Esclave amoureuse/11

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L’Éden (p. 99-121).


LES PETITES FILLES


Elles étaient seize petites filles. Seize petites poupées pour tous les goûts. Elles venaient passer là quelques heures, et leurs mères ou leurs bonnes les emmenaient chez elles, après le cours.

De suite, elles s’attachèrent à leur jeune maîtresse qui s’ingéniait à leur plaire et à se faire aimer. Si toutes n’étaient pas dociles, la plupart étaient sages et attentives. Il y en avait qui écoutaient distraitement les leçons de Lucette du Harlem. Mais une réprimande avait vite fait de les rappeler à l’ordre.

— Mes petites, un peu d’attention, je vous prie.

Lucette n’était pas mécontente du résultat de son projet définitivement réalisé. Il avait même dépassé ses espérances. Installée, avenue de Breteuil, elle s’était rapprochée de Max.

Sa vie indépendante lui permettait de marcher sur les préjugés et sur tous les principes encombrants qui font de l’existence un perpétuel dilemme. Souvent elle donnait rendez-vous à Max dans un parc ou un square, et, bras-dessus, bras-dessous, ils faisaient de longues promenades.

Ils se moquaient du qu’en dira-t-on, malgré qu’ils usassent de la plus grande précaution afin de ne pas être vu par les parents des élèves de Lucette.

— Bonjour, pastoure, lui disait Max… comment va votre troupeau ?

— Moqueur !

Elle lui était plus assujettie que jamais et lui-même paraissait heureux et charmé de la revoir chaque fois. Elle portait du bonheur dans ses yeux brillants. Mais ses traits tirés indiquaient une fatigue, une souffrance. C’est ce corps endolori qui lui faisait ressentir cette lassitude qu’elle ne pouvait que difficilement dissimuler. Eux-mêmes ne s’en apercevaient pas. L’abondance des supplices comme l’abondance des caresses, influe nécessairement sur le tempérament de celui ou de celle qui en est la victime.

…Or jusque-là rien ne s’était produit d’extraordinaire ou d’anormal au « cours » de Mademoiselle du Harlem. À part quelques gronderies pour d’innocentes peccadilles, aucun incident n’avait eu lieu.

Les petites élèves profitaient de l’enseignement que leur dispensaient Lucette et Mademoiselle Jeanne, une institutrice qui la remplaçait parfois.

Parmi les seize petites filles, une seule se distinguait par sa dissipation. Elle s’appelait Olga, fille d’un riche russe, Monsieur Bodewski.

Lucette l’avait réprimandée souvent, mais cela sans effet.

— Ne me forcez pas à être sévère, Olga…

Olga, pour toute réponse, riait.

— Je le dirai à vos parents.

Olga riait toujours.

— Je vous ferai honte devant toutes vos camarades…

Olga riait encore.

Ce fut ainsi que la chose arriva. Une colère sourde, contenue, s’était emparée de Lucette.

D’être tenue en échec par cette petite fille narquoise l’énervait à tel point qu’elle se vit dans la nécessité de sévir. Les autres petites filles se demandaient de quelle façon Lucette allait se faire respecter.

— Olga, pour la dernière fois, je vous avertis, restez sage.

L’enfant haussa les épaules. Lucette alors commanda :

— Venez ici.

Olga se leva et se dirigea vers la table de sa maîtresse.

Celle-ci la saisit par le bras et l’attira vers elle.

— Vous êtes entêtée et insolente, Olga, vous méritez qu’on vous fasse honte.

Ce disant elle éleva la petite fille au-dessus de la table et la maintenant contre elle, le visage tourné vers le mur, elle releva ses petites jupes et la dépantalonna à demi, juste assez pour découvrir les deux petites fesses.

À ce spectacle toutes les élèves éclatèrent de rire, battant des mains.

Lucette malgré les cris d’Olga, la fessa, sans violence, mais assez longtemps pour que l’indisciplinée trouvât le châtiment détestable.

Elle se débattait tant qu’elle pouvait, mais Lucette la tenait bien.

