tentures de tapisseries. Du reste, nul vestige de sculpture, d’écussons ou de chiffres ; dans l’angle de cette salle à droite est une porte assez basse. On monte trois marches après l’avoir franchie, et on se trouve dans une toute petite chambre à boiserie grise, dont la fenêtre prend jour sur les remparts ; une autre chambre à peu près jumelle est à côté : elle a une cheminée au fond ; de sa fenêtre on voit à droite et perpendiculaire cette autre fenêtre en ogive que j’ai décrite et par laquelle Charles Ier tenta de s’évader. En face de cette ruine, ma pensée se reporta naturellement vers le roi prisonnier et sa famille. Ma charmante et fraîche conductrice, qui ne m’avait point encore adressé la parole, me dit alors : » C’est ici qu’elle est morte ; et, dans son agonie, elle a bien souvent regardé dans la direction où vous regardez en ce moment.

— De qui parlez-vous donc ? m’écriai-je.

— De la petite princesse, une fée, un ange ! De la fille du roi Charles Ier, décapité à Whitehall ; elle fut amenée ici avec son frère Henri, après la mort de leur père. Ils habitaient ces deux étroites chambres ; dans celle où nous sommes couchait la princesse, et c’est ici qu’un matin on la trouva morte.

— Est-ce une légende que vous me contez, repris-je, une tradition vague ?

— Non, répliqua-t-elle, c’est une histoire certaine dont chaque fait et chaque sentiment ont été religieusement transmis de père en fils dans la famille de mon père. Celui-ci a su de son bisaïeul ce que son bisaïeul avait appris du sien. »

Ce fut par une froide journée de mars que ce plus ancien en date des gardiens de Carisbrooke, charge héréditaire dans ma famille depuis plus de deux cents ans, vit arriver, conduits par des soldats, deux enfants en habits de deuil. La neige couvrait toute l’île, le ciel, était noir et faisait ressortir plus encore la blancheur de la terre.

La jeune princesse et le petit prince traversèrent cette cour qui est là sous nos yeux ; ils marchaient pâles et tout frissonnants sur la terre glacée. Il avait été défendu de leur rendre les honneurs dus à leur rang et même de les servir. Mais le sang de mon père a toujours été généreux, dit la jeune fille en souriant ; il est de la source de celui de cet ancêtre éloigné, qui reçut ici les deux orphelins royaux. Orphelins en effet, car leur mère était comme morte pour eux, elle ne pouvait revenir de son exil et les emporter dans ses bras ! Ils semblaient accablés par le fardeau de leur peine et se regardaient tristement.

Le gardien (de qui descend mon père) les fit entrer dans la grande salle que nous venons de traverser ; ils s’assirent près de la cheminée flambante pour se réchauffer un peu. La femme du gardien, une bonne âme de ce temps et que j’aime encore en mémoire des soins qu’elle prit d’eux, leur offrit à manger ; le petit prince y consentit avec plaisir, car il avait grand’faim ; mais la princesse ne voulut boire qu’une tasse de lait. Elle toussait beaucoup. On les conduisit dans leurs petites chambres. La princesse, qui n’en pouvait plus, se hâta de se coucher ; mais avant elle regarda par la fenêtre où nous sommes accoudées, et un soldat qui faisait sentinelle sur les remparts lui apprit brutalement que cette fenêtre gothique où les plantes grimpantes s’enlacent aujourd’hui, était celle par laquelle le roi Charles Ier avait voulu s’évader. La princesse Élisabeth éclata en sanglots ; c’était déchirant de la voir. Enfin elle baisa la Bible qui lui venait de son père, la posa à la tête de son lit, et parut se calmer.

Le lendemain, quand mon aïeule entra dans sa chambre, elle la trouva en prière avec son petit frère Henry ; elle l’avait levé et habillé elle-même, trop fière pour réclamer contre les ordres des bourreaux de son père. Mère adolescente, le malheur lui avait suggéré toutes les délicatesses des soins maternels. Comme la neige avait cessé de tomber et qu’un pâle soleil se jouait sur sa blancheur, les enfants demandèrent à se promener un peu dans la cour et sur les remparts ; on leur laissa là quelque liberté, car la citadelle était fermée de toutes parts, et les pauvres petits prisonniers n’étaient guère capables de s’échapper. Aussitôt qu’ils furent maîtres de leurs pas, on les vit se diriger tous deux, sans s’être consultés, vers la partie des remparts où est la fenêtre en ogive. Ils appuyèrent leurs têtes sur les barreaux, enlacèrent leurs petites mains et restèrent longtemps à penser à leur père.

