Enfances célèbres/Pascal et ses sœurs

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Librairie de L. Hachette et Cie (p. 157-173).



PASCAL ET SES SŒURS



NOTICE SUR PASCAL ET SES SœuRS.

Blaise Pascal.

Blaise Pascal, géomètre, philosophe, littérateur, naquit à Clermont-Ferrand en 1623, et fut élevé par son père, Étienne Pascal, président à la cour des aides et savant mathématicien. À douze ans, il découvrit, sans le secours d’aucun livre, les premières propositions de la géométrie jusqu’à la trente-deuxième d’Euclide. À seize ans, il composa un traité des sections coniques, et à dix-huit la première machine qui ait effectué exactement les quatre opérations fondamentales de l’arithmétique. Il donna enfin sur la roulette ou cycloïde la solution des problèmes les plus difficiles qu’on ait abordés sans le secours de l’analyse infinitésimale, et que n’avaient pu résoudre les plus habiles géomètres de l’époque. Jusqu’alors il ne s’était fait connaître que par ses travaux mathématiques. La querelle des jansénistes et des jésuites ouvrit une voie nouvelle à son génie. Élevé dans une grande austérité de principes, il ne put voir sans indignation la morale relâchée de la société de Jésus, et fit paraître les célèbres Lettres à un provincial, qui restent comme un des plus beaux monuments de notre langue. Les Pensées, publiées pour la première fois, en 1670, révèlent une troisième phase de la vie de Pascal. Il devait rassembler dans cette dernière œuvre, restée incomplète, toutes les preuves de la religion, pour donner aux esprits indécis cette certitude dont nul plus que lui n’avait besoin. Hésitant entre le scepticisme philosophique et la foi religieuse, plein de troubles intellectuels, et souffrant de plusieurs maladies cruelles, il mourut en 1662, âgé de trente-neuf ans.

Gilberte Pascal.

Gilberte Pascal (Mme Périer) naquit à Clermont en 1620. Elle fut élevée par son père, qui, dès sa plus tendre jeunesse, avait pris plaisir à lui apprendre les mathématiques, la philosophie et l’histoire. Elle se maria à vingt et un ans ; elle était belle et d’une tournure charmante ; elle a écrit une vie de son frère et une autre de sa sœur Jaqueline. Mme Périer mourut à Paris en 1687 ; elle est enterrée à Saint-Etienne du Mont, à côté de son frère Blaise Pascal.

Jaqueline Pascal.

Jaqueline Pascal naquit à Clermont en 1625. Dès l’âge de six ans, elle annonçait beaucoup d’esprit et de grandes dispositions pour la poésie. Elle fut élevée par son père et par sa sœur ; elle était parfaitement belle, mais d’une taille peu élevée. À l’âge de treize ans elle eut la petite vérole, sa beauté en fut altérée ; elle s’en consola en tournant ses pensées vers Dieu, à qui elle adressa des vers sur cet accident. En 1639, sa famille s’établit à Rouen, où Jaqueline obtint un prix de poésie. Plusieurs propositions de mariage lui furent faites, elle les refusa toutes. Tant que son père vécut, elle ne le quitta point ; mais à sa mort elle se retira au couvent de Port-Royal des Champs, où elle prit le voile en 1652 ; elle avait alors vingt-six ans ; elle se consacra à l’éducation des novices. Quand la persécution de Louis XIV contre Port-Royal commença, elle dit qu’elle n’y survivrait pas. Elle mourut en effet peu de temps après, en 1661, âgée de trente-six ans. Jaqueline Pascal a laissé des poésies, des ouvrages de piété et des règlements pour l’éducation des enfants.

PASCAL ET SES SœuRS

On montre encore à Clermont la maison où naquirent Pascal et ses deux sœurs. Le petit Blaise, qui devait rendre si illustre le nom de Pascal, vint au monde faible et chétif ; il avait à peine un an lorsqu’il resta comme inanimé dans les bras de sa mère ; on crut qu’il était mort. Mais les larmes et les prières maternelles semblèrent opérer un miracle. L’enfant sourit tout à coup, la santé lui revint et il se développa intelligent et beau. Sa sœur Jaqueline fut douée comme lui d’un esprit merveilleusement précoce ; leurs visages se ressemblaient ; elle avait de son frère le front élevé, l’œil éclatant, le nez arqué, la mine fière. Quand Jaqueline eut huit ans et qu’il en eut dix, c’étaient deux enfants dont la beauté captivait et dont l’esprit inattendu et original était un sujet d’étonnement pour tout le monde. Entraîné vers les sciences, le jeune Pascal suppliait son père de l’initier à ces merveilleux mystères qu’il rêvait. Mais son père résistait, craignant que cette étude ne le détournât de celle des langues.