— Je… ne… le… ferai… plus… sanglottait l’enfant.

— Par… don… ma… de… moi… selle…

Devant ce repentir, Lucette s’arrêta et rabattit les petites jupes d’Olga. La tête basse, elle regagna sa place, cette petite fille qui… maintenant ne riait plus.

Parmi les corrections que les maîtresses de classe infligent à leurs jeunes élèves, la fessade est la plus répandue.

L’humiliation que les petites filles éprouvent à subir un tel châtiment les rend plus disciplinées, plus attentives et plus sages.

Ce n’est point seulement la douleur ressentie par cette fouettée qui cause leur principale crainte, c’est surtout de se voir dépantalonnée devant toutes leurs compagnes.

Une petite fille, ça a de la pudeur, une pudeur instinctive, innée, qui gît en elle dès l’âge de raison et lui fait discerner le mal du bien, et ce qui est convenable de ce qui ne l’est pas.

Le fait de soulever un peu de leur jupe courte les fait rougir, s’épouvanter et crier, et elles savent parfaitement qu’il est des choses qu’on ne doit pas montrer, même en cachette.

Si elles manifestent de la joie à contempler le postérieur de leurs camarades exposé au gifles et aux tapes, elles conservent au fond d’elles-mêmes une obscure crainte d’être punies à leur tour de semblable façon.

Toutes les petites filles pas sages ont été fessées dans les pensions, elles ont appris à redouter la colère, la vengeance de leurs surveillantes et de leurs professeurs féminins.

Cette punition est la même à la maison où papa, maman et les bonnes ne se gênent point pour fustiger le derrière de bébé et de Mademoiselle.

Mais le spectacle change lorsqu’il est donné en public devant d’autres petites filles, la plupart peu charitables, mais au contraire moqueuses, qui s’en souviennent et le répètent à plaisir.

Lucette a trouvé le moyen de se faire redouter de ses élèves et à ce prix-là elle sait qu’elle viendra à bout des rebellions et des insolences. Mais la perfection n’est pas de ce monde.

Qui a promis d’être raisonnable ne tiendra pas toujours sa promesse.

Les plus mauvais souvenirs s’effacent vite et la nature humaine reprend le dessus.

Il faut donc sévir. Sévir c’est fesser à tour de bras afin que la victime se rappelle la cuisance du supplice.

Si Olga reste sage, tranquille, obéissante, il en est deux ou trois parmi les seize petites filles dont la conduite est blâmable. Deux ou trois autres, oui, qui n’ont pas encore expérimenté la fessade.

— Henriette, Lucie, Marthe… voulez-vous être silencieuses, sinon je vous punirai comme a été punie Olga. À la moindre faute, j’userai envers vous de sévérité.

Un moment, la peur les fit se taire et se tenir tranquilles, mais pas pour longtemps, hélas ! Hélas ! pour elles.

Elles provoquaient, soit Lucie, soit Henriette, soit Marthe, le désordre dans la classe.

— Mesdemoiselles, je ne vous épargnerai pas si vous persistez à être indociles et si vous ne m’obéissez pas.

Avec la douceur peut-on se rendre maître de certains entêtements ? La violence seule peut en triompher.

— Lucie, je vous entends encore, je vais vous fouetter devant toute la classe. Ah ! vous continuez de parler quand je vous impose silence. Eh bien je ne le répète plus. Approchez ici.

— Non, je ne veux pas.

— Vous ne voulez pas… nous allons bien voir si vous ne voulez pas.

Ce disant, Lucette alla cueillir à son banc la friponne enfant qui voulut, mais en vain, se débattre.

— Un exemple ne suffisait pas, il en faut d’autres…

— Laissez-moi, je ne le ferai plus…

— Je ne céderai pas, ma petite, il fallait vous taire quand je vous le disais.

Malgré les pleurs, malgré les cris de la petite Lucie, rouge d’indignation, Lucette l’emporta sous son bras et la déposa au beau milieu de la salle et lui dit : « Défaites votre pantalon ».

La fillette refusa.

