Esclave amoureuse/15

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L’Éden (p. 153-167).


LE DEUXIÈME ESCLAVAGE


« Partout, partout votre esclave Monseigneur, partout votre admiratrice et l’âme de vos plus délicats plaisirs. »


Mais Max se détachait peu à peu de Lucette.

Il semblait éprouver pour elle du ressentiment à l’avoir liée par le mariage, à son existence.

Une autre femme, dont il était fou sans doute, lui avait arraché cet amour qui paraissait devoir durer toujours.

Alors devant la nouveauté de l’aventure, séduit par des charmes que chez Lucette il ne découvrait plus, il s’abandonnait à cette trahison dont il connaissait l’horreur puisqu’il accusait, malgré sa force de caractère, des signes de mauvaise humeur et d’hostilité.

Et ce qui devait arriver arriva.

Un jour, dans un accès de colère, il frappa Lucette, pour la dernière fois et lui cria : « Va-t-en d’ici… j’en ai assez de notre vie commune… tu es libre… je ne t’aime plus… »

Cette scène horrible se déroula dans la chambre où l’amour le plus exacerbé, le plus passionné, les avait si souvent tenus enchaînés à ses voluptés.

C’était affreux le spectacle de cette lâcheté en face de cette douleur.

Lucette se traînait à ses pieds, versant des larmes, s’accrochant à lui, se cramponnant dans un ultime effort.

— Mon Max… mon Max… que t’ai-je fait ?… la colère t’aveugle… il ne faut pas que tu me rejettes ainsi, comme une épave…

Il était insensible, inexorable.

Espérant encore que tout n’était pas fini, qu’il s’apaiserait, qu’il se sentirait criminel… elle ne l’insultait pas et ne maudissait point la misérable rivale qui lui prenait cet homme, le sien.

N’ayant pu le fléchir, elle se redressa, bondit sur lui, comme un fauve en furie, lui griffa le visage, lui mordit les mains, et ce ne furent plus des pleurs, ni des sanglots, ni des cris… ce fut un hurlement de bête blessée, un hurlement prolongé dont l’écho ne s’arrêta qu’après la porte refermée.

 

Son amour se changeait en haine.

Déchue, abandonnée, elle se trouvait plus seule que jamais dans l’existence.

Lasse des jours de fièvre vécus en compagnie de Max, elle avait envie de s’asseoir là, dans un coin d’ombre et d’attendre patiemment la mort.

Une sorte de fatalité pesait sur elle et la conduisait vers elle ne savait quelle catastrophe. D’où viendrait le salut ?

Question angoissante qu’elle se posait depuis hier…

Les projets les plus insensés agitaient son esprit. Et dans une minute d’affolement, elle écrit à Bodewski, afin qu’il vienne.

Suprême résolution, dont les conséquences pouvaient être néfastes, mais réfléchit-on, lorsque livrée à des lendemains de misère, on est sans défense, sans soutien et presque sans ressources.

Écrire n’était pas habile, il eût mieux valu qu’elle attendît le hasard d’une rencontre au lieu de s’avouer vaincue aussi vite et de faire appel au Russe, dont elle n’ignorait pas la vaniteuse méchanceté. Mais qu’importait maintenant !

Elle n’était plus épouvantée de rien, elle avait atteint le summum des douleurs, des humiliations.

Fessée déjà par Bodewski, elle continuerait de subir ses châtiments brutaux. « Je veux être un ami pour vous. »

Cette phrase l’avait encouragée à prendre une décision soudaine. Et Bodewski accourut.

— Qu’y a-t-il ? que s’est-il passé ?

Elle lui raconta brièvement son existence tourmentée. Sans plus d’amour-propre, lâche, d’une lâcheté allant à l’encontre du caractère féminin, elle avait appelé à elle celui qu’elle détestait. Au lieu de le fuir, elle lui demandait protection.

Et le Russe paraissait heureux, orgueilleux, sûr de lui et d’elle, ne cessait de se féliciter intérieurement de son prestige et de sa puissance.

— Vous l’aimiez, ce mari, n’est-ce pas ?

— Ces sentiments-là ne vous regardent pas.

— Je ne pourrais donc jamais vaincre vos petites illusions.

— Je n’ai plus d’illusions.

— Oh ! oh ! déjà ! Vous avez à peine vécu.

— J’ai vécu suffisamment pour connaître les hommes.

— Vous les détestez je parie.

— Oh ! oui, je les déteste.

— Alors… expliquez-moi… pourquoi m’avez-vous écrit ?

— Je ne sais pas… c’était plus fort que moi… vous aviez commencé votre œuvre…

— Il fallait la continuer… Le souvenir d’une fessade m’a servi davantage que toutes les déclarations enflammées que j’aurais pu vous faire.