[Illustration : Elle la trouva en prière avec son petit frère Henry]

On n’a pas douté que la vue toujours présente de cette fenêtre ne hâtât le dépérissement de la douce princesse ; cette tête de roi qui passa par là, tandis que le corps ne put suivre, lui présentait l’image de l’échafaud, où la tête de son père tomba sanglante ! Chaque jour, à chaque heure, la vue de l’ogive trop étroite qui fit manquer l’évasion, lui rappelait cette affreuse mort que la fuite aurait empêchée. C’était une douleur sans cesse renouvelée ; aussi mon aïeule disait-elle bravement au gouverneur, ami de Cromwell, qu’avoir conduit là ces deux pauvres petits êtres, c’était un raffinement de cruauté indigne de bons chrétiens. Elle sentait bien, l’honnête femme, que le choix de cette prison était une torture qui les tuerait lentement, surtout la jeune princesse, qui semblait déjà près de mourir.

Cependant, les premiers jours qui suivirent son arrivée, elle fit de grands efforts de courage ; elle disposa sa petite chambre pour s’y recueillir ; elle plaça là, sur une planche où vous voyez ces clous, quelques livres français, anglais et latins qu’on lui avait laissés : elle mit sa table de bois de sapin près de la fenêtre, elle y écrivit plusieurs heures par jour ; elle désira que la tête de son lit fût tournée en face des remparts. Souvent, quand elle devint plus faible, elle restait étendue tout le jour, l’œil fixé vers la fatale fenêtre.

Elle obtint de mon aïeule qu’on lui ouvrît la chambre où le roi Charles avait été prisonnier ; cette chambre n’existe plus aujourd’hui, il n’en reste qu’un débris de mur, là à droite.

Le premier jour qu’elle y pénétra ce furent de nouvelles larmes ; les murs lui faisaient mal, elle y voyait passer les peines et les humiliations subies par le roi son père. On m’a dit que les pensées douloureuses usent la vie plus vite que les souffrances du corps ; l’histoire de la princesse Elisabeth le prouve bien. Cependant elle voulait vivre, vivre pour élever son petit Henry, suivant la promesse sacrée qu’elle en avait faite à son père.

Aidée par son frère, elle transforma en oratoire la chambre du roi. Quand le printemps commença, ils y apportèrent des fleurs comme on fait à une tombe ; ils y lisaient ensemble la Bible qui n’avait pas quitté leur père et qu’il lisait, lui aussi, prisonnier à la même place ! — Il fallait la voir attentive et tendre pour son bien-aimé petit Henry ! Tant qu’un peu de force lui resta, elle lui faisait chaque jour réciter des vers latins, lui parlait de l’histoire d’Angleterre, de celle de France et des autres pays lointains. Tandis que le jeune duc écrivait ses leçons, elle travaillait elle-même, elle faisait des fraises de linon bien simples et bien blanches pour elle et pour son frère. Le mouvement de l’aiguille la fatiguait, son souffle était alors plus oppressé, et sur sa pâleur perlaient des gouttes de sueur froide.

[Illustration : Ils y apportèrent des fleurs.]

La bonne femme du gardien la suppliait en vain d’interrompre son double travail ; elle avait coutume de répondre : » Je ne puis laisser mon pauvre frère dans l’ignorance, et je dois me servir moi-même, puisque les bourreaux de mon père l’ont décrété. » Ce qui rendit son mal rongeur incurable, c’est qu’aucune voix du dehors ne leur apportait l’espérance. Elle ignorait le sort de sa mère et des quatre enfants qui l’avaient suivie ; où étaient-ils ? S’ils étaient libres, comment ne venaient-ils pas les délivrer ?

Elle sentait bien qu’elle se mourait ; pourtant jamais une plainte ne s’échappa de ses lèvres. On lui entendait dire sur le pardon et sur la vraie grandeur du chrétien des choses qu’elle tenait du roi son père, et qui remplissaient d’admiration ceux qui l’écoutaient.

