Esprit des lois (1777)/L26/C24

La bibliothèque libre.


CHAPITRE XXIV.

Que les réglemens de police sont d’un autre ordre que les autres lois civiles.


Il y a des criminels que le magistrat punit, il y en a d’autres qu’il corrige ; les premiers sont soumis à la puissance de la loi, les autres à son autorité ; ceux-là sont retranchés de la société ; on oblige ceux-ci de vivre selon les regles de la société.

Dans l’exercice de la police, c’est plutôt le magistrat qui punit, que la loi ; dans les jugemens des crimes, c’est plutôt la loi qui punit, que le magistrat. Les matieres de police sont des choses de chaque instant, & où il ne s’agit ordinairement que de peu : il ne faut donc guere de formalités. Les actions de la police sont promptes, & elle s’exerce sur des choses qui reviennent tous les jours : les grandes punitions n’y sont donc pas propres. Elle s’occupe perpétuellement de détails : les grands exemples ne sont donc pas faits pour elle. Elle a plutôt des réglemens que des lois. Les gens qui relevent d’elle sont sans cesse sous les yeux du magistrat ; c’est donc la faute du magistrat, s’ils tombent dans des excès. Ainsi il ne faut pas confondre les grandes violations des lois avec la violation de la simple police : ces choses sont d’un ordre différent.

De-là il suit qu’on ne s’est point conformé à la nature des choses de cette république d’Italie[1] où le port des armes à feu est puni comme un crime capital, & où il n’est pas plus fatal d’en faire un mauvais usage que de les porter.

Il suit encore que l’action tant louée de cet empereur, qui fit empaler un boulanger qu’il avoit surpris en fraude, est une action de sultan, qui ne sait être juste qu’en outrant la justice même.


  1. Venise.