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Enseignement de la gymnastique et des exercices militaires dans les écoles

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Enseignement de la gymnastique et des exercices militaires dans les écoles
Revue pédagogique, premier semestre 18829 (p. 536-552).

ENSEIGNEMENT DE LA GYMNASTIQUE
ET DES EXERCICES MILITAIRES DANS LES ÉCOLES
[1].

Tout ce qui se rapporte à la question si importante de l’éducation de l’enfance et de l’instruction de la jeunesse a le don de préoccuper aujourd’hui tous les esprits, et même de les passionner à certains égards. En réfléchissant à la triste nécessité qui fait qu’à l’époque où nous vivons, le Si vis pacem para bellum est devenu un axiome s’imposant à notre patriotisme, on a pensé qu’il serait utile au pays de donner aux enfants, dans le écoles primaires, collèges ou lycées un commencement d’instruction militaire.

On a pensé qu’au moment où des armées innombrables sont entretenues par tous les États de l’Europe pour sauvegarder leur indépendance, tandis que le nécessités budgétaires et le respect des intérêts privés abrègent forcément le séjour des citoyens sous les drapeaux, il y avait un grand intérêt à familiariser la jeunesse avec l’idée du service militaire. L’essentiel était de lui faciliter, par une teinte d’instruction préalable, le moment si pénible et si redouté de l’arrivée au régiment.

En se plaçant à ce point de vue, qu’on ne doit rien négliger quand il s’agit de servir la France, on comprendra sans peine que, si peu que la jeunesse sache en arrivant à l’armée, ce sera toujours autant de fait, et que l’officier instructeur sera heureux de trouver un terrain tout préparé

Si aride que soit la théorie militaire, les premiers éléments en sont faciles et à la portée de tous ; si d’ailleurs il n’en était pas ainsi, nous croyons fermement que l’amour de la patrie peut faire surmonter des difficultés bien autrement sérieuses.

D’ailleurs, le Congrès des instituteurs, dans un superbe élan de patriotisme, a été unanime à exprimer le vœu que tous les membres de l’enseignement fassent un stage plus ou moins long dans l’armée, avant que de se vouer à l’éducation de la jeunesse.

Nous ne sommes pas compétents pour juger quels sont les inconvénients qu’une loi dans ce sens pourrait avoir pour les maîtres dévoués qui consacrent leur vie à faire des Français. Le Parlement, qui renferme dans son sein tant d’hommes éminents à tous égards, peut seul juger une question de cette importance.

Quant à nous, nous plaçant au point de vue exclusivement et rigoureusement militaire, il nous a paru intéressant de rechercher quels sont les avantages qui pourraient résulter pour les instituteurs d’abord, pour l’armée ensuite, de l’adoption d’une loi prescrivant à tous les futurs membres de l’instruction publique un passage, si court qu’il soit, dans les rangs de notre armée.

À Dieu ne plaise que je dise : « L’armée c’est la France, toute la France ; » notre pays est trop fécond en dévouements de toute espèce au bien général, pour qu’on oublie tous ceux qui viennent apporter leur contingent à l’édification de la grandeur de la patrie. Mais, nous pouvons le dire avec un noble orgueil, l’armée est une pure école de patriotisme, de sacrifice et de désintéressement.

Bien mal placé est le cœur de celui qui, ayant vécu avec nos simples soldats, n’a pas compris et admiré leur patience, leur discipline et leur courage. De ces jeunes gens, souvent incultes, arrachés à leur charrue, à leur village, quand on veut, quand on sait, on peut tout obtenir. En passant par l’armée nos jeunes instituteurs apprendront le patriotisme.

À la première prise d’armes, quand le colonel, saluant le drapeau de son épée, leur dira : « Enfants, présentez les armes ! c’est la Patrie ! c’est l’Honneur ! mieux vaut mille fois mourir que de le laisser prendre ! » soyons certains que, frissonnant de la tête aux pieds, le conscrit jurera dans son cœur de ne pas faillir à une si noble tâche.

