Esprit des lois (1777)/L22/C19

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CHAPITRE XIX.

Des prêts à intérêts.


L’argent est le signe des valeurs. Il est clair que celui qui a besoin de ce signe, doit le louer, comme il fait toutes les choses dont il peut avoir besoin. Toute la différence est, que les autres choses peuvent, ou se louer, ou s’acheter ; au lieu que l’argent, qui est le prix des choses, se loue & ne s’achete pas[1].

C’est bien une action très-bonne de prêter à un autre son argent sans intérêt : mais on sent que ce ne peut être qu’un conseil de religion, & non une loi civile.

Pour que le commerce puisse se bien faire, il faut que l’argent ait un prix, mais que ce prix soit peu considérable. S’il est trop haut, le négociant, qui voit qu’il lui en coûteroit plus en intérêt qu’il ne pourroit gagner dans son commerce, n’entreprend rien ; si l’argent n’a point de prix, personne n’en prête, & le négociant n’entreprend rien non plus.

Je me trompe, quand je dis que personne n’en prête. Il faut toujours que les affaires de la société aillent ; l’usure s’établit, mais avec les désordres que l’on a éprouvés dans tous les temps.

La loi de Mahomet confond l’usure avec le prêt à intérêt. L’usure augmente dans les pays Mahométans à proportion de la sévérité de la défense : le prêteur s’indemnise du péril de la contravention.

Dans ces pays d’Orient, la plupart des hommes n’ont rien d’assuré ; il n’y a presque point de rapport entre la possession actuelle d’une somme, & l’espérance de la ravoir après l’avoir prêtée ; l’usure y augmente donc à proportion du péril de l’insolvabilité.


  1. On ne parle point des cas où l’or & l’argent sont considérés comme marchandises.