Esprit des lois (1777)/L24/C1

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LIVRE XXIV.

Des Lois, dans le rapport qu’elles ont avec la religion établie dans chaque pays, considérée dans ses pratiques & en elle-même.




CHAPITRE PREMIER.

Des religions en général.


Comme on peut juger parmi les ténebres celles qui sont les moins épaisses, & parmi les abymes ceux qui sont les moins profonds ; ainsi l’on peut chercher entre les religions fausses celles qui sont les plus conformes au bien de la société ; celles qui, quoiqu’elles n’ayent pas l’effet de mener les hommes aux félicités de l’autre vie, peuvent le plus contribuer à leur bonheur dans celle-ci.

Je n’examinerai donc les divers religions du monde, que par rapport au bien que l’on en tire dans l’état civil ; soit que je parle de celle qui a sa racine dans le ciel, ou bien de celles qui ont la leur sur la terre.

Comme dans cet ouvrage je ne suis point théologien, mais écrivain politique, il pourroit y avoir des choses qui ne seroient entiérement vraies que dans une façon de penser humaine, n’ayant point été considérées dans le rapport avec des vérités plus sublimes.

À l’égard de la vraie religion, il ne faudra que très-peu d’équité pour voir que je n’ai jamais prétendu faire céder ses intérêts aux intérêts politiques, mais les unir : or, pour les unir, il faut les connoître.

La religion Chrétienne, qui ordonne aux hommes de s’aimer, veut sans doute que chaque peuple ait les meilleures lois politiques & les meilleures lois civiles, parce qu’elles sont après elle le plus grand bien que les hommes puissent donner & recevoir.