Lucette, sans perdre de temps, releva la robe de Lucie, déboutonna son pantalon et, soulevant la chemise, elle fit contempler à toutes les élèves le blanc et délicat postérieur de leur compagne en pénitence.

— Vous l’avez vu, mesdemoiselles… vous l’avez vu…

Et sa main tomba sur les deux jolies petites fesses qui se couvrirent aussitôt, dès la première claque, d’une teinte rose.

Les sanglots de la « jeune martyre » ne l’émurent pas.

Elle frappait sans répit.

— Assez… assez… je serai sage…

Le spectacle de cette fessade ravissait tout en l’épouvantant ce petit monde de fillettes, car si elles regardaient avec curiosité les fesses potelées de leur camarade de cours, elles pensaient : « Si l’on m’en faisait autant, j’aurais bien honte. »

Ce n’est pas la souffrance superficielle qu’on ressent à être fouettée qui est cause d’une petite ou grande terreur dans l’esprit de ces enfants, d’ordinaire respectées, c’est principalement la honte, d’être exposée, derrière nu, jupes relevées et pantalon bas.

La correction terminée, Lucie, comme le fit Olga, un jour auparavant, regagne sa place, confuse, les mains cachant son visage…

Elle s’est rhabillée en hâte, n’osant jeter les yeux autour d’elle, de peur de surprendre les rires étouffés de ses compagnes.

Et c’est autour de Marthe, maintenant.

Mais Marthe est une effrontée, qui s’en fiche… Elle se laisse déboutonner le pantalon sans résistance. Elle se dit : « Plus vite je me laisserai faire, plus vite ce sera fini. »

Et un autre gracieux postérieur s’offre à la main terrible de Mademoiselle du Harlem.

Marthe pousse de petits cris étouffés, mais s’efforce de ne point pleurer car elle est fière.

Mortifiée, elle ne veut pas qu’on devine sa rage intérieure… Ses jambes s’agitent dans le vide, faisant danser les fesses blanches, dans l’entrebâillement du pantalon.

— Si vous recommencez, vous en aurez autant… J’espère que vous êtes suffisamment punie…

Marthe n’était pas plus autrement étonnée du châtiment que Mademoiselle du Harlem venait de lui faire subir car elle était habituée à recevoir chez elle de semblables fessées, c’étaient même plus que des fessées, c’étaient des flagellations dont le martinet était l’instrument. Le martinet, arme redoutable pour les enfants qui en ont goûté les caresses cinglantes, qui les épouvante et leur fait crier grâce et implorer les parents courroucés. Ce n’est point battre que de laisser tomber le martinet sur le derrière nu de la fillette ou du garçon, c’est corriger.

Il n’en reste pas de trace, à peine une démangeaison, une brûlure dont on se souvient assez pour devenir plus sage et craindre la main justicière. Marthe n’a de regret que d’avoir laissé contempler cette partie d’elle-même que la robe recouvre. Il est vrai que la fessade ne serait rien sans cela. Les petites filles le savent.

Elles frémissent toutes à la pensée qu’on les déculotte si facilement, si prestement, dans le but d’offrir en spectacle ces deux joues blanches cachées dans la chemise. Ah ! qui donc inventa cette punition exécrable, odieuse, terrible, si humiliante ! Qui donc donna aux parents permission de châtier des êtres plus faibles qu’eux ?

Ces jeunes cerveaux travaillent. Une sourde révolte gronde dans le cœur des petites filles. Elles voudraient défendre leur personne contre les violences des grands, elles commencent juste de s’apercevoir qu’elles sont destinées, comme furent leurs mères, à souffrir perpétuellement dans leur pudeur, dans leurs désirs, dans leur chair… et cela sans exception, qu’elles soient belles ou laides, faibles ou puissantes, malheureuses ou fortunées.

