Esclave amoureuse/01

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L’Éden (p. 7-14).

LES ENFANTS S’AMUSENT


« Assez ! n’attise pas davantage cette flamme qui me dévore. Elle n’est pas ce genre de mort que je désire. Il y aurait trop de plaisir. »
Maria Magdelena de Florence.


Ce jour-là, Lucette et moi, ainsi que des amants, marchions les mains unies dans le soleil.

La campagne était habillée de printemps.

Des buissons un parfum de fleurs s’exhalait et invitait aux siestes voluptueuses.

Nous étions d’innocents enfants qu’un mystérieux désir tourmentait, car nous étions troublés et n’osions nous parler.

Elle avait seize ans. J’en avais vingt. Nous nous connaissions depuis longtemps déjà, mais jamais comme en cette après-midi printanière nous n’avions ressenti de semblable émotion.

Nous nous engageâmes dans une allée remplie d’ombre, bordée de branches et de lianes que j’écartai à mesure que nous avancions, pour tracer un passage à Lucette.

Elle riait de l’aventure comme si une joie promise l’attendait au bout du chemin.

Ses yeux profonds et brillants reflétaient sa jeune ardeur, et son visage avait des teintes roses que la chaleur, les surprises de ce voyage avivaient encore.

Nous étions rapprochés si près que la brise n’aurait pu passer entre nous et nos corps se frôlant, nos cœurs battaient ensemble et si fort que nous pressentions l’imprévu et le beau danger que crée la solitude entre deux êtres jeunes, joyeux et fous.

Et je pris le bras de Lucette et sa taille fine, et la serrant contre moi, je la sentais en ma puissance, prête aux chastes caresses, domptée d’avance, asservie à l’homme qui cherchait déjà son esclave.

J’ai toujours eu le caractère violent, autoritaire, despote, et je savais, avant même d’avoir expérimenté le plaisir et toutes les voluptés les plus intenses que la passion suscite et que le vice accroît, que je ferais ployer sous mon désir l’être faible qui serait avec moi. De même que je brisais les pantins dont me comblaient mes parents et les amis de ma famille, de même j’avais l’envie insurmontable de faire mal aux êtres plus faibles que moi.

Battre mes camarades était une joie pour moi, j’aimais les sentir lâches, effrayés, sans défense, et je les martyrisais cruellement autant qu’il m’était permis.

Au contraire, je redoutais le pion sévère qui me donnait sur les doigts des coups de règle et faisait tomber sa férule sur mes épaules.

Mais je me promettais un avenir de revanche et j’attendais l’adolescence qui change l’enfant en jeune garçon, dont les appétits s’éveillent, dont la force s’augmente et dont l’autorité s’impose aux plus petits que soi.

J’avais lu, un jour, cette pensée, qui s’était gravée dans mon esprit : « Il est plus difficile d’être fidèle à sa maîtresse quand on est heureux, que quand on est maltraité. »

Et je m’étais promis, non point de me laisser frapper mais de frapper moi-même.

C’est alors que je revis Lucette, ma compagne de jeux, Lucette déjà femme et si jolie, à la poitrine ferme et fraîche, aux formes si bien dessinées, souples et parfaites.

Lucette et moi avions l’un pour l’autre beaucoup d’amitié et les projets que jadis, sans savoir, nous avions formés, devenaient dangereux, lorsque nous nous retrouvâmes soudain.

Nos demeures étaient voisines et c’est avec joie que nous pûmes de nouveau jouer ensemble et parler de nous deux avec curiosité.

Nos seize ans sonnaient leur chant d’amour et les pensées perverses, les désirs libertins, les mille idées qui font voluptueux les secrets, agitaient nos cerveaux échauffés.

D’inexprimables désirs suivaient nos pas, flottaient autour de nous comme des fantômes invisibles, mais tentateurs.

La brise agitait les feuilles.

Nous étions seuls au milieu des arbres.

Nous découvrîmes alors un délicieux endroit où nous pouvions nous asseoir à notre aise, loin de tout regard indiscret.

Je m’étendis le premier sur un lit de feuillage et dis :

« Faites comme moi, Lucette. »

— Si l’on nous surprenait, que penserait-on de nous ?

— Que voulez-vous qu’on suppose… ce n’est pas mal faire que de se reposer dans un coin de forêt.

— Non, mais les gens sont si méchants…

— Eh, les gens, que vous importe, Lucette. Allons, asseyez-vous près de moi. Et je dis cette phrase en me fâchant presque.

J’ordonnais.

Et Lucette obéit.

Elle obéit, sans hésitation mais en rougissant, et cette pudeur ou cette crainte, qui me ravissait, m’exaspérait également.