Quand son capitaine, le plaçant en sentinelle, lui expliquera qu’en temps de guerre l’armée tient dans ses. mains le salut du pays, et que lui, simple sentinelle, tient entre ses mains le salut de l’armée, est-il possible que le jeune soldat ne comprenne pas la grandeur de sa mission ? est-il un plus noble exemple pour un cœur jeune et généreux que celui de l’immortel chevalier d’Assas, tombant mort en sauvant ses compagnons d’armes par son cri de : « À moi, Auvergne, ce sont les ennemis ! » Oui, certes, nos jeunes instituteurs ne pourront dans l’armée que perfectionner les sentiments de patriotisme que leurs parents et leurs maîtres auront déjà dû semer dans leurs cœurs.

Nous ne demandons pas qu’on insuffle dans leur sang la haine de l’étranger ; c’est trop bas, c’est trop vil ; la haine n’est pas un sentiment français Nous voulons qu’ils n’oublient ni nos victoires ni nos défaites ; quand un peuple est vaincu, point n’est besoin d’un bouc émissaire : chacun a été plus où moins coupable suivant la mesure des devoirs qui lui incombaient. Le travail seul peut le relever.

Nous voulons qu’ils sachent bien qu’ils se doivent tout entiers à leur pays. Quand viendra l’heure du danger, plus de partis, plus de politique ; rien que des Français, des frères, et tous en avant !

Dans tous les exercices, les élèves instituteurs comprendront que l’union fait la force, et que, dans la défense comme dans l’attaque, on se défend soi-même en défendant son chef ou son camarade de combat.

Dans les manœuvres, ils pourront constater l’importance de diverses parties spéciales de l’enseignement, telles que l’étude du terrain, l’orientation, la topographie, la géographie même. En voyant la difficulté avec laquelle beaucoup de nos sous-officiers actuels lisent une carte, ils se pénétreront de l’utilité de cette portion de leur tâche à venir, et, nécessairement, l’instruction des élèves en profitera plus tard.

À la caserne, ils verront ce que c’est que la fraternité d’armes, ce grand sentiment imposé par la communauté des souffrances à supporter et des devoirs à remplir, et qui fait que, sans savoir pourquoi, tous les soldats commencent à se tutoyer comme de vieux amis deux jours après leur arrivée au régiment.

Nos instituteurs doivent apprendre à commander ; en passant par l’armée, ils apprendront d’abord à obéir. L’obéissance et la discipline ont toujours été la meilleure école du commandement.

Nous savons bien qu’on n’impose pas l’obéissance à des enfants comme on le ferait à des hommes, surtout à des soldats ; mais il y a certainement plus d’analogie qu’on ne le croirait au premier abord. Pour se faire respecter, il faut s’en montrer digne en se respectant d’abord soi-même, ensuite en respectant les autres. Quand un jeune sous-officier aura acquis assez de tact et d’habitude pour se faire obéir par ceux qui hier encore étaient ses égaux, il trouvera le moyen de se faire aimer, respecter et obéir par des enfants, qui ne sont en définitive qu’une pâte molle qu’un homme intelligent pourra presque toujours pétrir à son gré.

Celui qui a été soldat peut se rendre compte par lui-même des difficultés qu’on rencontre dans l’exercice d’un commandement, si peu important qu’il soit. S’il réfléchit un peu, il aura remarqué comment en usent les chefs les mieux obéis. Il aura vu que pour obtenir un bon résultat, il faut étudier avec soin le caractère des subordonnés. Avec celui-ci, il faudra exagérer la sévérité, avec celui-là la plus grande douceur sera nécessaire. Pour tous il faudra déployer de la fermeté et surtout une grande patience, sous peine de les rebuter imprudemment et de n’en faire que de mauvais sujets.

