Erotika Biblion/1

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AVANT-PROPOS



Voici la bibliographie de l’édition de l’Erotika biblion, à la date de 1833, sur laquelle nous avons réimprimé :

Erotika biblion, par Mirabeau, nouvelle édition, revue et corrigée sur un exemplaire de l’an IX, et augmentée d’une préface et de notes pour l’intelligence du texte. Paris, chez les frères Girodet, rue Saint-Germain-l’Auxerrois, MDCCCXXXIII ; avec les épigraphes : Έν χαιρῶ έχάτῆρον. — Abstrusum excudit[1]. Petit in-8o, de XII-271 pag. Une vignette polytypée, sur le titre, représente Jupiter, balançant ses carreaux.

On lit dans la Bibliographie des ouvrages relatifs à l’Amour, aux Femmes, au mariage, par le C. d’I***. (M. Gay, libraire), à propos de cette édition :

« Une édition accompagnée d’un commentaire étendu, et rédigé en grande partie, à ce qu’on assure, par l’auteur du Glossarium eroticum linguæ latinæ, fut imprimée vers 1831 ; mais elle fut détruite presque aussitôt après l’impression ; à peine quelques exemplaires, introuvables aujourd’hui, ont-ils été conservés[2]. »

L’intérêt de cette édition, dont le bibliographe ne parle, on le voit, que par ouï-dire, consiste, en effet, dans une préface, et surtout dans des notes d’une étendue presque égale à celle du texte original. L’auteur de ce travail d’érudition avait une vaste lecture ; il était imbu de la philosophie du XVIIIe siècle, et d’ailleurs suivait avec curiosité le mouvement littéraire et social du XIXe. En tête de ses notes sur le chapitre Anagogie, il fait une citation de la sixième Méditation de Lamartine. L’épigraphe de ses observations sur le chapitre Kadhésch, est empruntée à un roman de Stanislas Macaire, La Cantinière, publié en 1831. Au cours de ses réflexions sur le chapitre Le Thalaba, il parle des Saint-Simoniens. On peut inférer de cette dernière circonstance, et de la précédente, qu’il mit la dernière main à ses commentaires peu de temps avant leur impression.

Maintenant quel était le nom de cet érudit ? C’est ce que nous n’avons pu découvrir, et à supposer qu’il fût le chevalier Pierrugues, nous ne serions pas moins embarrassé de parler de lui que si nous ignorions absolument comment il s’appelait.

Quérard cite le chevalier Pierrugues comme auteur du Glossarium eroticum linguæ latinæ, paru en 1826[3], sous les initiales P. P., dont le prospectus, imprimé, dit-il, l’année suivante, donna le nom en toutes lettres. On peut l’en croire, mais à ce renseignement, aucun recueil biographique que nous ayons pu consulter n’a rien ajouté. Les biographes ignorent même le nom de Pierrugues.

Un curieux a fait, en mars dernier, un appel aux lecteurs de l’Intermédiaire, pour tirer au clair la vie et les œuvres de ce mystérieux chevalier. Tout ce qu’il a pu obtenir s’est réduit à cette note :

« Il se trouvait à Bordeaux, il y a plus de quarante ans, un ingénieur, nommé Pierrugues, qui a publié, en 1826, un fort bon plan de cette ville (sa topographie a depuis éprouvé de grands changements). J’ai toujours entendu dire que ce Pierrugues était l’auteur du Glossarium. Je possède un exemplaire de ce volume, et au-dessous du titre, on lit une note manuscrite, ainsi conçue :

« Ab Eligio Johanno constructum, auspicio et curâ (forsitan) baronis Schonen. » « S. E. »[4]

Les initiales S. E. cachent sans doute ici le savant bibliothécaire de la ville de Bordeaux, M. Gustave Brunet, lequel a signalé, le premier, dans sa Dissertation sur l’Alcibiade fanciullo[5], la collaboration d’Éloi Johanneau et du baron de Schonen au Glossaire érotique latin.