On était arrivé à la fin de mai et l’île avait revêtu cette parure d’herbes, de fleurs et de feuillages que vous lui voyez ; les petits prisonniers se promenaient deux fois par jour sur les remparts et dans la place d’armes, mais les remparts étaient le lieu préféré, tant à cause de la fenêtre qui les attirait que de la campagne qu’ils voyaient de là se dérouler devant eux. C’était toujours un peu de liberté pour les yeux ! Ils apercevaient sur la mer glisser de beaux navires, ils suivaient les travaux champêtres dans les terres voisines ; les plaisirs des villageois dansant et vidant des brocs en bas des remparts, dans le petit village de Carisbrooke.

Par une belle journée, ils virent passer une noce ; tous les paysans et paysannes qui formaient le cortége de la mariée chantaient et portaient des bouquets pour lui faire honneur. Quand ils aperçurent les enfants du roi, tristement assis sur les remparts, ils cessèrent leur chanson et leur lancèrent leurs bouquets en signe d’hommage. Alors la jeune princesse Élisabeth détacha de son cou une croix d’or, et, se penchant vers la mariée, la lui jeta.

Une autre fois, vers le soir, ils entendirent des matelots qui, en conduisant une barque, chantaient par habitude l’air du God save the King : la double tranquillité de la mer et de la campagne laissait monter vers eux le chant sonore. » Écoute, s’écria la jeune princesse, en voilà qui aiment encore notre père ! » Et, heureuse un moment, elle embrassa son frère.

L’été faisait pousser les arbres et les blés, il colorait les fleurs et les fruits, et chassait les brouillards du ciel et de la mer ; la terre germait partout, riante et belle, le deuil de l’hiver était oublié. Il semble que lorsque la nature se montre ainsi en force et en fête, il ne devrait plus y avoir ni malades ni malheureux : pourtant il n’en est rien. » La sève de la terre n’est pas la même qui nous donne ou nous rend la vie, disait la princesse Élisabeth ; notre force ou notre défaillance viennent de l’âme. » Aussi les parfums avaient beau monter vers sa prison, les oiseaux joyeux chanter et voler sur sa tête ; l’Océan avait beau n’avoir que des horizons de lumière, et les jeunes sapins du bois voisin croître et s’élever sous ses yeux comme un emblème de l’adolescense qui grandit ; sa taille à elle se courbait sous le poids du cœur, si délicate et si frêle qu’elle penchait toujours du même côté. Sa figure restait pâle comme l’ivoire malgré la chaleur vivifiante qui partout faisait circuler la sève et le sang. Sans ses grands yeux noirs, les yeux de sa mère, qui éclairaient cette pâleur glacée, ont eût pu croire qu’elle était déjà morte.

Un matin, un chant de psaume se fit entendre comme le frère et la sœur faisaient leur promenade habituelle sur le rempart. La femme du gardien les avait suivis, car la jeune princesse était si faible qu’elle craignait à chaque pas de la voir tomber.

Un enterrement passait dans les sentiers fleuris ; c’était une jeune fille que l’on portait au cimetière. Ceux qui suivaient pleuraient sur la trépassée, qui, n’avait pas quinze ans. » Oh ! ne pleurez point, s’écria la princesse Élisabeth ; le repos dans le sein de Dieu, c’est le bonheur. »

Lorsqu’arrivèrent les jours chauds du mois d’août, le mal qui la tuait parut empirer ; l’haleine lui manquait pour faire sa chère promenade sur les remparts. Bientôt il lui devint même impossible de marcher dans la cour ; elle ne quitta plus la petite chambre où nous sommes, et quand elle parlait, sa voix était si éteinte qu’on se sentait attendri. Le sommeil l’aurait reposée, mais la toux l’empêchait de dormir, et, chaque matin, la femme du gardien la trouvait plus pâle et plus amaigrie ; elle essayait encore d’instruire son frère, de lire ses livres aimés et d’écrire ce qu’elle avait pensé et souffert dans sa vie, mais elle ne le pouvait plus sans une forte souffrance. Alors, résignée, elle disait : » Attendons ! » — Les soins n’y faisaient rien. Si les soins avaient pu la guérir, la bonne femme du gardien l’aurait sauvée. Quand les premières feuilles tombèrent, on vit bien qu’elle était perdue.