Quelle vertu plus désirable pour un instituteur que la patience ? et où l’apprendra-t-il mieux que dans l’armée ? L’élève instituteur aura toujours, on doit l’admettre, une instruction suffisante pour arriver rapidement aux grades de caporal et de sous-officier. En cette qualité, il sera chargé de l’instruction des conscrits sous ses ordres.

Quand il rencontrera des jeunes gens presque complètement illettrés, ne comprenant souvent que le patois de leur pays, certes, il pourra apprendre la patience !

Quand il faudra leur faire exécuter le maniement d’armes, leur apprendre les noms de toutes les petites parties dont se compose un canon ou un fusil, quand on leur demandera de retenir les noms de tous leurs supérieurs, les prix de toutes les denrées, le prix de tous les effets achetés sur leur masse individuelle, que de peines et que de soins pour le sous-officier instructeur !

Et pour récompenser ses efforts, à la première inspection, le chef tombera certainement sur le soldat le plus maladroit ; celui-ci répondra d’autant plus mal qu’il sera plus troublé, ou ne répondra pas du tout ; et le pauvre instructeur, au lieu d’un éloge qu’il espérait, n’obtiendra peut-être que des reproches, ou même une. punition. Et lorsqu’il devra marcher par n’importe quel temps. accablé sous le poids du sac, quelquefois les pieds blessés, et cela sans se plaindre sous peine de répandre le découragement autour de lui ! et en campagne et dans toutes les circonstances !

Si en quittant l’armée le futur instituteur n’a pas appris la patience, c’est une qualité qui lui fera toujours défaut.

L’armée est encore une école où l’on apprend le désintéressement et l’esprit de sacrifice. Là, comme dans bien d’autres carrières, il y a beaucoup d’appelés et bien peu d’élus. Quel est l’espoir qui peut soutenir un soldat partant pour la guerre ? Beaucoup n’ont rien à y gagner, que des coups. S’ils en reviennent, on pourra faire l’éloge de leur dévouement et de leur patriotisme, car beaucoup ne rapporteront que la satisfaction du devoir accompli.

Tout cela, nos soldats le savent d’avance et ils partent, et ils font leur devoir, presque gaiement.

Ce devoir accompli sans espoir de récompense, simplement et obscurément, est un des plus grands exemples qu’on puisse proposer au jeune homme qui se voue à l’éducation. Lui aussi doit être dévoué et désintéressé, car toute sa vie s’écoulera peut-être dans l’obscurité, et il n’aura, comme le soldat, d’autre récompense que le sentiment des services modestes qu’il aura rendus à son pays.

Mais ces services sont grands ; c’est l’instituteur qui devra faire comprendre à son élève ce qu’il doit à la société, au pays qui l’a vu naître. En lui citant les beaux exemples de patriotisme laissés par nos pères, il lui apprendra qu’il doit tout à la France, son travail, sa fortune, tout son sang.

Dans cette armée française qui se glorifie d’avoir pour devise « Honneur et Patrie », l’instituteur puisera les grands principes d’honnêteté et de loyauté qu’il devra plus tard transmettre à ses élèves. Il verra combien le mensonge est méprisé par le soldat, et combien la faute, souvent sévèrement punie, est vite pardonnée par le chef quand elle est sincèrement avouée.

Il pourra se rendre compte de la scrupuleuse délicatesse avec laquelle son petit avoir est administré par ses chefs et du soin qu’on apporte à lui donner exactement tout ce qui lui est dû.

Ces modestes exemples tirés de la vie journalière au régiment, ne seront certainement pas sans influence sur l’esprit des jeunes gens. Comment ne seraient-ils pas frappés du mépris qui suit partout le délateur qui a dénoncé un de ses camarades, le lâche qui a déserté son drapeau, : le traître qui a eu l’infamie de vendre son pays ?

On ne peut avoir vécu de la vie militaire sans y avoir contracté ces habitudes d’ordre et de propreté qu’il est si nécessaire de donner à l’enfant dès l’âge le plus tendre. L’habit ne fait pas le moine, mais la tenue rehausse l’homme, et le soldat fier de son uniforme est presque toujours un bon soldat.

