Esprit des lois (1777)/L28/C24

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CHAPITRE XXIV.

Regles établies dans le combat judiciaire.


Lorsqu’il[1] y avoit plusieurs accusateurs, il falloit qu’ils s’accordassent, pour que l’affaire fût poursuivie par un seul ; & s’ils ne pouvoient convenir, celui devant qui se faisoit le plaid, nommoit un d’entr’eux qui poursuivoit la querelle.

Quand[2] un gentilhomme appeloit un villain, il devoit se présenter à pied, & avec l’écu & le bâton : & s’il venoit à cheval & avec les armes d’un gentilhomme, on lui ôtoit son cheval & ses armes ; il restoit en chemise, & étoit obligé de combattre en cet état contre le villain.

Avant le combat, la justice[3] faisoit publier trois bans. Par l’un, il étoit ordonné aux parens des parties de se retirer ; par l’autre, on avertissoit le peuple de garder le silence ; par le troisieme, il étoit défendu de donner du secours à une des parties, sous de grosses peines, & même celle de mort, si par ce secours un des combattant avoit été vaincu.

Les gens de justice gardoient[4] le parc ; & dans le cas où des parties auroit parlé de paix, ils avoient grande attention à l’état actuel où elles se trouvoient toutes les deux dans ce moment, pour qu’elles fussent remises[5] dans la même situation, si la paix ne se faisoit pas.

Quand les gages étoient reçus pour crime ou pour faux jugement, la paix ne pouvoit se faire sans le consentement du seigneur ; & quand une des parties avoit été vaincue, il ne pouvoit plus y avoir de paix que de l’aveu du comte[6] ; ce qui avoit du rapport à nos lettres de grace.

Mais si le crime étoit capital, & que le seigneur corrompu par des présens, consentît à la paix, il payoit une amende de soixante livres ; & le droit[7] qu’il avoit de faire punir le malfaiteur étoit dévolu au comte.

Il y avoit bien des gens qui n’étoient en état ni d’offrir le combat ni de le recevoir. On permettoit en connoissance de cause, de prendre un champion ; & pour qu’il eût le plus grand intérêt à défendre sa partie, il avoit le poing coupé, s’il étoit vaincu[8].

Quand on a fait dans le siecle passé des lois capitales contre les duels, peut-être auroit-il suffi d’ôter à un guerrier sa qualité de guerrier par la perte de la main, n’y ayant rien ordinairement de plus triste pour les hommes que de survivre à la perte de leur caractere.

Lorsque[9] dans un crime capital le combat se faisoit par champions, on mettoit les parties dans un lieu d’où elles ne pouvoient voir la bataille : chacune d’elles étoit ceinte de la corde qui devoit servir à son supplice, si son champion étoit vaincu.

Celui qui succomboit dans le combat, ne perdoit pas toujours la chose contestée ; si, par exemple[10], l’on combattoit sur un interlocutoire, on ne perdoit que l’interlocutoire.


  1. Beaumanoir, ch. iv, pages 40 & 41.
  2. Beaumanoir, ch. lxiv, page 328.
  3. Ibid. pag. 330.
  4. Ibid.
  5. Ibid.
  6. Les grands vassaux avoient des droits particuliers.
  7. Beaumanoir, ch. lxiv, pag. 330, dit : Il perdoit sa justice. Ces paroles, dans les auteurs de ces temps-là, n’ont pas une signification générale, mais restreinte à l’affaire dont il s’agit ; Défontaines, chap. xxi, art. 29.
  8. Cet usage que l’on trouve dans les capitulaires subsistoit du temps de Beaumanoir : voyez le ch. lxi, page 315.
  9. Beaumanoir, ch. lxiv, page 330.
  10. Ibid. , ch. lxi, page 309.