L’enfant réitéra ses instances et demanda à son père de lui apprendre au moins les éléments des mathématiques. N’ayant pu l’obtenir, le jeune Pascal se mit à réfléchir seul sur ces premières notions. À l’heure des récréations, il se retirait dans une salle isolée, et là, un crayon à la main, il s’appliquait à tracer des figures géométriques ; il établissait des principes, il en tirait des conséquences, il trouvait des démonstrations, et il poussa ses recherches si avant que, sans le secours d’aucun des ouvrages qui traitent de l’algèbre, il y fit tout seul d’immenses progrès. Son père le surprit un jour dans cet exercice ; il en fut si touché que des larmes jaillirent de ses yeux. Dès ce jour il n’enchaîna plus l’essor du génie de son fils, et il permit à Blaise d’assister aux conférences des savants qui s’assemblaient chez lui toutes les semaines. Jaqueline aussi méditait à l’écart et, comme son frère, était tourmentée par l’obsession d’un génie naissant. Mais ce n’était point la science qui la sollicitait. Dès l’âge de sept ans elle pensait en vers ; la poésie chantait à son oreille. Quand sa sœur Gilberte (depuis Mme Périer), l’aînée des trois enfants, qui remplaçait leur mère morte, voulut lui apprendre à lire, Jaqueline résista ; à l’heure de la leçon elle se cachait pour y échapper. Mais un jour ayant entendu sa sœur lire des vers tout haut, captivée par cette cadence qui déjà vibrait dans son cœur, elle lui dit :

» Quand vous voudrez me faire lire, faites-moi lire des vers, et je lirai ma leçon tant que vous voudrez. »

[Illustration : Pascal étudiant la géométrie]

Depuis ce jour elle parlait toujours de vers, elle en apprenait par cœur avec facilité ; elle voulut en connaître les règles, et à huit ans, avant de savoir lire couramment, elle se mit à en composer.

Le père de ces enfants de génie s’était établi à Paris pour veiller sur leur éducation, et Jaqueline y trouva deux jeunes compagnes (les demoiselles Saintot) qui avaient, comme elles, les plus heureuses dispositions pour la poésie. Un jour, les trois petites filles résolurent de faire une comédie ; elles en choisirent le sujet, en composèrent le plan, et en firent tous les vers sans l’aide de personne. C’était une pièce suivie en cinq actes, et dans laquelle toutes les règles d’alors étaient observées. Elles la jouèrent elles-mêmes deux fois avec d’autres acteurs de leur âge. On réunit grande compagnie pour les entendre et chacun s’étonna que ces enfants eussent pu faire un aussi long ouvrage. On y trouva des traits charmants. La cour et la ville en parlèrent, et Jaqueline, qui n’avait pas dix ans, devint un enfant célèbre en poésie comme l’était déjà dans la science son jeune frère Blaise.

La reine Anne d’Autriche, qui résidait au château de Saint-Germain, voulut voir la petite muse. Mme de Morangis, amie de la famille Pascal et qui était de la cour, se chargea d’y conduire Jaqueline. De Paris à Saint-Germain c’était alors tout un voyage ; un carrosse de la reine y mena la petite fille célèbre, accompagnée de Mme de Morangis. La reine était grosse de l’enfant qui fut depuis Louis XIV. Jaqueline composa sur cette circonstance un sonnet où elle célébrait les espérances que la France fondait sur ce prince encore à naître. Arrivée à Saint-Germain, elle fut introduite dans le cabinet de la reine, qui, entourée d’une suite nombreuse, reçut Jaqueline avec bonté et prit de ses mains les vers qu’elle avait composés. Mais en les entendant, la reine s’imagina que ces vers n’étaient pas d’une enfant si jeune, ou du moins qu’on lui avait beaucoup aidé. Tous ceux qui étaient présents eurent la même pensée. Alors Mademoiselle (qui fut plus tard la grande Mademoiselle) s’approcha de Jaqueline et lui dit : » Puisque vous faites si bien les vers, faites-en pour moi. » Aussitôt Jaqueline se retira quelques instants dans un angle du cabinet de la reine, et tranquillement elle improvisa les vers suivants :

À MADEMOISELLE DE MONTPENSIER.