Maintenant que les corrections ont été subies, les seize élèves de Lucette sont calmes et attentives, et ne bougent plus. La leçon a été salutaire et l’on peut espérer que l’indiscipline ne règnera plus, pendant quelques temps au moins. L’humiliation est trop forte pour qu’on se risque à la mériter. Elles font, ces enfants, l’apprentissage de la vie qui leur ménage, ce qu’elles ignorent, des esclavages, des affronts, des tourments, grands ou petits, mais nombreux.

Lucette pourrait leur dire : « J’ai été comme vous une petite fille, et j’ai eu votre âge, de pareilles punitions pour de pareilles fautes. Comme vous, en pension, en famille, j’ai été fouettée et fouettée d’importance, fustigée sans indulgence, sans pitié. J’ai grandi, et c’est alors que j’ai revu un ami d’enfance dont je ne soupçonnais pas l’autoritaire désir, les projets insensés.

Ce n’est rien d’être corrigée en pleine classe devant les filles de son âge, c’est pire d’être battue par un garçon, à l’impromptu. Et je l’aime maintenant, ce garçon-là, je l’aime, oui, et beaucoup, très fort, violemment, comme une folle que je suis. Il me considère comme sienne… Je suis toujours pour lui une petite amie… il m’appelle souvent ainsi : « Amie… petite amie… » Il m’a prise dans ses filets, il m’a domptée, subjuguée, asservie, je suis sa chose, sa proie, son jouet…

Il s’est ri de mes révoltes, de mes protestations, de mes larmes, de mes cris et de mes menaces, il n’a vu et ne voit en moi que celle dont il est le maître aujourd’hui et qui lui obéit entièrement. Mais les humiliations qu’il m’impose sont plus puissantes, plus cruelles aussi, mais plus voluptueuses, car il faut aimer pour demander ou consentir à recevoir de tels supplices. »

Voilà ce que pourrait dire Lucette à ses élèves, mais les femmes ne sont point toutes destinées à souffrir de la sorte. Les petites filles, pour l’instant, ne goûtent pas le même attrait dans ce châtiment : elles sont punies pour leurs espiègleries.

Lucette était alors animée d’un premier amour qui se précisa par la suite et naquit dans la violence alors que, d’ordinaire, il naît dans de douces et puériles caresses. Le souvenir de cet inconvenant amour ne l’épouvante pas. À force d’en avoir discuté en elle-même les causes et les effets, elle s’est habituée à considérer comme naturelle et soudaine cette anormale transformation.

Déviation de la saine raison amoureuse ! Quand on aime, discerne-t-on ce qui est de ce qui aurait dû être ? Ah ! comme elle se rappelle bien les scènes d’autrefois, les premières rencontres, les promenades solitaires, les escapades qu’elle faisait avec Max… Comme elle se rappelle, oui ! Tout est précis, présent dans sa mémoire.

Le jour où il l’entraîna dans le bois et que, sans lui laisser deviner ses desseins, il lui retourna les jupons pour la fouetter. Ce souvenir la fait frissonner d’émotion, elle se voit comme une petite fille innocente, sans malice, sans soupçon des embûches qui étaient près d’elle ; l’esprit rempli d’illusions, le cœur calme, tout neuf… Elle évoque le tableau de sa lutte avec Max, la lutte sur les feuillages qui aboutit à sa défaite et qui fut le point de départ de sa vie désorganisée.

Aujourd’hui, alors qu’elle fustige elle-même ces petites filles, ses élèves, elle comprend mieux quel affront lui fût imposé. Il a orienté, ce Max à qui elle appartient maintenant, ses désirs et ses goûts dans un sens dont elle n’aurait jamais pu soupçonner les mystérieux effets.

Il a témérairement abusé de sa faiblesse et bousculé ses rêves chastes et meurtri sa chair et blessé sa pudeur charmante. Mais néanmoins le paysage dans lequel elle a vécu ces heures indicibles de tourment et de crainte, a laissé dans sa mémoire et dans ses yeux la même splendeur.

Au contraire, il lui apparaît à présent comme le décor qui entoura les premiers beaux jours tristes de son existence.