— Ne m’interrogez pas, ne cherchez pas à savoir… je suis à votre disposition, mais promettez-moi de ne pas me perdre encore plus.

— Je promets, mais je veux que vous fassiez toutes mes volontés. Je suis un mauvais amant quand je ne peux pas battre une maîtresse.

Oh ! oui, elle aurait pu dire comme disait Juliette à Saint-Fond : « Partout, partout, votre esclave, Mon seigneur, partout votre admiratrice et l’âme de vos plus délicats plaisirs. »

Bodewski semble être un de ces sadiques dont le besoin de violence ou de cruauté s’associe à la jouissance sexuelle ? Les violences actives ou le spectacle de la souffrance donnent seuls au sadique cette satisfaction. L’amour est une conquête.

Dans « Un Mariage préhistorique », Ernest d’Hervilly a montré ce que devait être la conquête de l’épouse à ces époques lointaines.

« On était alors, écrit-il, dans une saison où la pêche, la chasse et la recherche des fruits et des racines étant faciles, les êtres humains, baignés d’un air tiède, grisés par les senteurs de la terre, étaient sollicités soudain, de la façon la plus âpre, à une fonction pour laquelle toutes les autres sont en jeu. Une terrible incitation à la poursuite des femelles naissait sous les os épais de leurs crânes. C’est pourquoi le murmure vital ardent et confus qui remplissait la forêt en rut, était dominé de temps à autre par le râle amoureux du jeune mâle rassasié de nourriture… Alors il grinçait des dents, battait l’arbre de ses mains pesantes et grommelait avec une touchante fureur.

— Cependant, les senteurs lointaines des femelles errantes comme lui, dilatées par la saison brûlante, lui arrivaient sans cesse plus nombreuses et plus âcres dans le vent velouté qui soufflait à ses oreilles pointues…

« Il aperçut une femelle, nubile à peine, svelte, d’une haute stature, au pelage ras et soyeux d’un noir luisant. La peau tannée apparaissait nue aux coudes, aux genoux, aux hanches plates et sèches…

« Son bel œil de bête, langoureux et luisant, s’était allumé à la vue du jeune mâle solide et hardi. Alors il se jeta sur elle, la saisit par ses longs cheveux, lui asséna sur la nuque un terrible coup de poing, la renversa dans les herbes et la viola malgré ses cris. »

Ainsi l’on comprend pourquoi, par atavisme ancestral, nombre d’amants ne peuvent se passer de flageller les femmes et comment ils réveillent chez ces femmes le désir d’esclavage inné en elles, de tout temps.

Bodewski descend de ces barbares.

Lucette porte en elle la soif du martyre.

— Il ne faut pas, a dit Bodewski, que notre intimité soit douce et calme, cela nuirait à notre entente. Je n’aime pas qu’on s’abandonne trop à la mollesse, à la paresse, à cette lassitude feinte qu’adoptent les coquettes de nos jours. Il faut savoir supporter tous les heurts moraux et physiques et ne pas se révolter, et ne pas dire : « assez », et ne pas se soustraire au châtiment lorsqu’il est nécessaire et même lorsqu’il est inutile, seulement infligé par amour ou par plaisir. La première fois que j’ai soulevé vos jupes, Lucette, vous avez montré de l’indignation.

Ce programme, elle le connaissait par cœur, on pourrait ajouter, en un facile jeu de mots : par corps.

Par corps, oui.

Il était préparé aux disciplines.

Chair domptée, brisée, dure au mal, mais chair superbe et fine, toujours parfaite dans ses formes ondoyantes. Ce n’était plus la vierge, la jeune fille énigmatique dont l’attrait renverse les hésitations mais fait vibrer les sens, c’était la femme dans toute la plénitude de sa beauté, gourmande des sensations les plus âpres, experte et raffinée dans le vice excessif.

Pour les endurer dans leurs fantaisies et leur diversité, il faut de ce courage surhumain faisant oublier l’acuité de la souffrance tout en éprouvant du plaisir.

Bodewski se montrait épris de Lucette et savourait d’avance les joies que cette liaison lui promettait.

— Je vous avais dit qu’un jour peut-être vous ne me repousseriez pas. Ce jour est arrivé.

Ah ! pauvres femmes, vous nous bravez, nous méprisez, vous riez de nos prédictions et c’est souvent, très souvent même, que vous cherchez à revoir celui ou ceux que vous détestiez tant.

Ces réflexions ironiques, décelant chez le Russe une suffisance dont elle n’ignorait pas l’ampleur, blessèrent vivement Lucette.

