Ennéades (trad. Bouillet)/Tome III/Avertissement

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Les Ennéades de Plotin
Tome troisième - Avertissement
Traduction française de M.-N. Bouillet


AVERTISSEMENT.


Marsile Ficin, cet infatigable écrivain auquel le monde savant doit la première traduction latine de Platon, ainsi que celle de plusieurs des Néoplatoniciens, notamment de Plotin, éprouvait, après avoir terminé ce dernier travail, l’un des plus considérables qu’il eût accomplis, le besoin d’adresser à Dieu des actions de grâces pour lui avoir donné la force d’achever une si grande œuvre : « Gratias tibi agimus, summe Deus, s’écrie-t-il, illuminator mentium auctorque bonorum, quod nobis, præter meritum, ad absolvendum opus tantum tua gratia vires suppeditasti. » Nous aussi, en arrivant au terme de ce labeur, le plus difficile assurément de tous ceux qu’il nous a été donné d’exécuter dans le cours d’une carrière déjà longue et assez remplie, nous sentons le besoin d’adresser nos actions de grâces à la divine Providence qui, exauçant nos vœux, nous a concédé le temps et les forces nécessaires pour mener à bonne fin une telle entreprise.

C’est qu’en effet, il ne suffisait pas, pour l’accomplir, de pénétrer le sens souvent obscur des écrits du philosophe alexandrin, et de rendre dans un langage intelligible pour le lecteur français la pensée d’un auteur jusqu’ici réputé intraduisible ; il fallait encore, afin de remplir dans son entier la tâche que nous nous étions imposée, offrir au lecteur tous les secours qui pouvaient faciliter l’intelligence des Ennéades ; il fallait en outre rechercher dans les écrits ou les doctrines des philosophes qui ont précédé Plotin les matériaux si divers dont a été formé cet édifice complexe qu’on appelle l’éclectisme alexandrin, puis suivre ce système dans son développement, en rechercher la trace ou en signaler l’influence dans les âges postérieurs.

Cette triple tâche de traduction, d’élucidation et d’investigations historiques, nous l’avons poursuivie dans ce nouveau volume, avec le même soin que dans les précédents et avec une expérience plus grande peut-être, mais aussi en rencontrant des difficultés croissantes. En effet, tandis que les questions traitées dans la IIIe et la IVe Ennéade, celle de la Providence et du Destin, du Temps et de l’Éternité, de l’essence de l’Âme, de ses rapports avec le corps, de son immortalité, sont des questions communes à toutes les philosophies, débattues de tout temps, et pour cette raison plus faciles à traiter avec clarté, celles qui remplissent la Ve et la VIe Ennéade sont plus particulièrement propres au Néoplatonisme, et, quoique vieilles de plus de quinze siècles, elles sont encore presque entièrement neuves pour notre âge. Il s’agit ici en effet des trois hypostases divines, c’est-à-dire de la trinité néoplatonicienne, des rapports que ces hypostases ont entre elles et avec le monde, de la manière dont elles procèdent les unes des autres et dont elles engendrent tout ce qui existe ; il s’agit du monde intelligible, c’est-à-dire des idées, des rapports que ces idées ont avec les êtres réels et avec les individus ; il s’agit des genres de l’être, qui sont, au sens platonicien, les éléments essentiels des substances ; il s’agit du Bien en soi, de l’Un absolu, c’est-à-dire de Dieu envisagé dans ce qui constitue son essence la plus intime ; il s’agit enfin de la communication des âmes avec Dieu, des moyens de s’unir à lui, en un mot de la vision de Dieu, le but le plus élevé et le degré suprême de la béatitude pour les philosophes néoplatoniciens.

La simple traduction de tels livres offrait déjà, on le conçoit, plus de difficulté que celle d’aucun des livres précédents : la plupart des doctrines exposées ici étant, comme nous l’avons dit, propres aux Néoplatoniciens, nous marchions sur un terrain tout nouveau et les termes nous manquaient presque pour rendre des idées si éloignées des nôtres. On jugera si, malgré ces obstacles, nous avons réussi à faire comprendre notre auteur, et si, dans la traduction, nous avons pu, tout en respectant les droits de notre langue, conserver à l’interprète de la sagesse antique, comme il se nomme lui-même, sa physionomie propre et son enthousiasme.

Pour l’explication de la doctrine, qui était plus nécessaire ici que partout ailleurs, nous avons dû user de toutes les ressources que nous nous étions ménagées, notes, éclaircissements, rapprochements de toute espèce.