Combien de femmes se rappellent les souvenirs des heures de l’amour prématuré, cet amour qui vient sans qu’on s’en doute, à la suite d’on ne sait quel concours de circonstances… à cause d’un mot, d’un geste, d’une caresse ou, c’est le cas, d’une brutalité enfantine.

C’est à quoi pense Lucette du Harlem tandis que les seize petites filles attendent qu’elle les interroge pour répéter consciencieusement leurs leçons.

 

Lucette s’empressa de raconter à Max ce qui s’était passé au « cours ».

— Ah ! ah ! vous allez bien ma chère, il est malheureux que je n’aie pu assister au spectacle.

— Vous en avez vu d’autres dont vous étiez l’ordonnateur !

— Celui-ci devait être charmant.

— Mais je ne crois pas qu’il se renouvellera avec Olga, Marthe et Lucie. Quant aux autres, elles auront peur que semblable correction leur soit infligée.

— Mais les papas et les mamans ne vont pas être satisfaits.

— Bah ! j’ai humilié sans faire souffrir après tout.

…Les seize petites filles se tinrent sages dès ce jour fameux où trois de leurs compagnes avaient été ainsi fessées.

Olga donnait même l’exemple. Mais on voyait qu’elle conservait pour Lucette une certaine rancune, on n’est pas fouettée en public sans en éprouver une humiliation dont le souvenir ne s’efface pas facilement. Mais cet acte d’autorité devait avoir des conséquences auxquelles Mlle du Harlem ne s’attendait point.

La petite Olga n’avait pas manqué de raconter à sa famille de quelle façon la maîtresse de cours l’avait punie. Outré de cela Monsieur Bodewski manifesta hautement son intention d’aller voir Mademoiselle du Harlem, et de lui reprocher sa conduite envers sa fille.

M. Bodewski était Russe, donc autoritaire et brutal. Il trouvait naturel qu’on en usa ainsi vis-à-vis des serviteurs malhonnêtes ou rebelles, ou même vis-à-vis d’êtres coupables, qu’ils soient hommes ou femmes.

Mais envers sa fille, il ne comprenait pas qu’une fessée ou autre correction frappante soit exercée par une personne étrangère qui n’avait aucun droit sur elle.

Il est bon de savoir, pour ce qui suit, de quelle manière les Russes entendent de tels châtiments.

Une fessée c’est insignifiant. Mais la fessée est le commencement de la bastonnade et de la flagellation en général. M. Bodewski, le premier, aimait infliger ces tortures-là, et il subissait en cela l’influence d’un pays qui a acclimaté les punitions de cette sorte.

La sainte Russie, pays du despotisme le plus absolu et encore semi-barbare, est par excellence celui de la flagellation, du fouet et du bâton. De tous temps les Russes ont été soumis au régime du bâton. Ni l’âge, ni le sexe ne les mettent à l’abri des coups.

Le paysan russe est battu comme plâtre, et, ni les officiers ni les nobles eux-mêmes, ne sont parfois, à l’abri de ces châtiments corporels. Leur emploi est tellement entré dans les mœurs qu’il n’est pas une grande dame russe qui ne considère de sa dignité de souffleter sa domestique pour le plus léger manquement à ses devoirs.

Il ne se passe pas un jour, pas une semaine, sans que des officiers, des étudiants, des écrivains, des fonctionnaires n’aient à subir cette peine humiliante.

Leurs pantalons déboutonnés ou leurs épaules nues doivent sentir les morsures du fouet pour la moindre intempérance de langage. La vie sociale des Russes nous offre un curieux exemple de leur penchant pour la verge.

Les femmes mariées tiennent pour un gage absolu d’amour d’être bien battues par leurs époux. Au contraire elles considèrent comme une preuve de réel mépris de n’être pas, de temps en temps, châtiées par la main martiale ; cet état d’âme n’est pas particulier à la basse classe, mais se rencontre aussi parmi les femmes de la haute société.

La Grande Catherine ne dédaignait pas de temps en temps le maniement de la verge ; c’était pour elle un passe-temps, ou plutôt une passion. Elle fouettait elle-même ses femmes de chambre, ses coiffeurs, ses valets de pied, par pure distraction. Elle les obligeait à se travestir en enfants et à agir comme tels ; elle se disait alors leur maman, les gourmandait et se mettait à les fouetter.