Fait sur-le-champ par son commandement.

Muse, notre grande princesse

Te commande aujourd’hui d’exercer ton adresse

À louer sa beauté ; mais il faut avouer

Qu’on ne saurait la satisfaire

Et que le seul moyen qu’on a de la louer

C’est de dire en un mot qu’on ne saurait le faire.

Chacun applaudit cet impromptu, et Mme d’Hautefort demanda à son tour à l’enfant de faire des vers pour elle. Aussitôt la petite Jaqueline improvisa un éloge de la beauté de Mme d’Hautefort. La reine et toute l’assistance étaient ravies, et depuis ce jour la jeune sœur de Pascal fut souvent appelée à la cour et toujours caressée du roi, de la reine, de Mademoiselle et de tous ceux qui la voyaient. Elle avait les reparties les plus justes et souvent les plus profondes. Ce qui charmait en elle, c’est qu’elle gardait la gaieté de son âge ; quand elle était avec ses compagnes, elle jouait à tous les jeux des enfants, et, lorsqu’elle était seule, elle s’amusait avec ses poupées.

[Illustration : Jaqueline chez Anne d’Autriche.]

On sent la naïveté de cet esprit merveilleux dans le morceau suivant qu’elle adressa à la reine pour la remercier de l’accueil fait à ses premiers vers :


Mes chers enfants, mes petits vers,

Se peut-il arriver dans le grand univers


Un bien qu’on puisse dire au vôtre comparable ?

Vous êtes remplis de bonheur :

La reine vous combla d’honneur,

Sa Majesté vous fit un accueil favorable.

Sa main daigna vous recevoir.

Son œil, plein de douceur, se baissa pour vous voir ;

Vous fûtes en silence ouïs de ses oreilles,

Et par un excès de bonté,

Sans que vous l’eussiez mérité,

Sa bouche vous nomma de petites merveilles.

Malgré le succès de Jaqueline à la cour, malgré le génie naissant de son frère, qui déjà excitait la curiosité des princes et des grands, leur père faillit être enfermé à la Bastille par le cardinal de Richelieu. Dans une réunion nombreuse où se trouvaient d’autres personnages, M. Pascal père et quelques-uns de ses amis exprimèrent à propos des rentes de l’hôtel de ville une opinion assez vive contre le cardinal ; traités de séditieux, tous ceux qui avaient parlé de la sorte furent envoyés à la Bastille. L’ordre d’arrêter M. Pascal fut donné ; il se sauva et parvint à se dérober aux poursuites qui le menaçaient.

Pour se distraire de ses graves préoccupations d’État, Richelieu faisait souvent jouer la comédie dans le Palais-Cardinal, aujourd’hui le Palais-Royal ; les galeries n’existaient pas alors, et les jardins de ce beau palais s’étendaient en parterres et en bosquets jusqu’aux boulevards. La duchesse d’Aiguillon, nièce de ce redoutable ministre, présidait aux fêtes qu’il donnait et en préparait elle-même les divertissements. Corneille, encore peu connu, vivait à Rouen. C’était Rotrou, c’était Scudéry qui fournissaient les pièces que l’on représentait au Palais-Cardinal. Au mois de février 1639, la duchesse d’Aiguillon, pour donner plus d’attrait à ces représentations, voulut faire jouer par des enfants l’Amour tyrannique, tragi-comédie de Scudéry. Elle songea aux demoiselles Saintot, à leur petite amie Jaqueline et à son frère Pascal ; mais Gilberte, la sœur aînée, qui veillait sur les enfants dont le père était proscrit, répondit fièrement au gentilhomme qui lui fut envoyé en cette occasion par la duchesse d’Aiguillon : » Monsieur le cardinal ne nous donne pas assez de plaisir pour que nous pensions à lui en faire. » La duchesse insista et fit même entendre que le rappel de leur père devait en dépendre. Les amis de la famille décidèrent alors que Jaqueline accepterait le rôle qu’on lui proposait. Le célèbre acteur Montdory, qui était de Clermont et qui connaissait la famille Pascal, donna des leçons à Jaqueline et se chargea de monter la pièce. Le jour de la représentation arriva. Jaqueline, qui avait à peine douze ans, mit dans son jeu une gentillesse qui charma tous les spectateurs, et surtout Richelieu. Le cardinal ne cessa de l’applaudir. Elle profita de son succès pour obtenir la grâce de son père. Écoutons-la faire le récit de cette soirée dans une lettre adressée à son père et restée jusqu’ici inédite. Nous la donnons d’après le manuscrit de la Bibliothèque impériale.