Dans les notes particulières qui accompagnent le texte et qui en forment pour ainsi dire le commentaire continu, nous nous sommes attaché, comme partout, à lever les difficultés de détail en expliquant les passages obscurs et les termes techniques ; en outre, nous avons indiqué ou même cité textuellement les passages qui étaient de nature à jeter quelque jour sur le texte, soit que Plotin fît allusion à ces passages pour les combattre ou pour se les approprier (comme cela a lieu notamment dans les livres sur les Genres de l’Être, sur la Volonté et la liberté de l’Un, livres qui seraient inintelligibles si l’on n’avait sous les yeux les textes mêmes des Catégories et de la Morale d’Aristote) ; soit que les auteurs que nous citions eussent eux-mêmes tenté d’expliquer ou d’apprécier Plotin, comme l’ont fait Proclus, Simplicius, Olympiodore, et quelquefois saint Cyrille, saint Basile, saint Augustin.

Mais ce premier genre de secours, qui par sa nature même devait disperser l’attention sur les détails, ne pouvait faire saisir le lien et l’ensemble des théories. Pour parer à cet inconvénient, nous avons ici, comme pour les livres précédents, présenté un résumé des principaux points de doctrine traités dans les deux dernières Ennéades, notamment de la théorie si importante des trois hypostases divines[1] : à cet effet, nous avons réuni en un seul tableau les passages épars où Plotin traite le même sujet.

Nous avons réservé pour un Appendice plusieurs morceaux d’auteurs anciens d’un grand intérêt, qui par leur sujet se rattachent étroitement aux questions traitées dans ce volume, mais qui par leur étendue ne pouvaient figurer dans les notes ni même dans les éclaircissements. Parmi ces morceaux, dont nous devons la traduction, comme pour ceux que contiennent les volumes précédents, à l’inépuisable obligeance de M. Eugène Lévêque, nous signalerons, avec les fragments de Porphyre sur les trois hypostases, les imitations de Plotin par saint Basile[2] . Frappé sans doute de la sublimité du langage dans lequel Plotin s’exprime sur la divinité et de la ressemblance qu’offrent les attributs qu’il donne à l’Âme universelle avec ce que la foi enseigne au sujet de l’Esprit-Saint, le Père de l’Église n’a pas dédaigné d’emprunter, dans quelques-uns des plus beaux passages de ses écrits, les propres paroles du philosophe païen pour les appliquer à la troisième personne de la Trinité, en les adaptant toutefois au dogme chrétien. Ces emprunts avaient déjà en partie été signalés par un savant étranger, M. A. Jahn[3] : nous avons complété ses recherches, et nous avons adopté, dans l’impression des morceaux de l’un et l’autre écrivain, la disposition qui nous a paru la plus propre à faire ressortir les points de doctrine qui leur sont communs et les passages qui se correspondent.

À ces divers secours que nous devions au lecteur de Plotin en notre qualité de traducteur et d’interprète, nous en avons joint un autre dont les amis des recherches promptes et faciles nous sauront peut-être quelque gré : nous voulons parler de la Table alphabétique des matières, travail long et ingrat, mais qui, nous l’espérons, ne sera pas sans utilité. Outre qu’elle abrégera les recherches pour les hommes studieux qui connaissent tout le prix du temps, cette table offrira l’avantage de donner sur chaque question l’indication de tous les passages de notre auteur qui s’y rapportent, avantage important quand il s’agit d’un auteur si peu méthodique, dont les opinions sont disséminées dans toutes les parties de ses écrits et qui revient à toute occasion sur les mêmes sujets (Voy., par exemple, le mot Raison qui a dans notre philosophe des sens si divers). On y trouvera en outre, groupés sous chaque nom propre, tous les passages des auteurs cités dans cet ouvrage, soit par Plotin, soit par nous-même, ce qui peut être de quelque secours pour l’histoire de la philosophie : nous appellerons surtout l’attention sur les articles Aristote, saint Augustin, Énée de Gaza, Jamblique, Gnostiques, Macrobe, Olympiodore, Platon, Plotin, Porphyre, Priscien de Lydie, Proclus, Simplicius, Stoïciens, Victorinus[4]. Notre œuvre est terminée. Nous ne nous dissimulons pas tout ce qu’elle offre encore d’incomplet. Sans doute il eût été bon, comme d’excellents esprits en ont exprimé la pensée, qu’outre le résumé partiel qu’elle offre à l’occasion sur chaque point de doctrine, elle présentât un exposé général et méthodique du système de Plotin, ainsi qu’une discussion approfondie et une appréciation définitive de ce système ; il eut été bon aussi d’ajouter aux indications que nous avons données sur les sources où a puisé le père de la philosophie néoplatonicienne, et sur les écrivains qui se sont inspirés de ses écrits, des recherches sur les doctrines analogues qui ont pu se produire soit en Orient, soit en Occident, de montrer, par exemple, les rapports que peut avoir le Néoplatonisme avec le Soufisme de la Perse, le Brahmanisme de l’Inde et le Bouddhisme du Thibet, ainsi qu’avec les systèmes modernes de Jordano Bruno, de Spinosa, de Schelling. Mais, outre que nous n’eussions guère pu, comme nous l’avons dit ailleurs[5] que refaire en cela, et moins bien peut-être, ce qui a déjà été exécuté avec succès dans plusieurs ouvrages récents, dont l’un a mérité la sanction de l’autorité la plus compétente, celle de l’Académie des Sciences morales[6], nous eussions risqué, en formulant un jugement anticipé ou des opinions systématiques, de diminuer la foi en notre fidélité de traducteur et de rendre notre impartialité suspecte ; en outre, nous nous serions mis dans la nécessité de retarder indéfiniment, par des recherches en partie nouvelles pour nous, une publication déjà tant de fois ajournée. À l’âge où nous sommes, nous avons dû nous hâter et dire avec le fabuliste :