Aujourd’hui les instituteurs quittent les bancs des écoles pour être admis de suite dans le grand corps | enseignant ; quelle expérience de la vie ont-ils pu acquérir ? Combien y en a-t-il qui aient un peu voyagé, un peu connu le monde ? L’expérience ne peut leur venir qu’à la longue et avec l’âge. Il n’en sera pas de même quand ils auront été soldats. La vie de garnison ne leur laissera pas le loisir de voir beaucoup, mais en courant le monde ils pourront voir un peu, et deviner le reste.

En tous cas, ils acquerront vite l’aplomb que tout homme intelligent possède quand il a été un peu mêlé à la vie générale de la société.

En résumé, nous croyons fermement que les jeunes gens se destinant à l’enseignement gagneront beaucoup à être d’abord soldats.

Arrivons maintenant au bénéfice que l’armée pourra tirer de leur introduction dans ses rangs.

Nous avons signalé plus haut la nécessité qui s’imposait de donner à l’enfance un commencement d’instruction militaire.

Pour nous, c’est une question de la plus haute importance. D’après les idées généralement adoptées aujourd’hui, on pense qu’il faut pouvoir opposer aux masses d’autres masses tout aussi imposantes.

Ce n’est pas précisément l’avis de tout le monde. Beaucoup dé bons esprits, tout en professant pour le nombre tout le respect qui lui est dû, préfèrent encore la qualité à la quantité. Mais là n’est point la question. Du moment qu’il nous faut une armée nombreuse, on est forcé de réduire la durée du service, afin de faire passer plus de monde sous les drapeaux, sans surcharger davantage le budget de la guerre, qui pèse déjà d’un poids si lourd sur la fortune publique.

Le temps et l’expérience qu’il apporte avec lui, nous permettront de formuler un jugement sérieux sur ce point. Mais en attendant, la réduction du service militaire à trois ans est depuis longtemps à l’ordre du jour. Et trois ans, c’est bien peu de chose quand on considère ce que le simple fantassin doit savoir pour servir utilement sa patrie. Encore si ces trois ans pouvaient être complets ; c’est-à-dire, si on pouvait en retrancher les jours de maladie, de congé ou de permission, et surtout les jours de prison !

Eh bien ! pour concilier les choses et pour diminuer autant que faire se peut les inconvénients d’un si court séjour dans les rangs de l’armée, il faut absolument donner aux enfants un commencement d’instruction militaire. Il est bien entendu qu’à tout prix, elle doit être rigoureusement conforme aux règlements actuellement en vigueur dans l’armée.

Si nos instituteurs le veulent bien, ils peuvent faire gagner trois ou quatre mois aux jeunes soldats, sur le temps employé dans les régiments à leur donner les premiers éléments de l’instruction militaire. Plus ils les auront dégourdis et dégrossis pendant leur enfance, plus vite nos conscrits pourront aborder les parties plus difficiles, et mieux ils les apprendront.

Enfin, et ce n’est pas là le moindre service que les instituteurs auront rendu, ils auront donné à leurs. élèves un peu de cet esprit militaire qui ne s’acquiert qu’en restant longtemps sous les drapeaux. Anciens soldats eux-mêmes. ils comprendront mieux l’importance de cette partie de leur difficile besogne, et comme presque tous rentreront dans la vie civile avec le grade de sous-officier, ils seront d’autant plus aptes à enseigner aux enfants les premiers éléments de la théorie.

Ce n’est pas tout ; supposons le service de trois ans adopté ; que seront, nous ne disons pas nos sergents-majors, mais nos simples soldats ? Pendant combien de temps auront-ils pu remplir les fonctions si importantes de ce grade ?

Nous disons importantes, car il faut qu’on en soit bien convaincu, les officiers, s’ils sont mal secondés par leurs sous-officiers, tireront, quoi qu’ils puissent faire, un fort mauvais parti des 250 hommes sous leurs ordres.