» Monsieur mon père,

» Il y a longtemps que je vous ai promis de ne point vous écrire si je ne vous envoyais des vers, et, n’ayant pas eu le loisir d’en faire (à cause de cette comédie dont je vous ai parlé), je ne vous ai point écrit il y a longtemps. À présent que j’en ai fait, je vous écris pour vous les envoyer et pour vous faire le récit de l’affaire qui se passa hier à l’hôtel de Richelieu, où nous représentâmes l’Amour tyrannique devant M. le cardinal. Je m’en vais vous raconter de point en point tout ce qui s’est passé. Premièrement, M. Montdory entretint M. le cardinal depuis trois heures jusqu’à sept heures, et lui parla presque toujours de vous, de sa part et non pas de la vôtre, c’est-à-dire qu’il lui dit qu’il vous connaissait, lui parla fort avantageusement de votre vertu, de votre science et de vos autres bonnes qualités. Il parla aussi de cette affaire des rentes, et lui dit que les choses ne s’étaient pas passées comme on avait fait croire, et que vous vous étiez seulement trouvé une fois chez M. le chancelier, et encore que c’était pour apaiser le tumulte ; et pour preuve de cela, il lui conta que vous aviez prié M. Fayet d’avertir M… Il lui dit aussi que je lui parlerais après la comédie. Enfin, il lui dit tant de choses qu’il obligea M. le cardinal à lui dire : » Je vous promets de lui accorder tout ce qu’elle me demandera. » M. de Montdory dit la même chose à Mme d’Aiguillon, laquelle lui dit que cela lui faisait grande pitié et qu’elle y apporterait tout ce qu’elle pourrait de son côté. Voilà tout ce qui se passa devant la comédie. Quant à la représentation, M. le cardinal parut y prendre grand plaisir ; mais principalement lorsque je parlais, il se mettait à rire, comme aussi tout le monde dans la salle.

» Dès que cette comédie fut jouée, je descendis du théâtre avec le dessein de parler à Mme d’Aiguillon. Mais M. le cardinal s’en allait, ce qui fut cause que je m’avançai tout droit à lui, de peur de perdre cette occasion-là en allant faire la révérence à Mme d’Aiguillon ; outre cela, M. de Montdory me pressait extrêmement d’aller parler à M. le cardinal. J’y allai donc et lui récitai les vers que je vous envoie, qu’il reçut avec une extrême affection et des caresses si extraordinaires que cela n’était pas imaginable. Car, premièrement, dès qu’il me vit venir à lui, il s’écria : » Voilà la petite Pascal, » et puis il m’embrassait et me baisait, et, pendant que je disais mes vers, il me tenait toujours entre ses bras et me baisait à tous moments avec une grande satisfaction, et puis, quand je les eus dits, il me dit : » Allez, je vous accorde tout ce que vous me demandez ; écrivez à votre père qu’il revienne en toute sûreté. » Là-dessus Mme d’Aiguillon s’approcha, qui dit à M. le cardinal : » Vraiment, monsieur, il faut que vous fassiez quelque chose pour cet homme-là ; j’en ai oui parler, c’est un fort honnête homme et fort savant ; c’est dommage qu’il demeure inutile. Il a un fils qui est fort savant en mathématiques, qui n’a pourtant que quinze ans. » Là-dessus, M. le cardinal dit encore une fois que je vous mandasse que vous revinssiez en toute sûreté. Comme je le vis en si bonne humeur, je lui demandai s’il trouverait bon que vous lui fissiez la révérence ; il me dit que vous seriez le bienvenu, et puis, parmi d’autres discours, il me dit : » Dites à votre père, quand il sera revenu, qu’il me vienne voir, » et me répéta cela trois ou quatre fois. Après cela, comme Mme d’Aiguillon s’en allait, ma sœur l’alla saluer, à qui elle fit beaucoup de caresses et lui demanda où était mon frère, et dit qu’elle eût bien voulu le voir. Cela fut cause que ma sœur le lui mena ; elle lui fit encore grands compliments et lui donna beaucoup de louanges sur sa science. On nous mena ensuite dans une salle, où il y eut une collation magnifique de confitures sèches, de fruits, limonade et choses semblables. En cet endroit-là elle me fit des caresses qui ne sont pas croyables. Enfin, je ne puis pas vous dire combien j’y ai reçu d’honneurs ; car je ne vous écris que le plus succinctement qu’il m’est possible de…[3]. Je m’en ressens extrêmement obligée à M. de Montdory, qui a pris un soin étrange. Je vous prie de prendre la peine de lui écrire par le premier ordinaire pour le remercier, car il le mérite bien. Pour moi, je m’estime extrêmement heureuse d’avoir aidé en quelque façon à une affaire qui peut vous donner du contentement. C’est ce qu’a toujours souhaité avec une extrême passion, Monsieur mon père,