Quittons le long espoir et les vastes pensées.

Toutefois, nous persistons à croire que, bien que plus modeste, notre œuvre, telle que nous l’avons conçue et exécutée, peut encore être utile. En mettant à la portée du plus grand nombre des lecteurs des écrits qui n’étaient jusqu’ici accessibles qu’à une très-petite minorité de savants privilégiés, nous aurons secondé pour notre faible part le mouvement qui a été imprimé par un puissant esprit à l’étude de l’histoire de la philosophie. En faisant connaître Plotin tel qu’il est, nous aurons donné à chacun le moyen de se former une idée exacte de la valeur de ce philosophe, et nous aurons fourni une base solide aux appréciations qui pourront désormais être faites de son système, ainsi qu’aux comparaisons qu’il y aurait lieu d’établir entre ce système et ceux qui l’ont précédé ou suivi. Enfin, sans nous aveugler sur les défauts d’une philosophie qui trop souvent met l’imagination ou l’inspiration à la place de la raison et qui pèche par la base en attribuant le plus haut degré de réalité à ce qui n’est que le plus haut degré de l’abstraction, nous pensons que, dans ces temps où domine le culte des intérêts matériels, c’est un service à rendre à la morale que de recommander l’étude de cette doctrine toute spiritualiste qui, noble émule du christianisme, ne tend qu’à purifier l’âme et qu’à la détacher du corps pour l’élever à Dieu. Il ne peut assurément y avoir qu’à gagner dans le commerce du philosophe que saint Augustin appelait avec son siècle le grand Plotin, en qui il croyait voir revivre Platon lui-même, et dont la doctrine ne peut être mieux caractérisée que par ces propres paroles qui terminent les Ennéades : « Détachement de toutes les choses d’ici-bas, dédain des voluptés terrestres, fuite de l’âme vers Dieu, qu’elle voit seule à seul. »


Nous ne terminerons pas cette publication sans payer un juste tribut de reconnaissance à ceux qui nous y ont aidé, directement ou indirectement.

À leur tête doit être placé M. V. Cousin qui, après avoir par ses leçons, par ses écrits et par ses actes, donné une si vive impulsion à l’étude de l’histoire de la philosophie en France, a rendu lui-même un éminent service à tous ceux qui cultivent la science, et à nous en particulier, par ses beaux travaux sur la philosophie grecque, par sa traduction complète de Platon, par son édition de plusieurs écrits inédits de Proclus et par ses recherches sur Olympiodore, ouvrages sans lesquels il nous eût été bien difficile de faire les rapprochements et les citations qui formaient une des parties essentielles de notre tâche. Ajoutons que l’illustre académicien, que nous nous glorifions d’avoir eu pour maître, a bien voulu nous donner ses conseils comme autrefois, nous ouvrir sa riche bibliothèque et encourager par tous les moyens en son pouvoir un travail dont personne ne pouvait mieux que lui apprécier l’utilité et les difficultés. Nous devons beaucoup aussi à M. Barthélémy Saint-Hilaire, qui a fait passer dans notre langue ceux des écrits d’Aristote qui importent le plus à la philosophie ; à M. Ravaisson, qui, par ses profondes recherchée sur la Métaphysique d’Aristote et sur le Stoïcisme, nous a fourni plusieurs des rapprochements qui pouvaient donner à cette publication le plus d’intérêt, en même temps qu’il jetait une vire lumière sur les doctrines mêmes de Plotin par ses ingénieux et profonds aperçus ; à M. Ad. Franck et à M. S. Munk, qui par les beaux travaux qu’ils ont publiés, l’un sur la Kabbale, l’autre sur la Source de la Vie d’Ibn-Gébirol et sur le Guide des Égarés de Maïmonide, nous ont ouvert des horizons nouveaux et nous ont permis de signaler de curieux rapporte entre les doctrines néoplatoniciennes et les Idées judaïques.