Quoiqu’il en soit, la vie de l’humaniste Pierrugues reste à connaître tout entière, réserve faite de son séjour à Bordeaux, en admettant qu’il soit le même que l’ingénieur Pierrugues. Mais à supposer que des recherches, plus heureuses que les nôtres, fixent sa biographie, nous doutons qu’elles lui confirment l’attribution des notes de l’Erotika biblion. En voici la raison : l’auteur de ces notes a dressé, à propos du chapitre La Linguanmanie, un supplément à la nomenclature de Mirabeau, des mots de la langue latine qui bravent le plus l’honnêteté ; or, les définitions qu’il en a données sont autres que celles du Glossarium, et moins précises et moins complètes[6].

Si nous ne savons rien sur l’annotateur de l’Erotika de 1833, pour comble de disgrâce, nous ne connaissons pas davantage la raison de l’extraordinaire rareté de cette édition.

Plusieurs bibliophiles nous ont donné, à tour de rôle, pour cause de sa presque disparition, le fameux incendie de la rue du Pot-de-Fer, dont la date est le 15 décembre 1835, c’est-dire postérieure de deux années au moins à la publication[7]. — Il est impossible d’admettre qu’un livre qui a pu se vendre ostensiblement, deux années durant, soit devenu introuvable au bout de trente ans, le fonds d’édition ait-il été brûlé.

Mieux vaut ignorer que se livrer arbitrairement aux conjectures. Nous attendrons avec patience qu’un hasard heureux permette de traiter en connaissance de cause des points obscurs d’érudition bibliographique soulevés dans cet avant-propos.

Cependant, voici une réimpression de cette fameuse édition de 1833.

Nous n’avons pas épargné le temps à la compléter dans de nombreux détails, et à la faire plus correcte que son modèle.

  1. Ce sont celles de toutes les éditions du livre, depuis la première de 1783.
  2. P. 517, article Erotika biblion.
  3. Grand in-8o. — Dondey-Dupré.
  4. Intermédiaire du 25 avril 1866.
  5. Dissertation sur l’Alcibiade fanciullo a scola, traduite de l’italien de Giamb. Baseggio, et accompagnée de notes et d’une postface, par un bibliophile français. Paris, J. Gay, 1861. Petit in-8o. — Une traduction française de l’Alcibiade, dont l’auteur, suivant Al. Baseggio, est Ferrante Pallavicini, vient de paraître à l’étranger.
  6. Exemple : — Pædicare. Masculum inire. (Notes de Erotika.) — Pædicare. Proprie est puerum inire, quod patet ex etymo ; latiore vero sensu, de quacumque constupratione postera, seu in exoletum, seu quidem in fœminam. (Glossarium eroticum.)

    La même comparaison répétée pour les autres mots de cette nomenclature complémentaire : prurire, lickenare, ligurire, spinthrias, sellarii, laisse, sans exception, l’avantage aux définitions du Glossarium.

  7. Les curieux ne seront peut-être pas fâchés de trouver ici, sur cet incendie mémorable, et tel qu’il serait à souhaiter pour le commerce de la librairie, qu’il s’en produisit un pareil toutes les années bissextiles, deux nouvelles relevées dans la Gazette des tribunaux, de 1835.
    13 décembre 1835.

    Aujourd’hui, dans la matinée, un affreux incendie a éclaté rue du Pot-de-Fer-Saint-Sulpice, 14, dans un vaste magasin de librairie et d’imprimerie, appartenant à plusieurs libraires et brocheurs. Il a été la proie des flammes, ainsi que le magasin d’un épicier en gros qui y est attenant… Vers 3 heures seulement, on a pu être maître du feu de manière à en arrêter les progrès. Plus de 115 mètres carrés de bâtiments, garnis de papier, brûlent encore à l’heure où nous écrivons. On évalue à plus de 3 millions les pertes occasionnées par ce sinistre, que l’on attribue à l’imprudence d’un employé.

    20 décembre 1835.

    M. Lenormant, libraire, qui a éprouvé des pertes considérables, et cependant moins fortes qu’on ne l’avait cru d’abord, nous écrit que sa mère était assurée pour 200 000 francs, et que cette somme vient de lui être remboursée par la Compagnie d’assurances générales, qui a fait preuve d’une loyauté à laquelle il est de son devoir de rendre justice. Le feu n’est pas encore éteint, et cependant la Compagnie s’est déjà, sans la moindre discussion, entièrement libérée.