Considérons le jeune soldat que son intelligence et son instruction porteront au grade de simple sergent. Il lui faut absolument six mois pour passer caporal ; ce n’est certes pas trop pour faire son apprentissage de soldat et apprendre sa théorie. Dans les nouvelles manœuvres en ordre dispersé, le rôle du caporal au combat est des plus importants. Les fonctions qu’il remplit dans le service intérieur comme dans le service des places, exigent encore de lui pas mal de connaissances. Il restera caporal pendant un an, ou un an et demi. Combien de temps lui restera-t-il donc pour être sergent ? — un an encore, un an et demi au maximum.

On le voit. c’est bien peu. Nous n’aurons donc que de très jeunes sous-officiers dans nos rangs, au moment d’une déclaration de guerre.

Combien nous serons heureux de voir alors revenir une bonne partie de ces jeunes sous-officiers instruits, intelligents et dévoués que l’instruction publique n’aura pas encore appelés au professorat ! Que de services précieux ils pourront rendre dans l’armée !

On peut être sûr d’avance que c’est à eux que s’adressera la confiance du capitaine, et que sur eux retombera une bonne partie de la lourde responsabilité du service de guerre, dans l’intérieur des compagnies.

Ainsi donc nos élèves-instituteurs en passant sous les drapeaux rendront à l’armée deux grands services :

Ils faciliteront le travail des instructeurs régimentaires, en y préparant les enfants d’avance, en leur donnant un commencement d’instruction militaire, et en leur apprenant les grands devoirs qu’ils ont à remplir envers le pays ;

En second lieu, anciens sous-officiers, nos jeunes instituteurs apporteront à l’armée, en temps de guerre, un concours des plus précieux par leur instruction, leur savoir et leur dévouement.

J’aborde maintenant la partie technique de cette étude : la gymnastique, au point de vue de l’hygiène d’abord.

La gymnastique est une méthode scientifique qui se base sur les lois de la structure et des fonctions de l’organisme, et dont le but est de former et de développer le corps humain.

La gymnastique seule peut entretenir la vigueur naturelle des organes, réconforter les santés délicates, et même, d’après les médecins les plus autorisés, guérir un certain nombre de maladies. — En effet, elle ne s’adresse pas exclusivement à un seul ou à plusieurs des groupes musculaires qui composent notre organisme ; elle les développe tous. La danse produit des jambes énormes supportant un buste léger et grêle ; l’escrime ne fait travailler qu’un nombre de muscles fort restreint, et si l’on n’exerce pas chaque bras à tour de rôle, on en vient à provoquer les inégalités de développement les plus disgracieuses. L’équitation donne aux jambes une courbure exagérée en dedans, aplatit les cuisses, arrondit le siège et fait grossir l’abdomen. En un mot, toute habitude musculaire donne à ceux qui la possèdent une conformation spéciale, et un médecin légiste peut lire sur un cadavre ou un squelette le métier que pratiquait l’individu pendant sa vie.

La gymnastique, au contraire, est un ensemble d’exercices qui permet de passer successivement et méthodiquement en revue chaque partie de l’appareil musculaire, Elle s’applique aux adultes comme aux enfants, aux organisations vigoureuses comme aux santés débiles, et pour tous elle est bienfaisante.

L’homme est un ensemble qui, pour être parfait, doit se développer d’une manière harmonique, et c’est une grosse erreur de croire que les facultés de l’esprit sont absolument indépendantes de celles du corps, et peuvent se perfectionner librement au milieu d’un organisme débile et incomplet. C’est pour avoir trop méprisé le vieil axiome : mens sana in corpore sano, que nous en sommes arrivés à préparer et à élever des générations spirituelles et intelligentes sans doute, mais à coup sûr délicates, nerveuses, maladives, et merveilleusement disposées à subir toutes les influences malsaines, morales ou physiques, qui les entourent, et contre lesquelles elles sont incapables de se défendre.