Un témoignage particulier de reconnaissance est également dû à l’éloquent auteur du Tableau de la littérature chrétienne au ive siècle, à M. Villemain, qui, en nous faisant connaître, dans les belles pages qu’il a consacrées aux Pères de l’Église et notamment à saint Augustin, les sentiments d’admiration que ce Père professait pour Plotin, nous a révélé un des premiers toute l’importance qu’avaient les écrits de ce philosophe, et qui depuis n’a cessé, par ses paroles encourageantes, de nous affermir dans la résolution de traduire intégralement les écrits du chef de l’école néoplatonicienne.

Mais il n’est personne qui nous ait prêté un concours plus direct et plus assidu que M. Eugène Lévêque, que nous avons déjà nommé comme traducteur des morceaux dont se composent les Appendices joints à chaque volume. Après un intervalle de plusieurs années, nous sommes heureux de pouvoir dire aujourd’hui, avec plus de fondement encore que nous ne pouvions le faire au début[7], « qu’associé dès l’origine à notre pensée, ce jeune professeur, aussi savant que modeste, nous a secondé jusqu’au bout avec un zèle, une constance qui ne se sont jamais démentis. »


L’accueil empressé qu’avait reçu dès son apparition le premier volume de notre traduction n’a pas non plus manqué au second. Dans les articles qui ont été consacrés à cette publication par les plus dignes représentants de la presse, les savants critiques ont su unir d’une manière parfaite la bienveillance et l’impartialité : lors même qu’ils ont cru devoir combattre les doctrines de Plotin, ils se sont plu à rendre justice aux intentions du traducteur, à proclamer la valeur et l’utilité de son travail, à encourager ses efforts. Nous prions tous ceux qui ont bien voulu se faire ainsi nos introducteurs auprès du public lettré[8] de recevoir ici l’expression de notre gratitude. Nous devons à cet égard des remercîments tout particuliers à M. Ad. Franck, membre de l’Académie des Sciences morales, et à M. Charles Lévêque, professeur au Collége de France, dont les comptes rendus, par leur étendue et par l’examen approfondi auquel ils se sont livrés, sont de véritables études sur les Ennéades bien plutôt que de simples articles[9].

Enfin, les grands corps lettrés, ceux dont le suffrage a le plus d’autorité et le plus de prix, l’Académie des Sciences morales, l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres, l’Académie française, ont daigné accueillir avec une faveur marquée l’hommage que nous leur avions fait des deux premiers volumes de cette traduction et accorder à notre publication une attention toute particulière. Voilà certes de bien douces récompenses et tout à fait propres à nous dédommager de bien des peines.

Puisse ce dernier volume obtenir le même accueil que les précédents ! Nous serons alors convaincu que nos veilles n’ont pas été perdues et que nous n’avons pas inutilement consumé dans ce pénible labeur plusieurs années de notre vie.


Savigny-sur-Orge, 15 octobre 1800.