— Que vous êtes méchant !

— Mais non, je ne suis pas méchant. Je ne cache pas ma pensée, voilà tout. Vous devriez aimer la franchise, vous êtes franche vous.

Assis près d’elle, il lui murmura : » Je vous tiens… vous ne vous en irez pas si vite… et vous ne me montrerez plus la porte… »

— Je suis vôtre…

— Je m’appelle Pierre…

— Je suis vôtre, Pierre Bodewski.

— On dirait que vous avez une âme russe…

Il lui parla de son pays, de ses tsars, de ses villes, des rites de l’Empire, des paysans que par plaisir on bat, des femmes de là-bas, des châtiments corporels qu’on fait subir aux coupables, aux indisciplinés et aux prisonniers.

Il lui parla du knout, l’arme redoutable et redoutée de tous ceux condamnés à en supporter le supplice.

Intéressée, elle l’écoutait…

— Le knout, au fond, qu’est-ce donc ?

— Un instrument de torture épouvantable. C’est une courroie longue de huit pieds fixée à un manche de deux pieds, taillée de telle façon que ses bords sont aigus, souvent entourés de fils de fer.

— C’est horrible.

— Horrible, oui. Le knout coupe le dos du patient ainsi que le ferait une épée flexible à deux tranchants.

« Il y a aussi le bâton et le plêt qui est un fouet à trois lanières garnies de petites balles de plomb. Cela vous fait frissonner, Lucette. Il y a de quoi.

— Mais… les femmes ?

— Les femmes, on les fouette aussi.

Il arrive cependant, lorsque la coupable — je parle des prisonnières — est une jeune fille au-dessous de vingt ans, d’un faible tempérament ou malade, qu’on ne lui applique seulement que des claques avec la main au lieu de verges.

Sinon, on ne se gêne pas pour flageller leurs fesses nues…

Ah ! l’on n’admet pas les rébellions, les indisciplines et les insolences en Russie.

Pour se faire obéir, il faut battre…

— Moi, je vous obéis, Pierre… alors ? me battrez-vous ?

— Oui, car j’aime battre et vous aimez être battue.

Elle baissa la tête en rougissant.

Elle se voyait déjà dépouillée de tous ses vêtements, livrée aux désirs étranges et brutaux de ce barbare protecteur.

Après Max, que posséderait-il, celui-là ?

L’illusion d’une sympathie.

Résignée, elle ne montrerait plus, malgré son désir de la simuler, d’exaltation.

Et sa pensée allait vers Max, ce Max à qui elle avait donné impulsivement, sans retenue, son cœur, sa liberté, sa vie et même sa mort.

L’ingrat n’est plus là ; au mépris de toutes les lois, ne craignant ni remords, ni vengeance, ni revendications, ni divorce, ni scandale, il jeta sa femme dehors, comme une chienne galeuse.

Elle ne le reverra jamais, à moins que cependant, rassasié de l’amour de l’autre, il ne revienne vers elle, plus tard.

Mais ses prières ne la toucheront pas, elle restera aussi insensible qu’il fut lui-même le jour où il la chassa.

Elle aura sa revanche.

C’est Bodewski qui en profitera.

Elle aperçoit, comme dans une vision soudaine, la terre de Russie, ses nobles et ses gueux, ses impératrices hautaines et fantasques, ses grands-ducs, ses paysans, ses prisonniers, tous frappant et frappés par le knout et par les verges, hurlant sous les coups.

Mais ce n’est pas une punition dont constamment, par Bodewski ou par un autre, elle subira les effets.

Bodewski la contemple, la détaille, l’enveloppe de son regard scrutateur, il marche de long en large, sur le tapis que ses pas lourds écrasent, il lui saisit la taille et l’incline en ses bras.

Et lentement il la déshabille. Il découvre sa gorge, sa poitrine, tout ce que voile la chemise, les hanches, les jambes. Immobile, comme statue, elle ressemble à ces déesses qu’on adorait dans les temples païens. Bodewski caresse ce corps de ses mains rudes.

— Vous êtes belle…

Il voit des traces de fouet…

— Les verges ont déjà passé par là, dit-il.

Elle s’appuie sur lui, défaillante.

Est-ce émotion, peur, honte ?

Elle attend qu’on lui donne de la souffrance.

Ah ! elle a l’habitude de ces moments-là !

Elle a l’habitude du geste et de la pose comme les courtisanes patentées.

Bodewski se décide à frapper :

Ah ! cette main, elle l’a déjà sentie sur le plus bas de son corps.

Et c’est là qu’elle frappe d’abord.

Une autre fessade commence.

La fessade acharnée, violente.

Ses fesses tremblent sous chocs précipités.