Un matin (le 8 septembre 1650), la femme du gardien entrait ici à l’heure habituelle, tenant à la main la tasse de lait que la princesse buvait chaque jour en s’éveillant ; au lieu de la trouver toussant, assise sur son lit, elle la vit étendue et calme, ses beaux cheveux descendaient sur son cou mignon, sa joue était posée sur son inséparable Bible qu’elle avait dû lire en s’endormant ; elle tenait dans ses mains jointes un papier écrit ; aucun souffle ne sortait de ses lèvres, aucun geste n’interrompait l’immobilité de sa pose gracieuse ! Elle était morte, morte seule, durant la nuit ! Comment ? on ne le sut jamais. — Le papier qu’elle tenait dans sa main avait été écrit par elle la veille au soir. Voici ce qu’il contenait :

[5]Ce que le roi me dit le 29 janvier 1649, la dernière fois que j’ai eu le bonheur de le voir :

» Le roi me dit qu’il était heureux que je fusse venue, car, quoiqu’il n’eût pas le temps de me dire beaucoup de choses, il désirait me parler de ce qu’il ne pouvait confier qu’à moi : il avait craint, ajouta-t-il, que la cruauté de ses gardiens ne le privât de cette dernière douceur. » Mais peut-être, mon cher cœur, poursuivit-il, tu oublieras ce que je vais te dire ; » et il versa alors d’abondantes larmes. Je l’assurai que j’écrirais toutes ses paroles. » Mon enfant, reprit-il, je ne veux pas que vous vous désoliez pour moi ; ma mort est glorieuse, je meurs pour les lois et la religion. » Il me nomma ensuite les livres que je devais lire contre la papauté[6] ; il m’assura qu’il pardonnait à ses ennemis et qu’il désirait que Dieu lui pardonnât. Il nous recommanda de leur pardonner nous-mêmes ; il me répéta plusieurs fois de dire à ma mère que sa pensée ne s’était jamais éloignée d’elle, et que son amour serait le même jusqu’à la fin. Il nous ordonna, à mon frère et à moi, de lui obéir et de l’aimer ; et, comme nous pleurions, il nous dit encore qu’il ne fallait pas nous affliger pour lui, qu’il mourait en martyr, certain que le trône serait rendu un jour à son fils, et que nous serions alors tous plus heureux que s’il eût vécu. Il prit ensuite mon frère Glocester sur ses genoux ; et lui dit : » Mon cher cœur, on va bientôt couper la tête de ton père ! » L’enfant le regarda attentivement : » Écoute-moi bien, reprit le roi, on va couper la tête de ton père et peut-être voudra-t-on après te faire roi ; mais n’oublie jamais ce que je te dis, tu ne dois pas être roi tant que ton frère Charles et ton frère Jacques vivront. C’est pourquoi je t’ordonne de ne pas te laisser faire roi. »

[Note 5 : Ce document est parfaitement authentique, je l’ai traduit de l’anglais d’une notice historique sur la princesse Élisabeth, par le P. Cyprien Gamache, confesseur de la princesse Henriette. Je dois la communication de ce document très-rare à l’obligeance de M. Marochetti.]

[Note 6 : Ceci prouve une fois de plus un point bien acquis à l’histoire, c’est que le roi Charles I er, comme son père Jacques Ier, resta jusqu’à la fin un fidèle protestant ; il était de l’Église anglicane et ennemi prononcé de la papauté. Ce fut même là un sujet de dissentiment très-vif entre lui et la reine Henriette de France, fille de Henri IV. Il avait été convenu dans leur contrat de mariage que la reine aurait une chapelle catholique desservie par douze prêtres. Les enfants mâles qui pourraient naître de leur union devaient être protestants et les filles catholiques ; cependant la chapelle de la reine finit par être supprimée et le roi fit une protestante fervente de la princesse Élisabeth, cette enfant de sa prédilection. Au moment de mourir, il lui parle encore des livres qu’elle doit lire contre la papauté. Il est vrai que ce n’était pas assez pour les presbytériens d’Écosse et les saints de Cromwell.]

[Illustration : Elle la vit étendue et calme.]

