Esprit des lois (1777)/L23/C5

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CHAPITRE V.

De divers ordres de femmes légitimes.


Quelquefois les lois & la religion ont établi plusieurs sortes de conjonctions civiles, & cela est ainsi chez les Mahométans, où il y a divers ordres de femmes, dont les enfans se reconnoissent par la naissance dans la maison, ou par des contrats civils, ou même par l’esclavage de la mere, & la reconnoissance subséquente du pere.

Il seroit contre la raison, que la loi flétrît dans les enfans ce qu’elle a approuvé dans le pere : tous ces enfans y doivent donc succéder, à moins que quelque raison particuliere ne s’y oppose, comme au Japon, où il n’y a que les enfans de la femme donnée par l’empereur qui succedent. La politique y exige que les biens aue l’empereur donne, ne soient pas trop partagés, parce qu’ils sont soumis à un service, comme étoient autrefois nos fiefs.

Il y a des pays où une femme légitime jouit dans la maison, à-peu-près, des honneurs qu’a dans nos climats une femme unique : là, les enfans des concubines sont censés appartenir à la premiere femme. Cela est ainsi établi à la Chine. Le respect filial[1], la cérémonie d’un deuil rigoureux ne sont point dus à la mere naturelle, mais à cette mere que donne la loi.

A l’aide d’une telle fiction[2], il n’y a plus d’enfans bâtards : & dans les pays où cette fiction n’a pas lieu, on voit bien que la loi qui légitime les enfans des concubines, est une loi forcée, car ce seroit le gros de la nation qui seroit flétri par la loi. Il n’est pas question non plus dans ces pays d’enfans adultérins. Les séparations des femmes, la clôture, les eunuques, les verroux, rendent la chose si difficile, que la loi la juge impossible. D’ailleurs, le même glaive extermineroit la mere & l’enfant.


  1. Le Pere du Halde, tome II. Page 124.
  2. On distingue les femmes en grandes & petites ; c’est-à-dire, en légitimes ou non ; mais il n’y a point une pareille distinction entre les enfans. C’est la grande doctrine de l’empire, est-il dit dans un ouvrage Chinois, sur la morale, traduit par le même Pere, page 140.