Ah ! qu’ils sont beaux les instants qui précèdent le danger qu’on prévoit et que l’on ne s’explique point, dont on ne peut préciser la forme.

Lucette ramena ses jupes sous elle, et les tira fort, jusqu’à ses chevilles.

— Vous êtes farouche, lui dis-je.

— Pourquoi, me répondit-elle.

— Votre geste ferait croire…

Elle voulut changer de conversation, mais je ne sais quel attrait me poussait à la froisser dans son innocente attitude… Je me doutais que mon amie était de ces faibles enfants qui destinent leur vie au sacrifice ou à l’autoritarisme, suivant que leur premier amour les dirige.

Elle était faible et docile par nature et ces natures-là, je les recherchais car elles devaient être mes jouets.

Dès la puberté, on sait ce qu’on deviendra, une victime ou un tyran.

J’aime les révoltes, les luttes, la résistance sauvage, et ceux-là seuls dont la barbarie est un besoin, la domination une ligne de conduite, sont certains de ne pas être écrasés comme d’innocentes bestioles.

Comme Lucette demeurait silencieuse, je lui serrai la main et la serrai si fort qu’elle poussa un cri.

Ce cri me fit plaisir et devait décider de notre destinée.

— Max… vous me faites mal… Max…

Agenouillé à son côté, je la regardai en riant et lui dis : je veux vous embrasser…

— Max… souffla-t-elle, vous n’êtes pas raisonnable.

Mais sans entendre davantage les mots qu’elle bégayait, je lui donnais d’étourdissants baisers et dans la force de l’étreinte, elle chût sur l’herbe, découvrant dans cette culbute ses jambes fines.

Mes bras la retenant, elle ne pouvait se relever et les sanglots et les cris étouffés ne m’attendrissaient point.

Je savourai ma victoire, indécis cependant sur le but de mes desseins et de mes désirs.

La tête sur les brindilles sèches, les cheveux épars, les jambes découvertes, Lucette était inanimée, proie offerte au faune que j’étais.

Mais elle se redressa soudain, et nous luttâmes sans répit, si bien qu’elle se trouva, non plus sur le dos, mais la poitrine sur le sol.

Je relevai ses jupes brusquement…

Elle cria plus fort encore : Max !

Son pantalon s’entrebâilla, laissant voir deux fesses dodues, roses et fermes, d’adorables fesses que la main qui caresse, ne pouvait s’empêcher de frapper.

De frapper, oui.

Et je fessai Lucette.

Je la fessai avec douceur et violence à la fois, heureux de la souffrance cuisante que je lui procurais et de l’humiliation que je lui imposais.

Son corps se tordait sous les coups, et plus elle se débattait, plus j’étais ardent à la fustiger.

Ah ! Lucette, vous ne saviez donc point que la volupté est faite de douleur, et que les supplices sont les adjuvants du Plaisir.

Qui aime bien, châtie bien.

À cet instant-là, sais-je seulement si j’aime Lucette. Je ne cherche pas à approfondir mes sentiments pour elle, je constate seulement que les sensations ressenties par moi sont délicieuses.

L’homme qui bat les femmes est poussé par l’orgueil ou par la luxure, et ce n’est pas toujours la brutalité qui le fait agir.

Sa force lui dicte ses actes et lorsque dans le décor magnifique de la nature resplendissante, il se trouve, seul, près d’une femme ou d’une enfant dont la chair est jeune et belle, il ne résiste pas à la tentation de l’asservir à son rut et à sa puissance.

Vainqueur, d’avance, des résistances qu’on lui opposera, il dirige les joies, à son gré.

Lucette était évanouie, et las de frapper, apaisé, satisfait, je l’aidai à se ranimer.

Je la pris dans mes bras, découvris son visage en pleurs, et la berçant, lui dis : Amie, m’en voulez-vous ?

— Oh ! Max, qu’avez-vous fait là ?

— Ne versez pas de larmes, Lucette, j’ai voulu chasser de votre esprit les inutiles répugnances qu’impose trop de vertu, je vous aime.

Pâmée, sans volonté, inerte, domptée, Lucette livrait à mes mains violentes, son corps charmant à demi nu.

Puis, vint le crépuscule.

Lucette arrangea le désordre de sa toilette, sans rien me dire.

Chancelante, elle s’appuya sur mon bras qui s’offrait, et tous deux, reprenant la route déjà suivie, nous rentrâmes vers nos demeures…

Et la suite de ce récit, moi qui ai connu ces enfants, je l’appris plus tard et l’ai fidèlement transcrite.