» L’enfant soupira profondément, et répondit qu’il se laisserait plutôt mettre en pièces. Ces paroles, prononcées par un si jeune enfant, émurent et réjouirent le roi. Alors il lui parla des soins de son âme, lui recommanda de garder fidèlement sa religion et de craindre Dieu. Mon frère promit avec force de se rappeler les avis de mon père. »

Ici le récit des adieux du roi à ses enfants paraissait interrompu ; il l’avait été par la mort qui avait glacé subitement la main de la jeune princesse. Ne vous étonnez pas si je sais par cœur ces pages sacrées, une copie en resta dans ma famille. J’ai lu et répété si souvent ces pages qu’elles sont ineffaçables de ma mémoire.

On emporta sans pompe le corps de la pauvre princesse ; le gardien, sa femme et quelques soldats l’accompagnèrent à Newport. Le petit prince menait le deuil ; c’était pitié de le voir, le visage couvert de larmes, libre un seul jour d’aller à travers la campagne pour conduire la bière de sa sœur !

Le gouverneur de Carisbrooke suivait le cortége, moins pour faire honneur à la morte que pour s’assurer que ses ordres seraient exécutés : on déposa la princesse Élisabeth dans un cercueil de plomb, sur lequel se trouvait l’inscription Suivante :


ÉLISABETH, IIe FILLE DU DERNIER ROI CHARLES,

DÉCÉDÉE LE 8 SEPTEMBRE 1650.

On descendit le cercueil dans les caveaux de l’église Saint-Thomas, sous une voûte arquée près de l’autel, les initiales E. S. (Elisabeth Stuart) marquèrent le lieu ; longtemps cette sépulture fut oubliée.

Le petit duc de Glocester était revenu mourant dans le donjon de Carisbrooke ; il refusait de prendre aucune nourriture. Cromwell, craignant de le voir mourir en prison, ordonna qu’on le mît en liberté ; on le transporta en France, où il retrouva sa mère. Mais il portait dans son cœur un germe de mort ; les ombres de son père et de sa sœur semblaient le poursuivre toujours et le rappeler de la vie. Les joies de la restauration n’adoucirent pas son deuil ; il mourut à vingt et un ans, morne et taciturne, dans une chambre de Whitehall, sans avoir voulu prendre part à aucune des fêtes données par son frère Charles II.

Aujourd’hui l’heure est venue où toute l’île de Wight va glorifier le souvenir de la princesse Élisabeth. Vous avez vu, poursuivit l’aimable fille du gardien, ces jolies tentes qui s’élèvent sur la pelouse derrière la grande tour ; dans huit jours, toutes les ladies et tous les lords de l’île se réuniront là autour de la reine ; le but de la fête est une vente d’objets d’art et d’ouvrages charmants auxquels les belles mains des plus grandes dames ont travaillé ; sous ces tentes s’abriteront les ladies transformées en marchandes, et vous pensez si l’or tombera dans leurs mains ! Avec cet or, on fera un monument digne d’elle à la princesse dont le doux fantôme est la poésie de notre île. Il y a deux ans, la vieille église de Newport fut abattue, et le prince Albert posa la première pierre d’un nouveau temple ; c’est là que le cercueil de la princesse Élisabeth a été porté ; c’est là que s’élèvera son monument ; la reine a promis la statue qui doit le couronner.

» Cette statue ! je l’ai vue, lui dis-je ; c’est bien la jeune princesse lorsqu’on la trouva morte, étendue blanche et pudique dans les plis de son vêtement. La tête, d’une beauté idéale, repose sur la Bible ouverte ; les cheveux ombragent le cou, le sein et les bras : c’est une figure chaste et divine qui convient à un tombeau ; l’âme y plane sur un corps transfiguré. Cette figure est l’œuvre de Marochetti. »

Nous restâmes encore, la jeune gardienne et moi, quelques instants en silence dans cette petite chambre où s’était accomplie la sereine agonie ; la nuit était venue et me rappela la nécessité du départ. Je n’osai, en la quittant, offrir de l’argent à la charmante fille si poétique et si intelligente ; j’avais dans ma voiture un beau livre d’un grand poëte français ; je le lui donnai ainsi qu’une écharpe que je portais à mon cou ; un dernier good night fut échangé, et les chevaux rapides me ramenèrent à Ryde.