Esprit des lois (1777)/L24/C23

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CHAPITRE XXIII.

Des fêtes.


Quand une religion ordonne la cessation du travail, elle doit avoir égard aux besoins des hommes, plus qu’à la grandeur de l’Être qu’elle honore.

C’étoit à Athenes[1] un grand inconvénient que le trop grand nombre de fêtes. Chez ce peuple dominateur, devant qui toutes les villes de la Grece venoient porter leurs différents, on ne pouvoit suffire aux affaires.

Lorsque Constantin établit que l’on chomeroit le dimanche, il fit cette ordonnance pour les villes[2], & non pour les peuples de la campagne : il sentoit que dans les villes étoient les travaux utiles, & dans les campagnes les travaux nécessaires.

Par la même raison, dans les pays qui se maintiennent par le commerce, le nombre des fêtes doit être relatif à ce commerce même. Les pays protestans & les pays catholiques sont situés[3] de maniere que l’on a plus besoin de travail dans les premiers que dans les seconds : la suppression des fêtes convenoit donc plus aux pays protestans qu’aux pays catholiques.

Dampierre[4] remarque que les divertissemens des peuples varient beaucoup selon les climats. Comme les climats chauds produisent quantité de fruits délicats, les barbares, qui trouvent d’abord le nécessaire, emploient plus de temps à se divertir : les Indiens des pays froids n’ont pas tant de loisir, il faut qu’ils pêchent & chassent continuellement ; il y a donc chez eux moins de danses, de musique & de festins ; & une religion qui s’établiroit chez ces peuples, devroit avoir égard à cela dans l’institution des fêtes.


  1. Xénophon, de la république d’Athenes.
  2. Leg. 3. cod. de feriis. Cette loi n’étoit faite sans doute que pour les païens.
  3. Les catholiques sont plus vers le midi, & les protestans vers le nord.
  4. Nouveaux voyages autour du monde, tome II.