Il ne faut pas croire que pour obtenir chez nos enfants ce développement si désirable de toutes leurs forces corporelles, il soit nécessaire d’avoir à notre disposition des gymnases parfaitement montés en agrès et en instruments de toutes sortes. La plus pauvre de nos écoles possède tout ce qui est nécessaire, et on y peut arriver à un résultat satisfaisant.

La progression des exercices élémentaires de gymnastique est un chef-d’œuvre de logique et d’observation, Du reste, elle a été faite par un comité composé d’hommes éminents : médecins, professeurs et officiers.

On peut s’en convaincre facilement ; de la tête aux pieds, pas une articulation, pas un muscle n’est oublié.

Dans les mouvements de la tête en avant et en arrière, ou dans les flexions vers la droite et vers la gauche, ou en tournant la tête à droite et à gauche, vous vous adressez aux muscles du cou et à la partie supérieure de la colonne vertébrale.

Dans les rotations des bras, ou quand vous les élèverez ou les abaisserez sans flexion, vous assouplirez les articulations des épaules. Quand vous élevez ou abaissez les bras avec flexion, vous intéressez le coude et même le poignet. Quand vous lancez alternativement les poings en avant, quand vous faites le mouvement horizontal des avant-bras ou quand vous frappez la poitrine, vous produisez une détente violente dans les muscles des bras, et vous développez les muscles pectoraux.

Observons en passant qu’il est bon, surtout dans ces mouvements des muscles qui avoisinent la poitrine, de faire compter les enfants à haute voix. Les muscles du système vocal doivent profiter du développement de leurs voisins et du sang régénérateur que l’exercice leur apporte à chaque instant.

On passe ensuite à la partie inférieure de la colonne vertébrale, et on l’assouplit par la flexion du corps en avant et en arrière.

C’est un mouvement qu’il est important de faire sans brusquerie, comme tous du reste, sauf ceux qui concernent exclusivement les bras et les jambes.

De la ceinture, on descend aux membres inférieurs : flexion de la jambe, flexion de la cuisse et de la jambe, cadence modérée, cadence accélérée, ou cadence de course. Les genoux, les chevilles et jusqu’aux articulations des pieds sont mis en jeu dans ces mouvements, ainsi que dans les flexions sur les extrémités inférieures.

Ainsi donc, dans cette série d’exercices, rien n’est oublié.

Si l’on y joint les différentes espèces de sauts en hauteur, largeur ou profondeur, les courses de vélocité et les courses de fond, on aura parcouru, sans avoir recours à une machine, toute la série la plus intéressante des mouvements gymnastiques.

Le travail aux machines et aux agrès est bien le couronnement de cette instruction ; mais à la rigueur il n’est pas le complément rigoureusement nécessaire. Encore tout instituteur peut-il suspendre une corde lisse à une poutre, et il n’est pas difficile d’emprunter une échelle avec laquelle on peut exécuter mille mouvements.

On voit, Messieurs, que l’enseignement de la gymnastique élémentaire est à la portée de tous et que, sans en avoir fait Jamais soi-même, il est possible de devenir un excellent professeur au moyen du premier manuel venu.

Seulement, ce dont il faut bien se convaincre, c’est qu’on n’obtient de résultats hygiéniques comme ceux dont je parlais tout à l’heure, qu’à force de travail et de persévérance. Ce n’est que par des exercices répétés pendant le plus long temps possible, et cela tous les jours, qu’on arrive à augmenter la vigueur corporelle des élèves.

