Esprit des lois (1777)/L25/C4

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CHAPITRE IV.

Des Ministres de la Religion.


Les premiers hommes, dit Porphyre, ne sacrifoient que de l’herbe. Pour un culte si simple, chacun pouvoit être pontife dans sa famille.

Le désir naturel de plaire à la Divinité, multiplia les cérémonies : ce qui fit que les hommes, occupés à l’agriculture, devinrent incapables de les exécuter toutes, & d’en remplir les détails.

On consacra aux dieux des lieux particuliers ; il fallut qu’il y eût des ministres pour en prendre soin, comme chaque citoyen prend soin de sa maison & de ses affaires domestiques. Aussi les peuples qui n’ont point de prêtres, sont-ils ordinairement barbares. Tels étoient autrefois les Pédaliens[1], tels sont encore les Wolgusky[2].

Des gens consacrés à la divinité, devoient être honorés, sur-tout chez les peuples qui s’étoient formé une certaine idée d’une pureté corporelle, nécessaire pour approcher des lieux les plus agréables aux dieux, & dépendante de certaines pratiques.

Le culte des dieux demandant une attention continuelle, la plupart des peuples furent portés à faire du clergé un corps séparé. Ainsi, chez les Égyptiens, les Juifs & les Perses[3], on consacra à la divinité de certaines familles, qui se perpétuoient, & faisoient le service. Il y eut même des religions où l’on ne pensa pas seulement à éloigner les ecclésiastiques des affaires, mais encore à leur ôter l’embarras d’une famille, & c’est la pratique de la principale branche de la loi Chrétienne.

Je ne parlerai point ici des conséquences de la loi du célibat : on sent qu’elle pourroit devenir nuisible, à proportion que le corps du clergé seroit trop étendu, & que par conséquent celui des laïques ne le seroit pas assez.

Par la nature de l’entendement humain, nous aimons, en fait de religion, tout ce qui suppose un effort ; comme en matiere de morale, nous aimons spéculativement tout ce qui porte le caractere de la sévérité. Le célibat a été plus agréable aux peuples à qui il sembloit convenir le moins, & pour lesquels il pouvoit avoir de plus fâcheuses suites. Dans les pays du midi de l’Europe, où, par la nature du climat, la loi du célibat est plus difficile à observer, elle a été retenue ; dans ceux du nord, où les passions sont moins vives, elle a été proscrite. Il y a plus : dans les pays où il y a peu d’habitans, elle a été admise ; dans ceux où il y en a beaucoup, on l’a rejettée. On sent que toutes ces réflexions ne portent que sur la trop grande extension du célibat, & non sur le célibat même.


  1. Lilius Giraldus, page 726.
  2. Peuples de la Sibérie. Voyez la relation de M. Everard Isbrands-Ides, dans le recueil des voyages du nord, tome VIII.
  3. Voyez M. Hyde.