Parfois, elle s’improvisait gouvernante, forçait les femmes à apprendre des leçons impossibles à retenir, puis les fouettait pour leur prétendue négligence.

On rapporte qu’elle a poussé ce genre de folie si loin, que ses dames, lorsqu’elles se rendaient à cette école de fantaisie, au Palais d’Hiver, devaient se préparer d’avance et ne se présenter devant l’Impératrice que revêtues de costumes « ad hoc », permettant d’infliger commodément une flagellation.

Quelquefois, elle rendait visite incognito à de nobles familles et insistait pour que les toutes jeunes filles qui s’y pouvaient trouver fussent fouettées devant elle sous le prétexte le plus futile et se livrait souvent elle-même, de ses propres mains à ce genre de sport.

De cet aperçu et de ces exemples, on peut tirer une conclusion qui fera aisément comprendre le ressentiment qu’éprouvait M. Bodewski.

N’avait-il pas flagellé lui-même certains de ceux qui lui avaient manqué de respect ? Il y a des cas où la gifle ne suffit pas et où une flagellation s’impose.

Pour l’instant, il se proposait de dire à Mlle du Harlem son fait.

On lui avait dit qu’elle était jeune… Mais une majorité atteinte, on a conscience de ses actes.

Ce fut un soir qu’il se fit annoncer chez Lucette. Lorsqu’il la vit, il eut un sursaut de surprise tant elle lui parut jolie.

— Vous ne vous doutez point, sans doute, Mademoiselle, du motif de ma visite ?

— Je vous avoue que non, lui répondit simplement Lucette.

— Alors, permettez-moi de vous l’expliquer. Ma fille m’a dit que vous lui aviez administré une fessée devant toutes ses camarades. Est-ce vrai ?

— C’est vrai, Monsieur.

Brusquement, il interrogea :

— Pourquoi avez-vous fait cela ?

— Votre fille, Monsieur, était insolente avec moi, n’en pouvant venir à bout, j’ai jugé nécessaire de l’humilier devant ses compagnes, afin qu’à l’avenir elle soit plus respectueuse et plus sage.

— Vous avez eu tort, on ne fesse pas une enfant qui ne vous appartient pas.

— Les observations ne portaient pas, j’ai agi et ne m’en repens point.

— Vous êtes fière, Mademoiselle.

— Oui, Monsieur, mais juste aussi.

Le Russe la regardait bien en face, mais Lucette, non intimidée, soutenait son regard.

Et oubliant qu’il avait devant lui une jeune fille à qui, néanmoins, il devait de la courtoisie, il lui dit, en riant lourdement.

— Et si l’on vous en faisait autant ?

Elle tressaillit et devint rouge.

— Monsieur, je ne permettrais pas.

— Ne vous fâchez pas je vous en prie. Nous autres, Russes, nous châtions ainsi… c’est l’habitude.

— Mais… votre conversation me paraît étrange et déplacée.

— Je le crois, mais je suis comme ça, moi… dans mon pays, on peut oser dire de ces choses qui, en France, paraissent grossières et bizarres.

« On bat par amour et par vengeance.

— Je ne vois pas ce que l’amour ou la vengeance viendraient faire ici !

— Allons, vous ne me comprenez pas.

Il se leva et s’approcha d’elle.

— J’aimerais vous battre, moi.

— Vous aussi !!!

M. Bodewski resta stupéfait de cette exclamation que Lucette avait laissé échapper malgré elle. La confusion égalait sa frayeur. Que lui voulait cet homme ? Elle fit mine d’appeler, mais d’un geste il l’en empêcha.

— Inutile, ne criez pas, ne pleurez pas… je ne crains personne ici.

Et il ferma la porte à double tour.

— Monsieur, s’écria-t-elle, je ne comprends pas votre attitude. Vous n’êtes pas chez vous ici.