» Votre très-humble et très-obéissante fille et servante,

» Pascal.

» De Paris, ce 4 avril 1639. »

[Note 3 : Mot illisible dans la lettre manuscrite.]

Voici quels étaient les vers adressés à Richelieu et joints à la lettre que nous venons de citer :


Ne vous étonnez pas, incomparable Armand,

Si j’ai mal contenté vos yeux et vos oreilles :

Mon esprit, agité de frayeurs sans pareilles,

Interdit à mon corps et voix et mouvement.

Mais pour me rendre ici capable de vous plaire,

Rappelez de l’exil mon misérable père :

C’est le bien que j’attends d’une insigne bonté ;

Sauvez un innocent d’un péril manifeste :

Ainsi vous me rendrez l’entière liberté

De l’esprit et du corps, de la voix et du geste.

En recevant ces heureuses nouvelles, Étienne Pascal se hâta de revenir à Paris ; il se présenta, avec ses trois enfants, à Ruel, chez le cardinal, qui lui fit l’accueil le plus flatteur. » Je connais tout votre mérite, lui dit Richelieu ; je vous rends à vos enfants et je vous les recommande ; j’en veux faire quelque chose de grand. »

Deux ans après, Étienne Pascal fut nommé à l’intendance de Rouen, et il alla s’établir dans cette ville avec sa famille. La jeune Jaqueline, qui n’avait cessé de s’exercer à faire des vers, obtint le prix de poésie décerné chaque année à Rouen, à la fête de la Conception de la Vierge, qui était le sujet même du concours. Quoique ces vers ne méritent pas d’être cités, ils eurent alors un prodigieux succès. Le prix fut porté à Jaqueline en grande pompe, avec des trompettes et des tambours, et Corneille, présent à cette cérémonie, fit un impromptu sur le triomphe et la modestie de la jeune muse, qui s’était dérobée à cette ovation.

Voici le début de ces vers ; ils étaient adressés au prince qui présidait la solennité :


Pour une jeune muse absente,

Prince, je prendrai soin de vous remercier,

Et son âge et son sexe ont de quoi convier

À porter jusqu’au ciel sa gloire encor naissante.

Guidée par le génie de Corneille, qui peut dire jusqu’où serait monté le vol de cette intelligence, dans ce beau siècle où un souffle de grandeur passa sur les âmes et s’en exhala ? Mais la gloire, sans doute, effraya Jaqueline ; elle en détourna ses regards avec une sorte d’éblouissement, et elle ne fit plus de vers que pour célébrer Dieu :


Moteur de ce grand univers,

Inspirez-moi de puissants vers,

Envoyez-moi la voix des anges,

Non pas pour louer les mortels,

Mais pour entonner vos louanges,

Et vous remercier au pied de vos autels.

Bientôt elle entra au couvent de Port-Royal des Champs, et y ensevelit cette beauté et cet esprit qui l’avaient fait admirer dans le monde. Que de charmes, que de génie se cachèrent dans cette retraite, gloires humaines perdues dans la gloire de Dieu, comme ces étoiles qui brillent, fuient et se confondent dans la voie lactée !