Elle est toujours debout, il la tient droite, afin qu’elle ne chancelle pas.

Sans pensée, sans force, sans révolte elle ne cherche pas à arrêter le bras de son nouveau tyran.

Au paroxysme de la surexcitation il la meurtrit tant qu’il peut animé d’une ardeur sauvage. Ses cris excitent sa passion. Et sa passion est inexprimable car il admire cette femme à la beauté parfaite.

Visage gracieux au profil délicat gorge unie, blanche poitrine, bras enveloppants, jambes fines, fermes, élancées… fesses potelées, mais fermes aussi dont la chair échappe sous les doigts lorsqu’on la pince, fesses rondes et rosées, si souvent flagellées par les mains téméraires.

Beauté devant laquelle on s’incline, mais qu’on brusque comme pour lui reprocher d’être si belle. Ce sont de telles beautés qui perdent les hommes et ces beautés-là, même quand elles sont des esclaves, entraînent ceux qui les dominent vers le déshonneur, la folie et le suicide.

Mais si Lucette se refusait, se moquant de l’amant, le faisant à son tour souffrir, elle ne serait plus une flagellée, elle deviendrait une flagellante.

Oh ! elle n’est pas de ces amoureuses apeurées, fragiles. Elle dira pas, répétant la mélopée plaintive :

— Pourquoi de frapper puisque je suis faible ?

« Tes mains me font mal.

« J’ai la chair meurtrie et du sang aux dents.

« Ta colère, je ne la veux pas.

« Je redoute ton sourire car il est perfide et méchant.

« Laisse-moi t’aimer sans bruit, et ne sois pas jaloux.

« Je te hais à force d’amour.

« Lorsque je serai nue dans tes bras, tu n’auras plus de rage.

« Tu seras confus et repentant comme un enfant qui demande pardon. Je suis belle, tu le sais, et j’ai pour toi les voluptés que tu désires.

« Quand le plaisir te tentera, tu viendras vers moi, comme un chien battu, pour implorer le baiser qui t’est dû.

« Ne me bats plus.

« Ne me fais plus pleurer.

« Ne me fais plus souffrir.

« Je t’aime. »

Non, elle ne parlera pas de la sorte.

Au contraire, ses phrases auront un autre sens.

— Je suis ton esclave, ta servante, obéissante à tes moindres gestes et soumise à tes exigences.

« Aux instants que tu voudras, je serai là, prête à me dévêtir pour que tu supplicies les endroits de ce corps aimé de toi.

« Toutes les voluptés, je les veux, et tu as le devoir et le droit de me les donner, de m’en combler, jusqu’à ce que, à demi-morte, je ne puisse plus rien ressentir.

« Ne me juge pas, ne cherche pas à savoir pourquoi mes désirs sont ainsi. Le sentiment doit être exclu de nos actions.

« Je suis une amante non perverse mais pervertie qui veut de la douleur dans la plus simple volupté. »

Qu’importe à Bodewski ce que songe Lucette pourvu qu’il puisse perpétrer ses projets de luxure brutale.

Il n’a pas ce charme élégant que Max possédait à un haut degré il est bestial et rude.

Se servant de la chevelure dénouée de Lucette il lui en fouette le visage.

Si ses ongles sur le dos courbé arrachent un peu de peau meurtrie le cri qu’elle pousse est arrêté dans sa gorge par les fouettées qui se succèdent.

Il la jette à terre sur le tapis et d’une vergette souple frappe les places déjà marquées par le poids des mains.

C’est une double souffrance pour Lucette car la deuxième ravive la première.

À genoux près d’elle il la flagelle à son aise, arrêtant les sursauts, les tressaillements qu’elle ne peut maîtriser.

— Vous êtes mon cheval fougueux que je veux conduire à mon gré.

« De même que lui vous reconnaissez la cravache et l’aiguillon dont les cinglements et les piqûres font la docilité.

« Oubliez, Lucette, le passé et celui dont vous subissez l’emprise et consentez à ne plus, pour moi, avoir de répugnance et de mépris.

« Vous souffrez ? »

— Oh ! je souffre, oui.

— J’ai la poigne solide, je le sais.

« Ne vous repentez pas de m’avoir livré ces trésors que pour un autre vous gardiez si jalousement. »

— Je ne peux pas vous aimer, Pierre, mais je ne vous déteste plus. Vous êtes mon nouveau maître.

— Je ne vous abandonnerai pas, Lucette.

Elle ne bougeait pas. Le plus petit mouvement lui arrachait des cris.

Sur ce tapis, lit frustre et dur, sa nudité se reposait. Ses cheveux entouraient ses épaules en un