— Tout doux, tout doux, la belle enfant…

— Allez-vous-en.

— Je ne m’en irai pas, non, je ne m’en irai pas.

Lucette vivait d’atroces minutes d’angoisses. M. Bodewski lui enserra la taille de ses bras vigoureux. Elle ne pouvait s’échapper ni même se débattre. Il s’assit, la fit ployer sur ses genoux de façon qu’il lui fut facile de découvrir son séant. Il ricanait, tel un satyre qui va consommer son crime.

La maintenant solidement, il releva les jupes de Lucette et il put admirer à son aise le charmant postérieur de la gentille institutrice.

— Ah ! Mademoiselle Lucette, vous ne vous attendiez pas à pareil châtiment !

De Max, vous acceptez les pires fantaisies brutales, mais d’un inconnu, d’un étranger qui abuse ainsi de votre faiblesse, vous ne pouvez qu’être terrifiée et outrée. Le plaisir ne se ressent plus quand on aime pas. Et vous souffrez plus violemment de cette fessade sans charme.

Le Russe frappait sans relâche.

Sa main la brûlait chaque fois qu’elle s’abattait sur elle. Jambes en l’air, elle se tordait comme une barre de fer que mord le feu.

— Lâche, lâche, criait-elle dans ses larmes.

— Ma main est douce, à côté du bâton, lui disait-il.

Il arrêta le supplice, mais laissa la jeune fille dans la même position inconvenante.

— Elles sont rouges, ces deux jumelles, proféra-t-il ironiquement.

— Lâche, brute, râlait Lucette.

— Que de gros mots pour si peu de chose ! Question d’habitude cela… je ne regrette pas, certes, les instants que je viens de passer en votre compagnie, mais je ne veux pas prolonger davantage cet amusement. Vous voilà libre…

Et il l’aida à se relever.

À peine fut-elle debout, qu’elle étendit le bras dans la direction de la porte et lui intima ordre de quitter l’appartement.

— Vous êtes un goujat, entendez-vous un goujat… et votre fille peut se dispenser de revenir au cours. Je la ficherai dehors votre fille.

— Ne vous mettez donc pas en colère, cela n’en vaut pas la peine ? Vous me plaisez beaucoup, et si vous le voulez, nous serons une paire d’amis.

— Quel aplomb vous avez ! Vous ne méritez que du mépris !

— À la réflexion, vous changerez d’avis.

— N’y comptez pas. Après ce qui vient de se passer, je ne reculerai devant rien pour venger cet affront que vous m’avez imposé. Je porterai plainte.

— Non… une flagellation ou une fessade ne sont point de la grivèlerie. Et puis, je crois bien que ce n’est pas la première fois que vous en avez fait l’expérience.

Et sans lui laisser le temps de répondre, il dit : « À une autre fois », et disparut.

Elle versa des larmes de rage, la colère, la surexcitation s’étaient emparées d’elle à tel point qu’elle ne pouvait même plus rassembler ses pensées.

— Le lâche, le lâche ! le grossier personnage !

Que dirait Max, s’il savait ?

Fallait-il avouer, fallait-il se taire ?

Ah ! si les petites filles l’avaient su ?

Mais les petites filles ne savent pas qu’il est des hommes dont l’instinct vicieux et le despotique désir vont jusqu’à fesser les femmes. Elle aimait Max, elle détestait cet homme !

Entre eux, il y avait une barrière qu’aucun raffinement de plaisir ne pouvait renverser ; seul, son amant triomphait de toutes ses pudeurs, de ses hésitations et de ses effrois ; mais ce Russe n’avait engendré chez elle que de la haine et une haine aussi forte et aussi féroce que la brutalité qui l’animait.

Petites filles, méfiez-vous des bourreaux qui vous guettent et osent trousser vos jupes et ouvrir vos pantalons, ils feront de vous ou d’admirables amoureuses ou des victimes vindicatives.

Soulever la chemise d’une femme pour fustiger ce qu’elle cache n’est permis qu’à celui à qui l’on ne veut pas résister.