Esprit des lois (1777)/L22/C21

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CHAPITRE XXI.

Du prêt par contrat, & de l’usure chez les Romains.


Outre le prêt fait pour le commerce, il y a encore une espece de prêt fait par un contrat civil, d’où résulte un intérêt ou usure.

Le peuple, chez les Romains, augmentant tous les jours sa puissance, les magistrats chercherent à le flatter, & à lui faire faire les lois qui lui étoient les plus agréables. Il retrancha les capitaux ; il diminua les intérêts ; il défendit d’en prendre ; il ôta les contraintes par corps : enfin l’abolition des dettes fut mise en question toutes les fois qu’un tribun voulut se rendre populaire.

Ces continuels changemens, soit par des lois, soit par des plébiscites, naturaliserent à Rome l’usure ; car les créanciers voyant le peuple leur débiteur, leur législateur & leur juge, n’eurent plus de confiance dans les contrats. Le peuple, comme un débiteur décrédité, ne tentoit à lui prêter que par de gros profits ; d’autant plus que, si les lois ne venoient que de temps en temps, les plaintes du peuple étoient continuelles & intimidoient toujours les créanciers. Cela fit que tous les moyens honnêtes de prêter & d’emprunter furent abolis à Rome, & qu’une usure affreuse, toujours foudroyée[1] & toujours renaissante, s’y établit. Le mal venoit de ce que les choses n’avoient pas été ménagées. Les lois extrêmes dans le bien font naître le mal extrême : il fallut payer pour le prêt de l’argent, & pour le danger des peines de la loi.


  1. Tacite, annal. liv. VI.