Là, je dois signaler un obstacle à vaincre, c’est la courbature musculaire. C’est une souffrance souvent intolérable et qui va quelquefois jusqu’à la fièvre. Tout le monde a éprouvé ces douleurs-là après un exercice violent auquel on n’était pas accoutumé. Mais bien peu de personnes savent le rôle utile que joue la courbature dans la réparation des muscles, dans leur développement, dans leur multiplication et dans l’accroissement de leur vigueur. — Voici ce qui se passe :

Quand un homme pénètre pour la première fois dans un gymnase, les exercices auxquels il est soumis provoquent de la fatigue. — Si l’exercice continue néanmoins (et il faut qu’il continue), les muscles dépassent bientôt la limite d’efforts dont ils sont capables, leurs fibres commencent à souffrir, la courbature est constituée. Chacune de ces fibres est inapte désormais à remplir la fonction trop énergique à l’accomplissement de laquelle elle s’est épuisée. Elle va subir l’élaboration mystérieuse qui se passe incessamment au sein des tissus vivants, et, organe devenu inutile, jetée dans le creuset des combustions organiques, elle sera bientôt expulsée au dehors, pour faire place à des éléments plus jeunes et plus vivaces. Cette usure et cette expulsion des fibres épuisées se trouvent singulièrement favorisées par l’intense congestion sanguine que provoque l’exercice, dans la masse même du muscle. L’augmentation considérable de la circulation locale, qui vient apporter au milieu des fibres elles-mêmes une quantité de liquide sanguin bien plus abondante que de coutume, y introduit ainsi, non seulement de puissants moyens de résorption pour les éléments qui doivent être rejetés mais encore une nouvelle source de nutrition, d’une incomparable énergie. De telle sorte qu’à la fibre qu’un effort exagéré pour elle vient de détruire,en succèdent une et même plusieurs autres, dont la genèse et l’évolution sont faites dans une atmosphère nutritive nouvelle et plus active, et dont les qualités vont se trouver à la hauteur des nouveaux services qu’on doit exiger d’elles.

Il est aisé de comprendre maintenant que pour que les fibres puissent se régénérer avec profit, pour qu’elles augmentent en qualité et en nombre, pour que celles qui sont encore incapables ou débiles soient immédiatement expulsées, il est très important que l’activité circulatoire soit entretenue soigneusement. Or cet incessant et nécessaire appel du sang ne peut s’obtenir que par le renouvellement régulier de l’exercice et de l’effort musculaire.

Si malheureusement on demande au repos le soulagement des premières courbatures, tout est à recommencer, et le muscle n’a retiré aucun bénéfice de la perturbation douloureuse qui lui a été imposée.

Ainsi donc, la courbature est au fond une excellente chose. C’est une douleur nécessaire, il faut s’y soumettre, et surtout la vaincre par l’exercice : un exercice modéré, s’entend, car il ne faut jamais abuser de rien. La crise passée, le muscle a acquis la force nécessaire, et si vous ne lui imposez pas un exercice trop violent, aussi nuisible pour lui qu’un repos exagéré, il rendra tous les services qu’on lui demandera.

Voilà donc-pourquoi rien ne devra arrêter vos efforts, si vous voulez qu’ils ne soient pas perdus.

La théorie médicale que je viens d’exposer appartient au savant docteur Blatin, un des soutiens Îles plus éminents de la gymnastique en France.

Voici en résumé ce qu’il est désirable que les enfants sachent avant d’entrer au régiment.

Il faut qu’ils puissent marcher convenablement au pas, les jarrets tendus naturellement, le corps d’aplomb sur les hanches, les bras livrés à leur mouvement habituel, et la tète haute et libre. Il faut leur faire perdre cette démarche traînante et dégingandée que nous avons tant de peine à faire disparaitre au régiment. Leur allure doit être franche, vive et décidée. Il faut qu’ils apprennent à doubler par le flanc droit et le flanc gauche, à faire les conversions de pied ferme et en marchant, à marcher en ligne sans se désunir et en conservant l’alignement, enfin à se déployer en tirailleurs. Tout cela se trouve dans le Manuel de gymnastique publié en 1880 par le Ministère de l’Instruction publique. C’est un ouvrage parfaitement conforme aux règlements militaires actuellement en vigueur.


  1. L’étude qu’on va lire est le résumé d’une conférence faite, sur la demande de M. Blanchon, inspecteur primaire, par M. le commandant *** aux instituteurs de l’arrondissement de Coulommiers,