Esprit des lois (1777)/L25/C12

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CHAPITRE XII.

Des lois pénales.


Il faut éviter les lois pénales en fait de religion. Elles impriment de la crainte, il est vrai : mais comme la religion a ses lois pénales aussi qui inspirent de la crainte, l’une est effacée par l’autre. Entre ces deux craintes différentes, les ames deviennent atroces.

La religion a de si grandes menaces, elle a de si grandes promesses, que lorsqu’elles sont présentes à notre esprit, quelque chose que le magistrat puisse faire pour nous contraindre à la quitter, il semble qu’on ne nous laisse rien quand on nous l’ôte, & qu’on ne nous ôte rien lorsqu’on nous la laisse.

Ce n’est donc pas en remplissant l’ame de ce grand objet, en l’approchant du moment où il lui doit être d’une plus grande importance, que l’on parvient à l’en détacher : il est plus sûr d’attaquer une religion par la faveur, par les commodités de la vie, par l’espérance de la fortune ; non pas par ce qui avertit, mais par ce qui fait que l’on oublie ; non pas par ce qui indigne, mais par ce qui jette dans la tiédeur, lorsque d’autres passions agissent sur nos ames, & que celles que la religion inspire sont dans le silence. Regle générale : en fait de changement de religion, les invitations sont plus fortes que les peines.

Le caractere de l’esprit humain a paru dans l’ordre même des peines qu’on a employées. Que l’on se rappelle les persécutions du Japon[1] ; on se révolta plus contre les supplices cruels que contre les peines longues, qui lassent plus qu’elles n’effarouchent, qui sont plus difficiles à surmonter, parce qu’elles paroissent moins difficiles.

En un mot, l’histoire nous apprend assez que les lois pénales n’ont jamais eu d’effet que comme destruction.


  1. Voyez le recueil des voyages qui ont servi à l’établissement de la compagnie des Indes, tome V., part. I. page 192.