Esprit des lois (1777)/L28/C40

La bibliothèque libre.


CHAPITRE XL.

Comment on prit les formes judiciaires des décrétales.


Mais d’où vient qu’en abandonnant les formes judiciaires établies, on prit celle du droit canonique, plutôt que celles du droit Romain ? C’est qu’on avoit toujours devant les yeux les tribunaux clercs, qui suivoient les formes du droit canonique, & que l’on ne connoissoit aucun tribunal qui suivît celles du droit Romain. De plus, les bornes de la juridiction ecclésiastique & de la séculiere étoient dans ces temps-là très-peu connues : il y avoit[1] des gens[2] qui plaidoient indifféremment dans les deux cours ; il y avoit des matieres pour lesquelles on plaidoit de même. Il semble[3] que la juridiction laye ne se fût gardée, privativement à l’autre, que le jugement des matieres féodales, & des crimes commis par les laïques dans les cas qui ne choquoient par la religion[4]. Car si, pour raison des conventions & des contrats, il falloit aller à la justice laye, les parties pouvoient volontairement procéder devant les tribunaux clercs, qui, n’étant pas en droit d’obliger la justice laye à faire exécuter la sentence, contraignoient d’y obéir par voie d’excommunication[5]. Dans ces circonstances, lorsque, dans les tribunaux laïques, on voulut changer de pratique, on prit celle des clercs, parce qu’on la savoit ; & on ne prit pas celle du droit Romain, parce qu’on ne la savoit point ; car, en fait de pratique, on ne sait que ce que l’on pratique.


  1. Beaum. ch. xi, pag. 58.
  2. Les femmes veuves, les croisés, ceux qui tenoient les biens des églises pour raison de ces biens. Ibid.
  3. Voyez tout le chap. xi. de Beaumanoir.
  4. Les tribunaux clercs, sous prétexte du serment, s’en étoient même saisis, comme on le voit par le fameux concordat passé entre Philippe Auguste, les clercs & les barons, qui se trouve dans les ordonnances de Lauriere.
  5. Beaumanoir, chap. xi, pag. 60.