  1. Voy. p. 570-579. Nous avons aussi, à l’occasion de cette théorie, indiqué les rapports qu’elle pouvait avoir avec la Trinité chrétienne, et nous avons montré, en nous appuyant du témoignage des Pères, notamment de saint Cyrille et de saint Augustin, que, s’il y a entre elles sur quelques points des ressemblances apparentes, il y a des différences capitales qui empêchent de songer à les confondre. Voy. notamment, pour les passages de saint Cyrille, t. III, p. 5, 6, 10, 14 et 626 ; pour saint Augustin, t. I, p. 257-258, 322-323 ; t. III, p. 572-575.
  2. Voy. p. 655 et suiv.
  3. Voy. ci-après, p. 621-622.
  4. Ajoutons encore que, pour l’histoire des Religions anciennes, on trouvera des indications précieuses aux articles Mystères et Mythes.
  5. Préface, t. I, p. XX.
  6. L’Histoire de l’École d’Alexandrie de M. Vacherot. On pourra en outre consulter, pour ce qui concerne le Soufisme, les travaux de Tholuck (Sufismus, sive Theosophia Persarum pantheistica, Berlin, 1831) et de M. Garcin de Tassy (Poésie philosophique et religieuse chez les Persans, Paris, 1857) ; pour le Brahmanisme, les recherches de Colebrooke ; pour le Bouddhisme, celles de MM. Burnouf et Barthélemy Saint-Hilaire ; pour J. Bruno, l’ouvrage de Bartholmess ; pour Spinosa, les travaux de M. Saisset ; et pour Schelling, la dissertation de G.-G. Gerlach, intitulée : De differentia quæ inter Plotini et Schellingii doctrinas de numine summo intercedit, Wittemberg, 1811.
  7. Tome I, p. XXXV.
  8. M. Ch. Jourdain (Journal général de l’Instruction publique, 2 mars 1859) ; M. L. Monty (Constitutionnel, 23 janvier 1859, et Revue européenne, 15 décembre 1859) ; M. E. de Suckau (Revue de l’Instruction publique, 28 mars 1859) ; M. A. Chassang (le Pays, 5 avril 1859) ; M. l’abbé Cognat (l’Ami de la Religion, 7 et 26 août 1859) ; M. Ch. Lévêque (Journal des Savants, octobre 1859) ; M. F. Claude (Revue française, 1er et 20 juin, 1er et 10 juillet 1859) ; M. Ad. Franck (Journal des Débats, 21 et 24 juillet 1860). Nous devons mentionner aussi un article publié dans The Literary Gazette de Londres (10 février 1860), article dont nous regrettons de ne pas connaître l’auteur. Ajoutons que le Conseil impérial de l’Instruction publique, appelé à désigner les ouvrages dignes des encouragements de l’État, a cru devoir signaler au choix du ministre notre traduction des Ennéades et que, d’après son avis, M. le Ministre s’est empressé d’y souscrire.
  9. Qu’il nous soit permis, au risque de paraître blesser la modestie, de citer ici quelques lignes de l’article de M. Franck, parce qu’elles caractérisent fort bien le but et la nature de notre œuvre : « Pendant qu’on nous vante avec exaltation l’érudition allemande, voici un Français qui poursuit courageusement, au milieu du silence, une des entreprises les plus difficiles dont la science se soit occupée depuis longtemps. Faire passer dans notre langue les Ennéades de Plotin, c’est-à-dire un des systèmes les plus ardus et les plus compliqués qu’ait jamais inventés le génie de la métaphysique, et en même temps un des monuments les plus obscurs de la langue grecque à l’époque de sa décomposition et de sa décadence, c’était déjà une tâche qui pouvait suffire aux plus savants et aux plus hardis ; mais M. Bouillet ne s’en est pas contenté. À sa traduction, toujours rigoureusement fidèle, écrite de ce style sobre et clair qu’exigeait l’austérité du sujet, et qui cependant par intervalles s’élève jusqu’au ton de la poésie quand l’auteur lui-même substitue au raisonnement le langage de l’inspiration, vient se joindre un autre travail non moins précieux. Par une multitude de notes, de citations et d’éclaircissements, M. Bouillet nous fait connaître ce que Plotin a pris aux plus illustres de ses devanciers, ce qu’il doit à Platon, à Aristote, aux Stoïciens, à Philon, et quelle influence il a exercée à son tour sur ses successeurs, non-seulement sur les philosophes de son école, tels que Porphyre, Jamblique, Proclus, Simplicius, Olympiodore, mais sur ceux qui paraissent le plus étrangers à la connaissance de ses écrits et à la tradition de son enseignement, Arabes, Juifs, auteurs scolastiques, Pères de l’Église, jusqu’aux écrivains du xviie siècle, à qui l’on ne reconnaît pas d’autre maître que Descartes ou eux-mêmes, Bossuet, Fénelon, Leibnitz. Chacune des idées de l’auteur alexandrin nous est présentée, si je puis m’exprimer ainsi, avec sa généalogie et sa postérité, avec tous les moyens de nous assurer de son originalité et de sa puissance. On ne trouvera nulle part des preuves plus abondantes et plus irrécusables de cette unité de principes, de cette identité de la pensée humaine, perennis quœdam philosophia, qui domine et qui embrasse tous les systèmes, et de cette alliance étroite qui a longtemps existé entre la philosophie et la théologie, entre les doctrines néoplatoniciennes et celles des Pères de l’Église. »